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14/10/2022 | FRANCE | N°20/03235

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 14 octobre 2022, 20/03235


MINUTE N° 434/2022





























Copie exécutoire à



- Me Julie HOHMATTER



- Me Nadine HEICHELBECH





Le 14/10/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 14 octobre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03235 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNTE

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Décision déférée à la cour : 15 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG



APPELANTE :



S.À.R.L. DAMOPHI, agissant par le biais de son gérant, Monsieur [W] [G]

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Julie HOHMATTER, a...

MINUTE N° 434/2022

Copie exécutoire à

- Me Julie HOHMATTER

- Me Nadine HEICHELBECH

Le 14/10/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 14 octobre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03235 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HNTE

Décision déférée à la cour : 15 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

S.À.R.L. DAMOPHI, agissant par le biais de son gérant, Monsieur [W] [G]

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Julie HOHMATTER, avocat à la cour.

Plaidant : Me WEREY, substituant Me DI MARTINO, avocat à [Localité 3]

INTIMÉ :

Monsieur [V] [F]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Nadine HEICHELBECH, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Avril 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 17 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

Selon lettre de mission du 5 janvier 2009, la SARL Damophi, qui exerce une activité de travaux de menuiserie métallique et de serrurerie, a confié à M. [V] [F], expert comptable, une mission d'assistance à la tenue comptable, de présentation des comptes et d'assistance au suivi fiscal, juridique et social, incluant l'établissement et le dépôt des déclarations fiscales et de TVA. Cette mission a pris fin au 31 décembre 2016.

Fin 2015, la société Damophi a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014 qui a donné lieu à un redressement et à l'émission, le 30 juin 2016, d'un avis de mise en recouvrement pour un montant total de 69 107 euros, dont 29 864 euros au titre des pénalités, majorations et intérêts de retard. Suite aux observations présentées par la société, un avis de dégrèvement a été établi le 13 décembre 2016. Le redressement a en définitive porté sur un montant total de 43 440 euros, dont 12 403 euros de pénalités, majorations et intérêts de retard.

Considérant que ce redressement était imputable à des erreurs de son expert comptable, la société Damophi a fait citer M. [F] devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, par exploit du 12 décembre 2017, aux fins d'indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 15 octobre 2020, le tribunal judiciaire a rejeté les demandes de la société Damophi, l'a condamnée aux dépens et au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a retenu que le redressement portait sur une insuffisance de déclaration de TVA pour des opérations devant faire l'objet d'une auto-liquidation et non sur un retard de dépôt des déclarations, or la société Damophi ne démontrait pas avoir fourni à M. [F] tous les éléments nécessaires pour établir les déclarations mensuelles, et ne l'avait pas non plus informé des recouvrements, notamment par cessions Dailly. Le premier juge a relevé en outre que l'expert comptable avait demandé des explications sur différentes opérations, ce qui démontrait qu'il ne disposait pas de tous les éléments, et à déduit du tout l'absence de preuve d'une faute de M. [F], tenu d'une obligation de moyens, soulignant que les autres griefs invoqués n'étaient étayés par aucune pièce, et que la société avait à cette époque des difficultés de trésorerie pouvant expliquer la minoration des montants déclarés au titre de la TVA.

*

La société Damophi a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions par déclaration du 3 novembre 2020.

Par conclusions transmises par voie électronique le 23 septembre 2021, elle sollicite l'infirmation du jugement, et la condamnation de M. [F] au paiement des sommes de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts sur les préjudices directs liés à ses manquements, de 5 000 euros pour préjudice moral/perte de marché, ainsi que d'une indemnité de procédure de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Au soutien de son appel, elle soutient que M. [F] a engagé sa responsabilité au titre de différents manquements à son rôle d'assistance et de conseil, et à sa mission de tenue des comptes et d'établissement des déclarations fiscales, qui sont apparus à l'occasion du redressement fiscal ou ont été relevés par le nouveau cabinet d'expertise comptable.

Elle lui reproche ainsi, alors qu'il était l'expert comptable de la société depuis sa création en 2006, de ne pas avoir suffisamment formé le gérant et les salariés qui intervenaient pour la tenue des pièces comptables sur les procédés et bonnes pratiques.

Elle conteste que l'intimé n'ait pas disposé de toutes les pièces nécessaires à l'exercice de sa mission comme il le prétend, relevant qu'il n'a pas usé de la faculté qui lui était ouverte de demander la suspension de sa mission pour manquement de son client à ses obligations, et qu'il ne l'a pas non plus sommée de produire les pièces manquantes, lui ayant seulement adressé deux ou trois courriels sur la période de trois ans ayant fait l'objet du contrôle fiscal.

Elle ajoute qu'il ressort de la proposition de rectification du 25 janvier 2016 que l'assiette de la TVA était juste, mais qu'elle n'a pas été déclarée sur les périodes d'encaissements, alors que M. [F] disposait pourtant des relevés bancaires qui lui étaient régulièrement communiqués, ainsi qu'en témoigne l'épouse du gérant dont le témoignage est parfaitement recevable, et n'a pas été argué de faux, et que le redressement a été opéré par le croisement des données qui étaient en possession de l'expert comptable.

L'appelante relève en outre que le redressement a, notamment, porté sur un volant de TVA déduit à tort, ainsi que sur la déduction de différents postes de charges, tels que frais de repas, cadeaux à la clientèle (...), ce que l'administration a qualifié d'acte anormal de gestion, sans que l'expert comptable n'alerte le gérant sur l'absence de déductibilité ou sur l'absence de justificatifs, et qu'il ne l'a pas davantage alerté sur les conséquences des retards dans le dépôt des déclarations, ni ne l'a informé de la possibilité de corriger d'éventuelles erreurs par des déclarations rectificatives ou complémentaires.

La société Damophi soutient que le préjudice découlant directement de ces manquements n'est pas limité au seul quantum des pénalités, intérêts et majorations mis à sa charge dans le cadre du redressement, mais doit aussi prendre en compte la perte de chance d'avoir pu récupérer la TVA déductible de 2012 du fait de la prescription, le décalage de sa trésorerie par l'absence de demande de remboursement auprès de l'administration fiscale de l'ensemble de la TVA déductible pour les années postérieures, la perte de chance d'avoir pu réaliser des économies tant sur les missions facturées par le cabinet [F] qui ont été mal exécutées, que sur le coût du redressement, ainsi que les démarches ultérieures de régularisation facturées par le nouvel expert-comptable

La société Damophi prétend en outre avoir perdu un contrat important faute d'avoir pu produire une attestation de régularité fiscale, et avoir dû souscrire un emprunt pour être en mesure de faire face aux conséquences du redressement fiscal, cet emprunt ayant été garanti par le cautionnement solidaire du gérant et de son épouse avec affectation hypothécaire.

*

Par conclusions transmises par voie électronique le 1er juin 2021, M. [F] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, et de condamner la société Damophi au paiement de la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel, en sus des entiers dépens d'appel. Subsidiairement, il demande à la cour de constater que la société Damophi a une part de responsabilité et que le préjudice indemnisable ne peut être que la perte d'une chance d'avoir pu ne pas être exposée à payer la somme de 9 692 euros, et de débouter la société Damophi de sa demande de dommages et intérêts en ce qu'elle excède 15 % de ce montant.

L'intimé conteste toute faute de sa part. Il rappelle qu'il n'est tenu que d'une obligation de moyens, et qu'il lui appartient de remplir sa mission dans la limite des informations transmises par son client qui est tenu d'un devoir de coopération à son égard.

Il conteste avoir disposé, en temps utile, de tous les documents nécessaires à l'exercice de sa mission, soulignant qu'il ne tenait pas la comptabilité de l'entreprise qui était tenue par le gérant ou son épouse, et invoque les nombreuses relances qu'il a dû adresser à ces derniers.

Il prétend avoir dû faire des listes de factures/avoirs car certains clients étaient aussi des fournisseurs et que les paiements se faisaient par compensation sans tenir compte de la TVA, qu'il n'était pas informé des recouvrements par bordereaux Dailly, qu'il ne disposait, le plus souvent, des justificatifs de TVA collectée et de TVA déductible qu'au moment de la révision annuelle des comptes, et qu'il devait procéder lui-même à des recherches auprès des fournisseurs et clients pour obtenir les informations nécessaires, le témoignage de Mme [G], qui est l'épouse du gérant et à donc un intérêt personnel au litige, ne pouvant être reçu.

Subsidiairement, il estime que par sa négligence la société Damophi a contribué au moins partiellement à la survenance de son dommage, ce qui justifie un partage de responsabilité, celle-ci ne rapportant pas la preuve de la transmission des documents nécessaires, et n'établissant pas que, si elle avait été plus amplement alertée de ses obligations, elle aurait modifié ses pratiques.

M. [F] conteste en outre le lien de causalité entre la minoration du chiffre d'affaires, qui était manifestement volontaire de la part de la société Damophi qui avait besoin de trésorerie, et qui était coutumière de ce type d'agissement pour avoir déjà fait l'objet d'un précédent redressement fiscal à ce titre, et le préjudice allégué. Il souligne notamment que l'emprunt a été contracté plus d'un an après l'avis de mise en recouvrement et en excède largement le montant, et que la prétendue annulation d'un marché pour n'avoir pu présenter une attestation de régularité fiscale n'est pas démontrée.

L'intimé soutient enfin que la société Damophi n'établit pas avoir payé le montant du redressement et qu'en tout état de cause, les dépenses supplémentaires qu'elle a supportées sont les majorations et pénalités à hauteur de 9 692 euros, et que son préjudice s'analyse en une perte de chance de n'avoir pu éviter de payer cette somme, ce qui suppose qu'il soit tenu compte de l'avantage procuré par le fait d'avoir conservé la disposition des sommes éludées.

Compte tenu du partage de responsabilité, le préjudice serait tout au plus de 15 % de ce montant.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 7 décembre 2021.

MOTIFS

Il ressort clairement de sa lettre de mission que M. [F], expert comptable, était en charge de la gestion de la TVA pour le compte de la société Damophi et notamment de l'établissement des déclarations mensuelles de TVA que devait souscrire la société, la TVA étant exigible lors de l'encaissement des acomptes, du prix et de la rémunération, au regard de l'activité exercée par la société.

Il ressort de la proposition de rectification du 25 janvier 2016, portant sur les exercices clos au 31 décembre 2013 et au 31 décembre 2014, la proposition de rectification du 17 décembre 2015 concernant l'exercice 2012 n'étant pas versée aux débats, que s'agissant de la TVA, le redressement trouve son origine dans une insuffisance de déclaration et dans des déductions opérées à tort, la société n'ayant pas déclaré sur ses déclarations CA3 toute la TVA collectée sur les opérations encaissées, et la TVA ayant été récupérée à tort sur un véhicule de tourisme. L'administration a en outre relevé que la société n'avait pas porté intégralement sur les déclarations CA3 les opérations à auto- liquider afférentes à la période vérifiée, ce qui a conduit l'administration à appliquer deux amendes respectivement de 98 euros et 608 euros. S'agissant de l'impôt sur les sociétés, le redressement pour ces deux exercices trouve son origine dans des déductions de charges injustifiées concernant :

- des cadeaux faits à la clientèle,

- des charges non justifiées,

- des factures ne revêtant pas un caractère professionnel,

- de très nombreux frais de repas, 'tous ne revêtant pas à l'évidence un caractère professionnel eu égard à leur nombre et leur montant', s'agissant notamment des repas quotidiens du dirigeant,

- l'absence d'intérêts sur les avances consenties au dirigeant, à hauteur de 23 030 euros en 2013, ce qui constitue selon l'administration un acte de gestion anormale.

Si l'expert comptable n'est tenu que d'une obligation de moyens dans l'exercice de sa mission, laquelle trouve ses limites dans les documents et informations fournis par son client, il lui appartient cependant d'exiger de celui-ci la transmission des documents et informations qui feraient défaut, surtout lorsque, comme M. [F], il est en charge de l'établissement des déclarations de TVA mensuelles mais aussi d'une mission d'assistance à la tenue comptable.

Contrairement à ce qu'a retenu le premier jour, il n'appartient pas à la société Damophi de démontrer avoir fourni à M. [F] tous les éléments nécessaires pour l'établissement de ses déclarations mensuelles de TVA, mais à l'intimé, qui prétend que les insuffisances de déclaration révélées par le contrôle fiscal, seraient dues à la carence de la société qui ne l'aurait pas mis en mesure de remplir sa mission en s'abstenant de lui fournir les documents nécessaires, de l'établir, en justifiant des nombreuses relances qu'il prétend lui avoir faites.

A cet égard, force est de constater que bien qu'il affirme n'avoir, le plus souvent, disposé des justificatifs de TVA collectée et de TVA déductible qu'au moment de la révision annuelle des comptes, et avoir adressé de multiples relances à sa cliente, M. [F] produit seulement trois courriers électroniques adressés au gérant de la société Damophi respectivement les 20 septembre 2011, 23 février 2012 et en juillet 2014 (réponse du gérant le 18 juillet 2014) pour solliciter des pièces manquantes, l'un de ces courriels étant antérieur à la période contrôlée.

En outre, si en 2011 et 2014 les demandes de l'intimé portaient sur la justification de remises de chèques et de virements au profit de la société, par contre celle de février 2012 ne se rapportait pas à la communication de factures qui auraient été omises pour justifier des encaissements mais à la justification des bénéficiaires de chèques émis par la société, ces messages attestant au surplus du fait que l'expert comptable disposait des relevés de compte bancaires de la société comme l'affirme l'appelante.

Si M. [F] établit par ailleurs avoir sollicité des informations auprès de fournisseurs et clients de la société Damophi, par la production de deux courriers électroniques adressés respectivement le 20 février 2012 à la société Expresso et le 11 décembre 2013 à la société Günther France, il ressort cependant de ces courriels que M. [F] leur écrivait 'avec l'accord de M. [G]', gérant de la société, de sorte que l'intimé ne peut raisonnablement soutenir avoir dû procéder lui-même à des recherches du fait de la carence de l'appelante, alors qu'il ne justifie pas avoir, préalablement à l'envoi de ces courriers électroniques, vainement tenté d'obtenir de celle-ci les informations nécessaires à la réalisation de sa mission.

Au contraire, il sera relevé que le courrier électronique adressé le 20 février 2012 à la société Expresso lui demandant la communication d'un relevé des comptes de la société Damophi au sein de cette société, 'afin de vérifier la correspondance de nos comptes avec les vôtres' est antérieur au courriel adressé à la société Damophi pour solliciter des éléments complémentaires.

En outre, il apparaît que les 25 et 30 mars 2012, M. [G], gérant de la société Damophi, faisait part à M. [F] de son incompréhension concernant les montants qui restaient dus par la société au titre de la TVA 2011 et lui demandait des explications et le cas échéant, de faire une demande de 'paiement fractionné', indiquant attendre par ailleurs une réponse 'sur tous les mails envoyés en mars', ces messages étant restés sans réponse, selon l'appelante qui n'a pas été contredite sur ce point.

Enfin, si lors de l'établissement des comptes annuels de l'exercice clos au 31 décembre 2012, M. [F] a effectivement relevé une discordance entre le chiffre d'affaires et la TVA déductible déclarés dans les formulaires CA3 et la comptabilité, faisant apparaître un montant à payer de 11 424 euros, et s'il indiquait à M. [G] qu'il l'appellerait avant la télétransmission de la déclaration CA3, il n'est toutefois ni précisé ni justifié des suites apportées à ce constat, aucune déclaration complémentaire ou rectificative n'ayant en effet été établie, alors même qu'il ressort de la réponse de l'administration fiscale à la réclamation contentieuse de la société qu'une régularisation aurait pu intervenir avant le délai de péremption expirant 31 décembre 2014.

Il s'évince de l'ensemble de ces constatations, que non seulement M. [F] a manqué à son obligation de vigilance lors de l'établissement des déclarations mensuelles de TVA, alors même que, comme il l'indique lui-même, la société Damophi avait déjà fait l'objet en 2010 d'un redressement fiscal pour insuffisance de déclaration de TVA au titre de l'exercice 2009, période à laquelle il était déjà l'expert comptable de la société ce qui aurait nécessairement dû l'inciter à un contrôle accru, mais qu'il a également manqué à son devoir d'assistance et de conseil en s'abstenant d'attirer l'attention de sa cliente sur les conséquences des discordances qu'il relevait en matière de déclaration de TVA et de l'informer sur les possibilités éventuelles de régularisation, ainsi qu'en s'abstenant de l'alerter sur le caractère contestable de certaines déductions de charges opérées qu'il a pourtant validées ou de certaines pratiques telle que les compensations opérées à l'égard de ses fournisseurs sans tenir compte de la TVA.

Ces manquements sont de nature à engager la responsabilité contractuelle de M. [F] à l'égard de la société Damophi.

M. [F] ne démontrant pas avoir réclamé à sa cliente les documents et informations qui lui étaient nécessaires au bon exercice de sa mission, aucune mise en demeure ne lui ayant été adressée, et n'ayant pas non plus fait usage de la faculté de suspendre sa mission prévue dans le contrat dans cette hypothèse, alors même qu'il invoque une carence récurrente de sa part, aucune faute de cette dernière justifiant un partage de responsabilité n'est donc caractérisée.

M. [F] sera donc déclaré entièrement responsable du préjudice subi par la société Damophi lequel s'analyse en une perte de chance d'avoir pu éviter d'avoir à supporter des majorations et pénalités suite au contrôle fiscal. Si il est fortement probable que la société Damophi, dûment conseillée, aurait procédé à une régularisation pour l'exercice 2012, il n'est toutefois pas certain qu'elle aurait été en mesure de produire toutes les pièces justificatives nécessaires, le redressement relatif à la déduction de charges non justifiées ayant en effet donné lieu à un dégrèvement partiel du fait de l'absence de production de tous les justificatifs attendus, ni qu'elle aurait modifié certaines de ses pratiques s'agissant notamment des compensations opérées à l'égard de ses fournisseurs sans tenir compte de la TVA. En l'état des éléments d'appréciation dont la cour dispose, la perte de chance peut être évaluée à 75 %.

La société Damophi sollicite un montant de 15 000 euros au titre de son préjudice financier direct incluant les pénalités, la perte de récupération de TVA déductible et les honoraires inutilement exposés.

M. [F] oppose à juste titre qu'il convient de tenir compte de l'avantage de trésorerie dont a bénéficié la société qui a conservé la jouissance des sommes correspondant aux montants des redressements jusqu'à la date du paiement, ce qui conduit à exclure de la réparation les intérêts de retard qui sont compensés par cet avantage et ne constituent donc pas un préjudice.

Seules seront donc retenues les majorations mises à la charge de la société Damophi à hauteur de 7 940 euros, après dégrèvement, qu'elle n'aurait pas eu à acquitter si elle avait pu éviter le redressement, ainsi que les amendes pour défaut de déclaration de la TVA autoliquidée (98 + 608 euros), soit un montant total de 8 646 euros. Après application du taux de perte de chance de 75 %, un montant de 6 484,50 euros sera alloué à la société Damophi.

Il ressort par ailleurs de la réponse de l'administration du 13 décembre 2016, suite à la réclamation contentieuse de la société Damophi, que la régularisation au titre de la TVA déductible de l'exercice 2012 aurait pu porter sur un montant de 226,48 euros, il sera donc alloué à l'appelante une indemnité correspondant à 226,48 x 75% = 169,86 euros, correspondant à la perte de chance d'avoir pu obtenir une régularisation à ce titre en 2012.

M. [F] ne conteste pas sérieusement devoir supporter les frais supplémentaires nécessités par les démarches qui ont été nécessaires à la régularisation. Le montant de la facture émise à ce titre le 5 août 2017, par la société Cinq plus, sera donc mise à sa charge à hauteur de 280,80 x 75 % = 210,60 euros.

Il n'est par contre pas justifié des autres chefs de préjudice allégués. En effet, M. [F] observe à juste titre que l'emprunt contracté par la société Damophi le 13 juin 2017, s'il a pu permettre à la société de régler le 13 juillet 2017 les montants dus au titre du redressement ainsi qu'elle en justifie, porte sur un montant en principal de 80 000 euros représentant près du double du montant du redressement, et a également pour objet le rachat d'un prêt professionnel, de sorte que le lien de causalité entre la souscription de cet emprunt et les manquements reprochés à M. [F] n'est pas démontré.

La société Damophi sollicite enfin 5 000 euros au titre de la perte d'un marché et préjudice moral. S'il est établi que le 19 avril 2017 une commande émanant de Manurégion a été annulée, les motifs de cette annulation ne sont pas précisés et il n'est pas démontré qu'ils seraient en lien avec l'absence de production d'une attestation de régularité fiscale.

La demande ce chef sera donc rejetée.

Il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Damophi, et d'allouer à cette dernière une somme totale arrondie à 6 865 euros à titre de dommages et intérêts. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt conformément à l'article 1231-7, alinéa 2 du code civil.

Le jugement entrepris étant infirmé en ses dispositions principales, il le sera également en celles relatives aux dépens et frais irrépétibles. En considération de la solution du litige, M. [F] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société Damophi une indemnité de procédure de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 15 octobre 2020 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE M. [V] [F] à payer à la SARL Damophi la somme de 6 865 € (six mille huit cent soixante-cinq euros) à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

DEBOUTE la SARL Damophi du surplus de sa demande ;

CONDAMNE M. [V] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la SARL Damophi la somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE M. [F] de sa demande sur ce fondement.

Le greffier,La président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03235
Date de la décision : 14/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-14;20.03235 ?
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