MINUTE N° 22/449
Copie exécutoire à :
- Me Raphaël REINS
- Me Eric GRUNENBERGER
Le
Le greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
TROISIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRET DU 19 Septembre 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 3 A N° RG 21/01304 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HQX2
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 10 novembre 2020 par le tribunal de proximité de Guebwiller
APPELANT :
Monsieur [W] [O]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Raphaël REINS, avocat au barreau de COLMAR
INTIMEE :
Madame [S] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Eric GRUNENBERGER, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme MARTINO, Présidente de chambre
Mme FABREGUETTES, Conseiller
Madame DAYRE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme HOUSER
ARRET :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Annie MARTINO, président et Mme Anne HOUSER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Madame [S] [T] a vécu en concubinage jusqu'en novembre 2018 avec Monsieur [W] [O] au domicile de ce dernier.
Se prévalant des dispositions de l'article 2276 du code civil et faisant valoir qu'elle a quitté le domicile commun le 6 novembre 2018, emportant avec elle ses chats, dont le nommé Bond James de Fantazi Beast, ci-avant dénommé Bond, qu'elle avait acquis en Ukraine pour être reproducteur au sein de son élevage et qu'elle conserve depuis lors, qu'à l'occasion d'une visite chez le vétérinaire en mars 2019, il est apparu que Bond est identifié dans le fichier I-Cad au nom de son concubin ; que celui-i s'est en effet frauduleusement présenté dans une clinique vétérinaire se présentant comme propriétaire de cet animal qui lui aurait été volé ou qui aurait été perdu et a demandé l'inscription à ce fichier de ce félin à son nom ; qu'il importe, pour que Bond puisse servir comme reproducteur, qu'elle puisse justifier en être propriétaire, Madame [T] a, par assignation délivrée le 18 août 2020, fait assigner Monsieur [O] devant le tribunal de proximité de Guebwiller pour qu'il soit dit qu'elle est propriétaire de Bond, voir ordonner en conséquence au défendeur de lui restituer sous astreinte tous les documents du chat qui sont en sa possession et voir ce dernier condamner aux dépens et à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [O] n'a pas comparu ni personne pour lui.
Par jugement réputé contradictoire en date du 10 novembre 2020, le tribunal ainsi saisi a fait droit aux demandes principales sans toutefois assortir d'une astreinte la condamnation à restituer les documents relatifs au chat Bond, a condamné Monsieur [O] aux dépens et à payer à Madame [T] la somme de 900 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour se déterminer ainsi, le premier juge a retenu que les éléments présentés par la demanderesse, qui est en possession du chat Bond pour l'avoir acquis dans le cadre de son activité d'éleveuse, l'avoir fait participer à diverses manifestations et être sa détentrice initiale, ainsi que mentionné dans le registre I Cad, prévalent sur l'inscription modificative prise le 30 avril 2019.
Monsieur [O] a interjeté appel à l'encontre de cette décision le 10 novembre 2021 et par dernières écritures notifiées le 20 octobre 2021, il demande à la cour de :
Sur l'appel principal
-déclarer l'appel principal recevable bien-fondé,
-faire droit à l'ensemble des demandes, moyens, fins et prétentions de l'appelant,
-déclarer les demandes, moyens fins et prétentions de l'intimée irrecevables en tout cas mal fondés, les rejeter,
-débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes y compris s'agissant de son appel incident,
Corrélativement,
-infirmer le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
-dire et juger que le chat Bond est la propriété de Monsieur [O],
-ordonner à Madame [T] de restituer à Monsieur [O] le chat Bond ainsi que tous les documents le concernant en sa possession sous astreinte de trente euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,
Sur l'appel incident
-déclarer l'appel incident irrecevable en tout cas mal fondé,
-débouter l'intimée de sa demande avant-dire droit,
-débouter l'intimée de l'ensemble des demandes, fins et prétentions
En tout état de cause,
-condamner Madame [T] à payer à Monsieur [O] la somme de 2 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la présente procédure d'appel,
-condamner Madame [T] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel, Monsieur [O], qui se prévaut des dispositions de l'article 2276 alinéa 2 du code civil, fait valoir qu'il est propriétaire du chat Bond pour en avoir payé le prix le 19 septembre 2018 par Western union à son éleveuse ukrainienne ; que Madame [T] qui, lors de son départ le 6 novembre 2018 avait laissé cet animal au domicile de son maître mais l'a, en l'absence de ce dernier, dérobé le 14 novembre 2018 lorsqu'elle est venue récupérer ses affaires, a reconnu au travers de divers messages par « sms » le droit de propriété de son ancien compagnon sur l'animal litigieux ; que la possession de Madame [T] du chat revendiqué est viciée par la mauvaise foi de l'intimée qui ne pouvait ignorer qu'il en était le légitime propriétaire ; que l'intimée n'hésite pas à produire une attestation de complaisance au titre de laquelle il a déposé une plainte pour faux témoignage ; que les pièces justificatives produites par l'adversaire pour tenter d'accréditer le fait qu'elle aurait payé l'animal ne sont pas pertinentes alors même que Madame [T] était à l'époque de l'achat si endettée que lui-même a exposé des sommes très importantes à cette période pour satisfaire aux besoins de sa compagne ; qu'il a initialement déclaré le chat perdu sur la foi des déclarations de Madame [T] qui démentait l'avoir emmené et a de même effectué les démarches afin que le chat soit enregistré à son nom de sorte qu'il puisse être identifié et lui être restitué en cas de découverte.
Par écritures notifiées le 21 juillet 2021, Madame [T] conclut ainsi que suit :
Avant dire-droit
-ordonner avant-dire droit et sous astreinte à Monsieur [O] de produire l'intégralité du SMS qu'il produit en annexe 2,
Sur l'appel principal
-déclarer l'appel recevable bien-fondé
-débouter Monsieur [O] de l'intégralité de ses demandes
Sur l'appel incident formé par Madame [T]
-dire et juger cet appel incident recevable et bien fondé,
-confirmer la propriété de Madame [T] sur le chat Bond,
-confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la production par Monsieur [O] des documents administratifs un originaux afférents au chat Bond,
-infirmer le refus d'assortir l'obligation faite à Monsieur [O] de restituer les documents administratifs en sa possession à savoir : pedigree ukrainien, passeport ukrainien, quittus sanitaire et fiscal avec tampon des vétérinaires sanitaires ukrainiens, document rédigé en ukrainien et en anglais, attestation de Word cat Fédération, sous astreinte de 100 euros par jour et par document, que la cour d'appel se réservera le soin de liquider elle-même,
-condamner Monsieur [O] à lui payer 5 000 euros en réparation de son préjudice économique,
-condamner Monsieur [O] lui payer 3 500 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée, qui conteste l'authenticité à hauteur d'au moins 95 % des « sms » qui lui sont imputés, fait valoir qu'elle est éleveuse professionnelle et a, le 7 septembre 2018, acheté Bond à une éleveuse ukrainienne afin d'être un étalon reproducteur dans sa chatterie; qu'à son départ du domicile de Monsieur [O] le 6 novembre 2018 elle a emmenée avec elle tous ses chats dont le chat Bond, qu'à l'occasion d'une visite chez le vétérinaire au mois de mars 2019, elle a appris que cet animal était, du fait de l'appelant, non seulement déclaré volé mais qu'il était également enregistré au nom de Monsieur [O] auprès du fichier français répertoriant tous les chats de race, l'Icad ; que la carte d'identification I-cad de l'animal ne vaut pas titre de propriété ; que l'acte de vente conclu avec l'éleveuse ukrainienne est bien à son nom et pas à celui de Monsieur [O] ; que le règlement opéré par Monsieur [O] par Western Union l'a été dans le cadre du concubinage alors qu'elle-même avait payé à la même période d'autres factures au titre des charges du ménage et que ce règlement ne constitue qu'une partie du prix d'achat du chat, elle-même ayant effectué d'autre règlement par Western Union ; qu'elle justifie d'une possession continue et non équivoque concernant l'animal litigieux depuis qu'elle a quitté le domicile de Monsieur [O] le 6 novembre 2018 ainsi qu'en atteste une dame [C] ; que l'appelant a refusé une médiation et n'a pas comparu devant le premier juge ; qu' elle subit un préjudice économique du fait que l'achat du chat Bond n'a pas pu être économiquement amorti, ses descendants ne pouvant voir établi leur pedigree et qu'au surplus, elle a dû se résoudre à faire castrer son animal de sorte qu'il ne lui procure aucun revenu et représente un coût d'entretien.
L'ordonnance de clôture est en date du 8 mars 2022.
MOTIFS
Sur la possession et la remise des documents administratifs
En vertu de l'article 2276 du code civil, en fait de meubles, la possession vaut titre. Cependant celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans, à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve.
L' article 515-4 dispose que, si les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, il n'en demeure pas moins qu'ils sont soumis au régime des biens sous réserve des lois qui les protègent.
Il en résulte en l'espèce, que le chat Bond James de Fantazi Beast doit être considéré comme un meuble et que la présomption de l'article 2276 du code civil s'applique à lui.
Il est constant que Madame [T], qui justifie être éleveuse professionnelle de chats de race Main coon, est le possesseur exclusif de ce chat depuis le mois de novembre 2018.
Elle produit au demeurant l'acte de vente signé des deux parties relatif à cet animal, en date du 7 septembre 2018, conclu entre elle-même et Madame [X], l'éleveuse ukrainienne du félin.
Il en découle que Madame [T] possède l'animal à titre de propriétaire.
Il est par ailleurs de jurisprudence que le vice ou la précarité de la possession du détenteur ne sont pas établis par le seul fait que le revendiquant est celui qui a payé le prix du meuble revendiqué, de sorte que l'allégation de Monsieur [O], au demeurant étayée, suivant laquelle il a payé le prix de vente, ne suffit pas à faire tomber la présomption posée à l'article 2276 précité.
S'il produit un certain nombre de copies d'écran relatives à des messages écrits téléphoniquement adressés dits SMS, dont il n'a pas pris la précaution de les faire authentifier par huissier de justice et dont il tire que Madame [T] aurait reconnu ne pas être propriétaire du chat Bond, il n'en demeure pas moins que
Madame [T] conteste expressément être l'auteur des écrits qui lui sont imputés et que Monsieur [O] ne justifie en rien que ces messages ont été établis et conservés dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité, de sorte qu'ils ne sauraient être retenus à titre de preuve.
Dès lors, la circonstance que Monsieur [O] ait obtenu, dans des conditions au demeurant discutables, l'inscription à son nom de Bond au fichier Icad, n'est pas davantage de nature à vicier la possession de Madame [T].
Si l'appelant argue de faux l'attestation de Madame [C], laquelle certifie avoir gardé à son domicile du 6 au 14 novembre 2018 tous les chats de Madame [T], dont Bond, le temps qu'elle trouve un nouveau domicile et oppose à cet effet une copie d'une photographie qui aurait été prise de lui avec ledit animal le 9 novembre 2018, il reste que, à supposer encore une fois que l'image et la date aient été conservés dans des conditions propres à garantir leur intégrité et qu'elles puissent ainsi faire foi, la circonstance que Madame [T] ait emmené le chat du domicile de son ex compagnon le 6 ou le 14 novembre 2018 est inopérante quant à vicier sa possession.
Il découle de ces éléments que Monsieur [O] échoue à établir la preuve du vice éventuel ou de la précarité de la possession de Madame [T], que celle-ci doit donc en être déclarée propriétaire et que Monsieur [O] doit être débouté de son action en revendication.
La décision devra donc être confirmée en ce qu'elle a dit que Madame [T] est propriétaire du chat objet du litige.
S'agissant de la demande de condamnation de Monsieur [O] à remettre les documents afférents au chat Bond, il ressort d'un mail adressé par la clinique vétérinaire auprès de laquelle Monsieur [O] s'est présenté pour obtenir l'inscription à son nom du chat auprès de l'Icad que pour effectuer cette démarche, Monsieur [O] a nécessairement présenté le passeport ukrainien du chat.
Faute d'éléments de preuve suffisants pour qu'il en soit jugé autrement et que la décision soit exécutable, il y aura lieu d'assortir l'injonction faite à Monsieur [O] de restituer les documents du chat qui sont en sa possession, d'une astreinte, laquelle ne portera que sur la remise du passeport ukrainien, et ce dans les conditions visées au dispositif du présent arrêt.
Il y a donc lieu de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a condamné Monsieur [O] à remettre tous les documents administratifs et d'assortir cette condamnation d'une astreinte en ce qui concerne le passeport ukrainien, d'un montant de 15 euros par jour de retard pendant 30 jours passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt.
Il n'y a pas lieu de dire que la cour d'appel se réserve le droit de liquider l'astreinte.
Sur la demande de dommages intérêts
Madame [T] fait grief à Monsieur [O] d'avoir frauduleusement retenu par devers lui les documents administratifs de son chat Bond, ce qui l'aurait empêchée d'obtenir sa reconnaissance en tant que reproducteur doté d'un pedigree.
Cependant, force est de constater qu'ayant appris en mars 2019 que le chat était inscrit à l 'Icad au nom de Monsieur [O], elle n' a pas adressé à ce dernier la moindre mise en demeure de lui restituer les papiers et a attendu le 18 août 2020 pour l'attraire en justice. Elle soutient que l'achat du chat n'a pas pu être économiquement amorti dans la mesure où ses descendants ne pouvaient avoir un pedigree et qu'elle a dû se résoudre à le castrer « ce qui ne lui procure non seulement aucun revenu mais représente un coût d'entretien ». Cependant force est de constater qu'elle ne produit aucun élément justificatif au soutien de sa demande ; alors même qu'elle ne justifie pas avoir elle-même acquitté le prix de l'animal, qu'elle ne justifie pas de l'activité d'étalon de ce chat et du prix de vente de ses éventuels produits et qu'enfin elle ne justifie pas être restée en possession de cet animal après castration à une date inconnue.
Il en résulte que la demande de dommages intérêts pour préjudice économique sera rejetée.
Il n'est pas démontré qu'en usant de son droit d'appel, même si la décision de première instance est confirmée, Monsieur [O] ait commis une faute civile justifiant l'allocation de dommages intérêts.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dispositions du jugement déféré s'agissant des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
Partie perdante à hauteur d'appel, Monsieur [O] sera condamné aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du même code.
En revanche, il sera fait droit à la demande de Madame [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de la somme de 1 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME la décision déférée sauf en ce qu'elle a rejeté la demande d'astreinte,
Et statuant à nouveau du chef infirmé,
DIT que Monsieur [O] devra restituer à Madame [T] le passeport ukrainien du chat Bond James de Fantazi Beast dans le délai d'un mois à compter de la présente décision et ce, à peine d'une astreinte de 15 euros par jour de retard passé ce délai durant trente jours,
Et y ajoutant ,
DÉBOUTE Monsieur [O] de sa demande en revendication et tendant à la restitution des documents administratifs concernant le chat Bond James de Fantazi Beast,
DÉBOUTE Madame [T] de sa demande de dommages intérêts,
CONDAMNE Monsieur [O] à payer à Madame [T] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Monsieur [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [O] aux dépens.
La GreffièreLa Présidente de chambre