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07/07/2022 | FRANCE | N°20/02476

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 07 juillet 2022, 20/02476


MINUTE N° 316/2022





























Copie exécutoire à



- Me Loïc RENAUD



- Me Laurence FRICK





Le 07/07/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 7 JUILLET 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02476 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMJ5



D

écision déférée à la cour : 28 Juillet 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG





APPELANT et intimé incident :



Monsieur [S] [I]

demeurant [Adresse 14] à [Localité 19]



représenté par Me Loïc RENAUD, avocat à la cour.





INTIMÉS et appelants incidents :



...

MINUTE N° 316/2022

Copie exécutoire à

- Me Loïc RENAUD

- Me Laurence FRICK

Le 07/07/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 7 JUILLET 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02476 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMJ5

Décision déférée à la cour : 28 Juillet 2020 par le tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANT et intimé incident :

Monsieur [S] [I]

demeurant [Adresse 14] à [Localité 19]

représenté par Me Loïc RENAUD, avocat à la cour.

INTIMÉS et appelants incidents :

Monsieur [V] [D]

Madame [N] [I] épouse [D]

demeurant [Adresse 13] à [Localité 19]

représentés par Me Laurence FRICK, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller (rapporteur)

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 30 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [S] [I] est propriétaire à [Localité 19] de la parcelle cadastrée section 69 n°[Cadastre 9] où se trouve sa maison d'habitation, qu'il a acquise de son frère [X] [I] ; sa soeur, Mme [N] [I], épouse [D], et M. [D] (en qualité d'usufruitier) sont propriétaires des parcelles cadastrées section 69 n° [Cadastre 3] (où se situe l'allée - contigüe à la parcelle [Cadastre 9] du côté nord-est - qui conduit à leur maison d'habitation) et n° [Cadastre 11] (où se trouve la terrasse attenante à leur maison), laquelle est contigue à la parcelle [Cadastre 9] du côté sud-est.

Au 1er décembre 2015, M. [S] [I] d'une part, Mme [N] [I], épouse [D], de seconde part, et MM. [X] [I] (usufruitier) et [F] [E], de troisième part, étaient propriétaires indivis, chacun pour un tiers, des parcelles contiguës section 69 n°[Cadastre 7] et section 5 n° [Cadastre 17] ; M. [S] [I] aurait racheté selon les parties 'en 2018" la part de M. [F] et [X] [I] serait décédé.

Suivant acte de vente du 31 janvier 1984, ont été constituées des servitudes conventionnelles 'de vue et de fenêtres' réciproques entre les parcelles section 69 n°[Cadastre 9] d'une part, et section 69 n° [Cadastre 11] et [Cadastre 3] d'autre part, décrites comme suit :

- le nouveau propriétaire ([X] [I]) de la parcelle n°[Cadastre 9] concède pour lui-même et pour tout propriétaire ultérieur de la parcelle n°[Cadastre 9], à charge de celle-ci et au profit des parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 3] 'un droit de jours, d'ouvertures, de vue et de fenêtres à pratiquer dans la maison d'habitation à ériger' sur les parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 3] (l'acte précisant avant que cette maison comportera des ouvertures avec aménagement d' 'une terrasse et balcon' et sera implantée à une distance 'non réglementaire' de la limite parcellaire avec la parcelle n°[Cadastre 8]),

- les nouveaux propriétaires (époux [A]-[I]) des parcelles n° [Cadastre 11] et [Cadastre 3] concèdent pour eux-mêmes et pour tout propriétaire ultérieur des parcelles [Cadastre 11] et [Cadastre 3], à charge de celles-ci et au profit de la parcelle n°[Cadastre 9] 'un droit de jours, d'ouvertures, de vue et de fenêtres à pratiquer dans la maison d'habitation en cours de construction' sur la parcelle [Cadastre 9] (l'acte précisant avant que cette maison - comportant plusieurs ouvertures et fenêtres - est implantée à une distance 'non réglementaire' de la limite parcellaire avec les parcelles n° [Cadastre 10] et [Cadastre 2]).

A également été constituée par cet acte une servitude de passage conventionnelle sur les parcelles indivises section 69 n° [Cadastre 7] et section 3 n°[Cadastre 1], devenue section 5 n°[Cadastre 17] (alors propriété des époux [A]-[I], de [X] [I] et de Mme [P] [H]) , permettant un accès notamment aux parcelles [Cadastre 9], [Cadastre 3] et [Cadastre 11] (+ [Cadastre 5]) par la [Adresse 18].

Suivant demande de permis de construire acceptée le 3 août 2015, M. [S] [I] a été autorisé à démolir un abri bois et à construire un garage, avec remise, sur sa parcelle n°[Cadastre 9] à l'arrière de son terrain, en bordure du terrain des époux [D]. Il a demandé des modifications de ce permis, accordées les 25 novembre et 11 décembre 2015 : suppression d'une fenêtre façade sud-est (soit face à la terrasse de la maison [D]) et pose d'une porte de garage à la place d'une porte façade sud-est ainsi que suppression de deux fenêtres façade sud-ouest (côté

contigu à la parcelle [Cadastre 12], non concernée par le présent litige) et suppression de 2 chassis fixes façade nord-est (côté limitrophe avec le chemin d'accès situé sur la parcelle n°[Cadastre 2]).

Les époux [D] ont assigné M. [I] par acte du 18 avril 2016 aux fins, à titre principal, de destruction du garage ; une expertise a été ordonnée par le juge de la mise en état le 26 juin 2018, confiée à M. [Z], lequel a établi un rapport le 30 janvier 2019, après visite des lieux le 20 décembre 2018.

Par jugement en date du 28 juillet 2020, le tribunal a :

- dit qu'en entreprenant la construction du garage/remise, M. [I] avait contrevenu à 'la servitude de vue' dont bénéficiaient les parcelles cadastrées section 69 n°[Cadastre 3] et [Cadastre 11],

- condamné celui-ci à démolir ce garage/remise à ses frais, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, passé un délai de 3 mois à compter de la signification de la décision, et s'est réservé la liquidation de cette astreinte,

- débouté M. [I] de ses demandes en dommages et intérêts, d'une part pour la procédure engagée et l'arrêt du chantier et, d'autre part, pour entrave à la servitude de passage prévu à l'acte du '31" janvier 1984,

- débouté les époux [D] de leur demande en dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamné M. [I] aux dépens, y compris les frais d'expertise judiciaire, et à payer la somme de 1 500 euros aux époux [D] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le tribunal a retenu s'agissant de la construction du garage/remise que :

- une servitude continue et apparente, telle que celle revendiquée par les époux [D], était susceptible de s'acquérir par la possession de trente ans conformément à l'article 690 du code civil,

- les travaux de construction de la maison des époux [D] avaient démarré en juillet 1984 et les fenêtres et vitrages avaient été posés au début de l'année 1985 et en tout cas avant octobre 1985, de sorte qu'ils avaient une possession de trente ans d'une vue bien dégagée à partir de leur terrasse sur la parcelle adverse [Cadastre 9] et sur leur propre parcelle [Cadastre 3] à la date du début d'édification du garage en octobre 2015,

- le bâtiment que M. [I] se proposait d'élever sur son terrain aurait pour conséquence de les priver de cette vue,

- en application des articles 701 et 702 du code civil, le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne pouvait rien faire qui en diminuait l'usage et celui du fonds dominant ne pouvait faire de changement aggravant la condition du fonds servant,

- l'objet de la servitude conventionnelle dont bénéficiait le fonds [Cadastre 9] de M. [I] excluait de son bénéfice toute autre construction que la maison d'habitation initialement érigée par [X] [I], de sorte qu'il ne pouvait s'appuyer sur cet acte pour être autorisé à poursuivre la construction,

- le garage/remise aurait inévitablement pour conséquence de limiter la vue à laquelle les époux [D] pouvaient légitimement prétendre en raison de la servitude conventionnelle.

Sur la servitude de passage, il a relevé que :

- la lecture du rapport d'expertise révélait des entraves à l'accès à la parcelle [Cadastre 9] ([I]) par les parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 7] (débitrices à son égard d'une servitude de passage), le débouché sur rue de la parcelle [Cadastre 16] étant barré par un mur et ces deux parcelles étant en totalité ou pour moitié occupées par des talus végétalisés,

- mais les circonstances dans lesquelles le passage avait été entravé demeuraient 'relativement floues' et M. [I] ne s'expliquait pas quant au préjudice qu'il aurait subi.

*

M. [I] a interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 26 août 2020.

Par conclusions du 23 novembre 2021, il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :

- rejeter l'appel incident/demande subsidiaire des intimés (35 000 euros de dommages et intérêts),

- l'autoriser à achever 'et/ou reprendre' sa construction,

- condamner solidairement les époux [D] à lui payer, à titre de dommages et intérêts, les sommes suivantes :

* 5 000 euros en réparation de son préjudice moral (du fait de l'attitude des époux [D] et du retard dans la construction du garage) et 15 000 euros de son préjudice financier (du fait de l'arrêt du chantier),

*15 000 euros en réparation de son préjudice moral du fait du non respect de la servitude de passage,

- condamner solidairement les époux [D] aux dépens et à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelant conteste l'acquisition par le fonds des intimés d'une servitude de jour par la possession trentenaire puisqu'une servitude conventionnelle a été concédée dans l'acte de 1984.

Au soutien de sa contestation des demandes des époux [D], il fait valoir que :

- les époux [D] ne bénéficiaient pas d'une vue dégagée depuis leur terrasse sans la construction du garage puisqu'il s'agit d'une vue sur l'arrière de sa maison constitué d'un petit terrain sur lequel il entrepose du matériel,

- ils n'avaient pas non plus de vue depuis cette terrasse sur leur parcelle [Cadastre 3] puisque sa maison est entre cette terrasse et la parcelle [Cadastre 3],

- l'expert a indiqué que le garage ne contrevenait pas à la servitude conventionnelle,

- il est d'une hauteur inférieure à l'implantation de la terrasse, de sorte qu'il ne peut les priver d'ensoleillement,

- la servitude bénéficie à tout le fonds dominant et pas seulement à la maison,

et le garage est une dépendance, faisant partie intégrante de la maison selon le code de la construction et de l'habitation, de sorte que celui-ci doit bénéficier de la servitude concédée en 1984,

- l'expert a noté que Mme [D] confondait servitude de vue et champ de vision, croyant que la servitude la protégeait de toute construction pouvant lui boucher la vue, alors que la servitude avait l'effet inverse, assouplissant les conditions de construction et supprimant les distances relatives aux vues pour les nouvelles constructions,

- le nouvel argument développé sur le fondement du trouble anormal de voisinage est également inopérant puisque le garage n'a pas d'impact sur l'ensoleillement selon le constat d'huissier du 17 mai 2017 qu'il produit, se situant en dessous du balcon et de la terrasse,

- leur portail d'entrée de 1,90 m de haut, en amont de la terrasse, gêne depuis son édification la prétendue vue dégagée de leur terrasse,

- aucun élément ne démontre une nuisance visuelle,

- l'expert n'a pas conclu à une violation des dispositions du code de l'urbanisme.

Sur sa propre demande concernant la violation de la servitude de passage, il conteste que les divers aménagements aient été faits d'un commun accord entre les époux [D] et 'feu [X] [I]', soutenant que c'est M. [L] [A], premier époux de Mme [D], qui a construit le mur empêchant l'accès à la parcelle [Cadastre 16], et non [X] [I] comme soutenu, et que c'est Mme [D], ce qu'elle ne conteste pas, qui a érigé les soutènements avec des bacs à fleurs en béton ; il affirme subir un préjudice moral 'évident' résultant notamment du fait que le mur l'empêche d'entretenir son propre terrain et met en compte la somme de 15 000 euros compte tenu de 'l'ancienneté de la violation'.

*

Par conclusions du 5 octobre 2021, les époux [D] concluent à la confirmation du jugement déféré, en tant que de besoin par substitution de motifs, et sollicitent une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. A titre subsidiaire, si la cour estimait qu'il n'y a pas lieu de détruire le garage, ils réclament 35 000 euros de dommages et intérêts.

Ils font valoir que :

- l'objet des servitudes dans l'acte de 1984 est précisément délimité aux maisons d'habitation et ne peut être étendu à une dépendance ou une autre construction que celle visée, alors qu'il s'agit d'une exception aux prescriptions légales, devant être interprétée strictement,

- le permis de construire est toujours accordé sous réserve des droits des tiers,

- la construction du garage en cours les prive de la vue dégagée qu'ils avaient précédemment de la terrasse, vue qu'ils avaient acquise par prescription trentenaire comme retenu par le tribunal,

- leur portail n'est pas situé dans le champ de vision de la terrasse mais au sud- est de leur propriété,

- le mur en cours d'édification se trouvera juste en face de leur terrasse et de leur balcon et, une fois terminé (4 m de haut selon le permis de construire), ils n'auront plus qu'une vue sur le mur du garage,

- le constat d'huissier adverse a été effectué alors que la construction n'était pas terminée et les explications de l'huissier sont incompréhensibles,

- en tout état de cause, ils sont bien fondés à se prévaloir d'un trouble anormal de voisinage du fait de la perte de lumière et d'ensoleillement de la partie de propriété en face du garage, ce qui créera 'une sorte d'enfermement', alors que la zone est semi- rurale, et une perte de l'agrément de leur terrasse, d'autant que M. [I] accumule des matériaux et déchets entre le mur du garage projeté et la limite de propriété.

Ils s'opposent aux demandes financières adverses, relevant que M. [I] a démoli deux pans de son garage début octobre 2020, alors que le jugement déféré n'était pas exécutoire et que Mme [D] présente elle-même un syndrome anxio-dépressif.

Sur la servitude de passage, ils font valoir que le mur édifié sur la parcelle [Cadastre 17] a été édifié d'un commun accord et à frais partagés à la demande de [X] [I] et que l'appelant ne demande pas sa destruction, ayant accès à sa parcelle par un passage goudronné sur les parcelles [Cadastre 15],[Cadastre 4] et [Cadastre 6], outre que son fonds est

desservi par une entrée située sur sa propriété depuis 2013 ; ils indiquent avoir aussi proposé la destruction du mur à frais partagés, 1/3, 2/3 compte tenu des droits de chacun, ce que M. [I] a refusé.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises à la cour par voie électronique.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance en date du 7 décembre 2021.

MOTIFS

1- Sur les demandes concernant la construction du garage

1-1- Les servitudes de vue

La servitude conventionnelle dont bénéficie le fonds [D] en vertu de l'acte du 11 janvier 1984 avait seulement pour objet de permettre la création d'ouvertures dans la maison à ériger, d'où s'exercerait une vue, sans respecter les distances légales prévues aux articles 676 à 680 du code civil.

Elle ne donne pas aux propriétaires de la parcelle n°[Cadastre 11] le droit à une vue dégagée depuis la terrasse et le balcon de leur maison vers le fonds voisin n°[Cadastre 9]. Tout au plus, elle empêche, en vertu des articles 678 et 680 du code civil, le propriétaire du fonds grevé de la servitude - soit M. [I] - d'édifier une construction qui se trouverait, en un endroit, à moins de 19 dm d'un point quelconque de la ligne extérieure du balcon ou de la terrasse (civ 3, 03-12-2003 n°01-17.293).

Or en l'espèce, il ressort de l'expertise que la façade, donnant sur la parcelle n°[Cadastre 11], du garage, en cours de construction sur la parcelle [Cadastre 9], est construite à 3,71 m de la limite séparative au point le plus proche, de sorte qu'il n'existe pas de difficulté quant au respect de cette servitude.

De même, c'est à tort que le premier juge a considéré que les époux [D] avaient pu acquérir par prescription trentenaire une servitude de vue leur donnant droit à une vue dégagée depuis leur terrasse ; tout au plus, une telle servitude n'aurait pu qu'empêcher leur voisin d'édifier une construction qui se trouverait, en un endroit, à moins de 19 dm, soit 1,90 m, d'un point quelconque de la ligne extérieure du balcon ou de la terrasse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le garage étant au moins à plus de 3,71 m de la ligne extérieure de la terrasse, qui n'est pas immédiatement sur la limite séparative.

Il est par ailleurs sans intérêt pour M. [I] d'invoquer la propre servitude conventionnelle de vue dont bénéficie son fonds en vertu de l'acte du 11 janvier 1984 pour faire obstacle à la demande dirigée à son encontre et être autorisé à poursuivre la construction ; en effet, les époux [D] ne se plaignent pas des vues qu'il aurait sur leur fonds depuis ledit garage, mais de ce que celui-ci obstrue leur propre vue, et, selon les termes mêmes de l'acte de constitution de servitude, elle ne concernait que la maison en cours de construction.

1-2 Le trouble anormal de voisinage

Il est de principe que nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

En l'espèce, selon le permis de construire, la hauteur du mur du garage, faisant face à la terrasse doit être de 4 m, ce qui imposait d'ailleurs, selon l'expert, qu'il soit construit à un minimum de 3 m de la ligne séparative conformément au plan local d'urbanisme de la commune.

Selon le procès-verbal de constat d'huissier produit par M. [I] dressé le 17 mai 2017, la terrasse des époux [D] est surélevée par rapport au terrain naturel de M. [I] d'une hauteur de 1,40 m.

Si, à la date de ce procès-verbal, les murs du garage n'émergeaient qu' 'à 2,34 m par rapport au terrain naturel' et que le pilier du portail [D] était plus haut que le mur du garage, la construction s'est poursuivie ; il ressort de la photographie figurant à la page 3/12 du procès-verbal de constat produit par les époux [D], dressé le 5 avril 2018, que la hauteur des murs nord-est et sud-est dépassait à cette date celle du pilier du portail et que 4 parpaings supplémentaires s'étaient ajoutés à ceux existant le 17 mai 2017 (selon la photographie en page 6 du constat fait à cette date).

Les photographies produites par les époux [D] depuis leur chemin d'accès situé sur la parcelle [Cadastre 2] démontrent aussi que le mur du garage longeant la clôture séparative, entre les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 8], est plus haut que la balustrade de la terrasse et que cette dernière est cachée par ledit mur.

La photographie, qu'ils produisent en annexe 26-2, sur laquelle est imprimée la date du 22/07/2017, met en évidence la vue imposante et proche du mur en construction depuis la terrasse.

Même s'il existe une distance entre l'implantation du mur du garage et la limite séparative comprise entre 3,71 et 4,81 m selon le plan levé et dessiné le 10 janvier 2019 par l'expert, outre un espace clos par des planches le long de la limite extérieure de la terrasse, séparant cette dernière de la limite entre les deux parcelles, il apparaît que le mur faisant face à la terrasse créera, en raison de sa hauteur, lorsqu'il sera terminé, une sensation d'enfermement et une perte d'agrément de la terrasse, constitutives d'un trouble anormal de voisinage.

Le constat dressé par l'huissier le 17 mai 2017 entre 16 h 15 et 17 h 15, selon lequel il n'existe pas d'ombre portée du garage en construction sur la terrasse ne saurait établir l'absence de perte d'ensoleillement puisque le mur n'avait pas atteint sa hauteur définitive ainsi qu'il a été dit ci-dessus.

En revanche, celui-ci entraînera nécessairement une perte d'ensoleillement et de lumière en fin de journée compte tenu de la hauteur envisagée et de l'orientation de la terrasse.

Ce trouble justifie la destruction du garage sous astreinte, telle qu'ordonnée par le premier juge, étant seule propre à le faire cesser ; le jugement sera donc confirmé de ce chef par substitution de motifs.

Il résulte par ailleurs du trouble retenu que d'une part, M. [I] doit être débouté de sa demande aux fins d'être autorisé à achever et/ou reprendre sa construction et que, d'autre part, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté M. [I] de ses demandes en dommages et intérêts, du fait du préjudice moral causé par le retard dans la construction du garage et par l'attitude des intimés à son égard ainsi que du fait du préjudice financier résultant de l'arrêt du chantier.

2- Sur la demande de M. [I] concernant la violation de la servitude de passage

M. [I], sollicitant des dommages et intérêts, doit rapporter la preuve d'une faute des époux [D] et du préjudice en résultant pour lui.

Il convient de rappeler que M. [S] [I] est lui-même propriétaire indivis des parcelles section 5 n° [Cadastre 16] et section 69 n°[Cadastre 6], grevées de la servitude de passage au profit notamment de sa parcelle [Cadastre 8].

L'expert a constaté que :

- l'accès à la parcelle [Cadastre 16] était impossible depuis la [Adresse 18] en raison de la présence d'un mur en bloquant l'accès,

- l'accès à la parcelle [Cadastre 6], par la parcelle [Cadastre 16] (qui seule donne sur la rue), n'était pas envisageable en raison de la présence d'un talus végétalisé sur la parcelle [Cadastre 16],

- la parcelle [Cadastre 6] était elle-même constituée d'un talus végétalisé pour moitié.

Cependant, il ressort de l'expertise que ces aménagements ont été réalisés d'un commun accord entre les indivisaires (même si, à l'époque, c'était [X] [I] et pas encore [S] [I], qui était propriétaire indivis) 'dans une optique de moindres frais quitte à dévier de l'emprise de la servitude' ; l'expert a constaté en même temps que l'accès aux parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 8] par la [Adresse 18] se faisait par un chemin en béton, à cheval sur les parcelles section 5 n°[Cadastre 15] (propriété de Mme [D], donnant sur la [Adresse 18]) et section 69 n°[Cadastre 4] et [Cadastre 6], les terres du talus en bordure des parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 6] étant soutenues par des bacs à fleurs en béton.

Les attestations produites par M. [I], rédigées le 10 février 2018 par MM. [F] et [X] [I], se plaignant de l'absence d'accès au droit de passage des parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 6], ne démontrent pas l'absence d'accord des indivisaires lors de la réalisation de l'ensemble des aménagements précités.

La preuve d'une faute de Mme [D] ou des époux [D] n'est donc pas rapportée.

De plus, M. [I] ne demande pas la démolition du mur empêchant l'accès à la parcelle n° [Cadastre 16], ni l'enlèvement des plantations et l'aménagement des talus situés sur les parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 6] pour les rendre carrossables ; et il ne conteste pas qu'il dispose d'autres accès à sa parcelle n°[Cadastre 8] depuis la [Adresse 18], de sorte qu'il n'établit pas subir un préjudice du fait de l'impossibilité de passage par les parcelles section 5 n° [Cadastre 16] et section 69 n°[Cadastre 6] pour accéder à sa parcelle.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral.

3- Sur les dépens et frais non compris dans les dépens

Eu égard à la solution donnée au litige, le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions afférentes aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.

L'appelant, qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer aux intimés une somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés en cause d'appel, ces condamnations emportant rejet de la demande de l'appelant tendant à être indemnisé de ses propres frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu publiquement par mise à disposition au greffe, conformément à l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a dit qu'en entreprenant la construction d'un garage/remise sur la parcelle cadastrée section 69 n°[Cadastre 9], M. [S] [I] avait contrevenu à la servitude de vue dont bénéficiaient les parcelles cadastrées section 69 n°[Cadastre 3] et [Cadastre 11] ;

Statuant à nouveau de ce chef,

DIT que le garage en construction n'a pas contrevenu à la servitude de vue dont bénéficiaient les parcelles cadastrées section 69 n°[Cadastre 3] et [Cadastre 11] , mais a causé aux époux [D] un trouble anormal de voisinage,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus et y ajoutant,

DÉBOUTE M. [S] [I] de sa demande aux fins d'être autorisé à achever et/ou reprendre la construction de son garage,

CONDAMNE M. [S] [I] à payer à M. [V] [D] et Mme [N] [I], épouse [D], ensemble, la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre des frais non compris dans les dépens exposés par eux en cause d'appel ;

CONDAMNE M. [S] [I] aux dépens d'appel et le DÉBOUTE de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens qu'il a exposés en cause d'appel .

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02476
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;20.02476 ?
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