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24/11/2022 | FRANCE | N°20/02315

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 24 novembre 2022, 20/02315


MINUTE N° 520/2022





























Copie exécutoire à



- la SELARL ARTHUS



- la SELARL LEXAVOUE COLMAR



- Me Valérie SPIESER



Le 24/11/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 24 novembre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02315 - N°

Portalis DBVW-V-B7E-HMB2



Décision déférée à la cour : 30 Juin 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE



APPELANTE sous le n° 20/2716, intimée sous le n° 20/2994

appelante sur incident :



Madame [X] [C] épouse [J], es qualites d'ayant droit de Monsieur [W] ...

MINUTE N° 520/2022

Copie exécutoire à

- la SELARL ARTHUS

- la SELARL LEXAVOUE COLMAR

- Me Valérie SPIESER

Le 24/11/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 24 novembre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02315 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMB2

Décision déférée à la cour : 30 Juin 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANTE sous le n° 20/2716, intimée sous le n° 20/2994

appelante sur incident :

Madame [X] [C] épouse [J], es qualites d'ayant droit de Monsieur [W] [C],

demeurant [Adresse 12].

représenté par la SELARL ARTHUS, avocat à la cour.

INTIMÉ sous le n° 20/2716 et appelant sous le n° 20/2994:

Monsieur [F] [C] ès qualites d'ayant droit de M. [W] [C],

demeurant [Adresse 15]

représenté par la SELARL LEXAVOUE COLMAR, avocat à la cour.

INTIMÉE et appelante sur incident :

La S.A.R.L. FONCIERE DU RHIN SUPERIEUR prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 13]

représentée par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Mme Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET

- prononcé publiquement après prorogation du 13 octobre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Dominique DONATH faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Suite aux décès de leur mère, Mme [S] [L] et de leurs frères, MM. [K] et [W] [C], M. [F] [C] et Mme [X] [C] épouse [J] sont devenus propriétaires indivis de plusieurs biens situés sur la commune de [Localité 14],

Alors que le partage successoral entre MM. [W] et [F] [C] et Mme [X] [C] était en cours, le 15 juin 2011, M. [W] [C] a signé avec la SARL Foncière du Rhin Supérieur une promesse unilatérale de vente portant sur plusieurs parcelles de terrain à [Localité 14], section 5 n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2]/[Cadastre 1] moyennant un prix de 276 680 euros.

Le 28 janvier 2013, la SARL Foncière du Rhin Supérieur a fait assigner M. [W] [C] devant le tribunal de grande instance de Mulhouse pour, notamment, le voir condamner à signer l'acte authentique de vente.

Par acte authentique du 16 octobre 2014, M. [W] [C] a consenti une promesse de vente au profit de la SAS Maison Eden portant sur les immeubles suivants cadastrés section [Adresse 11] n°[Cadastre 8], [Cadastre 7], [Cadastre 6], [Cadastre 5], [Cadastre 4], [Cadastre 10] et la moitié de la parcelle [Cadastre 3]/[Cadastre 1] moyennant un prix de 763 956 euros.

Par jugement du 10 mars 2015 rectifié par jugement du 30 juin 2015, le tribunal de grande instance de Mulhouse ayant retenu que la promesse de vente du 15 juin 2011 était entachée d'une nullité d'ordre public a débouté la société Foncière du Rhin Supérieur de ses demandes.

Le 28 décembre 2015, une nouvelle promesse de vente a également été signée entre M. [W] [C] et la SARL Foncière du Rhin Supérieur portant sur les parcelles sises à [Localité 14], cadastrées section 5 n°[Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 7], [Cadastre 6], [Cadastre 10], [Cadastre 8], [Cadastre 9] moyennant le prix de 391 456 euros, avec autorisation pour le bénéficiaire d'inscrire une prénotation au Livre foncier.

La SARL Foncière du Rhin Supérieur a interjeté appel des deux jugements précités et, suite à une transaction, par ordonnance du 19 avril 2016, le magistrat chargé de la mise en état a notamment donné acte à la SARL Foncière du Rhin Supérieur de ses désistements d'appels à l'encontre des jugements du 10 mars 2015 et du 30 juin 2015 et a également donné acte à M. [W] [C] de ce qu'il renonçait au bénéfice de ces deux jugements.

M. [W] [C] est décédé le 28 août 2016.

Par jugement du 5 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Mulhouse, saisi par la société Maison Eden a notamment condamné M. [F] [C], Mme [X] [C] et M. [B] [J] à régulariser l'acte authentique de vente portant sur les parcelles ayant fait l'objet de la promesse de vente du 16 octobre 2014 consentie par M. [W] [C] au profit de la société Maison Eden moyennant le prix de 763 956 euros.

Le 3 août 2018, la SARL Foncière du Rhin Supérieur a fait assigner les héritiers de M. [W] [C], à savoir M. [F] [C] et Mme [X] [C] devant le tribunal de grande instance de Mulhouse afin, notamment, de les voir condamner à

lui verser une somme de 600 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation des préjudices causés par la non réalisation de la promesse de vente.

Par jugement en date du 30 juin 2020 le tribunal judiciaire de Mulhouse remplaçant le tribunal de grande instance a :

- déclaré la demande de la SARL Foncière du Rhin Supérieur recevable ;

- dit que M. [W] [C] a eu un comportement fautif à l'égard de la SARL Foncière du Rhin Supérieur ;

- condamné solidairement Mme [X] [C] et M. [F] [C] à payer à la SARL Foncière du Rhin Supérieur la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- condamné solidairement Mme [X] [C] et M. [F] [C] à payer à la SARL Foncière du Rhin Supérieur la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné solidairement Mme [X] [C] et M. [F] [C] aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Considérant, d'une part, que les termes du litige actuel étaient différents du litige visé par la transaction intervenue entre M. [W] [C] et la société Foncière du Rhin Supérieur puisque la demande de cette dernière était une demande de dommages-intérêts résultant de la non réitération de l'acte authentique alors que la transaction mettait fin à un litige ayant pour but la réitération de l'acte authentique, et, d'autre part, que le désistement dont se prévalait M. [F] [C] ne concernait pas le même litige, ni la même instance, le tribunal a déclaré la SARL Foncière du Rhin Supérieur recevable en sa demande.

Sur le fond, le tribunal a retenu qu'en raison du désistement intervenu, le jugement du 10 mars 2015 était définitif, la nullité de la promesse de vente du 15 juin 2011 étant acquise et que, en transigeant, les parties avaient renoncé, irrévocablement, aux décisions de justice rendues dans les instances les ayant opposées jusqu'à ce jour.

Constatant que M. [W] [C], le 16 octobre 2014, avait signé un compromis de vente avec la SAS Maison Eden, portant sur les mêmes parcelles mais quasiment pour le double du prix en même temps qu'il transigeait avec la SARL Foncière du Rhin et obtenait un désistement de son appel par cette dernière, ce qui avait pour effet de confirmer l'annulation du premier compromis de vente, le tribunal a considéré que M. [W] [C] avait manqué à son obligation de loyauté envers la SARL Foncière du Rhin, en signant avec cette dernière un nouveau compromis, sans lui révéler l'existence du compromis signé avec la SAS Maison Eden et portant sur les mêmes parcelles.

Considérant que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mulhouse le 5 juillet 2019 interdisait à la SARL Foncière du Rhin d'agir en réparation du compromis [sic], et soulignant que, suite à l'appel formé par M. [F] [C], la cour d'appel de Colmar n'avait pas encore statué, le tribunal a considéré que c'était avec raison et à bon droit, que la SARL Foncière du Rhin Supérieur fondait sa demande sur la responsabilité délictuelle, la voie contractuelle lui étant actuellement interdite.

Le tribunal a retenu que le comportement de M. [W] [C] était fautif, et causait un incontestable préjudice à la SARL foncière du Rhin, en la privant d'une opération immobilière.

Sur le préjudice, il a indiqué qu'il consistait en une perte de chance de réaliser l'opération immobilière justifiant l'allocation de dommages et intérêts pour un montant de 35 000 euros et en un préjudice moral incontestable évalué à 5 000 euros.

Mme [X] [C] a interjeté appel de ce jugement par voie électronique le 13 août 2020 afin d'obtenir son annulation et, subsidiairement, son infirmation, ainsi que M. [F] [C] le 16 octobre 2020. Les deux procédures ont été jointes le 6 juillet 2021.

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 7 juin 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 12 mai 2022, Mme [X] [C] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et le juger bien-fondé ;

en conséquence :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- a dit que M. [W] [C] a eu un comportement fautif à l'égard de la SARL Foncière du Rhin Supérieur ;

- l'a condamnée solidairement avec M. [F] [C] à payer à la SARL Foncière du Rhin Supérieur la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- l'a condamnée solidairement avec M. [F] [C] à payer à la SARL Foncière du Rhin Supérieur la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'a condamnée solidairement avec M. [F] [C] aux dépens ;

et statuant à nouveau :

- débouter la SARL Foncière du Rhin Supérieur de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- statuer sur les appels principal et provoqué de M. [F] [C] ce que de droit ;

- rejeter l'appel incident de la SARL Foncière du Rhin Supérieur comme mal fondé;

- condamner la SARL Foncière du Rhin Supérieur aux entiers frais et dépens de la procédure de première instance et des procédures d'appel ainsi qu'au versement d'une somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, Mme [X] [C] expose que le premier juge a ignoré ses conclusions, mentionnant dans le jugement qu'elle n'avait pas constitué avocat et n'ayant fait aucune mention de ses moyens et de ses prétentions dans la décision alors même que Maître [R] [D] s'était constitué pour la défense de ses intérêts et qu'il avait conclu, ce qui caractérise une violation de l'article 16 du code de procédure civile et non une simple erreur matérielle.

Mme [C] considère qu'en signant avec la société Maison Eden un compromis de vente le 16 octobre 2014, M. [W] [C], ayant la qualité de particulier, n'a pas commis de faute dès lors qu'il avait dénoncé la promesse unilatérale de vente de 2011 au profit de la SARL Foncière du Rhin Supérieur, ayant la qualité de professionnel, cette promesse unilatérale de vente étant entachée d'une nullité d'ordre public, étant souligné que le premier juge n'a pas caractérisé de faute et que M. [W] [C] a agi, en toute transparence, puisque dans la promesse du 16 octobre 2014, il est indiqué qu'il existait une procédure qui l'opposait à la SARL Foncière du Rhin Supérieur.

Elle ajoute que la transaction intervenue au cours de la procédure d'appel n'avait pas pour objectif la signature d'un nouveau compromis régulier avec la SARL Foncière du Rhin Supérieur et que cette dernière s'est désistée de son appel parce qu'elle savait que celui-ci était voué à l'échec.

Elle précise que, pour sa part, tout comme le de cujus, elle n'a commis aucune faute, étant souligné que M. [W] [C] était atteint d'un cancer des os, souffrait de problèmes cardiaques et était en fin de vie, c'est-à-dire dans un état d'extrême vulnérabilité, de sorte que c'est la SARL Foncière du Rhin Supérieur qui a commis une faute en agissant comme elle l'a fait, tout en sachant ou en ayant dû savoir, que les biens avaient fait l'objet d'une promesse au profit de la société Maison Eden, ce qui a conduit la SARL à prendre des risques dont elle doit supporter les conséquences, étant précisé qu'elle a laissé intervenir la caducité de cette promesse unilatérale.

Mme [C] entend rappeler le principe du non cumul des responsabilités et, sur la responsabilité délictuelle soulevée par la société Foncière du Rhin Supérieur, soutient que la première promesse en date du 15 juin 2011 étant nulle, cette dernière ne peut s'en prévaloir, étant souligné qu'elle a été conclue sous la condition suspensive de l'accord des cohéritiers de M. [W] [C] qui n'a jamais été donné.

Elle indique également que la seconde promesse du 28 décembre 2015 étant valable jusqu'au 28 avril 2017 et que M. [W] [C] étant décédé en août 2016, la société Foncière du Rhin Supérieur était en mesure, après ce décès, d'attraire ses héritiers en justice en indiquant qu'elle levait l'option et afin de les contraindre à exécuter la promesse unilatérale du de cujus, ce qu'elle n'a pas fait en laissant intervenir la caducité de la promesse, ce dont elle est seule responsable.

Elle considère, qu'en tout état de cause, la SARL Foncière du Rhin Supérieur ne justifie d'aucun préjudice et qu'elle n'a jamais indiqué à M. [W] [C] ou à ses ayants droit qu'elle avait décidé de lever son option d'achat.

Elle subodore que la SARL Foncière du Rhin Supérieur a cherché à tirer profit de l'existence de la promesse de vente faite à la société Maison Eden.

Elle indique encore qu'au regard des préconisations du Plan Local d'Urbanisme (PLU), la société Foncière du Rhin Supérieur n'aurait pas pu réaliser d'opération immobilière, la demande de permis de construire dont se prévaut cette dernière portant sur des parcelles différentes de celles objet du litige.

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 25 mai 2022, la société Foncière du Rhin Supérieur demande à la cour de :

sur l'appel principal :

- déclarer l'appel interjeté par Mme [X] [C] et M. [F] [C] mal fondé ;

- le rejeter ;

en conséquence :

- déclarer M. [F] [C] irrecevable en sa demande de dommages et intérêts fondée sur l'abus de droit d'ester en justice, s'agissant d'une prétention nouvelle ;

- débouter Mme [X] [C] et M. [F] [C] de leurs demandes ;

- confirmer le jugement rendu le 30 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Mulhouse en toute ses dispositions, excepté celle visée par l'appel incident ci-dessous ;

sur l'appel incident :

- déclarer recevable et bien-fondé son appel incident ;

y faisant droit :

- infirmer le jugement entrepris du chef du montant des dommages et intérêts;

statuant à nouveau :

- condamner solidairement les ayants droit de M. [W] [C], Mme [X] [C] et M. [F] [C], à lui payer une somme de 117 436,80 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi résultant de la perte de chance de réaliser un gain dans le cadre d'une opération immobilière ;

en tout état de cause :

- confirmer le jugement pour le surplus ;

- condamner solidairement les ayants droit de M. [W] [C], Mme [X] [C] et M. [F] [C] à lui payer une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement Mme [X] [C] et M. [F] [C] aux frais et dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel.

La société Foncière du Rhin Supérieur soutient que son action est recevable, d'une part, sur le plan de la responsabilité extracontractuelle car elle a été engagée contre les ayants droit de M. [W] [C] pour une faute commise par ce dernier, les ayants droit étant tenus des fautes du de cujus et, d'autre part, sur le plan de la responsabilité contractuelle de M. [W] [C] qui se transmet indéniablement aux ayants droit.

Elle fait état de ce que la demande reconventionnelle de M. [F] [C] tendant à sa condamnation à lui payer une indemnité en réparation des préjudices à lui occasionnés par le caractère prétendument abusif de la procédure introduite à son encontre caractérise une demande nouvelle présentée pour la première fois en appel laquelle doit donc être déclarée irrecevable et, subsidiairement, rejetée dès lors qu'elle ne fait que poursuivre la juste indemnisation de son préjudice.

Elle indique que la promesse signée avec la SAS Maison Eden permet de vérifier qu'elle a été consentie sous la condition suspensive de la confirmation judiciaire de la caducité de la promesse de vente signée en date du 15 juin 2011 entre elle et M. [W] [C], cette condition devant être réalisée dans le délai de dix-huit mois suivant la signature de la promesse, soit avant le 16 avril 2016, ce délai ayant poussé M. [C] à transiger avec elle, la réalisation de la condition suspensive de confirmation judiciaire de la caducité de la promesse de vente signée en date du 15 juin 2011 ayant permis à la SAS Maison Eden de lever l'option et de se porter acquéreur des terrains propriété de M. [W] [C].

Elle estime avoir été trompée par M. [W] [C] lequel lui a fait croire qu'il était d'accord pour signer de nouvelles promesses, dans l'unique but d'obtenir un désistement dans le cadre du procès en cours et une mainlevée de la prénotation, afin de pouvoir vendre ses parcelles à un tiers acquéreur.

Elle précise que les nouvelles promesses ont été signées le 28 décembre 2015 et que le protocole d'accord concernant le désistement l'a été le 11 février 2016, comme une conséquence et une suite logique de ces signatures alors que le 16 octobre 2014, M. [W] [C] avait signé avec la société Maison Eden des promesses de vente portant sur les mêmes parcelles que celles qui lui étaient promises, ce qu'elle ignorait.

Elle soutient donc que son consentement à cette transaction qui a conduit au désitement a été extorqué par un dol commis par M. [W] [C], ce qui entraîne la nullité du protocole d'accord.

Elle ajoute que l'action en réalisation de la vente en cours entre les ayants droit de M. [W] [C] et la société Maison Eden a donné lieu à un jugement rendu le 5 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Mulhouse, laquelle, tout autant que la promesse de vente signée avec la société Maison Eden l'ont empêchée de mener à bien l'opération immobilière qu'elle souhaitait réaliser et sur laquelle elle travaillait depuis de très nombreuses années, sa levée d'option n'étant plus possible du fait d'une action en réalisation de la vente initiée par la société Maison Eden contre les ayants droit de M. [W] [C], la promesse dont elle a bénéficié arrivée en second rang derrière celle de la SAS Maison Eden n'ayant plus aucune valeur.

Elle précise que, quelle que soit l'issue de l'action introduite par la société Maison Eden, la promesse signée avec cette société a fait échouer la transaction envisagée par la société Foncière du Rhin Supérieur laquelle est désormais échue depuis le 28 avril 2017.

La société Foncière du Rhin Supérieur fait valoir que la faute de M. [W] [C] est avérée et que sa responsabilité doit être retenue sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil, et, subsidiairement, sur le fondement des articles 1101 et suivants et 1231 et suivants du code civil, à savoir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, les ayants droit de M. [W] [C] devant assumer cette responsabilité en l'indemnisant en leur qualité d'ayants droit, par application des dispositions de l'article 785, alinéa 1 du code civil.

Selon la société Foncière du Rhin Supérieur, la faute de M. [W] [C], à savoir la tromperie sur la possibilité de vendre les terrains alors qu'une autre promesse était déjà signée, ce qui rendait la ou les nouvelles promesses sans objet, est à l'origine d'un préjudice moral et d'une perte de chance de réaliser une opération immobilière, ce qui lui occasionne un préjudice consistant en une perte de chance de réaliser un bénéfice, d'autant qu'elle avait trouvé un partenaire qui devait réaliser avec elle l'opération projetée sur les terrains objets des promesses de vente.

A titre subsidiaire, si le fondement extracontractuel de la demande devait être écarté par la cour, la société Foncière du Rhin Supérieur fonde sa demande sur la responsabilité contractuelle puisqu'en dissimulant l'existence d'une promesse de vente signée précédemment concernant des parcelles identiques, M. [W] [C] a rendu la promesse de vente sans effet, empêchant la réalisation de la vente alors même que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Elle considère que le prix d'achat des parcelles dans la promesse signée avec M. [C] étant de 391 456 euros, la perte de chance de réaliser un gain dans le cadre d'une opération immobilière peut légitimement être fixée à une somme correspondant à 30 % du prix d'achat soit 117 436,80 euros, le jugement devant être intégralement confirmé pour le surplus.

Elle souligne qu'une partie des parcelles était classée en zone UA, ce qui correspond à la zone urbaine dans laquelle les constructions sont largement autorisées.

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 9 juin 2021, M. [F] [C] demande à la cour de :

- sur l'appel de Mme [X] [C], es-qualité d'ayant droit de M. [W] [C] décédé : statuer ce que de droit ;

- sur l'appel principal et provoqué :

- le déclarer recevable et fondé ;

- constater les manquements au principe du contradictoire ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 30 juin 2020 ;

statuant à nouveau :

- déclarer irrecevable, subsidiairement mal fondée, l'action de la SARL Foncière du Rhin Supérieur ;

- la débouter de l'intégralité de ses prétentions et de toute demande formée au titre d'un appel incident ou provoqué ;

- dire et juger abusive l'action de la SARL Foncière du Rhin Supérieur ;

- condamner la SARL Foncière du Rhin Supérieur à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;

en tout état de cause :

- condamner la SARL Foncière du Rhin Supérieur à lui verser la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SARL Foncière du Rhin Supérieur aux entiers frais et dépens des deux instances.

Au soutien de ses demandes, M. [F] [C] expose que le jugement attaqué du 30 juin 2020 est affecté de deux mentions procédurales laissant apparaître une violation manifeste des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile puisque, d'une part, il est fait expressément références aux dernières conclusions de la SARL Foncière du Rhin Supérieur, datées du 12 janvier 2020, alors qu'elles n'ont pas été régulièrement notifiées par RPVA à l'avocate de M. [F] [C], privant ainsi ce dernier de tout droit de réponse et, d'autre part, les conclusions de Mme [X] [C] qui avait pourtant constitué avocat n'ont pas été prises en compte, le tribunal retenant même qu'elle n'aurait pas constitué.

M. [F] [C] considère que l'action en responsabilité civile intentée pour la première fois deux ans après le décès de [W] [C] fondée sur les dispositions des articles 1240 et suivants du code civil est irrecevable, aucun texte ne prévoyant la transmission aux ayants droits de l'action en défense à responsabilité extra-contractuelle qui reste une responsabilité du fait personnel et de ce fait non transmissible dans le cadre de la succession.

Il conteste que le comportement de [W] [C] ait été fautif soulignant que la SARL Foncière du Rhin Supérieur proposait en 2015 exactement la même somme, pour les mêmes parcelles, que celle offerte par la SAS Maison Eden en 2014 et que la chronologie des faits ne peut sérieusement venir accréditer la thèse selon laquelle la SARL ignorait l'existence de la promesse unilatérale de vente consentie par M. [W] [C] à la société Maison Eden le 16 octobre 2014 portant sur les mêmes parcelles qu'elle convoitait également et prétendre que [W] [C] aurait manqué de loyauté.

Il souligne que la SARL Foncière du Rhin Supérieur, professionnel de l'immobilier et de fait rompu à la pratique, avait la possibilité de se renseigner en mairie pour savoir si d'autres promesses de vente étaient en cours sur les mêmes parcelles et a fait

signer à M. [W] [C], fragilisé du fait de sa maladie, deux promesses le 28 décembre 2015 portant sur les mêmes parcelles que celles précédemment promises à la SAS Maison Eden, rien ne démontrant que [W] [C] n'avait pas l'intention d'honorer ses engagements envers la SARL Foncière du Rhin Supérieur, puisqu'il avait dénoncé la promesse de vente passée avec la société Maison Eden dans un courrier du 20 mai 2016 et confirmé dans un courrier au notaire de la SAS Maison Eden.

Il ajoute que la SARL Foncière du Rhin Supérieur prétend agir à la fois sur le terrain de la responsabilité extra-contractuelle, et, à titre subsidiaire, sur le terrain de la responsabilité contractuelle, indiquant que cette dernière n'est pas personnelle, mais serait transmissible aux ayant droit sur le fondement des dispositions de l'article 785 du code civil précité alors que cet article ne se réfère nullement à la transmission d'une responsabilité contractuelle et que, pour que la responsabilité contractuelle puisse être transmise aux héritiers encore faut-il qu'elle ait été mise en 'uvre et retenue du vivant du cocontractant présumé fautif, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Il évoque l'absence de faute contractuelle ou extra-contractuelle et de démonstration de l'existence d'une faute imputable à M. [W] [C] transmise à ses ayant-droits.

M. [F] [C] argue de ce que la société Foncière du Rhin Supérieur a usé de menaces pour faire signer les promesses de vente à M. [W] [C] qu'elle poursuit deux ans après sa mort à travers une action en responsabilité quasi délictuelle irrecevable et mal fondée, son préjudice étant important puisque, étant âgé de 68 ans, retraité agricole, il ne peut jouir paisiblement de sa retraite et subit un stress important en lien avec les procédures judiciaires lesquelles constituent un frein à la liquidation de la succession dont les frais et droits ne cessent d'augmenter.

Il dit également subir les jugements de valeur qui le disqualifient dans les écritures adverses.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties aux conclusions transmises aux dates susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION

Tant Mme [X] [C] que M. [F] [C] soutiennent que le juge du premier ressort a statué sans respecter les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile mais aucun des deux n'en tire de conséquences au niveau du dispositif de ses conclusions, si ce n'est de le constater, de sorte que la cour n'a pas à statuer sur ce moyen, n'étant pas saisie d'une demande d'annulation du jugement.

Sur la responsabilité de M. [W] [C]

Sur la responsabilité délictuelle

Aux termes des dispositions de l'article 724 du code civil, les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.

Aux termes de l'article 873 du même code, les héritiers sont tenus des dettes et charges de la succession, personnellement pour leur part successorale, et hypothécairement pour le tout ; sauf leur recours soit contre leurs cohéritiers, soit contre les légataires universels, à raison de la part pour laquelle ils doivent y contribuer.

La preuve de la dette successorale incombe au créancier, suivant les règles applicables en matière de charge, d'objet et de modes de preuve, ce qui implique que soit démontrée l'existence de la dette au jour de l'ouverture de la succession.

Or, force est de constater qu'à la date de son décès, soit le 28 août 2016, M. [W] [C] n'avait aucune dette de nature délictuelle à l'égard de la société Foncière du Rhin Supérieur concernant les faits litigieux, de sorte que cette dernière n'a aucun droit à agir de ce chef à l'encontre de Mme [X] [C] et de M. [F] [C].

La demande de la société Foncière du Rhin Supérieur formulée de ce chef dirigée contre ces derniers est donc irrecevable.

Sur la responsabilité contractuelle

Sur la recevabilité

La société Foncière du Rhin Supérieur soutient, d'une part, que son consentement à la transaction, et, d'autre part, à la promesse de vente signée par M. [W] [C] ont été extorqués par un dol de ce dernier.

La transaction en cause a été exécutée avant le décès de M. [W] [C] sans avoir été contestée, de sorte qu'il n'y a pas eu de transmission de droits et obligations aux héritiers.

L'action en responsabilité contractuelle afférente à la transaction est donc irrecevable.

S'agissant de la promesse de vente du 28 décembre 2015, considérant qu'elle expirait le 28 avril 2017 soit après le décès de M. [W] [C] survenu le 28 août 2016, elle a, par conséquent, fait naître des obligations à la charge des héritiers de ce dernier, en l'occurrence Mme [X] et M. [F] [C], lesquels sont tenus des conséquences dommageables liées à la conclusion et à l'exécution de cette promesse par leur auteur, M. [W] [C] en raison de la transmission des obligations.

La demande de la société Foncière du Rhin Supérieur formulée sur le fondement de la responsabilité contractuelle afférente à la promesse de vente susvisée est donc recevable en ce qu'elle est dirigée à l'encontre des héritiers de M. [W] [C].

Sur le fond

La promesse de vente signée le 28 décembre 2015 par M. [W] [C] précise que cette promesse est consentie pour une durée expirant le 28 avril 2017 à 18 heures.

La première page de cette promesse en rappelle le mécanisme juridique à savoir la signature de la promesse de vente puis la levée d'option et enfin, la réalisation de la vente.

La conclusion du contrat principal est donc subordonnée à une levée d'option par le bénéficiaire de la promesse, le promettant s'engageant à conclure le contrat prévu avec le bénéficiaire, si celui-ci en manifeste la volonté dans le délai prévu.

Or, force est de relever que la levée d'option n'a pas été faite dans le délai imparti, de sorte que la promesse est devenue caduque le 28 avril 2017 à 18 h 01, la société Foncière du Rhin soutenant en vain qu'il lui était impossible d'y procéder en raison de la procédure engagée par la société Maisons Eden alors qu'il résulte de l'analyse des courriers adressés par son avocat à Mme [X] [C] et à M. [F] [C] que, d'une part, le 6 février 2017, elle n'avait pas connaissance de ce que M. [W] [C] avait signé une promesse de vente avec la société Maison Eden et que, d'autre part, le 3 mai 2017, elle a fait état de cette connaissance, soit postérieurement à la date limite de levée d'option.

Il en résulte qu'au regard de cette caducité, la société Foncière du Rhin Supérieur n'est pas à même de se prévaloir de ce que son consentement à la promesse de vente du 28 décembre 2015 a été obtenu par dol.

La société Foncière du Rhin Supérieur est donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts formulée de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive de M. [F] [C]

Sur la recevabilité de la demande

L'article 567 du code de procédure civile dispose que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel, de sorte que la demande dommages et intérêts formulée par M. [F] [C] est recevable.

Sur le fond

A défaut pour M. [F] [C] de démontrer en quoi la procédure diligentée par la société Foncière du Rhin Supérieur a dégénéré en abus, il y a lieu de rejeter sa demande de dommages et intérêts, étant souligné que l'entremêlement des promesses de vente a généré une situation juridique confuse.

Sur les dépens et les frais de procédure

Le jugement entrepris est infirmé de ces chefs.

La société Foncière du Rhin Supérieur est condamnée aux dépens des procédures de première instance et d'appel.

Elle est déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés en première instance et à hauteur d'appel.

Elle est condamnée à payer à Mme [X] [C] la somme de 2 000 euros pour ses frais de procédure exposés dans les procédures de première instance et d'appel.

Elle est condamnée à payer à M. [F] [C] la somme de 2 000 euros pour ses frais de procédure exposés dans les procédures de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré:

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 30 juin 2020, en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau et ajoutant au jugement :

DECLARE irrecevable la demande de la SARL Foncière du Rhin Supérieur formulée sur le fondement de la responsabilité délictuelle de M. [W] [C] à l'encontre de Mme [X] [C] et de M. [F] [C] ;

DECLARE irrecevable la demande de la SARL Foncière du Rhin Supérieur sur le fondement de la responsabilité contractuelle de M. [W] [C] afférente à la transaction du 11 février 2016 formulée à l'encontre de Mme [X] [C] et de M. [F] [C] ;

DECLARE recevable la demande de la SARL Foncière du Rhin Supérieur formulée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de M. [W] [C] afférente à la promesse de vente du 28 décembre 2015 à l'encontre de Mme [X] [C] et de M. [F] [C] ;

DEBOUTE la SARL Foncière du Rhin Supérieur de sa demande de dommages et intérêts formulée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de M. [W] [C] afférente à la promesse de vente du 28 décembre 2015 ;

DECLARE recevable la demande dommages et intérêts formulée par M. [F] [C] à l'encontre de la SARL Foncière du Rhin Supérieur sur le fondement de la procédure abusive ;

DEBOUTE M. [F] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formulée à l'encontre de la SARL Foncière du Rhin Supérieur ;

CONDAMNE la SARL Foncière du Rhin Supérieur aux dépens des procédures de première instance et d'appel ;

CONDAMNE la SARL Foncière du Rhin Supérieur à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais exposés à hauteur de première instance et d'appel :

* la somme de 2 000 euros (deux mille euros) à Mme [X] [C],

* la somme de 2 000 euros (deux mille euros) à M. [F] [C] ;

DEBOUTE la SARL Foncière du Rhin Supérieur de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02315
Date de la décision : 24/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-24;20.02315 ?
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