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06/10/2022 | FRANCE | N°22/00792

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 06 octobre 2022, 22/00792


MINUTE N° 374/2022





























Copie exécutoire à



- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY



- la SELARL ARTHUS





Le 06/10/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU 06 Octobre 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/00792 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HY3Sr>


Décision déférée à la cour : 28 Janvier 2022 par le juge de la mise en etat de SAVERNE



APPELANTE :



S.A. SAFER GRAND EST

représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Patricia CHEVALLIER-...

MINUTE N° 374/2022

Copie exécutoire à

- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY

- la SELARL ARTHUS

Le 06/10/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 06 Octobre 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/00792 - N° Portalis DBVW-V-B7G-HY3S

Décision déférée à la cour : 28 Janvier 2022 par le juge de la mise en etat de SAVERNE

APPELANTE :

S.A. SAFER GRAND EST

représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me HERRMANN, avocat à Strasbourg

INTIMÉ :

Monsieur [R] [D]

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3] PAYS-BAS

représenté par la SELARL ARTHUS, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me SULTAN, avocat à Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Franck WALGENWITZ, Président de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Dominique DONATH, faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Franck WALGENWITZ, président et Madame Sylvie SCHIRMANN , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

  

En date du 19 novembre 2020, la SAFER Grand Est s'est vu notifier par Maître [U] [Z], notaire à [Localité 6] une cession de 37 parcelles situées à [Localité 5] appartenant à Monsieur [E] [P], au profit de Monsieur [G] [D] pour un prix de 8000 €.

La SAFER Grand Est a fait valoir son droit de préemption par voie dématérialisée en date du 15 janvier 2021. Monsieur [D] a été avisé de l'exercice de son droit de préemption par la SAFER. L'acte de vente entre Monsieur [P] et la SAFER a été signé par devant Maître [Z], le 6 juillet 2021.

Monsieur [D] a saisi le le 15/07/2021 le Tribunal judiciaire de Saverne en vue d'obtenir d'une part de nullité de la décision de préemption de la SAFER Grand Est du 15 janvier 2021 et d'autre part la condamnation de l'organisme public au versement de dommages et intérêts de 5 000€.

La SAFER Grand Est ayant saisi le juge de la mise en état d'une demande d'irrecevabilité en contestant l'intérêt à agir de Monsieur [D], une ordonnance a été rendue en date du 28 janvier 2022 qui rejetait  « la demande incídente formulée par la SAFER Grand Est » et condamnait  la SAFER Grand Est, outre aux dépens, « à payer à Monsieur [R] [D] la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ».

Le juge de la mise en état avait estimé qu'un accord avait été trouvé sur la chose et le prix entre M. [D] et M. [P], et que l'article 42 de la loi du 01/06/1924 ne rendait pas inopérante la rencontre des volontés, en ce que ses dispositions ne faisaient qu'empêcher « une inscription foncière ».

C'est cette décision qui est critiquée.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La SAFER a interjeté appel de cette ordonnance et demande à la cour de bien vouloir :

INFIRMER en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le Tribunal judiciaire de Saverne en date du 28 janvier 2022,

Statuant a nouveau

DIRE ET JUGER que Monsieur [D] n'a pas d'intérêt à agir en annulation de la préemption de la SAFER Grand Est du 15 janvier 2021,

En conséquence,

DECLARER la demande de Monsieur [D] irrecevable,

CONDAMNER Monsieur [D] à payer à la SAFER Grand Est la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER Monsieur [D] aux entiers frais et dépens,

La partie appelante estime :

- à titre principal, que Monsieur [D] n'a pas d'intérêt à agir en ce qu'il ne justifie pas de sa qualité d'acquéreur évincé au sens de l'article 31 du Code de procédure civile ; la jurisprudence retiendrait que la préemption ne peut être contestée que par un acquéreur évincé, c'est-à-dire une personne pouvant justifier d'un accord non équivoque sur le prix

et la chose avec le vendeur ; au cas d'espèce la simple mention de l'identité de l'acquéreur sur la notification adressée à la SAFER ne suffirait pas à donner au requérant qualité pour agir en nullité,

- subsidiairement, que même si la Cour devait considérer que M. [R] [D] justifiait de sa qualité d'acquéreur évincé, il n'aurait en tout état de cause plus intérêt à agir en raison de la caducité de l'accord sur la chose et le prix, faute pour cet accord d'avoir été réitéré par acte authentique ou fait l'objet d'un action en justice dans les six mois de sa passation.

Contrairement à ce qu'avait décidé le premier juge, l'article 42 de la loi du 1er juin 1924 serait applicable au cas d'espèce. Cette application ne saurait être écartée du fait de l'existence de l'article L 412-8 du Code rural et de la pêche maritime, créé par la loi du 5 août 1980, qui impose un délai de deux mois à la partie qui acquiert par préemption pour régulariser la vente par acte authentique, car ces deux articles n'ont pas la même fonction et ne sont donc pas incompatibles dans leur application.

La Cour de cassation aurait déjà eu l'occasion d'articuler ces deux textes issus respectivement du droit local et du code rural dans une affaire similaire concernant la SAFER.

En conclusion, la SAFER estimait qu'au regard des règles précitées, il appartenait à Monsieur [D], si tant est qu'il disposât d'un accord sur la chose et le prix avec Monsieur [P], de faire régulariser la vente par voie d'acte authentique ou de saisir le Tribunal, conformément aux dispositions de l'article 42 de la loi du 1°' juin 1924 pour préserver cet accord, ce qu'il était abstenu de faire dans le délai requis.

M. [R] [D] concluait pour sa part à la confirmation de l'ordonnance du 28/01/2022 et à la condamnation de la SAFER, outre aux dépens, à lui verser une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il estime :

- qu'il dispose bel et bien de la qualité d'acquéreur évincé, en ce sens qu'il remplit la condition de l'article 1583 du Code civil qui dispose que la vente est parfaite entre les parties dès qu'un accord a été trouvé sur la chose et le prix, accord prouvé par les échanges entre M. [R] [D] et le notaire chargé d'établir l'acte authentique, et la notification par le notaire du projet de vente à la SAFER,

- que l'article 42 de la loi du 01/06/1924 n'est pas applicable au cas d'espèce car il y aurait incompatibilité entre ses dispositions et celles des articles L 143-8 et L 412-8 du Code rural qui imposent au bénéficiaire du droit à préemption de réaliser l'acte de vente authentique dans un délai de deux mois, sous peine de nullité de la préemption ; or le code rural, qui est un texte spécifique, écarte le droit général (le droit local),

- subsidiairement, que même si la Cour estimait que l'article 42 devait trouver application, il y aurait lieu de constater que ses conditions d'application ne sont pas réunies, car aucun compromis écrit n'avait été passé entre M. [D] et le vendeur, M. [P],

- plus subsidiairement encore, seule la caducité de la vente pouvait être prononcée (et non la nullité) de sorte qu'en tout état de cause l'action de M. [R] [D] devrait être déclarée recevable quant à ce qu'elle tendait également à obtenir des dommages et intérêts à hauteur de 5000 €.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises à la cour par voie électronique

- le 18/08/2022 pour M. [R] [D],

- le 23/08/2022 pour la SAFER.

MOTIF DE LA DECISION

1) Sur le sens de la décision du juge de la mise en état et le périmètre de la saisine de la Cour

Saisi d'une requête en vue de voir constater l'irrecevabilité de la demande de Monsieur [G] [D] pour défaut de qualité à agir au sens de l'article 31 du Code de procédure civil, le juge de la mise en état de Saverne s'est contenté dans sa décision du 28/01/2022 de la « rejeter », tout en condamnant la SAFER Grand Est aux dépens et au règlement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La formulation adoptée de « rejet » du juge revient dans les faits à déclarer recevable l'action de Monsieur [G] [D], tant sur sa demande d'annulation de la décision de préemption que sur celle en vue d'obtenir des dommages et intérêts.

La Cour est dès lors appelée à trancher une question de recevabilité pour intérêt à agir au sens de l'article 31 du Code de procédure civile.

2) Sur la la qualité de M. [R] [D] d'acquéreur évincé.

La préemption conduite par la SAFER ne peut être contestée que par un acquéreur réellement évincé, c'est à dire une personne pouvant justifier d'un accord non équivoque avec le vendeur au sens des dispositions de l'article 1583 du Code civil.

Au cas d'espèce, M. [R] [D] produit notamment un mail émanant du notaire en charge de la vente, daté du 15/09/2020, dans lequel ce dernier indiquait écrire « dans le cadre de l'acquisition des 37 parcelles sur la commune de [Localité 5], appartenant à M. [P], moyennant un prix de vente de 8 000 €», avant de préciser « Afin de lancer le dossier, je vous prie de trouver ci joint un questionnaire d'état civil (...) ». Ce mail était suivi de plusieurs mails en réponse de M. [R] [D] (15/09/2020, 16/12/2020...) en vue de connaître l'état d'avancement du dossier.

Ces échanges et la teneur du mail du notaire du 15/09/2020 démontrent qu'un accord a été trouvé entre M. [D] et M. [P] portant sur la chose (les 37 parcelles) et le prix (8 000 €) . En outre si tel n'avait pas été le cas, le notaire n'aurait pas débuté les formalités préalables à la rédaction de l'acte authentique de vente en notifiant ce projet à la SAFER

L'arrêt produit en demande par la SAFER de la Cour d'appel de DOUAI du 23/06/1997 est sans emport sur le cas présent ; en effet, la Cour y a écarté l'intérêt à agir d'un groupement forestier car ce dernier n'avait pas produit de pièces probantes de nature à démontrer qu'il y avait eu accord sur le prix et la chose vendue, avant que le notaire ne notifie le projet à la SAFER. Or dans le présent cas d'espèce, l'échange de mails remontant à septembre 2020 atteste de l'existence d'un tel accord, et ce antérieurement à la notification par le notaire du projet à la SAFER le 19/11/2020.

M. [R] [D] dispose donc bien de la qualité d'acquéreur évincé.

3) Sur l'intérêt à agir de Monsieur [G] [D]

L'article 42 de la loi du 01/06/1924 dispose que tout acte entre vifs, translatif ou déclaratif de propriété immobilière doit être suivi, à peine de caducité, d'un acte authentique ou, en cas de refus de l'une des parties, d'une demande en justice, dans les six mois qui suivent la passation de l'acte. A défaut donc de réitération par acte authentique ou de l'introduction d'une action en justice à cette fin, l'accord, écrit ou oral, passé entre deux parties portant sur un bien immobilier, est caduc au bout de 6 mois.

L'article L 412-8 du Code rural et de la pêche dispose qu'en cas de préemption, son bénéficiaire doit passer l'acte authentique dans les deux mois de la notification au propriétaire de sa décision de préempter.

Ces deux articles ne présentent aucune incompatibilité, l'article du code rural imposant un délai bref pour le préempteur pour réaliser la vente, l'article 42 du droit local fixant une limite de validité de 6 mois de l'accord non encore authentifié; aussi la règle posée par l'article 42 de la loi du 01/06/1924 est parfaitement applicable en l'espèce, et ne saurait être écarté.

Au cas d'espèce, il n'est pas démontré qu'un compromis de vente écrit ait été passé entre M. [P] et M. [D]. Cependant, comme exposé plus haut, il y a bien eu un accord non écrit sur les conditions de cette vente. Il est évident que lorsque le notaire écrivait à Monsieur [G] [D] le 15/09/2020, un accord avait déjà été trouvé entre les particuliers. A défaut d'autres éléments d'information, il y a lieu de fixer la date de l'accord des parties à cette date.

Lorsque Monsieur [G] [D] a assigné la SAFER Grand Est devant le Tribunal judiciaire de Saverne le 15/07/2021, près de 10 mois s'était écoulés depuis la rencontre des volontés. L'accord sur la vente qui en a résulté était dès lors manifestement caduc, Monsieur [G] [D] n'ayant pas contesté en justice la décision de péremption dans le délai des 6 mois posé par l'article 42 de la loi du 01/06/1924.

Dans ces conditions, M. [R] [D] n'a plus intérêt à faire annuler la préemption.

En revanche, il dispose toujours d'un intérêt à agir pour faire constater l'illicéité de la préemption et solliciter de la SAFER des dommages et intérêts, en ce que l'accord est devenu caduc, mais non nul

Par conséquent, il y aura lieu d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a « rejeté » la requête de la SAFER Grand Est, et statuant à nouveau de :

- déclarer irrecevable la demande de M. [R] [D] tendant à l'annulation de la décision de préemption,

- déclarer recevable la demande de Monsieur [G] [D] en vue d'obtenir des dommages et intérêts.

4) Sur les demandes annexes

Les deux parties succombant partiellement, chacune d'elle conservera la charge de ses dépens.

L'équité n'impose par ailleurs pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au cas d'espèce.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré :

- DECLARE recevable l'appel de la SAFER Grand Est,

- INFIRME l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état de Saverne en

date du 28/01/2022 en ce qu'il a rejeté la demande de la SAFER Grand Est,

statuant à nouveau,

- DECLARE irrecevable Monsieur [G] [D] en sa demande d'annulation de la décision de préemption de la SAFER Grand Est portant sur les 37 parcelles objet d'un accord de vente entre M. [D] et M. [P],

- DECLARE recevable Monsieur [G] [D] en sa demande de dommages et intérêts,

- CONDAMNE Monsieur [G] [D] et la SAFER Grand Est à conserver chacun la charge de leurs dépens des procédures de première instance et d'appel,

- REJETTE les demandes de Monsieur [G] [D] et de la SAFER Grand Est fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 22/00792
Date de la décision : 06/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-06;22.00792 ?
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