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20/10/2022 | FRANCE | N°20/03510

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 20 octobre 2022, 20/03510


MINUTE N° 446/2022

























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER



- Me Nadine HEICHELBECH



- SELARL LEXAVOUE COLMAR





Le 20 octobre 2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 20 Octobre 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03510 - N° Portalis D

BVW-V-B7E-HOA2



Décision déférée à la cour : 11 Septembre 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE



APPELANTS et intimés sur incident :



Monsieur [E] [X]

demeurant [Adresse 2]

Madame [U] [X]

demeurant [Adresse 3]



représentés par Me Valérie S...

MINUTE N° 446/2022

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER

- Me Nadine HEICHELBECH

- SELARL LEXAVOUE COLMAR

Le 20 octobre 2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 20 Octobre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03510 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HOA2

Décision déférée à la cour : 11 Septembre 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANTS et intimés sur incident :

Monsieur [E] [X]

demeurant [Adresse 2]

Madame [U] [X]

demeurant [Adresse 3]

représentés par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me Gilles BRUNNER, avocat au barreau de Mulhouse

INTIMÉ :

Maître Jean-Sébastien GAROT, avocat,

demeurant professionnellement Centre d'Affaires ATRIA - [Adresse 4]

représenté par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la cour.

avocat plaidant : Me COURTAUT, (cabinet PORCHER), avocat au barreau de Paris

INTIMÉ et appelant sur incident :

Maître [F] [D], notaire,

demeurant professionnellement [Adresse 1]

représenté par la SELARL LEXAVOUE Colmar, avocat à la cour

avocat plaidant : Me EMONNIN, avocat au barreau de Besançon

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 modifié et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre, et Madame Nathalie HERY, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Dominique DONATH faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Par acte authentique du 19 octobre 2012, Maître [F] [D], notaire à [Localité 5], a reçu le consentement à adoption de M. [E] [X] par M. [C] [J], célibataire et sans enfant. Les deux hommes, voisins depuis de nombreuses années, n'avaient aucun lien de parenté, M. [C] [J] étant le propriétaire de la maison qu'occupait M. [E] [X] en tant que locataire.

L'acte de consentement à adoption établi par le notaire prévoyait qu'en vertu de l'article 348-3, alinéa 2 du Code Civil, l'adopté avait la possibilité de se rétracter dans un délai de 2 mois à compter de l'acte.

Le 21 décembre 2012, Maître [F] [D] a établi une attestation de non-rétractation et adressé le jour même l'entier dossier à Maître Jean-Sébastien GAROT, avocat à Belfort, afin qu'il établisse une requête aux fins d'adoption auprès du tribunal compétent. Ce dernier a adressé à MM. [X] et [J] un courrier daté du 08/01/2013 les informant de ce qu'il avait réceptionné le dossier à adoption et les invitant à prendre rendez-vous avec lui « pour faire le point sur la procédure ».

Une rencontre avait lieu entre l'avocat et M. [X] le 15/01/2013, sans la présence de M. [J], qui avait été hospitalisé le 13/01/2013 suite à une occlusion intestinale. Son état de santé se dégradant, il allait décéder le 25 janvier 2013 sans que la requête en adoption n'ait pu être déposée.

M. [E] [X] et sa fille [U] [X], estimant subir un préjudice du fait de ne pas avoir pu être adoptés par M. [J] suite aux retards fautifs pris dans l'instruction de la procédure imputables tant à Maître [D] qu'à Maître [T], les assignaient le 24 janvier 2018 aux fins de les voir condamnés solidairement à régler, outre une somme 10 000 € au titre de l'article 700 du CPC :

- à M. [E] [X], 229 428,76 € au titre du préjudice subi (soit la dépense liée à l'acquisition d'une des maisons de la succession de [C] [J] située [Adresse 2], les intérêts et le coût de l'assurance du prêt contracté pour cette acquisition, et les frais de taxation de l'assurance-vie),

- à Madame [U] [X] 197 603 € au titre de son préjudice subi du fait qu'elle avait dû acquérir la seconde maison de [C] [J] située [Adresse 3] alors qu'elle aurait pu l'obtenir à titre gratuit.

Par jugement du 11 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Mulhouse a déclaré recevables les demandes de Madame [U] [X], puis rejeté l'intégralité des demandes indemnitaires formulées par les requérants et celles formulées reconventionnellement par Maître [I] [T] et de Maître Christophe Muller. La juridiction condamnait in solidum M. [E] [X] et Madame [U] [X] aux dépens de l'instance. Il était également décidé qu'il n'y aurait pas lieu à exécution provisoire de la décision.

Au fond, la juridiction écartait toute faute imputable à l'avocat. En revanche elle décidait que le notaire avait commis une faute en retenant l'application de l'article 348-3 al.2 du Code civil au cas d'espèce. En revanche, la juridiction ne retenait pas l'existence d'un préjudice imputable à cette faute, notant qu'en tout état de cause les délais de traitement du dossier par l'avocat et le notaire avaient été raisonnables, et n'étaient pas de nature à générer de préjudice.

C'est la décision contestée.

PRETENTIONS DES PARTIES

M. [E] [X] et Madame [U] [X] ont interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 23/11/2020 enregistrée à la cour le 09/12/2020 et sollicitent de la juridiction d'appel de l'infirmer notamment en tant qu'elle ne retint pas le principe de la responsabilité de Maître [K] [T] et écarte l'existence d'un préjudice indemnisable.

Il était demandé de la cour, statuant à nouveau, qu'elle :

- dise et juge qu'en ne déposant pas au plus tard le 25 janvier 2013 la requête en adoption Me [T] a engagé sa responsabilité délictuelle, relevant de l'article 1240 du Code Civil (1384 du Code Civil en vigueur à l'époque des faits) à l'égard de M. [E] [X] comme à l'égard de Melle [U] [X],

- confirme le jugement entrepris en ce qu'il a décidé que Me [F] [D] avait commis une faute en retardant de deux mois la communication du dossier d'adoption à l'avocat,

- infirme le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que les appelants n'auraient subi aucun préjudice financier, et statuant à nouveau :

* dise et juge que les deux appelants ont perdu une chance d'obtenir un avantage,

* dise que M. [X] a perdu une chance d'obtenir un avantage équivalent à 40% de la valeur du patrimoine de l'adoptant,

* condamne corrélativement les intimés, conjointement et solidairement, à verser à M. [E] [X] le montant global de 152 349 € au titre du triple préjudice subi (soit la dépense de l'acquisition de la maison sise [Adresse 2], 6 000 € au titre des frais de négociation dépensés en pure perte au moment de l'acquisition de la maison et 29 464 € pour le coût du crédit),

* condamne conjointement et solidairement les deux intimés à régler à Mme [X] une somme de 14 064 € correspondant à la somme qu'elle aurait économisée au titre des intérêts et frais d'assurance engagés suite à l'emprunt contracté pour l'achat de la maison sise [Adresse 3], plus 6 000 € au titre des frais d'agence,

* réserve aux appelants le droit de modifier leurs prétentions financières au vu du résultat de la communication avant-dire droit de la déclaration de succession de feu le Dr [J],

* dise que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation de première instance,

* condamne les intimés conjointement et solidairement au règlement d'un montant de 10.000 € au titre de l'article 700 du CPC,

* déboute les intimés de l'intégralité de leurs fins et conclusions y compris de leur appel incident.

A l'appui de leur appel, les consorts [X] exposent que :

l'article 353 du Code civil prévoyant une faculté de rétractation de deux mois pour l'adopté, ne devait pas être appliqué au cas d'espèce, de sorte que le notaire a fait perdre plus de deux mois aux parties, ce qui est fautif au regard de l'état de santé précaire de l'adoptant,

l'avocat a de son côté été à l'origine d'un retard fautif, en ne saisissant pas immédiatement la juridiction dès réception le 28/12/2012 du courrier de transmission du dossier par le notaire, et ce d'autant plus que Maître [I] [T] a rencontré M. [E] [X] le 15/01/2013, qui lui a réglé ses honoraires et par la suite l'a tenu informé téléphoniquement de l'inquiétante dégradation de l'état de santé de M. [J],

contrairement à ce que la juridiction a retenu, l'avocat n'est pas tenu de faire signer par l'adoptant la requête d'adoption puisque l'accord de M. [J] était constaté dans l'acte du notaire.

Les appelants estiment avoir subi chacun un préjudice certain découlant du fait qu'ils avaient été contraints d'acquérir sur leurs fonds propres les deux maisons de la succession de M. [J], pour des montants de 147.000 € et de 144 000 €.

Ils précisaient adopter le raisonnement tenu par les premiers juges concernant l'absence de conséquences fiscales du fait d'une adoption simple.

Estimant qu'ils avaient perdu une chance de devenir héritier direct et par ricochet, de l'ordre de près de 100%, les appelants chiffraient alors leurs préjudices :

* pour M. [E] [X] à :

- 152 349 € au titre de la dépense de l'acquisition de la maison sise [Adresse 2], des intérêts et assurance du prêt et des frais de taxation d'assurance-vie,

- 6 000 € au titre des frais de négociation,

- 29 464 € au titre du coût du crédit,

* pour Mme [U] [X] à

- 14 064 € correspondant au montant qu'elle aurait pu économiser en ne contractant pas de prêt pour financer l'achat de la maison sise [Adresse 3],

- 6 000 € au titre des frais d'agence.

Maître [F] [D], conclut au rejet de l'appel principal formé par M. [E] [X] et Mme [U] [X] et à la confirmation du jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du CPC, la cour devant à son sens accueillir son appel incident et condamner solidairement M. [E] [X] et Madame [U] [X] à lui payer la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles de première instance.

En tout état de cause, s'agissant des frais de la procédure d'appel, Maître [F] [D], demande à la cour de condamner solidairement les appelants, outre aux dépens, à lui verser la somme de 4 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de Cour.

A l'appui de ses prétentions il soutient que :

même si le premier juge lui a imputé une faute du fait qu'il a conservé « par devers lui, sans raison juridique, un acte de consentement à l'adoption pendant une durée de deux mois », parce qu'il a considéré à tort que l'article 348-3 al.2 du Code civil s'appliquait, cette faute n'aurait pas été préjudiciable en ce sens que le délai de moins de 3 mois entre le mandatement du notaire et le transfert du dossier à l'avocat était raisonnable,

il n'a jamais été informé de la fragilité de l'état de santé de M. [J],

contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la survenance de l'occlusion intestinale grave de [C] [J] le 13/04/2013 était imprévisible et irrésistible,

en tout état de cause, l'existence d'un lien de causalité suppose qu'il soit démontré qu'en l'absence de faute du notaire le sort des demandeurs aurait été amélioré ; or il n'est pas établi que le tribunal aurait effectivement fait droit à la demande d'adoption présentée par M. [J] s'agissant d'une adoption d'un majeur de 54 ans par une personne de 74 ans, alors qu'aucun lien familial ne les unissait,

de manière plus générale, seule une perte de chance pourrait être envisagée,

Mme [U] [X], n'était pas concernée par le projet d'adoption qui portait que sur son père ; elle ne peut alors se plaindre des conditions dans lesquelles elle s'est portée acquéreur, avec son concubin, d'un des immeubles de M. [J] ; on ne pourrait retenir l'existence d'un préjudice direct et certain.

Maître [I] [T] conclut dans ses dernières écritures notifiées par RPVA à la confirmation du jugement qui a écarté l'existence d'une faute imputable de sa part.

A titre subsidiaire, la cour devrait constater l'absence de faute de sa part, débouter les consorts [X] de leurs demandes, les condamner à lui verser 5 000 € au titre de l'article 700 du CPC et à prendre en charge les dépens dont distraction au profit de Me Heichelbech, avocat au Barreau de Colmar.

Il précise ainsi :

qu'à aucun moment, et notamment lors de sa rencontre avec M. [E] [X] le 15/01/2013 ce dernier l'a informé de la situation critique de l'état de santé de M. [J],

M. [J], en sa qualité d'adoptant, n'était plus en capacité de signer la requête,

concernant le préjudice, qui ne pourrait être appréhendé qu'à l'aulne du prisme de la perte de chance, il n'est nullement certain, en ce sens que la juridiction aurait très probablement rejeté la demande d'adoption.

MOTIVATION

1) Sur la faute de Maître [F] [D] et sa nature préjudiciable

Le 19/10/2012, Maître [F] [D], a reçu l'acte de consentement à adoption de M. [E] [X] par M. [J]. Au regard de l'âge de l'adopté, à savoir 54 ans, l'article 348-3 al 2 du code civil qui prévoit une possibilité de rétractation de l'adopté dans un délai de deux mois n'était pas applicable.

En effet, les dispositions de cet article, relatives aux conditions de la rétractation du consentement des parents du candidat à l'adoption simple, ne sont pas en vigueur en cas d'adoption d'un majeur. L'acte notarié du 19/10/2021 aux termes duquel l'adopté a donné son consentement à l'adoption, n'avait pas à faire mention d'une faculté offerte au candidat à l'adoption de rétracter son consentement dans un délai de deux mois.

En conséquence, le consentement préalablement donné par l'adopté était valable et ne pouvait être rétracté dès le 19/10/2012 de sorte que Maître [F] [D] aurait pu et dû transférer immédiatement le dossier à Maître [I] [T].

La mauvaise interprétation du notaire de ces dispositions constitue une faute.

Reste à déterminer si cette faute a eu des répercussions préjudiciables pour les appelants. Pour répondre à cette question, il convient de se replacer dans le contexte particulier de l'affaire, et juger les faits «in concreto » et donc tenir compte de la réactivité de l'avocat.

Ayant réceptionné le dossier du notaire le 28/12/2012, une fois la période des fêtes de fin d'année passée, Me [T] a écrit dès le 08/01/2013 aux parties, en leur adressant sa note d'honoraire et en leur demandant de prendre rendez-vous, ce que M. [X] a fait rapidement. Un rendez- vous était organisé chez l'avocat le 15/01/2013 auquel seul M. [X] a pu se présenter, M. [J] étant déjà hospitalisé.

Il ressort donc de ces éléments que l'avocat a été diligent en ce sens qu'entre la réception du courrier du notaire du 28/12/2012 et le rendez-vous organisé en vue de faire le point sur le dossier, moins de trois semaines s'était écoulé.

Dans ces conditions, en tenant compte de la réactivité avérée de l'avocat, il est établi que si le notaire n'avait pas retardé de deux mois la communication du dossier, la rencontre entre l'avocat et MM. [X] et [J] aurait pu avoir lieu courant le mois de novembre 2012, de sorte que l'avocat aurait eu la possibilité de saisir la juridiction encore en décembre, en sachant que sur cette période l'état de santé de M. [J] n'était pas encore dégradé et que ce dernier aurait même été en état de signer, le cas échéant, la requête.

Il y a aussi lieu de garder à l'esprit qu'il est de jurisprudence constante que le décès du candidat adoptant, après le dépôt de la requête en adoption, ne dessaisit pas la juridiction qui doit statuer sur l'adoption, laquelle produit ' en cas d'admission de la demande par la juridiction ' ses effets au jour du dépôt.

Il s'en déduit que l'inaction fautive du notaire pendant 2 mois a indubitablement entraîné un préjudice, à savoir une perte de chance avérée pour M. [X] de voir le dossier d'adoption déposé et enregistré par le tribunal judiciaire de Belfort avant le décès de M. [J].

2) Sur la faute de Maître Jean-Sébastien Garot

Contrairement à ce qu'avait retenu le juge de première instance, la requête en adoption simple peut être signée par le seul avocat, l'adoptant ayant déjà signifié son accord devant notaire. Cependant, cette pratique n'est pas forcément appréciée par toutes les juridictions, qui n'hésitent pas à faire comparaitre l'adoptant pour lui faire confirmer sa volonté à adoption. Aussi, le souhait de Me [T] de vouloir rencontrer les parties à l'adoption pour soumettre à signature la requête à l'adoptant, ne peut être considéré comme fautif. En outre, l'avocat pouvait à juste titre souhaiter rencontrer les deux parties pour leur délivrer des conseils et une information portant notamment sur la suite de la procédure.

Les appelants lui reprochent également ' sur le fondement d'un manquement à son obligation de diligence ' de ne pas avoir tenu compte du contexte et plus particulièrement du fait que M. [J] voyait son pronostic vital engagé.

M. [X] affirme avoir tenu informé téléphoniquement son avocat de la dégradation de l'état de santé de M. [J], et l'avoir appelé les 24 et surtout 25/01/2013 pour lui faire part du décès imminent de M. [J]. La réalité de ces appels, est prouvée par la production du relevé des communications téléphoniques de M. [X]. En outre il va de soi que si M. [X] a appelé à de nombreuses reprises l'avocat après la rencontre du 15/01/2013, c'est bien pour l'aviser de la dégradation de l'état de santé de M. [J].

Cependant, au regard des exigences et pratiques des juridictions, l'avocat pouvait aussi estimer indispensable de rencontrer M. [J], d'une part pour lui délivrer conseil et information, et d'autre part lui présenter la requête et la soumettre à sa signature.

Dans ces conditions, le choix du conseil de ne pas adresser une requête au tribunal sans avoir eu la possibilité de rencontrer l'adoptant, ne saurait être considéré comme fautif.

La demande formée à l'encontre de l'avocat sera dès lors rejetée.

3) Sur la demande de réserve du droit des appelants à modifier leurs prétentions au vu du résultat de la communication de la déclaration de succession de M. [J]

Il ressort des pièces du notaire, que celui-ci a communiqué en pièce 4 la déclaration de succession qui détermine la masse successorale taxable à 344 641 €. Il s'en suit, que la demande de réserve des droits formulée par les consorts [X] est devenue sans objet.

4) Sur le préjudice de M. [X]

41) Sur la nature du préjudice

Le préjudice subi par M. [X] s'analyse en une perte de chance de pouvoir se voir reconnaître le statut d'héritier de feu M. [C] [J]. Or une perte de chance n'ouvre pas droit à réparation intégrale. Sa réparation doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'elle aurait procuré si elle s'était réalisée.

Au cas d'espèce le statut d'adopté était soumis à l'appréciation de la juridiction de grande instance. Il ressort des attestations produites, que M. [C] [J] et l'appelant entretenaient d'excellentes relations depuis de longues années et que le candidat à l'adoption était apprécié par le défunt. Il existait donc une réelle chance de voir la procédure d'adoption aboutir.

Néanmoins, l'adoption devant être admise par une juridiction, il existait un aléa. Du fait que les deux personnes n'avaient pas de lien de parenté, présentaient un certain âge, et étaient dans une relation contractuelle bailleur/locataire, la perte de chance d'obtenir un jugement d'adoption sera chiffrée à 50%.

4-2) Sur l'étendue du préjudice de M. [X]

Pour calculer l'assiette du préjudice de M. [X], il convient de tenir compte de la masse active de la succession du défunt (344 641 €) de laquelle il convient de défalquer d'une part les frais de succession de 8 725 € (soit 2121,55 € au titre du coût de la déclaration de la succession ; 2163 € et 353 € au titre du coût de l'attestation de propriété immobilière et de sa publication ; 244,96 € au titre du coût de l'acte de notoriété ; 3 842,29 € au titre des émoluments du notaire), puis de réduire le reliquat de 60% au titre des droits de succession.

Aussi, l'assiette est de 134 366 €.

Le préjudice de M. [X] (perte de chance de 50%) sera en conséquence chiffré à la somme de 67 183€, Me [D] étant condamné à verser ladite somme à l'appelant, somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du premier jugement.

5) Sur le préjudice de Mlle [X]

Madame [U] [X], qui n'était pas la cliente de Me [T] et de Me [D] - et dont il n'a jamais été question qu'elle soit adoptée - explique subir un préjudice car si son père avait pu être adopté, il lui aurait fait donation d'une somme de 29 571 €. En outre elle estime qu'elle aurait pu entrer en possession d'une des maisons de la succession dans de meilleures conditions, sans avoir à contracter un prêt ou à verser des frais d'agence.

Cependant, comme le relève justement le Tribunal de première instance, le préjudice allégué par Madame [U] [X] n'est en aucun cas un préjudice direct, actuel et certain découlant de la faute du notaire. Madame [X] n'était pas concernée personnellement par la mesure d'adoption.

De surcroît, il n'est pas certain qu'elle aurait bénéficié d'une donation de la part de son père, ce dernier pouvant changer d'avis à tout moment, et en tout état de cause, si son père souhaite toujours la gratifier d'une donation, rien ne l'empêche de le faire maintenant que son droit à succession est reconnu.

Aussi, la demande d'indemnisation de Mme [X] sera écartée.

6) Sur les appels incidents et les demandes annexes

Me [D] étant partie succombant au principal, il sera condamné à payer les dépens de première instance et d'appel.

Il sera également condamné à verser une somme de 3 000 € au profit de M. [X] au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les autres demandes formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile seront écartées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

INFIRME, en toutes ses dispositions, la décision rendue par le tribunal judiciaire de Mulhouse le 11 septembre 2020 sauf en ce qu'il a rejeté les demandes formulées par Mme [U] [X] et les demandes de M. [E] [X] formées contre Me [I] [T],

Statuant de nouveau et y ajoutant :

CONDAMNE Maître [F] [D] à payer à M. [E] [X] la somme de 67 183€ € (soixante-sept mille cent quatre-vingt-trois Euros) augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 septembre 2020,

REJETTE les demandes d'indemnisation formées par Maître [F] [D] et Maître Jean-Sébastien Garot,

CONDAMNE Maître [F] [D] aux dépens de la procédure de première instance et d'appel,

CONDAMNE Me [F] [D] à payer à M. [E] [X] la somme de 3 000 € (trois mille Euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des procédures de première instance et d'appel,

DEBOUTE de leur demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile Maître Jean-Sébastien Garot et Maître Christophe Muller.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03510
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;20.03510 ?
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