La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/11/2022 | FRANCE | N°20/02613

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 25 novembre 2022, 20/02613


MINUTE N° 523/2022





























Copie exécutoire à



- Me Joseph WETZEL



- Me Anne CROVISIER





Le 25/11/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 25 novembre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02613 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMRN


r>Décision déférée à la cour : 26 Août 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANTES :



S.A.R.L. HARLEY-DAVIDSON DREAMSTORE représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

S.A.R.L. DUCATI DREAM-STORE représentée par son représen...

MINUTE N° 523/2022

Copie exécutoire à

- Me Joseph WETZEL

- Me Anne CROVISIER

Le 25/11/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 25 novembre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02613 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMRN

Décision déférée à la cour : 26 Août 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTES :

S.A.R.L. HARLEY-DAVIDSON DREAMSTORE représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

S.A.R.L. DUCATI DREAM-STORE représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

S.A.R.L. TRIUMPH DREAMSTORE représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

représentées par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour.

INTIMÉE :

Compagnie d'assurance CAMBTP Représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Anne CROVISIER, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 9 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

La SCI V-CO est propriétaire d'un local commercial situé dans la zone d'activité Espale, [Adresse 2] (68). Selon un bail commercial du 18 décembre 2004, qui a pris effet au 1er janvier 2005, elle a donné ce local, à usage de « surface exposition vente, surface atelier, surface détente client » en location à la SAS Harley-Davidson Center of Alsace, afin que celle-ci puisse y exercer ses activités, à savoir notamment l'achat et la vente, la location, la réparation et la transformation de motocycles et tricyles, l'achat et la vente de vêtements, articles de mode et de tout article Harley-Davidson, et accessoirement l'achat et la vente de boissons non alcoolisées et produits alimentaires.

Des travaux de réhabilitation de l'immeuble ont été réalisés courant 2004-2005, dont le maître d'oeuvre était la SARL SDN Ingénierie.

Invoquant une absence de conformité des locaux aux normes de construction et de sécurité, suite à l'absence de dépôt, à son insu, de la demande de permis de construire relative à ces travaux, la SA Harley-Davidson a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Strasbourg d'une demande d'expertise judiciaire dirigée contre la CAMBTP, assureur de la société SDN Ingénierie. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance du 2 octobre 2012, l'expertise ayant été étendue aux intervenants à l'acte de construire par ordonnance du 7 mai 2013.

La SARL Harley-Davidson Dreamstore, la SARL Ducati Dreamstore et la SARL Triumph Dreamstore sont intervenues volontairement à la procédure d'expertise en lieu et place de la demanderesse, au motif qu'aux termes d'un acte d'apport d'actifs du 23 janvier 2012, la société Harley-Davidson leur avait cédé ses droits sur le bien immobilier litigieux.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 19 octobre 2017.

Par assignation délivrée le 11 octobre 2018, les sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore, venant aux droits de la SA Harley-Davidson ont saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg de demandes d'indemnisation formées contre la CAMBTP, en sa qualité d'assureur de la société SDN Ingénierie, soutenant notamment que cette dernière avait une mission de maîtrise d''uvre complète, incluant une mission d'élaboration et de dépôt de dossier de permis de construire, laquelle n'avait jamais été menée à bien, ce qui avait nécessité une régularisation de la situation par le dépôt d'un nouveau dossier de permis de construire.

Cependant, les demanderesses affirmaient que les travaux qui avaient dû être engagés pour mettre le bâtiment aux normes de 2012 n'étaient plus les mêmes que ceux nécessaires en 2005, entraînant un surcoût et ne permettant plus d'accueillir que jusqu'à 200 personnes, alors que les travaux initiaux devaient permettre d'accueillir jusqu'à 300 personnes.

Par jugement du 26 août 2020, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Strasbourg, a débouté les sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore de leurs demandes formées à l'encontre de la CAMBTP et il les a condamnées in solidum aux dépens ainsi qu'au paiement, à la compagnie d'assurances, de la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, disant n'y avoir lieu à exécution provisoire.

La CAMBTP contestant l'intervention de la société SDN Ingénierie et remettant en cause l'imputabilité des désordres constatés, le tribunal a relevé que, s'agissant de la réalisation des travaux en eux-mêmes, dans la période 2004-2005, les demanderesses rapportaient la preuve d'une mission relative au descriptif des travaux et à leur suivi.

En revanche, alors qu'elles affirmaient qu'en 2006, la société SDN Ingénierie se serait rendue compte de la nécessité de déposer une demande de permis de construire pour les travaux réalisés et aurait établi des plans en conséquence, sans cependant jamais déposer la demande de permis correspondante, le tribunal a relevé qu'il ne s'agissait que d'une affirmation, qui n'était corroborée par aucun élément objectif, pas même un commencement de preuve par écrit.

Deux documents intitulés « Dossier de demande de permis de construire » étaient produits, l'un comportant le cachet d'un architecte, l'Atelier d'Architecture Finck, ainsi qu'une signature sur ce cachet, et l'autre ne comportant que la signature du maître de l'ouvrage, mentionnant en qualité de maîtres d''uvre, l'Atelier d'Architecture Finck et la société SDN Ingénierie.

Les demanderesses affirmant qu'en 2008, un second dossier de demande de permis de construire aurait été établi, sans être déposé, elles versaient aux débats un document intitulé « Dossier de permis de construire » portant la date de janvier 2008, la mention d'une conception réalisée par l'Atelier d'Architecture Finck, sans mention d'un maître d''uvre, ce document étant signé du seul maître de l'ouvrage, ainsi qu'un acte d'engagement mentionnant la société SDN Ingénierie mais ne comportant pas sa signature.

Si, lors des opérations d'expertise, il avait été porté à l'attention de l'expert que l'Atelier d'Architecture Finck serait intervenu à la demande de la société SDN Ingénierie uniquement pour signer le permis de construire, dès lors que celle-ci n'avait pas qualité pour ce faire, et qu'il serait donc intervenu comme sous-traitant, mais aussi que la société SDN Ingénierie aurait en 2006 et 2008, utilisé frauduleusement le cartouche de l'Atelier d'Architecture Finck, l'utilisation du conditionnel et de l'adverbe « probablement » à plusieurs reprises par l'expert judiciaire démontraient les doutes et interrogations légitimes quant aux missions confiées à la société SDN Ingénierie.

Les demanderesses ne rapportant pas la preuve qui leur incombait des missions contractuellement confiées à la société SDN Ingénierie, elles devaient donc être déboutées de l'ensemble de leurs prétentions fondées sur l'action directe contre son assureur, la CAMBTP.

Les sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore ont interjeté appel de ce jugement par déclaration datée du 14 septembre 2020.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 7 septembre 2021, elles sollicitent l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et que la cour, statuant à nouveau, condamne la CAMBTP à leur payer :

- la somme de 208 168 euros H.T., augmentée des intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation,

- la somme de 102 600 euros H.T. au titre des frais de déménagement et de garde-meuble pendant les travaux,

- la somme de 131 000 euros à la SARL Harley-Davidson Dreamstore, la somme de 35 000 euros à la SARL Ducati Dreamstore et la somme de 49 000 euros à la SARL Triumph Dreamstore, chacune assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de ces conclusions, au titre de la perte d'exploitation subie,

- la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance, et la même somme sur le même fondement au titre de la procédure d'appel, le tout avec intérêts légaux à compter de la décision à intervenir en application de l'article 1231-7 du code civil,

- aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et d'appel ainsi que de la procédure de référé R.Civ 12/558.

Avant-dire droit, elles sollicitent que la cour ordonne un complément d'expertise par tel expert-comptable de son choix, à l'effet de définir la perte d'exploitation qu'elles subiront durant les trois mois d'indisponibilité des locaux, du fait des travaux de mise en conformité.

Les appelantes font valoir que les travaux réalisés par la SA Harley-Davidson, lors de son arrivée dans les locaux, avaient permis d'obtenir une classification d'établissement recevant du public de 4ème catégorie de type T (salles d'exposition), M (magasin de vente) et N (restaurant et débit de boissons). Cependant, les travaux réalisés dans l'urgence, à titre conservatoire, conformément au nouveau permis de construire obtenu en 2013 pour éviter la fermeture de l'établissement, après révélation, en 2012, de l'absence de permis de construire, n'ont permis d'obtenir qu'une classification de 5ème catégorie de type T, M et N, ne permettant de recevoir que 200 personnes. Elles invoquent un préjudice résultant de la réduction de leur capacité d'accueil et de la dévalorisation de l'immeuble.

Elles invoquent la responsabilité contractuelle du maître d''uvre, sur le fondement des articles 1134 et 1147 anciens du code civil, applicables en l'espèce, et 1792-4-3, la société SDN Ingénierie ayant manqué à son obligation contractuelle en s'abstenant d'avertir la SA Harley-Davidson des mesures à mettre en 'uvre pour faire bénéficier le bâtiment des normes nécessaires à l'exploitation de son activité et en ne réalisant pas les diligences nécessaires pour le dépôt du permis de construire, obligation préalable à tous travaux.

Subsidiairement, elles invoquent la garantie décennale de l'article 1792 du code civil, soutenant que les travaux conçus par la société SDN Ingénierie ont rendu l'ouvrage impropre à sa destination, étant à l'origine d'un défaut de conformité aux normes de sécurité applicables à la construction.

La CAMBTP opposant l'absence de réception, les appelantes invoquent une volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage traduisant une réception tacite, les travaux ayant été achevés en 2005, intégralement payés aux entreprises et à la société SDN Ingénierie et la SA Harley-Davidson ayant pris possession des lieux pour les exploiter.

S'agissant de la mission confiée à la société SDN Ingénierie, les appelantes font valoir que c'est à tort que le tribunal a appliqué les règles de preuve des articles 1359 et suivants du code civil, la règle de preuve applicable étant celle de l'article L 110-3 du code de commerce selon lequel les actes de commerce peuvent se prouver par tout moyen, sauf disposition légale contraire.

Elles soutiennent qu'il existe suffisamment de preuves de l'implication de la société SDN Ingénierie dans la maîtrise d''uvre du chantier et dans le traitement du dossier

de permis de construire, que la société SDN Ingénierie avait en effet reçu une mission complète et avait donc en charge la conception de l'ouvrage, les pièces produites démontrant que la société SDN Ingénierie considérait l'établissement du dossier de permis de construire comme relevant de sa mission. Cependant, n'étant pas architecte, elle n'avait pas le pouvoir de signer les demandes de permis de construire et celles-ci n'ont manifestement pas été déposées en raison du refus de l'Atelier d'Architecture Finck de les signer.

A supposer que la société SDN Ingénierie n'ait pas été chargée du dossier de permis de construire, il lui appartenait d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur la nécessité de recourir à un tiers pour accomplir cette démarches, conformément à l'obligation d'information et de conseil de la maîtrise d''uvre vis-à-vis d'un maître de l'ouvrage n'ayant aucune connaissance et aucune compétence dans le domaine de la construction, en application des articles L.441-6 et L.111-2 du code de commerce.

Les appelantes invoquent par ailleurs un non-respect des règles en matière d'établissement recevant du public (ERP) par la société SDN Ingénierie dans le cadre de ses missions de conception et de contrôle général des travaux et l'absence de respect de l'obligation légale du professionnel de porter à la connaissance du maître de l'ouvrage l'ensemble des conditions réglementaires d'exécution de sa mission.

Sur la responsabilité de la société Harley-Davidson mise en cause par l'intimée, les appelantes font valoir que celle-ci n'a aucune compétence en matière de construction et que, si elle a mené une autre opération nécessitant un permis de construire, à [Localité 3], celle-ci était postérieure à celle de [Localité 4].

Par ailleurs, les appelantes soulignent que le dossier de permis de construire retrouvé dans les locaux de la société SDN Ingénierie comporte partout la signature du maître de l'ouvrage, que la société Harley-Davidson pouvait donc être persuadée que la demande de permis de construire avait été déposée et que son rôle n'est nullement exonératoire de la responsabilité de cette société.

De plus, si le bail commercial mentionne que la société Harley-Davidson reconnaissait la conformité de l'ouvrage, à cette date, les travaux n'étaient pas achevés et ce qu'elle considérait comme conforme était l'état antérieur à sa propre transformation.

Enfin, au vu des travaux tels que conçus initialement, le bâtiment relevait de la classe 4 en termes de sécurité et de protection incendie. Or, la réglementation ayant sérieusement évolué, il a fallu envisager une nouvelle mise en conformité avec la demande de permis de construire déposée en 2013.

Sur les préjudices subis, les appelantes évoquent des travaux de mise en conformité à la 4ème catégorie chiffrée par l'expert judiciaire au montant total de 208 168 euros H.T., auquel il convient d'ajouter le coût d'une peinture intumescente pour les locaux à risque, c'est-à-dire les ateliers et le stockage, qui fera l'objet d'un chiffrage.

De plus, ces travaux nécessiteront environ trois mois de chantier et les locaux concernés devront être vidés, soit, selon l'expert, tous les locaux sauf les espaces de vente du rez-de-chaussée qui seront cependant affectés par les travaux en cours dans le reste du bâtiment.

À ce titre, les appelantes évoquent trois solutions, dont l'une consistant en l'arrêt total de l'activité, avec déménagement complet des locaux et garde-meubles pendant la durée des travaux, a été chiffrée à 102 600 euros H.T., les autres solutions, qui impliquent un déménagement partiel ou complet, n'ayant pas encore été chiffrées.

Par ailleurs, les appelantes indiquent avoir toutes trois fourni des éléments comptables pertinents chiffrant leur perte d'exploitation durant les trois mois de travaux à prévoir. À défaut, un complément d'expertise confié à un architecte à un expert-comptable pourrait être ordonné.

Sur la non-garantie invoquée par la CAMBTP, au motif d'une résiliation au 3 novembre 2010, les appelantes soulignent que c'est la garantie décennale des constructeurs qui doit être mise en 'uvre et que sur ce point, la mission confiée à la société SDN Ingénierie l'a été pendant la période de validité du contrat et était achevée lors de la suspension du contrat d'assurance. La garantie de responsabilité civile professionnelle est également mobilisable.

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 2 novembre 2021, la CAMBTP sollicite la confirmation du jugement déféré et le rejet de l'intégralité des demandes des appelantes.

A titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement déféré, elle demande que la cour, statuant à nouveau, déboute les sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore de l'intégralité de leurs demandes.

En tout état de cause, elle sollicite la condamnation des sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore aux entiers frais et dépens et à lui régler la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Reprenant les motifs du jugement déféré, l'intimée souligne que les appelantes ne produisent pas de nouvelles pièces justifiant qu'une mission relative au dépôt du permis de construire aurait été confiée à la société SDN Ingénierie et que, par ailleurs, une mission de maîtrise d''uvre n'emporte pas constitution de mandat de représentation du maître de l'ouvrage, si bien qu'il ne peut être présumé que la société SDN Ingénierie avait la responsabilité du dépôt du dossier de demande de permis de construire et de l'obtention de ce permis, ainsi que du respect de la réglementation ERP, qui relèvent de la compétence et de la responsabilité exclusive du maître de l'ouvrage. De plus, la société SDN Ingénierie est un maître d''uvre et non pas un architecte pouvant déposer un dossier de permis de construire.

Par ailleurs, c'est le régime de la preuve civile qui est applicable, seuls les actes de commerce, dont ne fait pas partie de la mission de maîtrise d''uvre, étant soumis à la preuve commerciale. Aucun acte de commerce et aucune activité commerciale ne peuvent être relevés et la police d'assurance souscrite par la société SDN Ingénierie est un contrat de responsabilité profession libérale.

Par ailleurs, les notes d'honoraires n'ont pas été émises au titre de la mission permis de construire, la société SDN Ingénierie étant un maître d''uvre et non pas un architecte.

Sur l'obligation générale de conseil et d'information invoquée sur le fondement de l'article L.111-2 du code de la consommation, la CAMBTP rappelle qu'une personne morale ne peut être considérée comme consommateur.

La nécessité d'obtenir la classification du bâtiment en 4ème catégorie n'est pas démontrée comme il n'est pas non plus prouvé que la réalisation de travaux destinés à assurer la classification du bâtiment en 4ème catégorie ait fait l'objet de la mission confiée à la société SDN Ingénierie. Le respect de la réglementation, notamment en matière d'urbanisme, incombe aux architectes, ce que n'est pas la société SDN

Ingénierie. De plus, l'aménagement du site de [Localité 4] n'est pas « une première » pour la SA Harley-Davidson et il est surprenant qu'elle ne se soit pas inquiétée du sort du permis de construire.

A titre subsidiaire, la CAMBTP soutient que les garanties souscrites auprès d'elle ne peuvent être mobilisées en raison de leur suspension, à compter du 22 mars 2010, puis de la résiliation du contrat d'assurance le 3 novembre 2010 pour non-paiement des primes, après l'absence de régularisation de la situation suite à une mise en demeure du 19 février 2010, donc avant la fin des travaux.

De plus, la garantie décennale ne peut être mobilisée en l'absence de réception des travaux mais aussi en l'absence de désordres de nature décennale, car les normes de sécurité en matière d'ERP sont respectées pour un bâtiment de la 5ème catégorie, dont il relève, et en l'absence de preuves de l'imputabilité du désordre à la société SDN Ingénierie.

Subsidiairement, la CAMBTP invoque les clauses d'exclusion des articles 6.11 et 6.212 des conditions générales du contrat d'assurance, en cas de dommages résultant exclusivement du fait intentionnel du souscripteur ou pour des réclamations résultant de la non atteinte de résultat que le souscripteur se serait engagé à obtenir sans y être légalement tenu.

Elle invoque également la responsabilité du maître de l'ouvrage, se référant pour cela au rapport d'expertise et soulignant que la SA Harley-Davidson a déjà eu une expérience dans ce type d'opération, a déclaré que les locaux pris en location étaient adaptés à l'activité projetée et n'a pas assumé ses propres obligations relatives au dépôt du permis de construire.

Sur les demandes relatives à la mise en conformité du bâtiment aux règles applicables à la 4ème catégorie ERP, de type T, M et N, la CAMBTP fait valoir que la mise en 'uvre d'une peinture intumescente sur les éléments de structure des espaces de vente et du rez-de-chaussée ne constitue pas une obligation réglementaire.

Par ailleurs, le bâtiment respectant les exigences imposées à la 5ème catégorie, le souhait de la SA Harley-Davidson de mettre son bâtiment en conformité à la 4ème catégorie ERP ne peut être qu'à la seule charge des appelantes. A titre subsidiaire, sur les préjudices invoqués, la CAMBTP conteste la nécessité d'un arrêt complet de l'activité durant les travaux et les frais de déménagement ainsi que la perte d'exploitation mis en compte par les appelantes.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 04 janvier 2022.

MOTIFS

I ' Sur la responsabilité de la société SDN Ingenierie

Les appelantes soutenant que le contrat de maîtrise d'oeuvre conclu entre la société Harley-Davidson et la société SDN Ingénierie incluait une mission relative au dossier de permis de construire et à la conformité des travaux à la réglementation ERP, il convient tout d'abord de rappeler que la charge de la preuve de ces engagements contractuels leur incombe. A ce titre, l'article L110-3 du code de commerce énonce qu'à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens, à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi.

Les deux dossiers de demande de permis de construire produits par les appelantes, dont il n'est pas contesté qu'ils n'ont jamais été déposés en mairie, à savoir celui du 1er février 2006 et celui de janvier 2008, mentionnent la SCI V-CO en qualité de maître de l'ouvrage. La mention « V-CO/Concession Harley Davidson » sur celui du 1er février 2006, ne permet pas de considérer que la société Harley-Davidson y soit également désignée en cette qualité.

En revanche, les travaux en cause ayant été effectués en 2004-2005, avant l'élaboration de ces dossiers de permis de construire, il doit être constaté que la société Harley-Davidson apparaît en tant de maître de l'ouvrage sur différents ordres de services adressés à des entrepreneurs titulaires de différents lots le 18 novembre 2004 (p. n°22 et 23) et le 8 novembre 2004 (p.n°29 et 30) et c'est à elle que la société SDN Ingénierie a adressé ses notes d'honoraires de novembre 2014 à février 2015 versées aux débats' En outre, le compte-rendu de la réunion de chantier du 3 décembre 2004 mentionne également la société Harley-Davidson en tant de maître de l'ouvrage, tous ces éléments étant suffisants pour lui attribuer cette qualité, s'agissant des travaux en cause, ce que, d'ailleurs, elle ne conteste pas. Celle-ci étant une société commerciale, tout comme la société SDN Ingenierie, il en résulte que la preuve est libre, s'agissant de leur relation contractuelle, conformément aux dispositions légales rappelées plus haut.

La demande de permis de construire du 1er février 2006 mentionne, s'agissant de la conception du projet, la SARL Atelier d'architecture Finck et la société SDN Ingénierie, celle de janvier 2008 ne mentionnant que la première, étant observé que les dits travaux étaient déjà achevés lors de l'élaboration de ces deux dossiers.

Or, les travaux en cause ayant été réalisés en 2004-2005, d'après les éléments versés aux débats et les déclarations des parties à l'expert judiciaire, les différents plans du rez-de-chaussée et de l'étage établis en octobre et novembre 2004, produits par les appelantes (p 35 à 40) ont été effectués par la société SDN Ingenierie, portant son seul cartouche. Or, à l'évidence, il ne s'agit pas de simples plans d'exécution mais, au contraire, ils démontrent que la société SDN Ingenierie a assumé une mission de conception, alors qu'il n'est versé aux débats aucun élément susceptible de démontrer l'intervention de la société Atelier d'Architecture Finck à ce titre.

Par ailleurs, les appelantes produisent des notes d'honoraires de maîtrise d'oeuvre adressées par la société SDN Ingenierie à la société Harley-Davidson du 8 novembre 2004 au 31 janvier 2005, pour un montant total de 19 000 euros HT, celles-ci portant sur des acomptes « pour Maîtrise d'oeuvre de la Concession de [Localité 4] ». De plus, il a été porté sur chacune d'elles la mention « ACHATS » ainsi que le mois et l'année correspondant à la date de la facture et ces notes d'honoraires sont concomittantes avec des ordres de service émis et adressés à divers entrepreneurs par la société, pour la réalisation des travaux en cause, ce qui tend à démontrer que ces notes d'honoraires sont liées à la mise en 'uvre de la phase d'exécution des travaux, dont il n'est pas contesté que la société SDN Ingenierie a été chargée. Le compte-rendu de chantier du 3 décembre 2014, rédigé par la société SDN Ingénierie qui y est mentionnée en qualité de maître d'oeuvre, ainsi que le planning des travaux de décembre 2004 confirment également l'intervention de cette société dans la phase d'exécution des travaux. Il apparaît donc qu'elle s'est vue confier une mission de maîtrise d'oeuvre complète.

Les plans d'octobre et novembre 2004 évoqués plus haut démontrant que la société SDN Ingenierie s'était vue confier la maîtrise d'oeuvre de conception des travaux litigieux, cette mission exigeait qu'elle mette en 'uvre tous les moyens adaptés à la

nature et l'ampleur des dits travaux. En effet, dès lors que des travaux nécessitent l'obtention d'un permis de construire, il relève de la mission du maître d'oeuvre d'en informer un maître de l'ouvrage profane en matière de construction préalablement à leur réalisation, afin que ce dernier puisse faire le nécessaire et lui confier, le cas échéant, une mission à cette fin, la signature de la demande de permis de construire relevant de la compétence du maître de l'ouvrage.

Dans la situation présente, si la société Harley Davidson a fait réaliser des travaux pour lesquels elle a fait également appel à la société SDN Ingenierie en qualité de maître d'oeuvre, dans des locaux exploités à [Localité 3], également dans le cadre de son activité commerciale de vente, location et réparation de motocycles et tricycles, il résulte des pièces qu'elle produit que cet autre chantier est postérieur à celui de [Localité 4], un contrat de maîtrise d'oeuvre ayant été signé avec la société SDN Ingenierie et un permis de construire ayant été obtenu en août 2007. Il ne peut donc en être tiré la moindre conclusion quant à une éventuelle expérience de la société Harley Davidson en matière de maîtrise d'ouvrage, qui aurait été susceptible de l'alerter sur la nécessité d'un permis de construire et de dispenser la société SDN Ingenierie de tout devoir de conseil à son égard.

A ce titre, ainsi que le souligne la CAMBTP, seule une personne physique étant susceptible d'avoir la qualité de consommateur au sens des dispositions du code de la consommation, aucune obligation tirée de ce code à l'égard du consommateur ne peut être retenue à l'égard de la société Harley Davidson, personne morale.

Cependant, en sa qualité de maître d'oeuvre, la société SDN Ingenierie était tenue d'une obligation contractuelle de conseil vis à vis du maître de l'ouvrage profane qu'était la société Harley Davidson, s'agissant de la nécessité d'un permis de construire pour les travaux objets de leur relation contractuelle, obligation à laquelle il n'est nullement démontré qu'elle ait satisfait. Dans la mesure où elle-même ne disposait pas du titre lui permettant de signer, en qualité de maître d'oeuvre, la demande de permis de construire, elle se devait d'informer le maître de l'ouvrage de la nécessité de recourir à un architecte pour accomplir cette démarche

Elle devait également mettre en 'uvre les mesures nécessaires, dans le cadre de la conception des travaux qui lui était confiée, puis dans le cadre de la maîtrise d'oeuvre d'exécution, afin que ces aménagements respectent les normes relatives aux établissements recevant du public (ERP), ce qu'elle n'a pas fait non plus.

C'est pourquoi, si la garantie décennale de la société SDN Ingenierie n'était pas susceptible d'être mise en 'uvre, en l'absence de désordre de nature décennale, les normes de sécurité en matière d'ERP étant respectées pour un bâtiment de la 5ème catégorie, sa responsabilité contractuelle apparaît en revanche pleinement engagée, pour les deux manquements relevés ci-dessus.

Le maître d'oeuvre n'est pas susceptible d'en être exonéré par le fait que le maître de l'ouvrage ne se soit pas inquiété du sort de la demande de permis de construire dont elle connaissait l'existence pour en avoir signé des pièces en 2006 puis en 2008, les manquements de la société SDN Ingenierie étant antérieurs aux travaux effectués en 2004-2005 ou contemporains de ces derniers.

Par ailleurs, la mention du bail commercial signé le 18 décembre 2004 selon laquelle le preneur déclare avoir visité et examiné les lieux et les estime conformes à l'usage qu'il entend en faire n'engageait la société Harley Davidson qu'à l'égard du bailleur et ne peut nullement exonérer la société SDN Ingenierie, dont les travaux étaient d'ailleurs loin d'être achevés lors de la signature du bail, des manquements retenus plus haut à son encontre.

Les fautes contractuelles du maître d'oeuvre ont contraint la société Harley Davidson à régulariser la situation des locaux exploités vis à vis de l'autorité administrative afin d'éviter une fermeture administrative, suite à la lettre du maire de [Localité 4] du 10 avril 2012 qui l'avait invitée à régulariser la situation, tant au regard du dépôt de la demande de permis de construire que du respect des normes d'accessibilité aux personnes à mobilité réduite (PMR) et de sécurité applicables aux ERP, lui-même nécessaire à la délivrance de ce permis.

C'est ce qu'elle a fait en déposant en novembre 2012 une demande de permis de construire et en faisant réaliser les travaux nécessaires à la mise en conformité des locaux exploités avec les normes en vigueur applicables aux ERP, à la date de dépôt de cette demande de permis de construire, dont elle précise, sans être contredite, qu'elles avaient évolué depuis 2004-2005.

II ' Sur la garantie due par la CAMBTP

Sur l'obligation de la CAMBTP à garantir son assurée, l'intimée ne conteste pas que les garanties souscrites par la société SDN Ingenierie incluent la responsabilité contractuelle de cette dernière.

Sur les clauses d'exclusion invoquées par la CAMBTP, la clause d'exclusion relative au fait intentionnel du souscripteur ne peut s'appliquer en l'espèce, une telle faute devant s'entendre comme étant celle commise avec la volonté de causer le dommage, ce qui n'était nullement le cas de la société SDN Ingenierie dans la situation présente.

Par ailleurs, ne peut non plus s'appliquer la clause d'exclusion des réclamations résultant de la non atteinte de résultats que le souscripteur se serait engagé à obtenir sans y être tenu en vertu de textes légaux ou réglementaires ou (') excédant ceux auxquels le souscripteur se trouvait tenu de par ces lois et règlements.

En effet, chacun des manquements reprochés à la société SDN Ingenierie ne réside nullement dans la non atteinte de résultats qu'elle se serait engagée à obtenir, mais en l'absence de respect des obligations du maître d'oeuvre relatives au respect d'obligations légales ou réglementaires.

Sur la suspension des garanties pour non-paiement de ses cotisations d'assurance par la société SDN Ingenierie, il y a lieu de souligner que l'article 11-215-1 des conditions générales du contrat d'assurance invoqué par la CAMBTP, relatif à la suspension de la garantie ou à son retrait en cas de résiliation du contrat, ne s'applique qu'aux désordres relevant de la garantie décennale, alors que les manquements de l'assurée retenus dans le cadre du présent litige relèvent de sa responsabilité civile contractuelle.

De plus, la mise en demeure pour défaut de paiement des primes invoquée par la CAMBTP, datée du 19 février 2010, est très largement postérieure au sinistre, les travaux en cause ayant été achevés plusieurs années auparavant. En effet, ce n'est qu'en raison du non-respect des normes applicables en 2012 que le permis de construire obtenu alors a dû être suivi de travaux de mise aux normes alors applicables et de reprise de ceux effectués sous la maîtrise d'oeuvre de la société SDN Ingenierie.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, aucun motif de dispenser la CAMBTP de la garantie due en vertu du contrat d'assurance souscrit auprès d'elle par la société SDN Ingenierie ne peut être retenu et cette dernière lui doit donc cette garantie du fait des manquements relevés à l'encontre de son assurée.

III ' Sur la réparation des préjudices subis par le maître de l'ouvrage

A - Sur la demande relative à la mise en conformité du bâtiment

Les appelantes sollicitant l'indemnisation des travaux de mise en conformité du bâtiment selon les règles applicables à la 4ème catégorie ERP de type T, M et N, il convient d'observer que l'expert judiciaire relève qu'avant la venue de la société Harley Davidson dans les locaux, ceux-ci relevaient de la classification ERP de 3ème catégorie, de type M. Ils étaient alors affectés à la vente de matériel informatique et les surfaces n'étaient pas non plus les mêmes qu'aujourd'hui.

L'expert indique que, lorsqu'elle est devenue locataire des locaux, la société Harley Davidson a entrepris la réalisation de travaux d'extension et de transformation qui ont entraîné, outre la création de nouvelles surfaces, la modification des affectations de différentes surfaces existantes, la nouvelle configuration correspondant à une classification ERP de 4ème catégorie, de type T, M et N.

Dans l'urgence dans laquelle cette société s'est trouvée après la mise en demeure de la mairie, elle a déposé en octobre 2012 une demande de permis de construire avec une demande de classification ERP de 5ème catégorie, de type T, M et N et les travaux ont été réalisés conformément à cette classification et au permis de construire obtenu en 2012, hors réserves non levées.

Relevant que la société Harley-Davidson soutient que disposer d'un local de catégorie 5 alors qu'il devait être de catégorie 4 constitue pour elle un préjudice, car la valeur du bien s'en trouverait dévalorisée, l'expert a évalué le coût des travaux de mise en conformité en fonction de chacune des deux catégories. Il chiffre ainsi à 51 160 euros hors-taxes les travaux de mise en conformité en 5ème catégorie selon la réglementation incendie/ERP, à partir du devis établi par l'architecte de la société Harley-Davidson et différentes factures d'entreprises relatives aux travaux engagés en 2012- 2013.

L'expert chiffre également à 178 800 euros hors-taxes les travaux de mise en conformité en 4ème catégorie, y ajoutant le coût des travaux engagés à titre conservatoire, de 29 368 euros hors-taxes, soit au total 208 168 euros hors-taxes.

Les appelantes, qui précisent que le type T correspond à une salle d'exposition, le type M à un magasin de vente commercial et le type N un restaurant et débit de boisson, soulignent que la classification de 4ème catégorie permet de recevoir jusqu'à 300 personnes, celles de 5ème catégorie ne permettant de recevoir que 200 personnes.

La CAMBTP contestant tout engagement contractuel de la société SDN Ingenierie, relatif à une classification en 4ème catégorie, les appelantes se fondent sur la notice de présentation annexée au dossier de demande de permis de construire du 1er février 2006. Celle-ci indique que l'établissement, qui comporte 260 personnes au total, est susceptible d'être classé en 4ème catégorie. Elle mentionne en effet un accueil du public à raison de 244 personnes, et celui de 16 employés répartis dans les ateliers et les bureaux. Elle précise que, s'agissant du public, la capacité du magasin est de 229 personnes et celle de la zone détente est de 15 personnes, et ce à raison d'une personne par mètre carré sur un tiers de la surface. Cependant, cette notice n'est signée que par le représentant du maître de l'ouvrage et ne peut à ce titre constituer un document contractuel probant.

En revanche, l'expert a bien confirmé que la nouvelle configuration des locaux, suite aux travaux d'extension et de transformation entrepris par la société Harley-Davidson

en 2004, correspondait à une classification de 4ème catégorie, et ce après avoir « fait le point sur le classement des locaux au regard de la réglementation « sécurité incendie».

Il en résulte une preuve suffisante de ce que les travaux conçus par la société SDN Ingenierie en 2004 étaient destinés à permettre la classification des locaux exploités par la société Harley Davidson en 4ème catégorie et qu'en conséquence, la réparation du préjudice de cette dernière doit permettre l'obtention de cette classification, dont les exigences ont manifestement évolué depuis cette période.

Pour retenir le montant de 178 800 euros hors-taxes, s'agissant du chiffrage des travaux de mise en conformité en 4ème catégorie, l'expert précise avoir pris en compte deux devis et un estimatif, ainsi qu'un rapport du contrôleur technique Dekra, mandaté par la société Harley-Davidson. Ce chiffrage inclut la mise en 'uvre d'un flocage CF1H dans les locaux à risques, mais pas celle d'une peinture luminescente sur les éléments de structure dans les espaces de vente au rez-de-chaussée, au motif que cette prestation n'a pas été imposée par le rapport DEKRA. Si la société Harley-Davidson soutient qu'il s'agit d'un oubli du contrôleur technique, l'expert, qui indique avoir tenté de contacter ce dernier à de très nombreuses reprises, en vain, souligne que la société Harley Davidson aurait pu lui demander de compléter son rapport, ce qu'elle n'a pas fait.

Elle a en revanche transmis à l'expert la documentation relative à cette peinture luminescente, dans le cadre d'un dire. Mais l'expert n'en a pas conclu que ce type de traitement devait être mis en 'uvre ailleurs que dans les locaux à risques importants, et notamment dans les espaces de vente du rez-de-chaussée. Force est de constater que les appelantes ne fournissent aucun élément probant de nature à contredire les conclusions de l'expert judiciaire sur ce point et qu'elles n'ont pas elles-mêmes formulé de demande relative à ce poste de préjudice dans le dispositif de leurs écritures, indiquant dans les seuls motifs qu'il conviendra de le faire chiffrer.

Par ailleurs, il est justifié de retenir le montant des travaux conservatoires que la société a dû engager pour obtenir en urgence une classification du local en 5ème catégorie et éviter ainsi sa fermeture administrative, ces travaux n'étant pas pérennes et leur coût ne pouvant venir en déduction de celui des travaux à entreprendre pour obtenir la classification des locaux en 4ème catégorie.

En conséquence, le préjudice matériel des appelantes, relatif aux travaux de reprise nécessaires, doit être fixé au montant de 208 168 euros HT. Il convient donc d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore présentées à ce titre et d'y faire droit. Cette somme sera assortie des intérêts légaux à compter de la date de l'assignation devant le tribunal, conformément à la demande des appelantes.

B - Sur les autres postes de préjudice

Les appelantes sollicitant un montant de 102 600 euros HT au titre des frais de déménagement et de garde-meuble durant les travaux, elles invoquent un déménagement nécessaire du commerce pendant toute cette durée, évaluée par l'expert à trois mois.

L'expert estime cependant envisageable un maintien partiel de l'activité des sociétés dans les locaux. Il explique en effet que les travaux de mise en conformité lourds ne concernent que les locaux à risques importants, soit l'atelier, les réserves, la chaufferie, les locaux techniques et de stockage, ainsi que l'espace d'accueil au N1, qui doivent impérativement être libérés, en particulier durant les travaux de mise en 'uvre du flocage.

En revanche, il estime que les espaces de vente au rez-de-chaussée pourraient rester en fonctionnement durant les travaux, sous réserve qu'ils soient organisés et cloisonnés en ce sens. Il propose en outre la location d'un autre local durant les trois mois afin de poursuivre la partie de l'activité qui ne pourrait être maintenue sur le site.

Il chiffre à 102 600 euros le coût des frais de déménagement complet et de garde-meuble, précisant que cette solution d'arrêt total de l'activité sur le site pourrait être accompagnée d'un transfert de celle-ci sur un autre site pendant trois mois, ce qui réduirait le coût à celui d'un déménagement complet, sans garde-meuble.

L'expert n'a pas chiffré la solution du maintien partiel de l'activité sur le site, qui justifierait un déménagement partiel, par exemple celui de l'atelier, du stockage et des réserves, avec un garde-meuble partiel, et une réorganisation des locaux objets des travaux en fonction de cette situation provisoire.

S'il peut paraître difficile de maintenir une partie de l'activité « d'exposition et de vente de motos neuves rutilantes au milieu des vibrations, du bruit et de la poussière dégagée par un chantier », ainsi que le font valoir les appelantes, ces dernières ne s'expriment pas sur la possibilité, qui ne peut être exclue, de transférer la totalité de l'activité en un autre site pendant la durée des travaux, que l'expert a aussi envisagée. Or, une telle solution, à l'encontre de laquelle il n'est démontré l'existence d'aucun obstacle, d'autant plus que la période des travaux à réaliser peut être choisie par les maîtres de l'ouvrage, a pour avantage d'éviter les inconvénients d'un maintien partiel de l'activité sur site autant que ceux d'un arrêt de cette activité pendant la durée des travaux.

Si les appelantes n'ont pas pris la peine de chiffrer les frais de location d'autres locaux, il convient de considérer que leur montant ne serait pas inférieur au coût du garde-meuble, qu'il y a donc lieu de retenir dans de telles circonstances. Il convient donc d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande des sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore présentées à ce titre et d'y faire droit. Cette somme de 102 600 euros sera assortie des intérêts légaux à compter de la date de l'assignation devant le tribunal, conformément à la demande des appelantes.

Les appelantes sollicitent par ailleurs des montants dont l'addition représente au total 215 000 euros, au titre de la perte d'exploitation que chacune d'elles subirait du fait de l'arrêt de leurs activités respectives pendant la durée des travaux, ce qui suppose que cette solution soit retenue. Or, ce n'est pas le cas, puisque celle que la cour privilégie est celle d'un transfert total de l'activité dans d'autres locaux durant les travaux. En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande présentée au titre de ce poste de préjudice.

IV - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Etant observé que les sociétés Harley-Davidson Dreamstore, Ducati Dreamstore et Triumph Dreamstore ont formé en appel les mêmes demandes qu'en première instance et le jugement déféré étant partiellement infirmé en ses dispositions principales, il le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.

Les demandes des appelantes étant partiellement accueillies, la CAMBTP sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Pour les mêmes motifs, il ne serait pas équitable de laisser à la charge des appelantes les frais non compris dans les dépens, engagés par ces dernières à l'occasion de la première instance et en appel. En conséquence, il sera fait droit à leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens engagés devant le premier juge et à hauteur du même montant pour ceux engagés en appel.

En revanche, la CAMBTP sera déboutée des demandes formulées à ce même ce titre et sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement rendu entre les parties par le tribunal de grande judiciaire de Strasbourg le 26 août 2020 sauf en ce qu'il a rejeté les demandes de la SARL Harley-Davidson Dreamstore, de la SARL Ducati Dreamstore et de la SARL Triumph Dreamstore présentées au titre de la perte d'exploitation durant les travaux de mise en conformité des locaux qu'elles louent à la SCI V-CO à [Localité 4],

Statuant à nouveau dans cette limite,

CONDAMNE la compagnie d'assurance CAMBTP à payer à la SARL Harley-Davidson Dreamstore, à la SARL Ducati Dreamstore et à la SARL Triumph Dreamstore :

- la somme commune de 208 168 euros (deux cent huit mille cent soixante huit euros) H.T., assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2018, au titre du coût des travaux de mise en conformité des locaux aux normes ERP de 4ème catégorie,

- la somme commune de 102 600 euros (cent deux mille six cents euros) H.T., assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2018, au titre des frais de déménagement et de location d'autres locaux pendant la durée des travaux,

Y ajoutant,

CONDAMNE la compagnie d'assurance CAMBTP aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la compagnie d'assurance CAMBTP à payer à la SARL Harley-Davidson Dreamstore, à la SARL Ducati Dreamstore et à la SARL Triumph Dreamstore la somme commune de 1 500,00 (mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens que ces dernières ont engagés en première instance, et la même somme au titre de ceux qu'elles ont engagés en appel,

REJETTE la demande de la compagnie d'assurance CAMBTP présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en première instance et en appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02613
Date de la décision : 25/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-25;20.02613 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award