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08/11/2022 | FRANCE | N°21/02606

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 08 novembre 2022, 21/02606


GLQ/KG





MINUTE N° 22/828





















































NOTIFICATION :



Pôle emploi Alsace ( )







Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées



Le



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMA

R

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 08 Novembre 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02606

N° Portalis DBVW-V-B7F-HTAJ



Décision déférée à la Cour : 27 Avril 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE



APPELANTE :



Association [6]

prise en la personne de son représe...

GLQ/KG

MINUTE N° 22/828

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 08 Novembre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02606

N° Portalis DBVW-V-B7F-HTAJ

Décision déférée à la Cour : 27 Avril 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANTE :

Association [6]

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 389 605 544 00045

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Stéphane THOMANN, avocat au barreau de MULHOUSE

INTIMEE :

Madame [C] [B]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par M. [E] [K] (Délégué syndical ouvrier)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. PALLIERES, Conseiller

M. LE QUINQUIS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [C] [B] a été embauchée par l'Association [6] en qualité d'éducatrice spécialisée par contrat à durée indéterminée du 04 septembre 2017.

Mme [C] [B] a fait l'objet de deux avertissements par son employeur, notifiés le 11 janvier 2018 et le 15 mai 2018.

Par lettre datée du 26 juillet 2018, Mme [C] [B] a présenté sa démission à l'Association [6].

Le 21 novembre 2019, Mme [C] [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Mulhouse pour contester les deux avertissements, obtenir la requalification de sa démission en licenciement nul et la condamnation de l'Association [6] au paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 27 avril 2021, le conseil de prud'hommes a :

- déclaré la demande recevable et bien fondée,

- dit que Mme [C] [B] a subi un harcèlement moral managérial,

- prononcé l'annulation de l'avertissement du 11 janvier 2018,

- prononcé l'annulation de l'avertissement du 15 mai 2018,

- dit que la démission de Mme [C] [B] était équivoque,

- requalifié la démission de Mme [C] [B] en une prise d'acte de rupture du contrat de travail entraînant les effets d'un licenciement nul,

- condamné l'Association [6] à payer à Mme [C] [B] la somme de 7 539,16 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- débouté l'Association [6] de ses demandes,

- condamné l'Association [6] à payer à Mme [C] [B] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'Association [6] aux entiers frais et dépens,

- ordonné I'exécution provisoire de la présente décision.

L'Association [6] a interjeté appel de ce jugement le 19 mai 2021.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 06 janvier 2022 et notifiées au défenseur syndical représentant Mme [C] [B] par lettre recommandée avec accusé de réception délivrée le 16 janvier 2022, l'Association [6] demande de :

- dire et juger l'appel de l'Association [6] recevable et bien fondé,

- en conséquence infirmer le jugement du 27 avril 2021 en ce qu'il a fait droit aux demandes de Mme [C] [B].

Statuant à nouveau, elle demande de :

- déclarer l'action de Mme [C] [B] irrecevable en ce qu'elle est prescrite,

- débouter Mme [C] [B] de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions,

- subsidiairement, réduire considérablement les montants mis en compte par Mme [C] [B],

- condamner Mme [C] [B] à payer à l'Association [6] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 15 octobre 2021, Mme [C] [B] demande de :

- dire que l'appel interjeté par l'Association [6] est irrecevable et mal fondé,

- dire que l'appel incident est recevable et bien fondé,

- prononcer l'annulation des avertissements du 11 janvier 2018 et du 15 mai 2018,

- ordonner à l'appelante de produire le mail qui accompagne la pièce n°17,

- requalifier la démission en prise d'acte de la rupture elle-même requalifiée en un licenciement nul,

- condamner l'Association [6] à verser la somme de 22 600 euros à titre de dommages et intérêts.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour de :

- requalifier la démission en prise d'acte de la rupture elle-même requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner l'Association [6] à verser à Mme [C] [B] la somme de 11 300 euros, soit six mois de salaire, à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de l'Association [6] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un exposé plus complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux écritures précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 06 septembre 2022 et l'affaire a été fixée pour être plaidée à l'audience du 20 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la demande de production d'une pièce

Mme [C] [B] demande qu'il soit fait injonction à l'Association  [6] de produire le courriel accompagnant la pièce n°17. La pièce en question, à savoir un courrier adressé à Mme [C] [B] par son ancien employeur, ne fait toutefois pas mention d'un tel message d'accompagnement. Il n'y a donc pas lieu de faire droit à cette demande.

Sur l'avertissement du 11 janvier 2018

Par courrier du 11 janvier 2018, l'Association [6] a notifié à Mme [C] [B] un avertissement sanctionnant le fait de ne pas avoir prévenu la directrice de l'Association de son absence le 03 janvier 2018.

Mme [C] [B] explique que, ce jour-là, elle a été victime d'un accident de la circulation sur le trajet pour se rendre à son lieu de travail. Il résulte d'une attestation de Mme [L] [I], secrétaire, et d'un courriel de Mme [X] [A], salariée de l'Association, adressé à ces collègues le 03 janvier 2011 que Mme [C] [B] a contacté l'Association pour prévenir de son absence, que l'appel a été reçu par Mme [I], qui précise que les responsables de l'Association étaient absentes ce matin-là, et que Mme [A] a transmis l'information à l'équipe et à la direction.

L'employeur reproche toutefois à la salariée de ne pas en avoir prévenu la directrice alors qu'une note de service du 1er septembre 2013 demande aux salariés de prévenir directement le responsable hiérarchique en cas d'absence en précisant qu'un appel au standard de l'Association ou à un collègue de travail ne sera pas pris en compte et sera considéré comme une absence injustifiée. Elle fait en outre valoir que le contrat de travail prévoit (article 9) qu'en cas d'absence, le salarié est tenu de prévenir immédiatement l'employeur.

Mme [C] [B] soutient qu'elle n'avait pas connaissance de la note de service du 1er septembre 2013 (pièce n°2.2 de l'intimée). Il apparaît à ce titre que celle-ci est accompagnée d'une feuille d'émargement remplie par certains salariés mais que Mme [C] [B] n'a pas signé ce document alors même qu'une signature, celle de Mme [Z] [D], a été ajoutée postérieurement à la date d'embauche de l'intimée. Par ailleurs, le contrat de travail ne contient aucune précision sur la procédure à suivre pour prévenir l'employeur en cas d'absence. Il résulte de ces éléments que Mme [C] [B] a pu considérer qu'elle avait respecté cette obligation en contactant directement le secrétariat de l'Association pour prévenir de son absence.

Dès lors que l'Association [6] ne démontre pas que la salariée était informée de la procédure à suivre en cas d'absence et qu'il n'est pas soutenu que cette procédure aurait été rappelée à la salariée à l'occasion d'une absence précédente, la faute reprochée à la salariée n'apparaît pas établie et il convient de confirmer le jugement du 27 avril 2021 en ce qu'il a prononcé l'annulation de l'avertissement du 11 janvier 2018.

Sur l'avertissement du 15 mai 2018

Par courrier du 15 mai 2018, l'Association [6] a notifié à Mme [C] [B] un avertissement sanctionnant quatre fautes différentes :

- avoir refusé de se rendre au tribunal le 23 avril 2018 pour accompagner une personne prise en charge par l'Association : il résulte des explications concordantes des parties que, lors d'une réunion le 19 avril 2018, Mme [C] [B] a expliqué que cela ne l'arrangeait pas de se rendre au tribunal à 11 heures parce qu'elle n'était pas de service l'après-midi mais qu'elle a réalisé l'accompagnement prévu à la demande de la direction de l'Association. Le grief invoqué par l'employeur n'apparaîtt dès lors pas justifié dès lors que Mme [C] [B] a respecté les directives de l'employeur et a assuré l'accompagnement tel que prévu initialement.

- avoir oublié des sacs d'alimentation destinés aux femmes hébergées à [Localité 5] : Mme [C] [B] soutient que cette tâche ne relevait pas de ses fonctions mais de celles d'une autre salariée qui avait fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude et que la directrice avait décidé de lui confier cette tâche parce qu'elle pouvait faire un crochet lors de son trajet de retour à son domicile mais sans contrepartie, compte tenu de son lieu de résidence. Elle explique qu'elle n'effectuait cette tâche que ponctuellement, à titre bénévole et pour rendre service. Il résulte ainsi des déclarations de la salariée que cette tâche lui avait bien été confiée par l'employeur. Aucun élément ne permet par ailleurs de considérer qu'elle se serait alors opposé à cette demande ni que cette tâche n'était pas comprise dans les missions prévues dans son contrat de travail qui fait uniquement mention de son embauche en qualité d'éducateur spécialisé, sans plus de précision. Mme [C] [B] se borne par ailleurs à expliquer qu'elle n'a pas toujours pu exécuter cette tâche sans avancer le moindre élément justificatif. Le grief invoqué par l'employeur apparaît dès lors justifié.

- avoir tardé à faire un double de clés pour un logement géré par l'Association et ne pas avoir restitué le trousseau de clés d'astreinte à la direction : il résulte d'un message de Madame [O] [T], travailleuse sociale, daté du 18 avril 2018 (pièce 3.2 de l'intimée) et d'un message postérieur mais non daté de Madame [G] [J], directrice de l'Association (pièce n°3.4) que cette tâche n'avait pas été spécifiquement confiée à Mme [C] [B]. En effet, le message de la directrice, dans lequel elle demande que le double des clés soit réalisé, est adressé à neuf personnes différentes, ne contient aucune directive précise quant aux démarches à effectuer et ne confie pas la responsabilité de ces démarches à un salarié en particulier. Aucun élément ne permet donc d'imputer à Mme [C] [B] la responsabilité du retard reproché par l'employeur. L'Association [6] ne conteste pas par ailleurs qu'en remettant l'original des clés dans le bureau de la directrice, Mme [C] [B] n'avait fait qu'appliquer la consigne donnée par sa supérieure hiérarchique en l'absence de la directrice ce jour-là sans qu'il puisse être reproché à la salariée de ne pas en avoir informé la directrice ultérieurment. Il s'ensuit que le grief n'est pas fondé.

- avoir été à l'origine d'une mésentente et d'une mauvaise ambiance de travail par une attitude de dénigrement et de critiques à l'égard de certains collègues : dans la lettre du 15 mai 2018, l'Association [6] fait état du fait que Mme [H] [U] n'aurait pas renouvelé son contrat de travail en raison d'une mauvaise ambiance imputée à Mme [C] [B]. Cette affirmation est toutefois contredite par l'attestation établie par Mme [U] (pièce n°12 de l'intimée) qui confirme l'ambiance de travail lourde et pesante dont elle n'impute toutefois pas la responsabilité à Mme [C] [B] en précisant par ailleurs que le  positionnement managérial flou mettait l'équipe en difficulté voire en souffrance.

Il est également reproché à Mme [C] [B] d'avoir dénigré le travail de ses collègues, notamment Mme [Y], étant relevé toutefois que cet élément résulte uniquement de l'attestation établie par Mme [P] qui se borne à indiquer que Mme [C] [B] aurait dénigré devant elle le travail de cette collègue et celui de Mme [S] sans plus de précision. Cette seule attestation apparaît toutefois insuffisamment précise et objective pour démontrer le comportement fautif allégué.

L'Association [6] reproche enfin à Mme [C] [B] d'avoir réservé un mauvais accueil à une stagiaire, Mme [O] [T]. Elle produit une attestation étable par Mme [P], coordinatrice de l'Association (pièce n°20) qui fait état d'un comportement déplacé de Mme [C] [B] et de plusieurs autres collègues, notamment de commentaires sur le physique et la tenue vestimentaire de la stagiaire le 17 octobre 2017, jour de son arrivée dans l'Association. La coordinatrice reproche à Mme [C] [B] de s'être moquée de

Mme [T] lors de réunions et d'avoir cherché à la discréditer auprès des autres salariés, ce dont Mme [T] s'est plainte lors d'un bilan de stage le 07 février 2018. Dans un message du 02 septembre 2019, Mme [R] [F],  responsable de la formation de Mme [T], confirme l'existence de cette difficulté (pièce n°19). Mmes [W], [I] et [U] (pièces n°8, 9, 12 de l'intimée) font également état du fait que, lors de la réunion d'équipe du 26 avril 2018, Mme [T] s'est plainte du mauvais accueil reçu de la part de Mme [C] [B] et du sentiment de ne pas se sentir intégrée au sein de l'équipe. Ces éléments apparaissent suffisants pour établir la réalité du comportement fautif reproché à Mme [C] [B] à l'encontre de Mme [T].

Ainsi, si deux des griefs visés dans la lettre du 15 mai 2018 n'apparaissent pas établis, ceux relatifs aux sacs d'alimentation et au mauvais accueil fait à Mme [T] au sein de l'Association apparaissent démontrés et justifient l'avertissement dont Mme [C] [B] a fait l'objet. Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a prononcé l'annulation de l'avertissement du 15 mai 2018 et Mme [C] [B] sera déboutée de la demande d'annulation de cet avertissement.

Sur la requalification de la démission en licenciement nul

Sur la prescription

Si l'article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail prévoit que toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture, l'alinéa 3 exclut l'application de cette disposition aux actions exercées en application des articles L. 1132-1 et L. 1152-1, lesquelles sont soumises au délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil.

En l'espèce, Mme [C] [B] sollicite la requalification de sa démission en licenciement nul pour harcèlement moral et discrimination, sur le fondement des article L. 1132-1 et suivants et L. 1152-1 et suivants du code du travail. Elle a saisi le conseil de prud'hommes le 21 novembre 2019, moins de cinq ans après la rupture du contrat de travail intervenue le 26 juillet 2018. Il convient donc de confirmer le jugement du 27 avril 2021 en ce qu'il a déclaré recevable les demandes de requalification fondées sur le harcèlement moral et la discrimination.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi précitée, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour caractériser l'existence d'un harcèlement moral, Mme [C] [B] invoque les éléments suivants :

- existence d'une différence de traitement entre les salariés : Mme [C] [B] fait valoir à ce titre qu'au mois de décembre 2017, elle aurait été victime d'une différence de traitement par rapport à sa collègue de travail Mme [S], la directrice de l'Association ayant imposé à Mme [C] [B] plutôt qu'à sa collègue qui était également présente d'effectuer une heure supplémentaire pour que la permanente ne se trouve pas seule dans les locaux.

- impossibilité d'exécuter les tâches imparties : Mme [C] [B] reproche à l'employeur de ne pas avoir mis à sa disposition le 02 octobre 2017 un interprète alors qu'elle devait prendre en charge une femme qui ne parlait que la langue turque, ce qui ne lui permettait pas d'effectuer son travail et la plaçait en situation de stress.

- inertie de la direction qui n'a pas réagi lorsque Mme [C] [B] a été victime d'un malaise sur son lieu de travail.

- dénigrement et insultes de la part de la hiérarchie : Mme [C] [B] soutient qu'elle aurait fait l'objet d'un dénigrement devant les autres salariés lors de différentes réunions de service.

- avertissements injustifiés de la part de la hiérarchie.

- dégradation des conditions de travail résultant de l'obligation d'effectuer des heures supplémentaires non rémunérées.

- dégradation de la santé physique et mentale résultant de la contre-visite médicale ordonnée par l'employeur pendant ses arrêts pour maladie.

Ces éléments apparaissent matériellement établis. Pris dans leur ensemble, ils font présumer l'existence d'un harcèlement moral au préjudice de Mme [C] [B].

S'agissant d'une différence de traitement, l'Association [6] fait valoir que la situation est ponctuelle et n'a jamais posé de difficulté. Mme [C] [B] ne soutient d'ailleurs pas que la direction de l'Association lui aurait imposé à plusieurs reprises d'effectuer des heures supplémentaires sans solliciter Mme [S] ou une autre collègue de travail. La seule autre situation dont elle fait état dans laquelle il lui était demandé d'effectuer des heures supplémentaires concerne l'accompagnement au tribunal de personnes dont elle avait la charge au sein de l'Association, ce qui ne caractérise en rien une différence de traitement. Ainsi, le seul fait d'avoir imposé à une reprise une heure supplémentaire à Mme [C] [B] plutôt qu'à une autre collègue ne permet pas de démontrer l'existence de la différence de traitement alléguée.

S'agissant de l'intervention d'un traducteur, l'Association [6] explique que cette intervention ne peut être systématique en raison de son coût financier mais qu'elle trouve d'autres solutions pour aider les femmes prises en charge. Elle produit ainsi une attestation établie par Mme [M] (pièce n° 5) qui témoigne être intervenue comme traductrice auprès d'une dénommée Mme [BN] qui ne parlait pas un mot de français. Il ne résulte pas des conclusions de Mme [C] [B] ni des attestations qu'elle produit que l'intervention de Mme [M] ne concernait pas la situation dont elle font état. La réalité de cet élément n'apparaît dès lors pas démontré.

S'agissant du malaise de Mme [C] [B] sur son lieu de travail, l'Association [6] fait valoir que la direction n'était pas présente sur les lieux au moment du malaise, que le SAMU a été contacté par une salariée, que la directrice s'est déplacée lorsqu'elle a été informée de la situation et qu'elle a rappelé le SAMU lorsqu'elle a constaté que celui-ci n'arrivait pas. Ces éléments sont confirmés par les conclusions de l'intimée et les attestations produites desquelles il résulte en outre que Mme [C] [B] s'est rendue à l'hôpital accompagnée de deux salariées et que la directrice et la coordonnatrice ont attendu leur retour pour quitter les locaux de l'Association. Si Mme [C] [B] reproche à l'employeur de ne pas avoir déclarer ce malaise comme accident de travail, force est de constater qu'elle ne produit pas d'élément permettant de constater qu'elle aurait elle-même fait une déclaration d'accident de travail ni sollicité son employeur en ce sens. Au vu de ces explications, cet élément ne permet pas de caractériser une situation de harcèlement moral.

S'agissant du dénigrement et des insultes, l'Association [6] explique que Mme [C] [B] a été sanctionnée pour avoir dénigré ses collègues. Elle ne conteste pas par ailleurs que, lors de la réunion du 26 avril 2018, la salariée a été interrogée sur la mauvaise ambiance au sein de l'équipe et le dénigrement de certaines de ses collègues. Il apparaît toutefois que cette interpellation faisait suite aux reproches formulés par Mme [T] et qu'elle a réitérés lors de la réunion en se plaignant du comportement de Mme [C] [B] à son égard et de sa mise à l'écart par l'équipe, ce dont témoignent Mme [W] et Mme [I] dans leurs attestations (pièces n°8 et 9). Ces faits, qui ont donné lieu à un avertissement à l'encontre de Mme [C] [B], concernaient également les autres salariés, ce qui justifiait qu'ils soient abordés dans le cadre d'une réunion d'équipe sans que cela puisse permettre de caractériser une situation de harcèlement moral. L'Association [6] ne s'explique pas en revanche sur les attestations de Mme [V] et Mme [N] (pièces n°10 et 11) qui font état d'une réunion le 09 novembre 2017 au cours de laquelle la directrice aurait traitée Mme [C] [B] de menteuse.

L'Association [6] se borne par ailleurs à relever que les avertissements du 11 janvier et du 15 mai 2018 étaient justifiés. Si l'avertissement du 11 janvier 2018 a été annulé, il apparaît que les faits sur lesquels il était fondé sont matériellement justifiés, à savoir le non-respect de la procédure prévue en cas d'absence, mais qu'il n'était pas démontré que Mme [C] [B] avait été informée de cette procédure. La demande d'annulation de l'avertissement du 15 mai 2018 a quant à elle été rejetée et, si tous les griefs invoqués n'étaient pas justifiés, aucun élément ne permet de considérer que l'employeur aurait utilisé cette procédure disciplinaire à des fins de harcèlement moral.

S'agissant des heures supplémentaires non rémunérées, l'Association [6] conteste cet élément en faisant valoir que les heures supplémentaires dont Mme [C] [B] a sollicité le paiement ont été rémunérées. Force est de constater que l'intimée ne précise en rien quelles heures supplémentaires n'auraient pas fait l'objet d'une rémunération, étant relevé par ailleurs qu'elle ne forme aucune demande de rappel d'heures supplémentaires impayées.

Enfin, si l'Association [6] ne conteste pas que Mme [C] [B] a fait l'objet d'une contre-visite médicale lors de l'un de ses arrêts de travail, il sera relevé que celle-ci ne fait état que d'un seul contrôle et qu'elle ne justifie pas que ce contrôle, qui relève du pouvoir de direction de l'employeur, serait intervenu dans des circonstances permettant de caractériser une situation de harcèlement moral.

Mme [C] [B] soutient par ailleurs que la situation de harcèlement moral alléguée est à l'origine de la dégradation de son état de santé. Elle produit pour en justifier une fiche médicale (pièce n°16) qui mentionne une 'envie de vomir quand elle va au travail' et une 'situation conflictuelle avec la directrice', ainsi qu'un certificat médical d'un médecin psychiatre (pièce n°17) qui indique que Mme [C] [B] est prise en charge 'd'un état de stress post traumatique dans un contexte de souffrance psychique au travail'. Ces éléments ne font toutefois que reprendre les déclarations de l'intéressée et ne permettent pas de démontrer un lien entre la dégradation de l'état de santé de Mme [C] [B] et ses conditions de travail.

Il résulte de ces éléments que l'Association [6] renverse la présomption de l'existence d'un harcèlement moral, le seul élément non justifié, à savoir le fait d'avoir traité la salariée de menteuse lors d'une réunion, ne permettant pas de caractériser la situation de harcèlement managérial alléguée par Mme [C] [B]. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement du 27 avril 2021 en ce qu'il a dit que Mme [C] [B] avait fait l'objet d'un harcèlement moral de la part de son employeur, prononcé la requalification de la démission en licenciement nul, condamné l'Association [6] à payer la somme de 7 539,16 euros pour licenciement nul et de débouter Mme [C] [B] des demandes présentées à ce titre.

Sur la discrimination

Vu les articles L. 1131-1 du code du travail,

Il convient de constater que Mme [C] [B] se borne à soutenir qu'elle aurait fait l'objet d'une différence de traitement par rapport à d'autres salariés de l'Association. Il a été constaté que la seule différence de traitement dont elle fait état, qui concerne une demande d'effectuer une heure supplémentaire, n'était pas démontrée. Il apparaît en outre qu'elle ne soutient pas que cette différence de traitement serait fondée sur un critère illicite. La discrimination alléguée n'apparaît donc en rien démontrée et Mme [C] [B] sera déboutée de la demande de requalification de la démission en licenciement nul pour cause de discrimination et de la demande de dommages et intérêts afférente.

Sur la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse

Vu l'article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail,

La demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse porte sur la rupture du contrat de travail et se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

L'Association [6] soulève la prescription y compris pour la demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle est une demande relative à la rupture du contrat de travail. Mme [C] [B] a présenté sa démission par lettre datée du 26 juillet 2018 et a contesté cette démission en saisissant le conseil de prud'hommes le 19 novembre 2019, soit plus de douze mois après la rupture. Cette demande est donc couverte par la prescription. Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la démission était équivoque et de déclarer la demande irrecevable du fait de la prescription.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné l'Association [6] aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de l'issue du litige, Mme [C] [B] sera condamnée aux dépens des procédures de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande à ce titre étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par mise à disposition au greffe par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la Loi,

REJETTE la demande de production du courriel accompagnant la pièce n°17 de l'appelante ;

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Mulhouse du 27 avril 2021 en ce qu'il a :

- prononcé l'annulation de l'avertissement du 11 janvier 2018,

- déclaré recevable la demande fondée sur le harcèlement moral ;

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

DÉBOUTE Mme [C] [B] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 15 mai 2018 ;

DÉBOUTE Mme [C] [B] de ses demandes de requalification de la démission en licenciement nul et des demandes de dommages et intérêts afférentes ;

DÉCLARE prescrite la demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE Mme [C] [B] aux dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE Mme [C] [B] à payer à l'Association [6] la somme de 1 000 euros ( mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

DEBOUTE Mme [C] [B] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 08 novembre 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 21/02606
Date de la décision : 08/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-08;21.02606 ?
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