CKD/KG
MINUTE N° 22/846
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 11 Octobre 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02179
N° Portalis DBVW-V-B7F-HSIG
Décision déférée à la Cour : 19 Mars 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SCHILTIGHEIM
APPELANT :
Monsieur [X] [N]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Olivier PHILIPPOT, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIMEE :
S.A.S. J.J. KIEFFER SERVICES
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 313 79 1 1 39
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Philippe WITTNER, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. EL IDRISSI, Conseiller
Mme ARNOUX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [X] [N] né le 04 août 1935 a été embauché par la société J.J Kieffer Services, en qualité de chef de cuisine position cadre à compter du 1er octobre 1999. Il était également associé minoritaire à hauteur de 25 % de la société holding, gérant la SAS J.J Kieffer Services.
Monsieur [X] [N] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 27 avril 2016, puis il a été licencié le 09 mai 2016 pour insuffisance professionnelle.
Le 25 avril 2017 le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Schiltigheim aux fins de contester son licenciement, et d'obtenir diverses sommes à titre de rappel de salaire et de primes, de contrepartie financière de la clause de non-concurrence, et d'indemnités de rupture, dont 72.250 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 19 mars 2021 le conseil de prud'hommes a :
- rejeté l'exception de prescription pour les primes de 2014 à 2016,
- condamner la société à lui payer 7.602,53 € bruts, outre les congés payés,
- fixé le salaire de référence à 5.745,75 € brut,
- dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
- dit et juge que l'employeur reste redevable de 4.299,02 € de titre de l'indemnité de licenciement,
- déboute le salarié de sa demande de dommages et intérêts,
- déboute le salarié de sa demande au titre de la clause de non-concurrence de droit local,
- dit et juge que la clause de non-concurrence n'est pas valable au titre du code du travail, et déboute le salarié à ce titre,
- déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les parties supporteront chacune leurs frais et dépens.
Le 22 avril 2021, Monsieur [X] [N] a interjeté appel de cette décision qui lui a été notifiée le 1er avril 2021.
Aux termes de ses dernières écritures transmises par voie électronique le 04 novembre 2021, Monsieur [X] [N] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il rejette l'exception de prescription. Il demande à la cour statuant à nouveau :
À titre principal
- Fixer le salaire de référence à 6.030,33 €,
- Condamner la société JJ Kieffer Services à lui payer les sommes de :
* 14.720 € au titre de rappel de prime d'objectif de 2014 à 2016,
* 1.472 € au titre des congés payés afférents,
* 5.860,07 € au titre de rappel d'indemnité de licenciement,
* 79.762,46 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 34.486,50 € à titre d'indemnité de non-concurrence,
À titre subsidiaire
- Confirmer le salaire de référence de 5.474,75 €,
- Confirmer les rappels de salaire pour la prise d'objectif, les congés payés afférents, et le rappel de l'indemnité de licenciement,
- Condamner la société à lui payer 38.412,56 € à titre de dommages et intérêts au titre de la clause de non-concurrence illicite,
En tout état de cause
- Condamner la société à lui payer 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions transmises par voie électronique le 23 septembre 2021, la SAS JJ Kieffer Services demande à la cour de :
- Déclarer irrecevable la demande nouvelle relative à la clause de non-concurrence,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a alloué un rappel de prime sur objectifs de 7.602,53 €, des congés payés afférents de 760,23 €, et une indemnité supplémentaire de licenciement de 4.299,02 €,
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,
- Condamner l'appelant à lui payer 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 31 mai 2022.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère, en application de l'article 450 du code de procédure civile, aux écritures précitées.
MOTIFS
I. Sur les primes sur objectif 2014, 2015, et 2016
- Sur la prescription
A titre subsidiaire, la SA JJ Kieffer Services fait valoir que le salarié a saisi le conseil des prud'hommes en mai 2020 de sorte que les demandes de paiement des primes antérieures de plus de trois ans, de 2014, 2015 et 2016 sont prescrites.
En effet en application de l'article L 3245-1 du code du travail l'action en paiement ou répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu, ou aurait dû connaître les faits, lui permettant de l'exercer.
Le texte ajoute cependant que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour, ou lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.
En l'espèce Monsieur [X] [N] a été licencié le 09 mai 2016.
Par conséquent ayant saisi le conseil des prud'hommes le 25 avril 2017, le salarié était à cette date bien fondée à réclamer le paiement des salaires et primes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail le 09 mai 2016. Par conséquent ses demandes de paiement des primes de 2014, 2015, et 2016 ne sont pas prescrites. C'est donc à juste titre que le conseil des prud'hommes a rejeté l'exception prescription, le jugement est confirmé sur ce point.
- Sur les primes sur objectifs 2014, 2015, et 2016
L'article 6 du contrat de travail signé le 30 septembre 1999 dispose que Monsieur [N] percevra une rémunération annuelle brute de 340.000 Francs sur 12 mois : " en sus de cette rémunération vous pourrez percevoir une prime annuelle d'un montant maximum de 30 000 Frs. Cette prime sera attribuée en fonction d'objectifs annuels qualitatifs préalablement définis. ".
Par un avenant du 21 décembre 2000, applicable à partir du 1er janvier 2001 les parties ont convenu, s'agissant de la rémunération que le salarié percevra une rémunération brute de 4.319,49 € décomposée à hauteur de 4.051,66 € au titre de 217 jours de travail effectif, et de 267,83 € au titre de l'indemnité différentielle destinée à maintenir le pouvoir d'achat.
La société Kieffer fait valoir que l'article 3 de l'avenant précise qu'il annule et remplace toutes les dispositions antérieures ayant le même objet, de sorte qu'aucune prime sur objectifs n'est due, et que si elle a été versée c'est dans un cadre purement libéral, sans obligation contractuelle, ou autre.
Il est relevé d'une part que l'avenant du 21 décembre 2000 prend effet à la date de l'avenant à l'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail signé le 1er janvier 2001, et d'autre part que cet avenant annule et remplace toutes dispositions précédentes " ayant le même objet ". Or le paiement de prime sur des objectifs qualitatifs préalablement définis est sans lien avec la réduction du temps de travail, de sorte qu'il ne peut être considéré que l'avenant du 21 décembre 2000 annule la disposition contractuelle concernant la prime d'objectifs.
Ce constat est confirmé par le maintien du paiement de cette prime postérieurement à l'entrée en vigueur de l'avenant.
Il résulte de la procédure que Monsieur [N] a en effet perçu les montants suivants au titre de la prime sur objectif :
- 2.585 € pour les objectifs 2011,
- 4.500 € pour les objectifs 2012 en deux versements,
- 7.300 € pour les objectifs 2013,
- 4.333 € pour les objectifs 2014,
- 0 € pour les objectifs 2015 et 2016.
En revanche la prime a contractuellement été fixée à un montant maximum de 30.000 Francs soit 4.573 €. Le seul versement, au titre des objectifs 2013, d'un montant de 7.300 € n'entraîne pas en soi une modification des dispositions contractuelles. Il convient de retenir une base de calcul de 4.573 €, et non de 7.300 € tels que sollicité par l'appelant. En revanche le fait pour l'employeur de ne pas fixer d'objectifs en 2015 et 2016, n'est pas de nature à le libérer de son obligation contractuelle.
C'est donc par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le conseil des prud'hommes a alloué à Monsieur [N] une somme globale de 7.602,53 € bruts, outre les congés payés afférents au titre de ces trois années de prime sur objectifs. Le jugement est par conséquent confirmé sur ces points.
- Sur la fixation du salaire mensuel moyen
C'est à juste titre que dans ces conditions le conseil des prud'hommes a fixé le salaire mensuel moyen brut à 5.747,75 € après réintroduction de la prime sur objectifs tel que calculé ci-dessus. Le jugement est confirmé sur ce point, et la contestation du salarié s'agissant de la fixation du salaire moyen de peut-être que rejetée.
II. Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
La lettre de licenciement est connue des deux parties.
Il convient en premier lieu de souligner que le fait que Monsieur [N] dispose d'une ancienneté de 17 ans dans une société florissante, et qu'il avait une notoriété incontestable, n'exclut pas en soi qu'au cours des derniers mois de son activité une insuffisance professionnelle ait pu se révéler. Sa contestation n'est, sur ce point, pas pertinente.
La société Kieffer reproche à Monsieur [N] une très nette dégradation des prestations relevant de sa sphère de compétence de chef de cuisine dirigeant l'ensemble du pôle cuisine, au cours des derniers mois.
- Sur la dégradation des prestations culinaires au cours des derniers mois
L'employeur cite la perte d'un important client l'Ircad au cours du second trimestre 2015, sans que Monsieur [N] ne prenne " aucune option de révision de la situation ".
Ce grief est établi par le courriel du 06 juillet 2015 de Madame [Z] [L] informant la société intimée de sa décision dès la rentrée de confier l'ensemble des repas à un confrère pour les motifs suivants : " si la qualité du service a toujours été irréprochable (notamment grâce à [Y]) à l'inverse le niveau de prestations culinaires s'est dégradé de manière notable, ce qui a suscité de multiples plaintes de la part des chirurgiens en formation. "
De la même manière l'employeur reproche à Monsieur [N] la dégradation des prestations culinaires lors du salon mondial de l'horlogerie à Bâle, et verse aux débats les questionnaires remplis par les exposants. Ainsi les Montres Perrelet cochent le 31 mars 2016 la case de mécontentement maximum pour la présentation, la saveur et la quantité s'agissant des pièces cocktail, des entrées, du plat principal, et des desserts, soit l'ensemble des quatre prestations culinaires. Dans l'évaluation postérieure du 05 avril 2016 la société coche toujours un mécontentement maximum pour le plat principal et les desserts en écrivant : " viande pas cuite la première livraison (') mets trop originaux en début de salon au détriment du goût, nous étions davantage satisfait en 2015. (')". La conclusion du client est : " Nous ne ferons plus appel aux services de Kieffer ".
Un autre exposant la société Messika se déclare très insatisfaite de la qualité de la décoration et de la mise en scène de la restauration, ainsi que des pièces cocktail et note : " des clients mécontents lors des RDV commerciaux quant à la qualité/ hygiène et fraîcheur des produits !!!!!!!! ".
Monsieur [N] conteste la perte de clients de son fait, ainsi que la perte de bénéfices en faisant notamment valoir que les exposants ont déserté l'événement Basel Word au profit du salon de Genève ce qui ne saurait lui être reproché. Il affirme que les évaluations des clients sont très subjectives, et que si certains les apprécient mettant une note de 20/20, d'autres notent 0/20 pour la même prestation, il fait enfin valoir que le dirigeant de la société a émis des félicitations.
Il apparaît certes que le choix d'un autre salon ne peut lui être reproché, mais qu'en revanche les reproches très concrets concernant la qualité et l'hygiène ou la fraîcheur des produits, ou encore une cuisson insuffisante des viandes relèvent bien de la compétence de Monsieur [N]. Par ailleurs le client Perrelet fait très clairement le lien entre son insatisfaction, et sa décision de changer de traiteur.
- Sur le manque de maîtrise et de contrôle des pratiques d'hygiène et de sécurité alimentaire.
Dans la lettre de licenciement l'employeur vise expressément les audits de 2015 " qui ont largement fait valoir les points noirs de la cuisine ", et il souligne l'absence de correction par exemple pour un suivi insuffisant des DLC et DLUO, le non-respect des réglementations en termes d'enregistrement des paramètres de cuisson, la persistance de difficultés en matière d'hygiène corporelle et vestimentaire des cuisiniers, une absence de présence aux formations hygiène et sécurité alimentaire, et notamment l'absence aux rencontres annuelles des chefs.
L'employeur verse aux débats deux audits des 30 janvier 2014, et 06 février 2015 qui mettent en relief un certain nombre de dysfonctionnements aboutissant pour le premier contrôle, à une note générale du 14,40 sur 20 avec 37 remarques dont 16 non conformités majeures. Force est de constater que l'année suivante la moyenne a encore baissé à 13,64 (note globale) et les remarques ont été portées au nombre de 64 dont 10 non-conformités majeures.
Ainsi entre 2014 et 2015 Monsieur [N] n'a pas redressé la situation, mais en outre la dégradation des prestations s'est poursuivie tel qu'expliqué ci-dessus en 2015 et 2016 entraînant le mécontentement de clients en juillet 2015, et en mars-avril 2016.
- Sur le manque de maîtrise de la gestion du personnel
L'employeur reproche à Monsieur [N] un manque de maîtrise dans la gestion du personnel, des horaires de travail, et dans l'application des règles sociales en relevant notamment qu'en avril 2016 il a fait travailler un collaborateur 17,5 heures d'affilée incluant un déplacement à [Localité 5] suivi de 5 heures de repos, puis à nouveau de 8h30 de travail au labo. Il énonce dans la lettre de licenciement que depuis le début de l'année, le temps de travail hebdomadaire maximum de 48 heures a été dépassé à 26 reprises, et 76 fois en 2015, alors que ceci lui a été signifié par écrit à plusieurs reprises.
Monsieur [N] réplique que la société est elle-même responsable de ces manquements dès lors qu'il a demandé l'embauche de personnel supplémentaire ce que la société a toujours refusé pour ne pas augmenter les charges, et le seuil de 50 salariés. Il affirme que les décisions sont à cet égard prises par Monsieur [J] [C] parfaitement informé de la surcharge de travail des salariés, surcharge qu'il encourageait même, alors que lui-même se plaignait du manque de personnel.
Monsieur [N] verse en effet aux débats des échanges de mails avec Monsieur [J] [C] en octobre 2014 qui écrit ne pas souhaiter dépasser le nombre de 50 salariés, et préconise l'embauche d'extras en remplacement des absents.
Il verse également aux débats le mail du directeur administratif et financier du 15 juillet 2015 qui dénonce le nombre de dépassements de la limite de 48 heures de travail hebdomadaire la semaine du 6 au 12 juillet.
Mais en revanche en aucun cas le directeur général Monsieur [J] [C], n'encourage la surcharge de travail, bien au contraire.
En effet il apparaît que ce dernier a dès le 20 juillet 2015 répondu à l'ensemble des interlocuteurs, dont Monsieur [N], qu'une réunion serait organisée le lendemain sur la problématique des heures supplémentaires, et qu'il dénonçait le dépassement des horaires, en écrivant notamment : " cela a un impact direct sur la santé des collaborateurs il n'est pas possible de faire travailler les gens de la sorte. Certains collaborateurs ont déjà accumulé 235 heures sups depuis le début de l'année alors que d'autres dans le même service sont à peine à 30. La polyvalence doit absolument être développée, les horaires décalés également, la charge de travail analysée par le chef de service et les renforts mis en place. Il est impératif que vous sortiez du mode de fonctionnement actuel qui est basé sur les heures supplémentaires. ".
Monsieur [N] a le 21 juillet 2015 proposé de tester des CDD en place des renforts, et il est exact que cela n'a pas été accepté par la société pour des raisons de rentabilité économique. Pour autant le salarié ne prend pas position sur les autres propositions de Monsieur [C] à savoir le développement de la polyvalence, les horaires décalés, une analyse de la charge de travail, et la mise en place de renforts.
Dans son mail du 21 avril 2016 Monsieur [C], là encore contrairement aux affirmations de l'appelant, dénonce à nouveau : " faire travailler les gens dans ces conditions n'est pas humain et pas légal ". Il reproche notamment à Monsieur [N] son manque d'anticipation des ressources humaines pour la prestation " jour de marché " ainsi que pour le remplacement de [R] qui allait être en arrêt pour une longue période, ce qu'il savait depuis mi-mars. Outre ce manque d'anticipation, il lui est reproché d'avoir fait travailler le dénommé [E] dans les conditions décrites dans la lettre de licenciement. Ce manque d'anticipation n'est pas contesté et relève bien de la compétence du chef de cuisine ce que rappelle le directeur général en écrivant : " votre rôle est d'organiser les équipes de sortes à les faire travailler dans des conditions normales à savoir 11 heures maximum par jour, 11 heures de repos entre deux jours de travail et 48 heures maximum par semaine. Rien ne justifie de tels écarts. ".
Monsieur [N] dénonce le fait que ce mail date du 21 avril 2016, soit une semaine après la convocation à l'entretien préalable par courrier daté du 14 avril 2016. Il apparaît cependant d'une part que l'entretien lui-même s'est déroulé le 27 avril 2016, et d'autre part que les faits visés dans ce courriel et repris dans la lettre de licenciement concernent d'importants dépassements des 7 et 14 mars s'agissant du dénommé [E], ou d'autres dépassements depuis le début de l'année, et enfin sont pour d'autres énoncés dans un mail de 20 juillet 2015.
Il résulte par conséquent de ce qui précède que ce grief est bien constitué en ce que l'attention du salarié, en sa qualité de chef de cuisine, avait par le passé déjà été attirée sur les dépassements de la durée légale de travail par les salariés de son équipe, sans qu'il n'y remédie, ou énonce clairement à l'employeur l'impossibilité de mettre en 'uvre les méthodes suggérées, et enfin sans qu'il n'établisse que l'employeur soit responsable de ces dépassements.
- Sur le caractère fautif des griefs
Compte tenu des manquements allégués par l'employeur dans la lettre de licenciement, c'est à juste titre que le conseil des prud'hommes a requalifié l'insuffisance professionnelle en faute simple.
L'appelant soutient que les fautes retenues par le conseil de prud'hommes sont non établies, mais également prescrites. Il reproche aux premiers juges d'avoir retenu des griefs prescrits de 2010, 2011, 2014 et 2015 pour caractériser une faute.
L'article L 1332-4 du code du travail énonce en effet une prescription de deux mois du fait fautif. Cependant il convient de rappeler que le texte précise qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois, de sorte que si un fait fautif de moins de deux mois est poursuivi, l'employeur est autorisé à invoquer des faits plus anciens. Tel le cas en l'espèce s'agissant de faits qui se sont notamment déroulés les 7 et 14 mars 2016, suivis d'une convocation à l'entretien préalable du 14 avril 2016, soit dans le délai de deux mois, autorisant l'employeur à invoquer des faits antérieurs de 2014 et 2015.
C'est donc à tort que Monsieur [N] soulève la prescription des faits ci-dessus retenus.
- Sur les conséquences financières
Au regard du salaire de référence justement fixé par le conseil des prud'hommes, le jugement doit être confirmé s'agissant de la condamnation de l'employeur à payer un solde d'indemnité de licenciement de 4.299,02 € avec les intérêts légaux à compter du jugement.
Il sera également confirmé en ce que la demande de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse est rejetée.
III. Sur la contrepartie financière de la clause de non-concurrence
- Sur la recevabilité de la demande
La société intimée invoque l'irrecevabilité de la demande qui serait nouvelle car soulevée la première fois en cours d'instance prud'homale, mais après l'introduction de la demande.
En effet selon l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles, ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Or la mise en 'uvre de la clause de non-concurrence est générée par la rupture du contrat de travail, rupture qui a été contestée devant les premiers juges dès l'origine. Il existe par conséquent un lien suffisant au sens de l'article 70 du code de procédure civile, entre la demande de paiement de l'indemnité de non-concurrence, et la rupture du contrat de travail.
L'exception d'irrecevabilité est par conséquent rejetée, et le jugement complété sur ce point.
- Sur la clause de non-concurrence en droit local
Le contrat de travail prévoit en son article 14 une clause de non-concurrence d'une durée de 12 mois à compter de la cessation de l'activité de Monsieur [N]. En revanche aucune clause contractuelle ne prévoit une contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence.
Considérant qu'embaucher comme salarié par une société commerçante, et affirmant exercer des fonctions commerciales au service de la clientèle, Monsieur [N] soutient avoir le statut de commis commercial, et revendique l'application des dispositions du code de commerce local.
L'article L. 1226-24 in fine du code du travail, définit le commis commercial comme "le salarié qui, employé par un commerçant au sens de l'article L. 121-1 du code de commerce, occupe des fonctions commerciales au service de la clientèle."
Ne peut être assimilé à un commis commercial, le salarié affecté à un poste de responsabilité, accomplissant des tâches excédant la seule fourniture de services commerciaux, et pour l'exécution desquelles il dispose d'indépendance.
En l'espèce, Monsieur [N] a été embauché au sein de l'entreprise en qualité de chef de cuisine, avec un statut cadre. Ainsi il n'occupe pas de fonctions commerciales au service de la clientèle, mais des fonctions techniques de chef de cuisine, ainsi que des fonctions d'encadrement de son équipe.
Dans ces conditions, il n'était pas un commis commercial au sens de l'article susvisé, de sorte que le code de commerce de droit local n'est pas applicable, et que sa demande en paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence sur ce fondement doit bien être rejetée.
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
- Sur la clause de non-concurrence en droit général
Conformément au principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, et à l'article L. 1121-1 du Code du travail, une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié, et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
En l'espèce l'article 14 du contrat de travail prévoit une clause de non-concurrence d'une durée de 12 mois à compter de la cessation de l'activité de Monsieur [N], sans cependant prévoir de contrepartie financière.
Cette clause est par conséquent nulle et de nul effet. C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a jugé que la clause n'est pas valable, mais qu'il n'a en revanche pas tiré toutes les conclusions de cette constatation.
En effet la clause étant nulle, seul le salarié peut se prévoir de cette nullité, et non l'employeur. La nullité de la clause ne prive pas le salarié du droit de réclamer une indemnisation pour avoir néanmoins respecté la clause.
Monsieur [N], réclame une somme de 38.412,56 € à titre de dommages et intérêts pour avoir respecté l'obligation de non-concurrence durant un an, quand bien même la clause était nulle.
La somme réclamée représente la différence entre le salaire qu'il aurait perçu pendant les 12 mois (base de salaire 5.747,75 €) et les allocations chômage perçues à hauteur de 30.560,44 €, et dont il justifie par la production des attestations pôle emploi. Le montant réclamé correspond par conséquent bien au préjudice matériel subi par le salarié. La société intimée doit donc être condamnée à lui payer cette somme à titre de dommages et intérêts, ce qui entraîne la réformation du jugement sur ce point.
IV. Sur les demandes accessoires
Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il rejette toutes les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et a dit que chacune des parties supportera ses propres frais et dépens.
À hauteur de cour la société intimée qui succombe au moins partiellement est condamnée aux dépens de la procédure d'appel, et par voie de conséquence sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejetée. L'équité commande de la condamner à payer à Monsieur [N] une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi
CONFIRME le jugement rendu le 19 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes de Schiltigheim en toutes ses dispositions, SAUF en ce qu'il déboute Monsieur [X] [N] de sa demande au titre de la clause de non-concurrence ;
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
REJETTE l'exception d'irrecevabilité soulevée par la SAS JJ Kieffer Services ;
CONDAMNE la SAS JJ Kieffer Services à payer à Monsieur [X] [N] la somme de 38.412,56 € nets (trente huit mille quatre cent douze euros et cinquante six centimes) à titre de dommages et intérêts pour l'application de la clause de non-concurrence ;
CONDAMNE la SAS JJ Kieffer Services à payer à Monsieur [X] [N] une somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de la SAS JJ Kieffer Services au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS JJ Kieffer Services aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre, et Madame Martine Thomas, Greffier.
Le Greffier, Le Président,