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22/11/2022 | FRANCE | N°21/02048

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 22 novembre 2022, 21/02048


CKD



MINUTE N° 22/934





















































NOTIFICATION :



Pôle emploi Alsace ( )







Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées



Le



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CH

AMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 22 Novembre 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02048

N° Portalis DBVW-V-B7F-HSBI



Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG



APPELANT :



Monsieur [J] [O]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]
...

CKD

MINUTE N° 22/934

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 22 Novembre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02048

N° Portalis DBVW-V-B7F-HSBI

Décision déférée à la Cour : 15 Mars 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG

APPELANT :

Monsieur [J] [O]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Jérôme SONET, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE :

S.A.S. RHENUS LOGISTICS ALSACE

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu AIROLDI, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [J] [O], né le 24 mai 1986, a été engagé le 1er juillet 2014 par la société Rhenus Logistics Alsace, entreprise spécialisée dans l'affrètement et l'organisation des transports, en qualité de coordinateur support informatique, par contrat à durée déterminée, suivi d'un contrat à durée indéterminée.

La convention collective nationale des transports routiers, et activités auxiliaires du transport est applicable à la relation contractuelle.

Le salarié percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 1.928,50 € moyennant l'accomplissement de 151,67 heures de travail mensualisées.

Courant octobre 2018, et le 13 novembre 2018, la société informait le salarié du changement d'horaires à compter du 1er janvier 2019, de 10h à 18h au lieu de 8h à 16h, et ce par roulement, ce que contestait le salarié au regard de ses convictions religieuses.

Par courrier recommandé du 13 novembre 2018, Monsieur [O], membre de l'Église Adventiste du Septième Jour, indiquait à l'employeur que les nouveaux horaires ne respectent pas ses croyances (le respect du shabbath) et nuisent à son engagement. Il sollicitait des horaires plus adaptés le vendredi soir en hivers, et proposait de rester 30 mn, ou 1 heure de plus en semaine, ou de commencer plus tôt le vendredi.

Monsieur [O] a le 17 janvier 2019 été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 28 janvier 2019.

Il a été licencié pour faute grave par lettre du 1er février 2019 pour abandon de poste répété, soit avoir quitté son poste de travail à 17h au lieu de 18h les vendredis 11 et 18 janvier 2019, malgré le désaccord du supérieur hiérarchique, en mettant les collègues dans l'obligation de suppléer au pied levé son absence.

Le 11 mars 2019, Monsieur [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg pour voir prononcer la nullité du licenciement, et il formulait diverses demandes d'indemnités, et de dommages et intérêts, outre une demande de rappel de salaire.

Par jugement du 15 mars 2021, le conseil de prud'hommes a':

- dit et jugé que le licenciement est justifié';

- débouté Monsieur [O] de l'ensemble de ses demandes';

- débouté l'employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamné Monsieur [O] aux entiers frais et dépens de la procédure.

Monsieur [O] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement le 13 avril 2021.

Dans ses conclusions d'appel transmises au greffe par voie électronique le 25 juin 2021, Monsieur [J] [O] demande à la cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il débouté la SAS Rhenus logistics Alsace de sa demande au titre des frais irrépétibles, et de':

- dire et juger le licenciement nul car attentatoire à une liberté fondamentale';

- condamner la SAS Rhenus logistics Alsace à lui verser les montants suivants avec intérêts au taux légal à compter de la date d'introduction de la procédure :

* 401,77 € bruts à titre de maintien de salaire de droit local,

* 19.285 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3-1 du code du travail';

* 3.857 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 385,70 € bruts au titre des congés payés afférents';

* 2.330,27 € à titre d'indemnité légale de licenciement';

- Subsidiairement, dire et juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la SAS Rhenus Logistics Alsace à lui verser, avec intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande, outre les montants précités au titre du préavis, des congés payés afférents, et de l'indemnité légale de licenciement, la somme de 9.640 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail';

- condamner la SAS Rhenus Logistics Alsace à lui verser 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Suite à un avis d'irrecevabilité des conclusions de l'intimée notifié par le greffe le 29 octobre 2021, le conseil de la SAS Rhenus Logistics Alsace n'a pas conclu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 02 mars 2022.

Il est, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties, renvoyé aux conclusions ci-dessus visées.

MOTIFS

I. Sur le maintien de salaire au titre du droit local

Monsieur [O] a été en arrêt de travail pour cause de maladie du 30 novembre 2018 au 09 décembre 2018.

La SAS Rhenus Logistics Alsace a refusé de maintenir son salaire du 05 au 09 décembre 2018 au motif que le salarié ne s'est pas présenté à la contre-visite organisée par l'employeur le 05 décembre 2018.

Or il a été jugé de manière constante que la loi n°78-49 du 19 janvier 1978 n'a pas abrogé les dispositions législatives plus favorables aux salariés dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dont l'article 616 du Code civil local, devenu l'article L.1226-23 du code du travail depuis sa recodification. Ce texte ne prévoit pas de contre-visite médicale en cas d'absence pour maladie de courte durée, ce qui est le cas en l'espèce.

Un employeur d'Alsace-Moselle ne peut donc pas, à ce titre, suspendre le versement de l'indemnisation complémentaire prévue par l'article L.1226-1 du code du travail.

Le jugement, non motivé, doit être infirmé sur ce point, et la SAS Rhenus Logistics Alsace condamnée à payer à Monsieur [O] la somme de 401,77 € bruts.

II. Sur le licenciement

La faute grave résulte d'un fait, ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail, ou des relations de travail d'une importance telle, qu'elle rend impossible le maintien du salarié fautif dans l'entreprise.

Il appartient par ailleurs à l'employeur qui l'invoque, de rapporter la preuve de l'existence d'une faute grave.

En l'espèce, Monsieur [J] [O] a été licencié pour faute grave par lettre du 1er février 2019 dans laquelle les griefs suivants'sont invoqués :

«'Nous vous reprochons des abandons de poste répétés.

Par mail du 19 octobre 2018, votre manager a transmis à l'équipe IT le planning du premier trimestre 2019.

Vous étiez planifié de 10 heures à 18 heures en janvier 2019.

Par mail du 20 décembre 2018, vous avez sollicité vos collègues pour commencer plutôt les vendredis et permuter les permanences ces jours-là. Ils ont répondu par retour de mail avoir des contraintes personnelles et ne pas être disponibles pour échanger les permanences les vendredis.

Pourtant vous avez abandonné votre poste de travail le 11 janvier 2019 à 17 heures. Vous avez quitté votre poste, et avez salué vos collègues contre l'avis de votre supérieur hiérarchique qui vous a rappelé votre obligation de rester jusqu'à 18 heures.

Vous saviez qu'un abandon de poste entraînerait une désorganisation de la hotline.

L'un de vos collègues a été contraint de vous remplacer au pied levé malgré ses contraintes personnelles et son refus écrit de vous remplacer.

Des échanges verbaux et écrits concernant vos horaires de travail ont eu lieu entre vous et la direction à de nombreuses reprises depuis le mois de novembre 2018. Un courrier du 20 novembre 2018 vous a notamment rappelé les engagements pris lors de la signature de votre contrat de travail, et le pouvoir de direction de l'employeur pour imposer les horaires de travail.

Le 18 janvier 2019 vous avez abandonné votre poste dans les mêmes conditions à 17 heures malgré le rappel de votre manager d'effectuer la permanence de la hotline jusqu'à 18 heures.

Par votre comportement vous créez des tensions au sein de votre équipe et un sentiment d'iniquité puisque à nouveau l'un de vos collègues était dans l'obligation de vous remplacer malgré ses contraintes personnelles.

Vous avez reconnu les faits lors de votre entretien préalable, notamment avoir été averti par votre manager que votre départ était un abandon de poste'.'»

Le salarié estime que, si la fixation des horaires collectifs de travail relève du pouvoir de direction de l'employeur, les restrictions apportées par la SAS Rhenus Logistics Alsace à sa liberté religieuse ne sont pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché. Il considère que la fixation de ses horaires de travail est intervenue en violation d'une liberté fondamentale.

***

Selon l'article L 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes, et aux libertés individuelles et collectives, de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.

Ainsi les libertés individuelles et collectives des salariés sont garanties par les articles L.1121-1 et L. 1321-3, la liberté de religion étant l'une d'entre elles.

Ces mêmes dispositions permettent cependant à l'employeur d'apporter des restrictions à la liberté de manifester ses convictions, notamment religieuses, sous certaines conditions encadrées. Ainsi toute restriction doit être à la fois justifiée par la nature de la tâche à accomplir, et proportionnée au but recherché. Ces conditions s'apprécient au cas par cas.

Il convient de rappeler que l'organisation du temps de travail relève du pouvoir de direction de l'employeur, ce que reconnaît le salarié. En vertu de ce pouvoir l'employeur définit les horaires adaptés à la bonne marche de l'entreprise.

En l'espèce le contrat de travail conclu le 17 novembre 2014 dispose en son article 6 que «'le salarié s'engage à travailler selon l'horaire collectif en vigueur au sein de son service et à accepter tout aménagement décidé par l'employeur'».

Le contrat de travail, (y compris son article 6), a été accepté par le salarié sans aucune restriction. D'ailleurs Monsieur [J] [O] verse aux débats le certificat attestant de son baptême le 30 septembre 2017 (pièce 4), soit près de trois ans après la signature du contrat.

Le but recherché par l'employeur, et de faire fonctionner le service de hotline de 8 heures à 18 heures, et ce en effectuant un roulement entre les salariés du service au sein duquel travaille Monsieur [O]. Pour ce faire il doit respecter le contrat de travail des salariés, et veiller à une juste répartition des tâches entre ces derniers.

L'employeur a dès le mois d'octobre 2018 fait part de la modification des horaires de travail à compter du mois de janvier 2019, de sorte qu'il a respecté un large délai de prévenance.

S'agissant de la modification des horaires, il s'agit en l'espèce d'une simple modification des conditions de travail, tel que prévu au contrat liant les parties.

Enfin l'employeur, dans sa lettre de licenciement invoque d'une part l'avis contraire du supérieur hiérarchique, ce qui n'est pas contesté, et d'autre part et surtout le refus des collègues de remplacer Monsieur [O], collègues qui ont été mis devant le fait accompli, et ont dû au pied levé le remplacer, malgré leur refus, et au mépris de leurs propres droits et contraintes personnelles.

Monsieur [O] verse aux débats (pièce 5) un mail adressé à ses collègues le 20 décembre 2018 comportant sa demande d'échange des horaires les vendredis du mois de janvier.

Or la seule réponse produite (pièce 5) est celle du même jour émanant de Monsieur [C] [X] qui écrit qu'il ne souhaite pas changer ses horaires pour janvier dès lors qu'il a lui-même pris des rendez-vous personnels.

Il convient de relever que si le créneau de travail de 17 heures à 18 heures, correspond en hivers pour Monsieur [O] au début du shabbat, il correspond également au début du week-end pour l'ensemble des salariés, et donc à un temps de repos au cours duquel ils peuvent vaquer à leurs occupations personnelles.

Or Monsieur [O] a quitté son poste de travail une heure plus tôt au mépris du planning communiqué, malgré le refus de son supérieur hiérarchique, et le refus de ses collègues d'échanger les plages horaires. Il a mis ainsi non seulement l'employeur, mais également ses collègues de travail, devant le fait accompli, contraignant ces derniers à renoncer à leur propre liberté, afin de favoriser la sienne. Ainsi son absence a eu des conséquences pour les autres salariés.

En outre elle ne présente pas un caractère exceptionnel, mais a été répétée à deux reprises les 11 et 18 janvier 2019, le problème se posant pour les vendredis suivants.

Par conséquent la pratique religieuse individuelle invoquée par Monsieur [O] porte atteinte au respect des droits, et notamment du droit au repos, des autres salariés.

Ainsi la restriction apportée par l'employeur à la liberté de religion avancée par le salarié est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, et proportionnée au but recherché, dès lors que les nécessités de l'activité de l'entreprise justifient le fonctionnement de la hotline jusqu'à 18 heures, que l'employeur a émis cette restriction dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de direction, dans le respect du contrat de travail, et du souci de préserver un équilibre, et une paix sociale au sein de l'entreprise.

Par conséquent le refus du salarié d'exécuter son travail dans les conditions prévues au contrat qu'il avait accepté sans aucune objection est constitutif d'une faute. Cette faute réitérée est d'une gravité telle qu'elle ne permet pas le maintien du contrat de travail.

C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a dit et jugé le licenciement justifié, et a débouté Monsieur [O] de l'ensemble des demandes liées à la rupture du contrat de travail. Le jugement est par conséquent confirmé.

III. Sur les demandes annexes

Le jugement déféré doit être confirmé s'agissant des dépens, et des frais irrépétibles.

Monsieur [J] [O] qui pour l'essentiel succombe en ses prétentions est condamnée aux dépens de la procédure d'appel, et par voie de conséquence sa demande de frais irrépétibles est rejetée.

L'équité ne commande pas de le condamner à verser à la société intimée une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la Loi,

Confirme le jugement rendu le 15 mars 2021 par le conseil des prud'hommes de Strasbourg en toutes ses dispositions SAUF en ce qu'il déboute Monsieur [O] de sa demande de paiement du maintien de salaire ;

Statuant à nouveau sur le chef infirmé, et Y ajoutant

Condamne la SAS Rhenus Logistics Alsace à payer à Monsieur [J] [O] la somme de 401,77 € bruts (quatre cent un euros et soixante dix sept centimes) au titre du maintien du salaire avec les intérêts légaux à compter du 11 mars 2019';

Condamne Monsieur [J] [O] aux dépens de la procédure d'appel';

Déboute Monsieur [J] [O] et la SAS Rhenus Logistics Alsace de leur demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022, signé par Mme Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 21/02048
Date de la décision : 22/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-22;21.02048 ?
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