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21/10/2022 | FRANCE | N°21/04445

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 21 octobre 2022, 21/04445


MINUTE N° 454/2022





























Copie exécutoire à



- Me Christine LAISSUE

-STRAVOPODIS



- Me Valérie SPIESER



- Me Marion POLIDORI





Le 21/10/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 21 octobre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A

N° RG 21/04445 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HWFB



Décision déférée à la cour : 09 Septembre 2021 par le juge de la mise en état de STRASBOURG



APPELANT :



Monsieur [P] [C]

demeurant [Adresse 2]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/004671 du 12/10/2021...

MINUTE N° 454/2022

Copie exécutoire à

- Me Christine LAISSUE

-STRAVOPODIS

- Me Valérie SPIESER

- Me Marion POLIDORI

Le 21/10/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 21 octobre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/04445 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HWFB

Décision déférée à la cour : 09 Septembre 2021 par le juge de la mise en état de STRASBOURG

APPELANT :

Monsieur [P] [C]

demeurant [Adresse 2]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/004671 du 12/10/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de COLMAR)

représenté par Me Christine LAISSUE-STRAVOPODIS, avocat à la cour.

INTIMÉ et appelant sur incident :

Monsieur [W] [C]

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

INTIMÉ sur appels principal et incident :

Monsieur [O] [C]

demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Marion POLIDORI, avocat à la cour

INTIMÉ :

Monsieur [N] [C]

demeurant [Adresse 9]

assigné le 16 décembre 2021, par remise de l'acte à sa personne, n'ayant pas constitué avocat.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Juin 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Mme Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET réputé contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 30 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

M. [L] [C] et Mme [S] [F] se sont mariés le 31 juillet 1965 devant l'officier de l'État civil de la commune d'Illkirch-Graffenstaden (67), ayant changé de régime matrimonial au cours du mariage en faveur du régime de la communauté universelle, selon un contrat reçu par Me [E] [I], notaire à Obernai, le 19 mai 1992, régulièrement homologué par jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg le 20 octobre 1992.

[S] [F], épouse [C], est décédée en 2011, puis [L] [C], le 24 septembre 2012.

Dépendent de la succession :

- l'ancien domicile du défunt situé [Adresse 3],

- un hangar et le terrain sur lequel il a été édifié, situés [Adresse 2],

- de l'épargne,

- des biens meubles,

- des terres.

Il est évoqué également par certains héritiers une indemnité de jouissance privative du domicile de [L] [C].

Les époux [C] avaient procédé le 07 décembre 2007 à une donation à titre de partage anticipé au bénéfice de leurs enfants :

- le 1er lot attribué à M. [W] [C] comprenait la somme de 130 000 euros,

- le 2ème lot attribué à M. [N] [C] comprenait, par confusion sur lui-même, le montant du rapport en moins prenant par lui opéré sous l'article II de la masse et s'élevant à 130 000 euros (immeuble bâti sur la commune d'Hohwald, reçu par donation du 27 décembre 2006),

- le 3ème lot attribué à M. [P] [C] comprenait la pleine propriété de l'immeuble bâti sis à [Adresse 2], pour la valeur de 130 000 euros,

- le 4ème lot attribué à M. [O] [C], comprenait, dans un immeuble en copropriété sis à [Adresse 7], la pleine propriété des lots n°2, 3, 4 et 7, pour la valeur de 130 000 euros.

[L] [C] a également rédigé un testament olographe en date du 23 mai 2012, dont la validité a été contestée par M. [W] [C], qui soutenait que [L] [C] n'aurait plus disposé de l'intégralité de ses facultés mentales et cognitives.

Par ce testament, il léguait à M. [O] [C] la quotité disponible de sa succession et, pour constituer celle-ci, il lui léguait entre autres la propriété des lots qui restaient lui appartenir dans l'immeuble situé [Adresse 3].

À l'issue d'une tentative de partage amiable confiée à Me [D], notaire à Villé (67), M. [W] [C] a saisi le tribunal d'instance d'Illkirch-Graffenstaden d'une requête aux fins d'ouverture d'une procédure de partage judiciaire successoral du 14 novembre 2014 qui a donné lieu à une décision en date du 02 mars 2015 par laquelle le tribunal d'instance a ordonné l'ouverture d'une procédure de partage judiciaire des biens dépendant de la succession de [L] [C] et de [S] [F], épouse [C], et désigné Me [H] [A], Notaire à Illkirch, pour y procéder.

À l'issue de la cinquième réunion de partage du 24 janvier 2020, Me [A] a dressé un procès-verbal de difficulté, constatant que les parties n'avaient pas réussi à s'entendre sur la qualification et le rapport de divers dons reçus, sur la valeur du bien immobilier légué à M. [O] [C] et celle des biens immobiliers ayant fait l'objet de la donation-partage du 07 décembre 2007.

M. [W] [C] et M. [P] [C] souhaitaient en outre que le tribunal nomme un expert judiciaire qui déterminerait la valeur de l'appartement légué à M. [O] [C], la validité du testament du défunt étant également contestée par M. [W] [C] et M. [P] [C].

M. [P] [C] a demandé l'annulation du procès-verbal de difficulté. Par une ordonnance du juge de proximité d'Illkirch du 9 mars 2020, confirmée par un arrêt de la cour du 3 septembre 2020, sa demande a été rejetée.

Suite à ce procès-verbal de difficultés, M. [W] [C] a saisi le tribunal judiciaire de Strasbourg et, par requête adressée au juge de la mise en état le 07 septembre 2020, il a sollicité la mise en place de deux expertises, l'une de nature médicale pour déterminer si le père des parties avait été en état de tester régulièrement, l'autre de nature immobilière, portant sur le bien immobilier sis [Adresse 3] (lots n°1, 5, 6) et sur les biens immobiliers contenus dans la donation-partage du 7 décembre 2007.

Par ordonnance du 9 septembre 2021, le juge de la mise en état a :

- déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en contestation du testament rédigé par [L] [C], né le 7 août 1939, du 23 mai 2012 et, corrélativement, rejeté la demande d'expertise médicale de [L] [C],

- déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en contestation de la valeur des biens immobiliers contenus dans la donation-partage du 7 décembre 2007 et, corrélativement, rejeté la demande d'expertise des biens immobiliers compris dans cette donation-partage,

- ordonné une expertise judiciaire pour déterminer la valeur du bien immobilier légué à M. [O] [C], situé [Adresse 3], s'agissant de sa valeur vénale mais aussi de sa valeur locative, une provision sur frais d'expertise de 3 500 euros ayant été mise à la charge de M. [W] [C],

- désigné M. [B] [V], Vice-président en charge du service du contrôle des expertises, pour le contrôle de cette mesure,

- ordonné l'exécution provisoire et, par ailleurs, le sursis à statuer sur la demande et sur le surplus des prétentions,

- renvoyé l'affaire et les parties à l'audience de mise en état du 13 janvier 2022,

- dit que les frais de l'incident suivraient ceux de l'instance principale.

Sur la prescription de l'action en contestation du testament, le juge de la mise en état a retenu qu'une telle action était soumise à la prescription quinquennale à compter du décès ou du jour où la partie a pris connaissance du testament contesté, et que la prescription avait commencé à courir en l'espèce le 14 janvier 2013, date à laquelle l'attestation de dévolution successorale avait été délivrée par Me [D] et où toutes les parties avaient ainsi eu connaissance de l'existence et de la teneur du testament.

Or, M. [W] [C] n'avait soulevé la question de la validité du testament que le 24 janvier 2020, à l'occasion de la cinquième réunion de partage.

L'action en contestation du testament était donc prescrite, si bien que la demande d'expertise médicale devenait sans objet.

Sur la demande d'expertise des biens immobiliers compris dans la donation-partage du 7 décembre 2007, le juge de la mise en état a retenu que l'article 1077-2 du code civil soumettait la contestation d'une donation-partage au délai de prescription quinquennal à compter du décès du disposant qui avait fait le partage, alors que les époux [C]-[F] étaient décédés respectivement le 30 mai 2011 et le 24 septembre 2012.

Or, M. [W] [C] n'avait émis aucune contestation relative à la valorisation des biens donnés dans le cadre de la donation-partage de 2007 avant l'acte de saisine de la juridiction du 3 juin 2020.

L'action en contestation de l'évaluation des biens objets de la donation-partage étant prescrite, la demande d'expertise des biens immobiliers objets de celle-ci devenait sans objet.

Sur la demande d'expertise du bien immobilier situé [Adresse 3], et plus précisément des lots n°1, 5 et 6, le juge de la mise en état a relevé que les parties n'étaient pas en mesure de s'accorder sur la valeur de ce bien immobilier et que la valeur à retenir serait celle la plus proche du partage.

M. [P] [C] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration datée du 19 octobre 2021, cet appel tendant à l'annulation, l'infirmation ou la réformation de l'ordonnance en ce qu'elle a :

- déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en contestation du testament rédigé par [L] [C] et, corrélativement, rejeté la demande d'expertise médicale de ce dernier,

- déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en contestation de la valeur des biens immobiliers contenus dans la donation-partage du 7 décembre 2007 et, corrélativement, rejeté la demande d'expertise des biens immobiliers compris dans celle-ci.

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 28 avril 2022, M. [P] [C] sollicite que la cour reçoive son appel, infirme l'ordonnance déférée et, statuant à nouveau :

- déboute M. [O] [C] de sa requête tendant à voir déclarer irrecevable la demande en contestation du testament,

- ordonne une expertise médicale de M. [L] [C] afin de déterminer si, au moment de la rédaction du testament du 24 septembre 2012, il était sain d'esprit,

- complète le dispositif de l'ordonnance du juge de la mise en état et dise que l'expert immobilier devra évaluer au jour du dépôt du rapport le bien immobilier situé [Adresse 3], cadastré [Cadastre 8] et constitué des lots n°1,5,6,

- dise que les frais d'expertises immobilière et médicale seront avancés par M. [O] [C],

- condamne M. [O] [C] aux dépens.

Par ses conclusions transmises par voie électronique le 28 mars 2022, M. [W] [C] demande qu'il soit statué ce que de droit sur l'appel principal et que son appel incident soit déclaré recevable et fondé, que l'ordonnance déférée soit infirmée et que la cour, statuant à nouveau :

- déclare recevable la contestation du testament rédigé par M. [L] [C],

- ordonne une expertise médicale de M. [L] [C] afin de déterminer la validité du testament olographe du 23 mai 2012,

- déclare recevables la demande d'expertise immobilière et l'action en contestation de la valeur des biens immobiliers contenus dans la donation-partage,

- ordonne une expertise judiciaire afin de valoriser les biens immobiliers compris dans la donation-partage du 7 décembre 2007 à la date de l'acte et dans leur état à cette date, précisément du bien situé à [Localité 5] donné à M. [N] [C], du bien situé à [Localité 4] donné à M. [P] [C] et enfin du bien situé à [Localité 6] donné à M. [O] [C],

- dise que les expertises seront subordonnées à la consignation de provisions à la charge totale de M. [O] [C] et, à titre subsidiaire, à proportion d'un quart de chacune des parties,

- confirme pour le surplus l'ordonnance déférée,

- déboute les consorts [C] de toutes autres demandes plus amples ou contraires,

- condamne M. [O] [C] à la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, dans les motifs de ses conclusions, sans en tirer de conséquences dans leur dispositif, il soutient que la décision déférée manque de motivation et qu'elle est frappée de nullité pour méconnaissance des articles 455 et 458 du code de procédure civile, cette lacune lui causant nécessairement un grief, ne lui permettant pas d'apprécier le bien-fondé de la décision.

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 15 janvier 2022, M. [O] [C] sollicite notamment :

- que l'appel de M. [P] [C] soit déclaré irrecevable et en tout cas mal fondé et qu'il soit rejeté,

- que l'ordonnance déférée soit confirmée en ce qu'elle a notamment jugé prescrite depuis le 14 janvier 2018 l'action en contestation du testament olographe du 23 mai 2012 et corrélativement, déclaré sans objet et rejeté la demande d'expertise médicale de M. [L] [C],

- à titre subsidiaire, qu'il soit jugé que les frais d'expertise seront mis à la charge du demandeur des mesures sollicitées, à savoir M. [P] [C],

Il demande que la cour :

- en tout état de cause, statue ce que de droit sur la demande de complément et de modification formulée par M. [P] [C] sur la précision de la date d'évaluation du bien immobilier situé à [Adresse 3], et qu'elle déboute M. [P] [C] de ses demandes contraires,

- déclare l'appel incident de M. [W] [C] irrecevable et en tout cas mal fondé et, en conséquence, le rejette,

- confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a notamment jugé prescrite depuis le 14 janvier 2018 l'action en contestation du testament olographe du 23 mai 2012 et, corrélativement, déclaré sans objet et rejeté la demande d'expertise médicale de M. [L] [C], et en ce qu'elle a déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en contestation de la valeur des biens immobiliers compris dans la donation-partage du 7 décembre 2007, en ce qu'elle a corrélativement rejeté la demande d'expertise de ces biens immobiliers, et en ce qu'elle a mis à la charge de M. [W] [C] l'avance des frais d'expertise.

- à titre subsidiaire, si elle devait faire droit aux demandes d'expertises médicale et d'évaluation des biens immobiliers compris dans la donation-partage de 2007,

qu'elle juge que l'avance des frais d'expertise sera mise à la charge de M. [W] [C] et de M. [P] [C].

Il demande, en tout cas, la confirmation de l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, le rejet de l'ensemble des demandes de M. [W] [C] et de M. [P] [C], ainsi que leur condamnation aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel et leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [N] [C] n'a pas constitué avocat, bien que régulièrement assigné par acte signifié le 16 décembre 2021 par les autorités compétentes en Suisse, conformément aux dispositions de la convention de la Haye du 15 novembre 1965, acte remis à sa personne.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties qui ont constitué avocat, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

Par ordonnance du 15 novembre 2021, la présidente de la chambre a fixé d'office l'affaire à l'audience de plaidoirie du 17 juin 2022, en application de l'article 905 du code de procédure civile. À cette date, l'affaire a été retenue, nonobstant la demande de renvoi M. de M. [P] [C] formée directement auprès de la cour par un courrier du 10 juin 2022.

MOTIFS

En préalable, il convient de relever que, si M. [O] [C] demande que l'appel principal de M. [P] [C] et l'appel incident de M. [W] [C] soient déclarés irrecevables, il n'invoque aucun moyen à l'appui de ces fins de non-recevoir. En conséquence, et en l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, il y a lieu de déclarer ces appels principal et incident recevables.

I ' Sur la contestation du testament du 23 mai 2012

A ' Sur la recevabilité de la demande

M. [P] [C] soutient que la Cour de cassation, au visa des articles 901 et 1304 anciens du code civil, a jugé qu'un héritier pouvait, après l'expiration du délai prévu par ce dernier texte, se prévaloir de la nullité du testament pour s'opposer aux prétentions de ses co-héritiers qui invoquaient ses dispositions.

M. [W] [C] indique adhérer pleinement à la demande de M. [P] [C] et à sa motivation, s'agissant de l'imprescriptibilité de l'exception de nullité, qui leur permet de contester le testament et la qualité de légataire dont se prévaut M. [O] [C], et de solliciter du juge de la mise en état une expertise médicale sur l'état de santé de M. [L] [C] à la date du testament, compte tenu de son état dépressif lors de la signature de son testament.

Il ajoute que, s'il devait être fait application d'une prescription quinquennale, le dépôt de la requête en ouverture de partage judiciaire du 28 novembre 2014 est interruptif de toute prescription relativement à la succession, en application de l'article 2241 du code civil selon lequel la demande en justice interrompt le délai de prescription et de forclusion.

M. [O] [C] reprend les motifs de l'ordonnance déférée sur la prescription de l'action en nullité du testament olographe de [L] [C], soulignant que celui-ci n'a été remis en cause pour la première fois que lors de la réunion de partage du 24 janvier 2020 et que l'ouverture de la procédure de partage judiciaire n'interrompt pas le délai de prescription de l'action en contestation du testament.

Il ajoute que M. [P] [C] s'est opposé, dans le cadre de la première instance, à l'expertise médicale sollicitée par M. [W] [C] et qu'il est donc irrecevable à la réclamer en appel.

*

Il résulte de l'application combinée des nouveaux articles 1144 et 2224 du code civil qu'ainsi que l'a rappelé le premier juge, l'action en contestation d'un testament pour insanité d'esprit, erreur, dol ou violence est soumise à la prescription quinquennale, dont le point de départ se situe au plus tôt à la date du décès ou à celle où la partie concernée a pris connaissance du testament objet de la contestation.

Cependant, une jurisprudence constante rappelle que l'exception de nullité est perpétuelle, si bien que les héritiers sont fondés à invoquer l'insanité d'esprit du testateur même après l'expiration de ce délai de 5 ans, dès lors qu'il ne s'agit que d'un moyen de défense à l'action en exécution de la libéralité consentie par leur auteur.

Il en résulte que, dans la situation présente, M. [P] [C] est fondé à soutenir qu'un héritier peut, après le délai prévu par l'article 2224 du code civil, se prévaloir de la nullité du testament pour s'opposer aux prétentions de l'un de ses co-héritiers tendant à l'exécution de dispositions de ce testament. En conséquence, l'ordonnance déférée doit être infirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de l'intimé en nullité du testament litigieux, cette demande devant au contraire être déclarée recevable.

B ' Sur la demande d'expertise médicale

M. [P] [C] fait valoir que [L] [C] présentait un état dépressif sévère, suite au décès de son épouse, mais aussi des problèmes de rein, suite à un infarctus massif survenu en 2010, un premier infarctus étant survenu en 1990.

Le testament serait selon lui susceptible d'être annulé pour insanité d'esprit ou défaut de consentement libre et éclairé, dans la mesure où M. [O] [C], qui résidait seul avec M. [L] [C], était en mesure d'exercer sur ce dernier une pression psychologique pour obtenir sa rédaction, compte tenu de l'état de santé fragile et dépressif de leur père.

Il précise que les éléments nécessaires à la démonstration de ce que [L] [C] ne disposait pas du discernement suffisant pour établir un testament en mai 2012 se trouvent à son domicile, auquel M. [O] [C] ne laisse pas les cohéritiers accéder, rendant toute preuve impossible à rapporter sur ce point.

Sur le fond, M. [W] [C] soutient que le décès de Mme [S] [F], épouse [C], en 2011, a profondément bouleversé [L] [C] qui souffrait d'un état dépressif réactionnel lié également à l'altération de son état de santé, suite à de graves problèmes cardiaques et notamment une très lourde intervention chirurgicale en 2010. Il ajoute que peu importe que leur père ait ou non été placé sous un régime de protection, et il souligne que ce dernier est décédé quatre mois après la rédaction du testament litigieux qu'il n'a pas déposé chez un notaire. Il observe que M. [P] [C], tout comme M. [N] [C] dans un courrier du 4 février 2021, contestent la validité du testament en raison de l'état de santé de leur père et que seul M. [O] [C] qui, résidant dans le même immeuble, empêche tout accès au logement de leur père, dispose des éléments médicaux concernant ce dernier. Il évoque une dépendance physique et psychologique de [L] [C] à l'égard de M. [O] [C] lors des dernières années de sa vie.

Le testament serait donc susceptible d'être annulé pour insanité d'esprit ou défaut de consentement libre et éclairé, dans la mesure où M. [O] [C], qui résidait seul avec M. [L] [C], était en mesure d'exercer sur ce dernier une pression psychologique pour obtenir sa rédaction, compte tenu de l'état de santé fragile et dépressif de leur père.

Sur le fond, M. [O] [C] expose que le testament contesté s'inscrit dans la continuité de la donation-partage du 7 décembre 2007 et manifeste la volonté de [L] [C], qui lui avait donné l'appartement du premier étage de cet immeuble constitué de deux appartements, dans le cadre de cette donation, de réunir la propriété dudit immeuble entre ses mains.

Il affirme que [L] [C], décédé à l'âge de 73 ans, suivi pour une maladie cardiaque, ne souffrait d'aucune maladie affectant ses facultés cognitives et n'était placé sous aucun régime de protection, aucune demande n'ayant été faite en ce sens par ses proches. Il gérait seul ses affaires personnelles et effectuait ses démarches administratives, aucun des fils n'ayant jamais fait état d'une altération de ses facultés psychologiques. M. [O] [C] soutient que ni M. [W] [C], ni M. [P] [C] ne rapportent la preuve de la dépression réactionnelle de leur père invoquée, suite au décès de leur mère, et que la mesure d'instruction sollicitée n'a pas pour but de combler leur carence dans la charge de la preuve qui leur incombe.

De plus, [L] [C] hébergeait à titre gratuit M. [U] [C], fils de M. [W] [C], depuis la rentrée scolaire 2011, l'ayant aidé financièrement et ayant souscrit à son profit une assurance-vie le 1er août 2012, soit après la rédaction du testament, avec versement de 20 000 euros. Or, ni M. [W] [C], ni M. [U] [C] qui vivait avec lui au quotidien, n'ont jamais émis de réserves concernant ses facultés intellectuelles. Il en va de même concernant M. [P] [C], qui a bénéficié de versements réguliers de leur père de mars 2009 jusqu'à son décès.

*

Force est de constater que, si M. [W] [C] et M. [P] [C] affirment ne pouvoir accéder aux documents médicaux concernant leur père, qui se trouvent dans son appartement auquel seul leur frère [O] a accès, ils ne produisent aucun autre élément, tel que des attestations de témoignage, de nature à accréditer l'existence d'une altération des facultés cognitives et psychiques de leur père, susceptible de justifier que soit ordonnée la mesure d'instruction sollicitée le concernant. En conséquence, leur demande tendant à une telle expertise est non fondée et le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il l'a rejetée.

Au surplus, ils ne contestent pas que [L] [C] a souscrit le 1er août 2012, soit postérieurement à la signature du testament litigieux, une assurance-vie au capital de 19 500 euros au profit de [U] [C], fils de M. [W] [C], et qu'il a effectué des virements réguliers au profit de M. [P] [C], au moins jusqu'en avril 2012, et ils ne remettent pas en cause son intégrité psychique et intellectuelle s'agissant de ces actes de disposition concomitants du testament.

II ' Sur la contestation de la valeur des biens immobiliers contenus dans la donation-partage

A ' Sur la recevabilité de l'action en réduction

À l'appui de son appel incident relatif à la demande d'expertise immobilière des biens objets de la donation-partage, M. [W] [C] soutient également que la prescription a été interrompue par le dépôt de la requête en ouverture de partage judiciaire en Alsace Moselle, la question du rapport à la succession ne pouvant se poser qu'à l'ouverture de cette procédure.

Sur la prescription de l'action en contestation de la valeur des biens donnés dans le cadre de la donation-partage, M. [O] [C] reprend les motifs de l'ordonnance déférée.

*

Ainsi que l'a rappelé le premier juge, l'action en réduction d'un héritier réservataire qui, dans la donation-partage, a reçu un lot inférieur à sa part de réserve se prescrit par cinq ans à compter du décès du disposant qui a fait le partage, et à compter du décès du survivant des disposants, en cas de donation-partage faite conjointement par les deux époux, en application des articles 1077-1 et 1077-2 du code civil, ce qui fixe le point de départ de cette prescription, en l'espèce, au 24 septembre 2012, date du décès de [L] [C], étant observé que le tribunal judiciaire de Strasbourg a été saisi par M. [W] [C] le 3 juin 2020. Cette date était largement postérieure au terme du délai de prescription, écoulé depuis le 24 septembre 2017.

Sur l'interruption de la prescription invoquée, tenant au dépôt d'une requête en partage judiciaire, il convient de souligner que la requête du 14 novembre 2014 que M. [W] [C] a déposée devant le juge d'instance d'Illkirch-Graffenstaden n'a nullement évoqué la question de la valeur des biens objets de la donation-partage du 7 décembre 2007, et que ce dernier n'a non plus émis aucune contestation sur ce point, lors des débats qui ont eu lieu dans le cadre de ce partage judiciaire devant le notaire désigné, Me [A], le 15 décembre 2016, le 17 février 2017, puis les 12 octobre et 16 novembre 2018. Ce n'est que lors des débats du 24 janvier 2020 qui ont donné lieu au procès-verbal de difficulté à l'origine de la saisine du tribunal judiciaire de Strasbourg que M. [W] [C] a remis en cause cette valeur, puis dans les assignations par lesquelles il a saisi le tribunal des difficultés sur lesquelles il souhaitait qu'intervienne une décision judiciaire.

En conséquence, aucune interruption de la prescription n'est intervenue avant le terme du délai de celle-ci, ce dont il résulte que l'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable comme étant prescrite l'action en contestation de la valeur des biens immobiliers objets de la donation-partage du 7 décembre 2007.

B ' Sur la demande d'expertise immobilière relative aux biens objets de la donation-partage

L'action en contestation de la valeur des biens immobiliers objets de la donation-partage du 7 décembre 2007 étant couverte par la prescription, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déféré en ce qu'elle a rejeté « corrélativement » la demande d'expertise portant sur les biens immobiliers objets de cette donation-partage, qui, dès lors, ne présente aucune utilité.

III ' Sur l'expertise portant sur l'immeuble légué à M. [O] [C]

Sur le complément du dispositif de l'ordonnance déférée relatif à la mission de l'expert, portant sur la date de l'évaluation du bien immobilier situé [Adresse 3], soit au jour du dépôt du rapport, M. [P] [C] expose qu'il est nécessaire de connaître la valeur de cet appartement à la date la plus proche du partage, conformément aux dispositions de l'article 829 du code civil, alors que le juge de la mise en état, dans les motifs de la décision, vise les dispositions de l'article 1078 de ce code applicables à la donation-partage, qui énonce que les valeurs doivent être fixées au jour de la donation pour l'imputation et le calcul de la réserve.

De plus, il soutient que les frais de l'expertise doivent être laissés à la charge de M. [O] [C] qui s'est opposé à l'estimation du bien par un agent immobilier.

M. [W] [C] s'associe à la demande de complément d'ordonnance concernant la mission de l'expert désigné, faisant lui aussi valoir que la référence à l'article 1078 du code civil, dans les motifs de l'ordonnance déférée, procède d'une erreur de droit.

Cependant, il conteste devoir assumer l'avance des frais d'expertise, qui s'élèvent à 3 500 euros et obèrent son budget, alors que l'intérêt de celle-ci concerne également les autres intimés et que la procédure résulte du comportement déloyal et de l'obstination déraisonnable de M. [O] [C], contre la position de ses frères qui confirment tous que le testament a été passé alors que le défunt n'avait plus la capacité d'émettre un consentement libre et éclairé.

Sur la valeur du bien immobilier situé à [Adresse 3], M. [O] [C] expose qu'il avait lui-même estimé la valeur de cet appartement à 200 000 euros lors de la première réunion de partage en 2016, M. [W] [C] l'ayant estimée alors à 205 000 euros, puis à 230 000 euros ultérieurement, et que cette valeur, qu'il avait proposée lors de la quatrième réunion de partage du 16 novembre 2018, avait alors été acceptée par ses frères.

Il conteste la remise en cause de cette valeur par M. [W] [C] lui-même, sans explication et sans production d'aucun élément de nature à le justifier. De plus, il soutient que la demande d'évaluation de la valeur locative de l'appartement est irrecevable et mal fondée, dans la mesure où la propriété du bien légué a été transmise depuis le décès, les héritiers n'étant donc pas fondés à solliciter le paiement d'une indemnité d'occupation.

Enfin, il estime que c'est à bon droit que le juge de la mise en état a mis l'avance des frais d'expertise à la charge de M. [W] [C], demandeur de cette mesure d'instruction dans les circonstances évoquées.

*

L'article 1078 du code civil énonce que les biens donnés sont évalués au jour de la donation-partage pour l'imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l'ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l'aient expressément accepté, et qu'il n'ait pas été prévu de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent.

Par ailleurs, l'article 829 du même code dispose qu'en vue de leur répartition, les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise, telle qu'elle est fixée par l'acte de partage, en tenant compte, s'il y a lieu, des charges les grevant.

Il convient de rappeler que les lots qui restaient appartenir à [L] [C] dans l'immeuble situé [Adresse 3], objets de l'expertise ordonnée par la décision déférée, ont été légués par ce dernier à M. [O] [C] par un testament du 23 mai 2012 et n'avaient donc pas fait l'objet de la donation-partage du 7 décembre 2007. Il en résulte que les dispositions applicables, s'agissant de leur évaluation, ne sont pas celles de l'article 1078 mais celles de l'article 829 du code civil rappelées ci-dessus.

Or, la mission de l'expert définie par l'ordonnance déférée est, notamment, d'évaluer la valeur vénale du bien immobilier sans précision de date, ce qui signifie une évaluation à la date de l'expertise. Il apparaît donc que, si le juge de la mise en état a visé les dispositions de l'article 1078 applicables à la donation-partage, il n'en a pas tiré de conséquence dans la rédaction de la mission de l'expert. Dès lors, la précision sollicitée dans la mission de l'expert apparaît inutile et cette demande doit être rejetée.

Par ailleurs, si, dans les motifs de ses écritures, M. [O] [C] conteste le bien fondé de la mission de l'expert portant sur la valeur locative du bien immobilier en cause, il n'en tire aucune conclusion dans leur dispositif qui ne contient aucune demande sur ce point.

S'agissant de l'avance des frais de l'expertise immobilière, il y a lieu de souligner que c'est fort logiquement que le premier juge les a mis à la charge de M. [W] [C], dans la mesure où c'est lui qui a sollicité cette mesure d'instruction, alors même qu'un accord sur la valeur du bien en cause était intervenu lors des débats devant le notaire du 16 novembre 2018.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déférée sur ce chef.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

L'ordonnance déférée étant confirmée en l'essentiel de ses dispositions principales, elle le sera également en celles relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens engagés à l'occasion de la première instance.

De plus, l'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses dépens d'appel et des frais exclus des dépens qu'elle a engagés en appel. Les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE recevables l'appel principal de M. [P] [C] et l'appel incident de M. [W] [C],

CONFIRME l'ordonnance rendue le 9 septembre 2021 entre les parties par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action en contestation du testament du 23 mai 2012 rédigé par [L] [C], né le 7 août 1939,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

DECLARE recevable l'action en contestation du testament signé par [L] [C] le 23 mai 2012,

CONDAMNE chaque partie à conserver la charge de ses dépens d'appel,

REJETTE la totalité des demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens engagés en appel.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/04445
Date de la décision : 21/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-21;21.04445 ?
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