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19/08/2022 | FRANCE | N°20/02517

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 19 août 2022, 20/02517


MINUTE N° 331/2022





























Copie exécutoire à



- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY



- Me Laurence FRICK





Le 19 août 2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 19 Août 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02517 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMMD<

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Décision déférée à la cour : 04 Août 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE



APPELANT :



Monsieur [N] [L]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.

Plaidant : Me HERRMANN (cabinet DÔME), ...

MINUTE N° 331/2022

Copie exécutoire à

- Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY

- Me Laurence FRICK

Le 19 août 2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 19 Août 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02517 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMMD

Décision déférée à la cour : 04 Août 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANT :

Monsieur [N] [L]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Patricia CHEVALLIER-GASCHY, avocat à la cour.

Plaidant : Me HERRMANN (cabinet DÔME), avocat à Strasbourg

INTIMÉEE :

S.C.E.A. [...] prise en la personne de son représentant légal.

ayant son siège social [Adresse 6]

[Localité 4]

représenté par Me Laurence FRICK, avocat à la cour.

Plaidant : Me WURTH, avocat à Strasbourg

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Avril 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Dominique DONATH faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 17 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Mme Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

M. [N] [L] est propriétaire de parcelles situées sur la commune de [Localité 7] (68), cadastrées section [Cadastre 2] Hinterholtz (1 ha 55 a 13 ca), section [Cadastre 5] (3 ha 52 a 81 ca), et section [Cadastre 5] (08 a 07ca), qu'il a reçues dans le cadre de la succession de sa mère puis de son père, M. [P] [L], pour la première, et, pour les deux dernières, de son père seul, à qui elles appartenaient en propre.

Ces parcelles, exploitées jusqu'en 2015 par M. [W] [L], aîné de la fratrie, à la suite du père, le sont désormais par la [...].

Soutenant que celle-ci occupait ces parcelles et les exploitait sans droit ni titre, M. [N] [L] a saisi le tribunal de grande instance de Mulhouse de demandes tendant à le voir constater et à voir ordonner l'expulsion de cette société ainsi que tous occupants de son chef.

Par jugement contradictoire du 4 août 2020, ce tribunal, devenu le tribunal judiciaire de Mulhouse, a débouté M. [N] [L] de ses demandes et l'a condamné aux dépens de l'instance ainsi qu'au paiement, à la défenderesse, d'un montant de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a rappelé qu'en application des dispositions des articles L.411-1 et L.411-4 du code rural et de la pêche maritime, la preuve d'un bail rural est libre et ne suppose pas nécessairement la production d'un écrit.

Il a retenu que la [...] justifiait de l'existence d'un bail verbal conclu avec M. [P] [L] pour l'ensemble des parcelles litigieuses, et qu'en l'absence de la dérogation prévue à l'article L 411-3 du même code, ce bail verbal répondait aux conditions fixées par l'article L.411-4, à savoir qu'il était réputé conclu pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2016.

S'agissant de la preuve du bail verbal, s'il a relevé que le bulletin de mutation de terres adressé à la MSA le 3 décembre 2015 n'avait manifestement pas été signé par M. [P] [L], comme le confirmait un rapport d'expertise privée produit par M. [N] [L], les parcelles avaient cependant été exploitées au vu et au su de tous, sans que ni M. [P] [L], ni aucun des nus-propriétaires, pour la parcelle section [Cadastre 2], n'émette de contestation. De plus, la [...] justifiait du paiement de fermages, fin 2016, M. [W] [L] ayant écrit que les loyers avaient été versés entre les mains des enfants de M. [P] [L], à la demande de ce dernier.

M. [N] [L] a interjeté appel de ce jugement par déclaration datée du 31 août 2020.

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 31 mai 2021, il sollicite, au visa des articles 1240 et 1743 du code civil et de l'article L.411-1 du code rural, l'infirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et que la cour, statuant à nouveau, juge recevable et bien fondée sa demande, qu'elle juge que la [...] est occupante sans droit ni titre des parcelles en cause et, en conséquence, qu'elle :

- ordonne son expulsion de la parcelle ainsi que de tous occupants de son chef,

- la condamne à évacuer immédiatement, à signification du jugement à intervenir, sous peine d'une astreinte de 50 euros par jour de retard,

- en cas de besoin, ordonne le concours de la force publique pour l'exécution de la décision d'expulsion,

- déboute la [...] de l'ensemble de ses conclusions et la condamne aux entiers frais et dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

À l'appui de son appel, M. [N] [L] soutient que :

- le bulletin MSA de mutation des terres daté du 23 novembre 2015 ne peut avoir été signé par M. [P] [L], d'après une expertise graphologique qui n'a pu être effectuée qu'à partir d'une copie de ce bulletin, dans la mesure où la [...], qui en détient l'original, a refusé de produire celui-ci,

- M. [P] [L] n'a jamais donné son accord pour ce bail et aucun versement n'est intervenu à son profit ; il n'est pas démontré qu'il ait eu connaissance de l'exploitation même des parcelles par la [...], qui aurait commencé en novembre 2015, alors qu'il avait 86 ans et était en fin de vie, étant décédé le 25 décembre 2016,

- la gestion des terres familiales était assurée par M. [W] [L] depuis de très nombreuses années et une connivence frauduleuse existe entre lui et la [...], à laquelle il a cédé son exploitation, si bien que son affirmation selon laquelle le fermage aurait été payé aux enfants à la demande de M. [P] [L] n'est nullement objective, de même que ses déclarations selon lesquelles les parcelles litigieuses ont été données en fermage à cette [...],

- pour constituer la preuve d'un bail verbal, le paiement d'un loyer doit avoir été fait entre les mains de la personne ayant capacité à le recevoir ; or, les enfants de M. [P] [L] n'avaient pas capacité à consentir seuls un bail, n'ayant été que nus-propriétaires d'une seule des parcelles, celle cadastrée section [Cadastre 2].

Par ses conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 22 février 2021, la [...] sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, le rejet de l'intégralité des conclusions de M. [N] [L] et la condamnation de ce dernier aux entiers frais et dépens de la procédure ainsi qu'à lui payer la somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Invoquant l'existence d'un bail rural verbal relatif aux parcelles litigieuses, qu'elle affirme exploiter depuis novembre 2015 en accord avec M. [P] [L], la [...] se fonde en premier lieu sur un bulletin MSA de mutation de terres à son profit, daté du 23 novembre 2015, signé par M. [P] [L], contestant la valeur probante de l'expertise graphologique produite par M. [N] [L], notamment au motif qu'il s'agit d'une expertise privée non contradictoire.

Elle ajoute qu'elle n'avait aucune raison de soupçonner une contrefaçon de la signature de M. [P] [L], d'autant plus que ce document matérialisait la volonté de ce dernier de lui donner en fermage diverses parcelles, dont les trois litigieuses, alors que le précédent exploitant, son fils M. [W] [L] (EARL [L]), prenait sa retraite.

En second lieu, la [...] invoque le paiement du fermage effectué équitablement entre les trois enfants, à la demande de M. [P] [L] dont M. [W] [L] confirme la volonté, ce paiement aux enfants s'expliquant par le fait qu'ils avaient reçu, suite au décès de leur mère en 2014, la nue-propriété de l'une des parcelles. Or, non seulement M. [N] [L] ne s'est pas opposé au bail donné par son père sur cette parcelle, alors qu'il était en mesure de le faire en sa qualité de nu-propriétaire, mais il n'a manifesté aucune réticence à la réception de sa part du loyer, n'ayant contesté l'existence du bail consenti par son père que plusieurs mois après le règlement de la succession de celui-ci.

Soulignant qu'il s'agit bien d'une mise à disposition à titre onéreux d'une parcelle en vue de l'exploiter, constituant bien un bail rural au sens de l'article L.411-1 du code rural, la [...] ajoute, comme le tribunal l'a retenu, que ce bail est réputé conclu pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2016, eu égard à la superficie louée, supérieure au seuil de déclenchement du statut du fermage qui est de 50 ares pour les terres, près du Sungdau, d'après l'article 2 de l'arrêté préfectoral du 8 novembre 1995 portant application des dispositions du statut juridique du fermage dans le département du Haut-Rhin.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 07 décembre 2021.

MOTIFS

La [...] invoquant l'existence d'un bail rural verbal relatif aux parcelles litigieuses, qu'elle affirme exploiter depuis novembre 2015 en accord avec M. [P] [L], il lui appartient de rapporter la preuve de ce bail, étant rappelé, ainsi que l'a fait le tribunal, qu'une telle preuve est libre, un bail rural pouvant être conclu verbalement, conformément aux dispositions de l'article L. 411-4 du code rural.

En premier lieu, les parties font toutes les deux état d'une expertise en écritures produite par M. [N] [L], dont il sera précisé qu'elle a effectivement été versée aux débats à l'audience de plaidoirie du 8 avril 2022, avec l'autorisation de la cour, cette pièce n°13 ayant été communiquée à la société [...], bien que ne figurant pas au bordereau de communication de pièces de M. [N] [L].

Cependant, les conclusions de cette expertise privée ne peuvent qu'être écartées, cette expertise n'ayant pas été réalisée contradictoirement et n'étant corroborée par aucun autre élément de preuve.

En revanche, la cour est elle-même en mesure de procéder à une comparaison d'écritures, à l'aide des échantillons de signature de M. [P] [L] produits par l'appelant (pièce 12).

Ces échantillons de signature, datés respectivement du 25 février 2015, du 27 avril 2006 et du 26 août 2008, comportent de réelles similitudes mais aussi quelques différences entre eux. Cependant, des différences importantes les opposent à la signature de M. [P] [L] figurant sur le bulletin de mutation de terres du 23 novembre 2015, destiné à la MSA. Elles sont telles que la cour ne peut attribuer avec certitude la signature de ce bulletin de mutation de terres à M. [P] [L] et se fonder d'une quelconque manière sur ce document pour admettre l'existence d'un bail verbal consenti à la société [...].

Par ailleurs, si l'intimée a effectué trois versements de 1 050 euros chacun, en janvier 2016, par chèques, et s'il n'est pas contesté que ceux-ci, émis du vivant de M. [P] [L], en règlement de fermage, ont eu pour bénéficiaires chacun de ses enfants, dont l'appelant, l'encaissement de l'un de ces chèques par ce dernier n'est pas dépourvu d'équivoque, à le supposer établi puisque seul l'encaissement de deux chèques sur trois est démontré. En effet, M. [N] [L] ne savait pas nécessairement, à cette époque, qu'aucun bail n'avait été signé par la société [...].

De plus, aucune preuve n'est rapportée d'un quelconque paiement effectué entre les mains de M. [P] [L] lui-même, alors qu'il avait seul qualité pour le recevoir, en tant qu'usufruitier ou propriétaire des parcelles en cause.

La seule preuve d'un accord de M. [P] [L] pour donner ces parcelles en location à la société [...] repose donc sur l'attestation de M. [W] [L], d'après laquelle les parcelles en cause ont été données en fermage à la société [...] par leur père à compter de 2016, la société [...] ayant payé le fermage par trois chèques remis à sa s'ur, à son frère [N] et à lui-même, à la demande de leur père.

Cependant, la parole de ce témoin ne peut être totalement objective en ce que ce dernier a un intérêt au litige en tant que cédant, d'autant plus qu'en cette qualité, il a signé le bulletin de mutation des terres du 23 novembre 2015, document précédemment écarté par la cour puisque l'authenticité de la signature de M. [P] [L], en sa qualité de propriétaire de ces parcelles, n'est nullement établie.

En conséquence de l'ensemble des éléments développés ci-dessus et à défaut d'autre élément de preuve, l'existence du bail verbal invoquée par la société [...] n'est pas rapportée et cette dernière se trouve donc occupante sans droit ni titre des parcelles en cause. Il en résulte que le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de M. [N] [L] tendant à l'expulsion de cette société des parcelles en cause et que cette demande sera accueillie par la cour. Cette expulsion sera assortie d'une astreinte, nécessaire pour en assurer l'exécution, et le concours de la force publique sera également autorisé, aux mêmes fins, étant précisé que seule l'autorité administrative peut l'ordonner.

Le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions principales, il le sera également concernant les dépens et les frais exclus des dépens. La demande de M. [N] [L] étant accueillie, la société [...] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au versement, à l'appelant, de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exclus des dépens engagés à hauteur de cour.

Pour les mêmes motifs, la demande de la société [...] présentée sur le même fondement sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONSTATE que la pièce n°13 de M. [N] [L] a été versée aux débats à l'audience de plaidoirie du 8 avril 2022 avec l'autorisation de la cour, bien que ne figurant pas au bordereau de communication de pièces de M. [N] [L],

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Mulhouse le 04 août 2020,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

CONSTATE que la [...] est occupante sans droit ni titre des parcelles appartenant à M. [N] [L], situées sur la commune de [Localité 7] (68), cadastrées Section [Cadastre 2] Schneckenfuch Hinterholtz (1 ha 55 a 13 ca), Section [Cadastre 5] (3 ha 52 a 81 ca), et Section [Cadastre 5] (08 a 07ca),

ORDONNE l'expulsion de la [...] ainsi que de tous occupants de son chef, des parcelles appartenant à M. [N] [L], situées sur la commune de [Localité 7] (68), cadastrées Section [Cadastre 2] Hinterholtz (1 ha 55 a 13 ca), Section [Cadastre 5] (3 ha 52 a 81 ca), et Section [Cadastre 5] (08 a 07ca), et ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d'astreinte de 50,00 € (cinquante euros) par jour de retard passé ce délai et pendant une durée maximale de trois mois, au terme de laquelle il appartiendra aux parties, le cas échéant, de saisir le juge de l'exécution ;

AUTORISE M. [N] [L], en cas de besoin, à solliciter le concours de la force publique pour la mise en 'uvre de cette expulsion,

CONDAMNE la [...] aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la [...] à régler à M. [N] [L] la somme de 2 500,00 (deux mille cinq cents) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE la demande de la [...] présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02517
Date de la décision : 19/08/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-08-19;20.02517 ?
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