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09/09/2022 | FRANCE | N°20/03698

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 09 septembre 2022, 20/03698


MINUTE N° 379/2022





























Copie exécutoire à



- Me Christine BOUDET



- la SELARL ACVF ASSOCIES





Le 09/09/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 9 SEPTEMBRE 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03698 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HOLC
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Décision déférée à la cour : 23 Octobre 2020 par le tribunal judiciaire de SAVERNE



APPELANTE :



S.C.I. LES AULNES.

Prise en la personne de son représentant légal.

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Christine BOUDET, avo...

MINUTE N° 379/2022

Copie exécutoire à

- Me Christine BOUDET

- la SELARL ACVF ASSOCIES

Le 09/09/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 9 SEPTEMBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/03698 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HOLC

Décision déférée à la cour : 23 Octobre 2020 par le tribunal judiciaire de SAVERNE

APPELANTE :

S.C.I. LES AULNES.

Prise en la personne de son représentant légal.

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Christine BOUDET, avocat à la cour.

plaidant : Me Lucie WEDRYCHOWSKI, avocat au barreau de Strasbourg

INTIMÉS :

Maître Christophe [X]

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

S.C.P. RIEG - [X] - BELLOT Prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

représentés par la SELARL ACVF ASSOCIES, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 Mars 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Myriam DENORT, Conseiller

Madame Nathalie HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 6 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Dominique DONATH, faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

Le 28 juin 1999, un projet de contrat de crédit-bail immobilier entre les sociétés CIAL Finance et Alsabail d'une part et la SCI Les Aulnes, société en cours de formation, d'autre part, a été adressé à Me [X], en vue de la rédaction d'un acte de dépôt dudit contrat de crédit-bail au rang de ses minutes. Le contrat a été signé par les parties le 29 juin 1999.

Selon les termes de ce contrat, les établissements de crédit CIAL Finance et Alsabail se sont engagés à acquérir un terrain à bâtir de 9 625 m² situé dans la zone artisanale de Nordhouse (67) et à y édifier un bâtiment à usage principal de locaux industriels, d'une surface de 2260 m² environ, étant convenu qu'elles donneraient à bail à la SCI Les Aulnes ce bâtiment dès qu'elles auraient signé le procès-verbal de réception des travaux, aux conditions définies aux articles 5 à 15 du contrat de crédit-bail.

Ce contrat stipulait également une promesse de vente des locaux consentie par ces sociétés de crédit à la SCI Les Aulnes, aux conditions définies au chapitre 3.

Le contrat de crédit-bail a été déposé au rang des minutes de Me [X], avec reconnaissance d'écriture et de signature, par un acte authentique reçu par le notaire le 29 juin 1999.

L'acte authentique de dépôt et le contrat de crédit-bail immobilier sous-seing-privé ont été enregistrés le 19 juillet 1999, avec un droit fixe de 500 Fr.

Le 6 octobre 1999, une requête en inscription du droit au bail et d'une restriction du droit de disposer en garantie d'une promesse de vente, a été déposée au livre foncier. Cette requête a été rejetée par ordonnance du 24 mars 2000, suite au rejet de la requête en inscription du transfert de propriété de l'immeuble, objet du crédit-bail, au profit des sociétés CIAL Finance et Alsabail.

À la suite de la levée d'option lui bénéficiant, la SCI Les Aulnes a acquis l'immeuble objet du crédit-bail immobilier, selon un acte notarié reçu par Me [V] le 3 mars 2016, avec la participation de Me [E] et de Me [X]. Elle a réglé des droits d'enregistrement de 61 899 euros.

Après échec de pourparlers, la SCI Les Aulnes a saisi le tribunal de grande instance de Saverne d'une action en responsabilité à l'encontre de Me [X], pour ne pas avoir accompli les diligences qui lui auraient permis de bénéficier du régime l'autorisant à calculer les droits d'enregistrement dus sur le prix de cession, abstraction faite de la valeur vénale du bien.

Par jugement du 23 octobre 2020, le tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Saverne, a débouté la SCI Les Aulnes de ses demandes et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement, aux défendeurs, d'un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Le tribunal a estimé que la preuve de chacune des deux fautes reprochées à Me [X] n'était pas rapportée.

En effet, la SCI Les Aulnes reprochait à Me [X], d'une part de ne pas avoir fait publier la convention de crédit-bail immobilier au Livre foncier, notamment dans le délai de trois mois prévu à l'article 33 du décret du 4 janvier 1955, et d'autre part de ne pas avoir, lors de l'enregistrement de l'acte de crédit-bail, calculé le montant de la taxe de publicité foncière, en vérifiant qu'elle remplissait les conditions de l'article 742 du CGI (Code Général des Impôts) et de ne pas s'être assuré de son paiement, ces deux fautes lui ayant fait perdre le bénéfice du régime fiscal de faveur au profit des crédit-preneurs, lors de la levée d'option d'achat des biens immobiliers.

Cependant, sur la première faute, le tribunal a retenu que :

- d'après l'article 52 du décret du 4 janvier 1955, il n'est pas dérogé aux dispositions du chapitre III de la loi du 1er juin 1924 régissant les droits sur les immeubles situés dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; or, la loi du 1er juin 1924 prévoit l'inscription du droit du locataire au Livre Foncier en cas de bail d'une durée de plus de 12 années, telle que le crédit-bail immobilier en cause, mais sans imposer aucun délai ;

- le notaire a déposé une requête en inscription au Livre Foncier du droit au bail et d'une restriction au droit de disposer en garantie d'une promesse de vente, le 6 octobre 1999, requête rejetée par ordonnance du 24 mars 2000, suite au rejet de celle relative à l'inscription du transfert de propriété de l'immeuble objet du crédit-bail au profit des sociétés CIAL Finance et Alsabail, le titulaire d'un droit autre que la propriété ne pouvant être inscrit qu'après l'inscription du propriétaire.

Sur la seconde faute, le tribunal a rappelé que le régime fiscal de faveur lors de la levée d'option d'achat des biens immobiliers par le crédit preneur était subordonnée au fait que le contrat de crédit-bail immobilier ait été soumis à la taxe de publicité foncière dans les conditions de l'article 742 du CGI, réglée au service des impôts compétents lors de l'enregistrement. Or, le notaire avait bien soumis l'acte à l'enregistrement, mais c'était parce que le contrôleur principal des impôts avait décidé de percevoir un droit fixe de 500 Fr. au titre de chacun des actes que la SCI Les Aulnes n'avait pu bénéficier du régime de faveur, le notaire, qui avait avancé ce droit fixe, n'ayant commis aucune faute.

La SCI Les Aulnes a interjeté appel de ce jugement par déclaration datée du 3 décembre 2020.

Par ses dernières conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 20 janvier 2022, elle sollicite l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et que la cour, statuant à nouveau, condamne Me [X] et la SCP Rieg - [X] - Bellot, in solidum, à lui payer :

- la somme de 55 474,77 euros à titre de dommages intérêts, en réparation de son préjudice financier, avec intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2016, date de la mise en demeure,

- la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers frais et dépens.

La SCI Les Aulnes reproche en premier lieu à Me [X] de ne pas avoir fait inscrire le contrat de crédit-bail immobilier au Livre foncier, ce qui devait être réalisé sans délai, d'après l'article 43 de la loi du 1er juin 1924. Elle invoque l'obligation, pour le notaire, de s'assurer de l'efficacité de l'acte, ainsi qu'un manque de diligence du notaire à ce titre.

Si elle admet que l'inscription de son droit au bail ne pouvait être effectuée tant que le droit de propriété des sociétés CIAL Finance et Alsabail n'avait pas lui-même été inscrit, en application de l'article 44 de la loi du 1er juin 1924, elle souligne que l'inscription du droit de propriété a été régularisée et que Me [X] aurait pu adresser au Livre foncier une nouvelle requête aux fins de publication de son droit au bail, après s'être assuré du moment où le droit de propriété aurait été lui-même publié.

En second lieu, elle reproche au notaire de ne pas avoir, lors de l'enregistrement de l'acte, calculé le montant de l'ensemble des droits exigibles et notamment de la taxe de publicité foncière et de ne pas s'être assuré de leur paiement, dans la mesure où elle n'a réglé qu'un droit fixe de 500 Fr. au titre de l'enregistrement, sans rapprocher ce montant de l'assiette de ladite taxe, qui s'élevait à 6 996 052 Fr. aux termes de la convention de crédit-bail. Or, cela lui aurait permis de constater que le montant réclamé par le service des impôts n'était pas conforme à celui exigible en application de l'article 742 du CGI, ce qui a fait perdre à la SCI Les Aulnes le bénéfice du régime de faveur, faute de paiement de la taxe de publicité foncière dans les conditions de ce texte légal.

Elle souligne que, ni l'absence de versement de l'avance des droits dus par elle-même, ni la liquidation erronée des droits par le contrôleur principal des impôts ne sont exonératoires de la responsabilité de Me [X], tenu d'une obligation de résultat quant à l'enregistrement de l'acte et au paiement des droits y afférents, dont l'inexécution suffit à engager sa responsabilité, à défaut de preuve d'une cause d'exonération présentant les caractéristiques de la force majeure.

Elle évoque l'obligation, pour les notaires, de consigner, préalablement à la signature des actes, une provision suffisante pour couvrir la totalité des frais, droits,...et de faire l'avance de ces derniers, à défaut de respecter cette obligation, et souligne qu'elle n'a reçu l'état de frais du notaire que 10 ans après son intervention.

La SCI Les Aulnes soutient que l'absence de paiement de la taxe de publicité foncière dans les conditions de l'article 742 du code général des impôts, ne lui a pas permis, au moment de sa levée d'option, de bénéficier du régime de faveur, en matière de droits d'enregistrement, soit le minimum de perception de 25 euros, au lieu du montant de 61 899 euros dont elle a dû s'acquitter.

Elle invoque un préjudice de 55 474,77 euros représentant le montant acquitté de 61 899 euros, dont à déduire 25 euros du régime de faveur et 6 399,23 euros, représentant la taxe de publicité foncière qu'elle aurait dû régler en 1999.

Elle conteste que son préjudice soit constitué d'une seule perte de chance, l'enregistrement de l'acte ne relevant pas de la mission de conseil du notaire, au titre de laquelle il n'est tenu que d'une obligation de moyens, mais du prolongement de sa mission d'authentificateur de l'acte, pour laquelle il est tenu d'une obligation de résultat, dont le manquement est fréquemment à l'origine d'un préjudice certain, tel qu'en l'espèce.

Elle considère que son préjudice consiste en un manque à gagner certain et non en une simple perte de chance, dès lors qu'elle aurait pu bénéficier avec certitude de ce régime fiscal de faveur si Me [X] avait rempli ses obligations.

S'agissant de la responsabilité solidaire de la SCP Rieg - [X] - Bellot avec Me [X], qui est l'un de ses associés, la SCI Les Aulnes invoque l'article 16 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966.

Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 28 décembre 2021, Me [X] et la SCP Rieg - [X] - Bellot sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté la SCI Les Aulnes de l'ensemble de ses demandes et, formant demande reconventionnelle, ils sollicitent la condamnation de cette dernière à payer la somme de 4 713,51 euros à titre de dommages intérêts, ainsi qu'un montant de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens des deux instances.

Sur la faute consistant à ne pas avoir inscrit le crédit-bail au Livre foncier, les intimés font valoir que :

- le délai de trois mois de l'article 33 du décret du 4 janvier 1955 n'est pas applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, où les notaires doivent faire procéder à cette inscription sans délai, en application de l'article 43 de la loi du 1er juin 1924,

- la requête en inscription au Livre foncier déposée par Me [X] le 6 octobre 1999 a été rejetée, dans la mesure où le transfert de propriété de l'immeuble objet du crédit-bail au profit des sociétés CIAL Finance et Alsabail n'avait pas été encore effectué.

Même si une faute devait être retenue de ce chef, elle est sans lien avec le préjudice invoqué par la SCI Les Aulnes, en l'absence de perception d'une taxe départementale de publicité foncière, mais seulement d'un droit d'enregistrement perçu à la recette des impôts.

Sur l'absence de calcul et de paiement des droits applicables lors de l'enregistrement de l'acte de crédit-bail, les intimés font valoir que :

- les droits ont été calculés dans la convention de crédit-bail (p. 38 et 39), l'assiette de cette taxe étant indiquée comme s'élevant à la somme de 6 996 052 Fr.,

- la SCI Les Aulnes a commis une faute en s'abstenant de régler les frais, droits d'enregistrement, alors que l'article 44 de la convention de crédit-bail prévoit expressément que le preneur les supportera, cette faute étant intentionnelle et de nature à exonérer Me [X] de toute responsabilité, étant observé que la provision sur frais a été sollicitée auprès du notaire mandaté par la SCI Les Aulnes à maintes reprises.

Enfin, les intimés observent que le défaut d'inscription au Livre foncier n'a causé aucun préjudice, la difficulté relative au paiement des droits n'en résultant pas.

L'éventuel préjudice de la SCI Les Aulnes ne pourrait être supérieur à 55 474,77 euros et, en tout état de cause, seule la perte de chance peut faire l'objet d'une indemnisation, s'agissant d'un manquement à l'obligation de conseil, qui a également été délivré par le notaire de la SCI Les Aulnes, ses avocats, ainsi que les responsables de la société de crédit-bail.

Or, cette perte de chance est nulle, la SCI Les Aulnes ne justifiant pas que la taxe de publicité foncière aurait pu être payée dans les trois mois de la signature du contrat de crédit-bail, les frais ayant été réglés plus de 10 ans après l'enregistrement de ce contrat et malgré de nombreuses relances.

À l'appui de la demande de dommages-intérêts, les intimés font valoir que la SCP Rieg - [X] - Bellot a dû elle-même faire l'avance des frais et des droits d'enregistrement à hauteur de 8 572,23 euros. Elle invoque un préjudice de 2 713,51 euros au titre des intérêts au taux légal ainsi que l'indisponibilité de cette somme en trésorerie pendant 10 ans, forfaitisé à hauteur de 2 000 euros, soit 4 713,51 euros au total.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 1er février 2022.

MOTIFS

I ' Sur la demande de dommages et intérêts de la SCI Les Aulnes

Selon une jurisprudence établie en application de l'ancien article 1382 du code civil applicable en l'espèce, le notaire est tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours et, à ce titre, de procéder, sans même qu'il ait reçu mandat pour ce faire, aux formalités correspondantes dont le client se trouve alors déchargé, telle que la publicité de cet acte.

En premier lieu, sur le défaut d'inscription du contrat de crédit-bail immobilier au Livre foncier reproché à Me [X], le délai de publication de trois mois de l'article 33 du décret du 4 janvier 1955 ne s'applique pas dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, où demeurent applicables les dispositions de la loi du 1er juin 1924. Or, l'article 43 de cette loi dispose notamment que les notaires sont tenus de faire inscrire (au Livre Foncier), « sans délai et indépendamment de la volonté des parties », les droits résultant d'actes dressés devant eux et visés à l'article 42, qui sont les actes portant sur un droit susceptible d'être inscrit, ainsi que tout acte entre vifs, translatif ou déclaratif de propriété immobilière, tout acte entre vifs portant constitution ou transmission d'une servitude foncière.

De plus, il n'est pas contesté que la convention de crédit-bail devait être inscrite au Livre foncier, en application de l'article 38 de la loi du 1er juin 1924, et ce aux fins d'opposabilité aux tiers.

Si le notaire a bien adressé une requête à cette fin au juge du Livre foncier, il justifie d'un rejet de celle-ci par ordonnance du 6 octobre 1999, en raison du défaut d'inscription du transfert de propriété du bien immobilier lui-même au profit des sociétés crédits-bailleresses par le notaire en charge de l'acte de vente de ce bien.

Ainsi que le soutient l'appelante et contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il appartenait à Me [X] de s'assurer auprès de son confrère en charge de cet acte de vente de la date à laquelle l'inscription du transfert de propriété aurait lieu, afin de pouvoir utilement présenter une nouvelle requête en inscription de la convention de crédit-bail, ce à quoi aucun obstacle ne s'opposait, de quelle nature qu'il fût. Or, Me [X] n'allègue et ne justifie d'aucune démarche à ce titre, alors qu'à défaut de publication de ladite convention, les droits du crédit-preneur n'étaient pas opposables aux tiers. Il en résulte que la carence du notaire sur ce point constitue une faute de sa part.

Cependant, la SCI Les Aulnes sollicite la réparation d'un préjudice financier résultant de ce qu'elle n'a pu bénéficier du régime de faveur relatif au montant des droits de mutation à titre onéreux, qui ont été calculés sur la valeur vénale du bien immobilier lors de la levée d'option et non pas sur le prix de cession convenu, faute de paiement de la taxe de publicité foncière dans les conditions de l'article 742 du code général des impôts.

Or, elle admet elle-même, dans ses écritures, que l'exigibilité de la taxe de publicité foncière, en Alsace-Moselle, dépend de l'enregistrement et non de la publicité, ce qui confirme l'absence de lien de causalité entre la première faute reprochée au notaire intimé et le préjudice invoqué par l'appelante.

En second lieu, sur le non-paiement de la taxe de publicité foncière, dont la SCI Les Aulnes reproche à Me [X] d'être responsable, il n'est pas contesté que cette taxe s'applique notamment aux contrats de crédit-bail immobilier d'une durée supérieure à 12 ans portant sur des immeubles situés totalement en Alsace-Moselle, en application du décret du 27 mars 1995, ce qui est le cas en l'espèce.

L'article 1705 du code général des impôts porte obligation au notaire de faire l'avance des droits relatifs aux actes à enregistrer, sauf s'il engage un recours contre les parties, ce qui entraîne pour lui l'obligation de faire consigner une somme suffisante pour procéder au paiement de ces droits, avant de procéder à la signature des actes dont il est chargé. Cette obligation du notaire de faire l'avance des droits relatifs aux actes à enregistrer, qui cesse avec l'enregistrement, porte non seulement sur les droits d'enregistrement eux-mêmes, mais aussi, notamment, sur la taxe de publicité foncière, lorsque celle-ci est due, ce qui était le cas en l'espèce.

Dès lors, il incombait à Me [X] de liquider, dans l'acte authentique de convention de crédit-bail immobilier, le montant des droits que cet acte allait générer et notamment de la taxe de publicité foncière, ce qui aurait attiré l'attention de la SCI Les Aulnes sur le montant à acquitter, mais aussi de s'assurer du paiement de ces droits, dont il lui appartenait de faire l'avance, même en l'absence de versement d'une provision par la SCI Les Aulnes, qu'il ne justifie d'ailleurs nullement avoir réclamée à cette dernière.

Il en résulte qu'en s'abstenant de liquider la taxe de publicité foncière dans l'acte relatif à la convention de crédit-bail et de remplir l'obligation lui incombant en application de l'article 1705 du code général des impôts, le notaire a commis une faute.

Or, il est établi que, dans le cadre des contrats de crédit-bail immobilier, les droits dus en application des articles 683, 1594 F quinquies ou 1115 du code général des impôts à raison de la levée d'option, sont liquidés sur le prix de la cession et non sur la valeur vénale du bien en cause, à condition que, s'agissant des contrats d'une durée supérieure à 12 ans, ils aient été soumis à la taxe de publicité foncière dans les conditions de l'article 742 du même code, l'enregistrement ayant été effectué dans le délai d'un mois.

A défaut, ce régime de faveur ne peut s'appliquer et l'assiette des droits de mutation à titre onéreux est constituée par la valeur vénale du bien au jour de l'acquisition par le preneur, si elle est supérieure au prix de cession.

Dans la situation présente, si l'enregistrement a bien eu lieu dans le délai requis, l'absence de règlement de la taxe de publicité foncière dans les conditions de l'article 742 du code général des impôts a privé la SCI Les Aulnes du bénéfice du régime fiscal de faveur et les droits de mutation, lors de la levée d'option, lui ont été réclamés sur la valeur vénale du bien en cause, beaucoup plus élevée.

Or, la faute de Me [X], à l'occasion de l'établissement de l'acte authentique de crédit-bail, n'a pas permis à la SCI Les Aulnes de se rendre compte de

l'anomalie dans les montants réclamés par les services fiscaux et de ce que la taxe de publicité foncière ne lui était pas réclamée, ce qui allait la priver de ce droit.

Le retard de l'appelante dans le règlement des honoraires du notaire et l'absence de versement d'une provision par cette dernière sont inopérants, dans la mesure où le notaire lui-même devait, en tout état de cause, faire l'avance du règlement des droits et taxes. En effet, dans la mesure où Me [X], qui ne justifie pas avoir sollicité cette provision, n'a liquidé aucun droit dans l'acte, la SCI Les Aulnes ne pouvait connaître le montant de la taxe de publicité foncière à régler.

C'est donc bien la seule faute du notaire qui a privé la SCI Les Aulnes, crédit-preneur, du bénéfice du régime fiscal de faveur applicable lors de la levée d'option et le préjudice de l'appelante représente la différence entre le montant des droits de mutation qu'elle a dû payer à ce moment, soit 61 899 euros, et celui des droits qu'elle aurait réglés si elle avait bénéficié du régime de faveur, dont il n'est pas contesté qu'il s'est élevé à 25 euros, déduction faite du montant de la taxe de publicité foncière dont elle aurait dû s'acquitter en 1999, soit 6 399,23 euros.

En effet, ainsi que le soutient la SCI Les Aulnes, aucun aléa ne peut être retenu à ce titre et le préjudice de cette dernière ne peut se limiter à une seule perte de chance de pouvoir bénéficier du régime fiscal de faveur, lequel aurait été certain si la taxe de publicité foncière avait été réglée à l'occasion de l'enregistrement, ce qui relevait de l'obligation du notaire rappelée plus haut.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la SCI Les Aulnes et de condamner in solidum Me [X] et la SCP Rieg-[X]-Bellot à lui régler la somme de 55 474,77 euros [61 899 ' (25 + 6 399,23)] qu'elle réclame à titre de dommages et intérêts.

II ' Sur la demande de dommages et intérêts du notaire

En premier lieu, il convient d'observer que, s'agissant d'une demande reconventionnelle, la demande de dommages et intérêts formée par les intimés à hauteur de cour est bien recevable, quand bien même elle n'avait pas été présentée devant le premier juge.

En second lieu, il doit être souligné que la SCI Les Aulnes n'a pas conclu sur cette demande reconventionnelle, à laquelle elle ne s'est donc pas opposée. Elle ne conteste pas ne s'être nullement acquittée des montants réclamés par le notaire au titre du solde de ses émoluments et de l'ensemble des frais et droits qu'il avait réglés et dont elle était redevable.

En conséquence, doit être ajoutée au jugement déféré la condamnation de la SCI Les Aulnes à verser à Me [X] et à la SCP Rieg-[X]-Bellot la somme de 4 713,51 euros de dommages et intérêts qu'ils réclament, soit 2 713,51 euros au titre des intérêts au taux légal sur la somme de 8 572,24 euros, représentant le solde de ses émoluments et des frais et droits, dont il n'est pas contesté qu'il est resté impayé pendant dix ans, ainsi que 2 000 euros au titre de l'indisponibilité de cette somme en trésorerie pendant cette même durée.

III - Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Le jugement déféré étant infirmé et la demande de la SCI Les Aulnes étant accueillie en sa totalité, il sera également infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et Me [X] ainsi que la SCP Rieg-[X]-Bellot assumeront, in solidum, la totalité des dépens de première instance.

S'il est fait droit à la demande reconventionnelle de Me [X] et de la SCP Rieg-[X]-Bellot présentée à hauteur de cour, l'appel de la SCI Les Aulnes s'est révélé totalement fondé et, au vu des montants respectifs des condamnations prononcées et de l'entière responsabilité du notaire reconnue par le présent arrêt dans le préjudice subi par l'appelante, les intimés assumeront les dépens de l'appel.

Pour les mêmes motifs que ceux relatifs aux dépens de première instance, le jugement déféré sera également infirmé en ses dispositions relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au vu des observations faites ci-dessus, il serait inéquitable de laisser à la charge de la SCI Les Aulnes la totalité des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en première instance et en appel. Les intimés seront donc condamnés à lui régler la somme totale de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, leur demande présentée sur le même fondement étant rejetée pour les mêmes raisons d'équité, au titre des frais exclus des dépens qu'ils ont engagés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement rendu le 23 octobre 2020 entre les parties par le tribunal judiciaire de Saverne en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE in solidum Me [X] et la SCP Rieg-[X]-Bellot à payer à la SCI Les Aulnes la somme de 55 474,77 euros (cinquante-cinq mille quatre cent soixante-quatorze euros et soixante-dix-sept centimes),

CONDAMNE la SCI Les Aulnes à payer à Me [X] et à la SCP Rieg-[X]-Bellot la somme commune de 4 713,51 euros (quatre mille sept cent treize euros et cinquante et un centimes),

CONDAMNE in solidum Me [X] et la SCP Rieg-[X]-Bellot aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE in solidum Me [X] et la SCP Rieg-[X]-Bellot à payer à la SCI Les Aulnes la somme de 3 500,00 (trois mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens d'appel engagés par cette dernière en première instance et en appel,

REJETTE la demande de Me [X] et de la SCP Rieg-[X]-Bellot présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu'ils ont engagés en première instance et en appel.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/03698
Date de la décision : 09/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-09;20.03698 ?
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