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26/08/2022 | FRANCE | N°21/04048

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 26 août 2022, 21/04048


MINUTE N° 343/2022





























Copie exécutoire à



- Me Thierry CAHN



- Me Joseph WETZEL





Le 26 août 2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 26 Août 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/04048 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HVPK



Décision déférée à la cour : 10 Septembre 2021 par le Tribunal judiciaire de COLMAR





APPELANTE :



La S.A. VOLKSWAGEN GROUP FRANCE exploitant sous l'enseigne Audi France, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège [Adresse 1]



représenté par Me T...

MINUTE N° 343/2022

Copie exécutoire à

- Me Thierry CAHN

- Me Joseph WETZEL

Le 26 août 2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 26 Août 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 21/04048 - N° Portalis DBVW-V-B7F-HVPK

Décision déférée à la cour : 10 Septembre 2021 par le Tribunal judiciaire de COLMAR

APPELANTE :

La S.A. VOLKSWAGEN GROUP FRANCE exploitant sous l'enseigne Audi France, prise en la personne de son représentant légal

ayant son siège [Adresse 1]

représenté par Me Thierry CAHN, avocat à la cour.

INTIMÉE :

La S.A.R.L. SLY CAR représentée par son représentant légal

ayant son siège social [Adresse 2]

représenté par Me Joseph WETZEL, avocat à la cour.

plaidant : Me Flora KESSLER, avocat à Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Mars 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 12 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

Le 10 février 2018, M. [X] a passé commande à la SARL Sly Car d'un véhicule d'occasion de marque Audi modèle Q5, mis en circulation le 29 janvier 2014, qui lui a été livré le 14 février 2018. Il a souscrit une garantie complémentaire auprès de la société Gras Savoye NSA.

Le 3 décembre 2018, il a informé la société Sly Car de dysfonctionnements de son véhicule, à savoir une mauvaise tension de la chaîne de distribution et un jeu latéral anormal de l'arbre à cames d'admission des cylindres 1, 2 et 3.

Chacune des parties ayant saisi son assureur de protection juridique une réunion d'expertise contradictoire a eu lieu le 12 mars 2019. Les experts ont conclu à l'existence d'un vice antérieur à la vente, évoquant des défauts de fabrication connus du constructeur.

M. [X] a alors fait citer la société Sly Car devant le tribunal judiciaire de Colmar par exploit du 18 février 2020.

La société Sly Car a appelé en garantie la société Volkswagen Group France, exploitant sous l'enseigne Audi France, par exploit délivré le 7 juillet 2020. Elle a également appelé en cause la société Gras Savoye.

Les procédures ont été jointes.

Le 1er octobre 2020, la société Volkswagen Group France a saisi le juge de la mise en état d'une requête aux fins de voir déclarer la demande dirigée contre elle irrecevable comme prescrite, au motif que l'action récursoire en garantie des vices cachés ne pouvait s'exercer qu'à l'intérieur du délai de prescription quinquennal de l'article L.110-4 du code de commerce ayant commencé à courir le 29 janvier 2014.

Par ordonnance du 10 septembre 2021, le juge de la mise en état a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Volkswagen Group France,

- dit l'appel en garantie formé contre elle par la société Sly Car sur le fondement des vices cachés recevable,

- rejeté la demande de garantie de la société Sly Car à l'encontre de la société Volkswagen Group France cette demande étant une demande au fond et le juge de la mise en état étant incompétent pour trancher sur ce point,

- rejeté la demande de la société Volkswagen Group France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de la procédure au fond.

Le juge de la mise en état a relevé que la jurisprudence de la première chambre civile et de la chambre commerciale de la Cour de cassation selon laquelle l'action en garantie de vices cachés, même si elle est enfermée dans le délai de deux ans de la découverte du vice, doit aussi être engagée dans le délai de 5 ans prévu par l'article L.110-4 du code de commerce qui court à compter de la date de la vente, n'était pas partagée par la troisième chambre civile de cette Cour, ni par la doctrine majoritaire qui considéraient que le point de départ de ce délai devait être fixé à la date à laquelle le vendeur intermédiaire

a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action, le délai quinquennal étant suspendu jusqu'à ce que la responsabilité du vendeur intermédiaire, soit recherchée par le sous-acquéreur.

Le premier juge a en outre relevé que faire courir le délai de l'action récursoire au jour de la vente aboutit au résultat que le vendeur professionnel ou le fabricant est libéré plus vite de son obligation de garantie que le vendeur non commerçant, et qu'en matière d'action récursoire en garantie des vices cachés le vendeur intermédiaire ne peut agir contre le fabricant avant d'avoir été lui-même assigné.

Le juge de la mise en état a donc considéré qu'en l'espèce, le délai quinquennal n'avait pu commencer à courir qu'à compter du 3 décembre 2018, date à laquelle M. [X] avait informé son vendeur des vices affectant le véhicule vendu, de sorte que l'action de la société Sly Car n'était pas prescrite.

La société Volkswagen Group France a interjeté appel de cette ordonnance le 27 septembre 2021.

L'affaire a été fixée à bref délai par ordonnance de la présidente de la chambre du 5 octobre 2021.

Par conclusions transmises par voie électronique le 23 décembre 2021, la société Volkswagen Group France demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée, dit l'appel en garantie formé par la société Sly Car contre la société Volkswagen Group France recevable et débouté cette dernière de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau de :

- juger qu'en l'état de l'acquisition de la prescription tirée de l'article L.110-4 du code de commerce à l'encontre de la société Volkswagen Group France, toute demande à son encontre est irrecevable car prescrite,

- juger que la société Sly Car est irrecevable à agir à l'encontre de la société Volkswagen Group France,

- débouter la société SlyCar de toute demande formée à l'encontre de la société Volkswagen Group France,

- prononcer la mise hors de cause de la société Volkswagen Group France,

- condamner la société Sly Car à payer à la société Volkswagen Group France la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile, outre les entiers dépens de la procédure d'appel.

L'appelante fait valoir que, dans son état le plus récent, la jurisprudence de la Cour de cassation opère une articulation très claire entre les articles 1648 de code civil et L.110-4 du code de commerce dont il ressort que l'action de l'acquéreur résultant de vices rédhibitoires doit être intentée contre le vendeur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, tout en étant enfermée dans le délai de la prescription quinquennale qui court à compter de la date de la vente conclue entre les parties. Elle en déduit que le point de départ glissant de la prescription correspondant à la date de découverte du vice, n'est pas remis en cause, mais qu'il est enfermé dans le délai fixe prévu

par l'article L.110-4 du code de commerce auquel la Cour de cassation confère une fonction de délai butoir. Elle souligne que la garantie légale des vices cachés est en effet un accessoire de la vente, de sorte que l'obligation naît à la date de la vente initiale.

La société Volkswagen Group France relève qu'il s'agit d'une jurisprudence constante en matière de vente automobile, la jurisprudence de la troisième chambre de la Cour de cassation concernant des litiges en matière de construction.

Elle objecte à l'argumentation adverse selon laquelle le délai quinquennal ne serait pas un délai raisonnable permettant un recours effectif des justiciables que ce délai résulte de la volonté du législateur de concilier des intérêts antagonistes en ce qu'il permet à la fois de garantir l'exercice de leurs droits par les justiciables, tout en participant à un objectif de sécurité juridique, cette analyse étant partagée par la Cour de cassation qui a rejeté une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point.

L'appelante souligne que le vendeur intermédiaire ne peut pas disposer de plus de droits que le sous-acquéreur, et considère que l'analyse du juge de la mise en état comporte le risque de faire peser sur les constructeurs et importateurs une responsabilité quasi-perpétuelle, alors que la garantie légale des vices cachés étant attachée à la chose vendue, elle se transmet dans l'état dans lequel elle était au moment de la cession.

Elle soutient enfin que les dispositions des articles 2224 et 2233 et suivants du code civil n'ont pas vocation à s'appliquer en présence d'un droit spécial.

En l'espèce, la date de première mise en circulation étant le 29 janvier 2014 l'action engagée le 7 juillet 2020 par la société Sly Car est prescrite.

Par conclusions transmises par voie électronique le 25 novembre 2021, la société Sly Car demande à la cour de :

- déclarer l'appel irrégulier, irrecevable, en tout cas mal fondé.

- confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar en date du 10 septembre 2021 en toutes ses dispositions.

- débouter la société Volkswagen Group France de l'intégralité de ses demandes.

- la condamner au paiement d'un montant de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d'appel.

L'intimée fait valoir que l'article L.110-4 du code de commerce ne prévoit pas le point de départ du délai qu'il édicte et que la jurisprudence de la Cour de cassation est partagée à ce sujet. Elle se réfère quant à elle à la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui considère que le délai dont dispose l'entrepreneur pour agir en garantie des vices cachés à l'encontre du fabricant en application de l'article 1648 du code civil court à compter de la date de l'assignation délivrée contre lui, le délai de l'article L.110-4 du code de commerce étant suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage.

Elle considère que cette solution juridique d'une 'suspension' du délai de l'article L.110-4 jusqu'à ce que la responsabilité de l'entrepreneur soit recherchée garantit à celui-ci une sécurité indispensable à l'exercice de son activité, et paraît bien plus logique et adaptée, invoquant notamment l'adage selon lequel il n'y a pas de prescription de l'action avant sa naissance.

Elle invoque les dispositions des articles 2224 et 2234 du code civil, et considère que fixer le point de départ du délai de prescription au jour de la première vente du véhicule revient donc à traiter différemment les commerçants des non-commerçants sans aucune justification, et que la fixation du point de départ du délai au jour où le titulaire du droit aurait dû connaître les faits permettant d'exercer son action, soit en l'espèce au jour de l'assignation délivrée contre lui constitue une juste application de la loi. Elle estime que toute autre interprétation des textes reviendrait à priver l'entrepreneur de tout recours en garantie contre un fabricant pourtant à l'origine du dommage et ne participerait pas, contrairement à ce que prétend la partie adverse, à l'objectif de sécurité juridique voulu par le législateur, la fixation du point de départ du délai de prescription au jour de l'assignation étant conforme aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui veille à ce qu'un recours puisse demeurer effectif pour un justiciable.

Elle souligne enfin qu'en l'espèce le problème concerne des désordres connus du constructeur affectant le véhicule dès sa fabrication.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

MOTIFS

L'intimée conclut à l'irrecevabilité de l'appel, sans toutefois soulever aucun moyen précis. En l'absence de cause d'irrecevabilité susceptible d'être soulevée d'office, l'appel sera déclaré recevable.

Selon une jurisprudence désormais établie de la première chambre civile de la Cour de cassation et de la chambre commerciale de la même Cour, l'action de l'acquéreur résultant de vices rédhibitoires doit être intentée contre le vendeur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, tout en étant enfermée dans le délai de la prescription quinquennale qui court à compter de la date de la vente conclue entre les parties.

Par voie de conséquence, le vendeur intermédiaire dont la garantie est recherchée par le sous-acquéreur, et qui exerce une action récursoire contre le fabricant doit agir, conformément à l'article 1648, alinéa 1er du code civil, dans les deux ans à compter du jour où sa garantie a été recherchée par le sous-acquéreur, mais également dans le délai de 5 ans, délai de prescription de droit commun en matière commerciale prévu par l'article L.110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente initiale.

Ce dernier texte ne prévoit pas le point de départ du délai de prescription qu'il édicte. Néanmoins, et nonobstant la position divergente de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, ce point de départ doit être fixé au jour de la vente, date à laquelle naît l'obligation à garantie du vendeur, la garantie des vices cachés étant en effet un accessoire de la vente qui se transmet avec elle.

Cette analyse permet à la fois de garantir l'exercice de leurs droits par les justiciables, tout en participant à un objectif de sécurité juridique, le fabricant ne pouvant en effet être tenu à garantie pendant un délai susceptible, dans certains cas, d'excéder la durée de vie du produit.

La société Sly Car ne peut en outre se prévaloir des dispositions de l'article 2234 du code civil et invoquer une suspension du délai de prescription résultant d'une impossibilité d'agir puisque, dans le cas présent, le délai de 5 ans qui a commencé à courir le 29 janvier 2014, date de première mise en circulation du véhicule, n'était pas expiré lorsqu'elle a eu connaissance des dysfonctionnements dénoncés par le sous-acquéreur le 3 décembre 2018. Elle n'était donc pas dans l'impossibilité d'agir contre la société Volkswagen Group France, à tout le moins préventivement en saisissant le juge des référés d'une demande d'expertise afin d'interrompre le délai, de sorte qu'elle ne peut invoquer une atteinte à son droit au recours effectif à un juge.

L'ordonnance entreprise doit donc être infirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée et déclaré l'action de la société Sly Car recevable, l'appel en garantie formé par la société Sly Car contre la société Volkswagen Group France devant être déclaré irrecevable comme prescrit, et cette dernière devant être mise hors de cause.

La décision entreprise sera infirmée en tant qu'elle a réservé à statuer sur les dépens qui seront supportés par la société Sly Car, s'agissant tant des dépens de première instance que d'appel.

En revanche, en considération de la nature du litige et de la situation économique respective des parties, c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de la société Volkswagen Group France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il en sera de même, pour les mêmes motifs, en appel, la société Sly Car, qui succombe, ne pouvant quant à elle demander le bénéfice de cette disposition.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

DECLARE l'appel recevable ;

INFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar, en ce qu'elle a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Volkswagen Group France,

- dit l'appel en garantie formé contre elle par la société Sly Car sur le fondement des vices cachés recevable,

- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de la procédure au fond ;

Statuant à nouveau,

DECLARE l'appel en garantie formé par la SARL Sly Car contre la SA Volkswagen Group France irrecevable comme prescrit ;

MET la SA Volkswagen Group France hors de cause ;

CONDAMNE la SARL Sly Car aux dépens de première instance afférents à son appel en garantie ;

CONFIRME l'ordonnance entreprise pour le surplus ;

Y ajoutant,

REJETTE les demandes réciproques sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SARL Sly Car aux dépens d'appel.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 21/04048
Date de la décision : 26/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-08-26;21.04048 ?
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