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28/06/2022 | FRANCE | N°21/01151

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 28 juin 2022, 21/01151


MINUTE N° 22/582

















































NOTIFICATION :



Pôle emploi Alsace ( )







Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées



Le



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

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ARRET DU 28 Juin 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01151

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQP3



Décision déférée à la Cour : 26 Janvier 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE



APPELANTE :



S.E.L.A.R.L. HAVEL

prise en la personne de son représentant légal

N°...

MINUTE N° 22/582

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 28 Juin 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01151

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQP3

Décision déférée à la Cour : 26 Janvier 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. HAVEL

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 478 288 624

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Emmanuelle RALLET, avocat au barreau de MULHOUSE

INTIMEE :

Madame [O] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme DORSCH, Président de Chambre, et M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. EL IDRISSI, Conseiller

M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat de travail entré en vigueur le 05 janvier 2001, Mme [O] [Y], née le 09 juillet 1972, a été embauchée par le groupement d'intérêt économique Schoenahl-Havel, en qualité de secrétaire médicale.

Le contrat de travail a été transféré à la SELARL Havel qui, selon ses dires, comptait deux cabinets médicaux spécialisés en urologie regroupant deux médecins, quatre secrétaires et une assistante administrative et comptable. Il relève de la convention collective nationale du personnel des cabinets médicaux.

Par avenant en date du 1er juillet 2008, les parties sont convenues d'une réduction de la durée du travail fixée à 28 heures par semaine.

La salariée occupait en dernier lieu les fonctions de secrétaire au coefficient 240.

Le 13 octobre 2014, Mme [Y] a adressé un courrier à son employeur lui reprochant les réactions violentes de celui-ci à son égard, le même jour, devant ses collègues de travail ainsi qu'un patient.

L'employeur a notifié à Mme [Y] deux avertissements datés du 17 octobre 2014, le premier sanctionnant un dépassement horaire de la salariée sans autorisation le 13 octobre 2014 et le second visant à sanctionner le fait pour celle-ci d'avoir, le 17 octobre 2014, harcelé une collègue de travail afin de tenter de l'intimider.

En date du 19 janvier 2015, Mme [Y] contestait ces deux sanctions disciplinaires.

Mme [Y] a été convoquée par courrier du 13 février 2015 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement pour motif économique fixé au 23 février 2015.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 09 mars 2015, Mme [Y] a été licenciée pour motif économique. Elle acceptait le dispositif du contrat de sécurisation professionnelle à effet au 16 mars 2015.

Par courrier du 17 avril 2015, Mme [Y] a fait valoir sa priorité de réembauchage, a demandé le détail des critères d'ordre de licenciement, a signalé une erreur dans son certificat de travail et a indiqué contester le licenciement.

En dépit du courrier de réponse de l'employeur du 20 avril 2015 accompagné d'un certificat de travail rectifié, Mme [Y] a, par lettre adressée à la SELARL Havel en date du 11 mai 2015, indiqué le maintien de la contestation de son licenciement.

Par suite, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Mulhouse d'un recours en contestation de son licenciement.

Elle a demandé en dernier lieu au conseil de prud'hommes de déclarer le licenciement économique intervenu à son encontre dénué de cause réelle et sérieuse et a réclamé en conséquence le paiement d'une somme de 14.186,53 euros à titre de dommages et intérêts outre l'application des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, la condamnation de la défenderesse aux entiers frais et dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 26 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Mulhouse a':

- déclaré la demande de Mme [Y] recevable et bien fondée';

- dit et jugé que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse';

- condamné la SELARL Havel à payer à Mme [Y] les montants de':

- 9.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';

- 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les salaires et accessoires de salaire et a ordonné l'exécution provisoire pour le surplus';

- dit que les intérêts légaux sont dus pour les salaires et accessoires à compter de la réception par la défenderesse de la convocation devant le bureau de jugement, soit le 31 juillet 2020 et pour le surplus, à compter du prononcé du jugement le 26 janvier 2021';

- débouté les parties de toutes conclusions plus amples ou contraires';

- condamné la société Havel aux entiers dépens de la procédure, y compris les éventuels frais d'exécution par voie d'huissier de justice.

La SELARL Havel a interjeté appel de ce jugement le 22 février 2021 (affaire numéro RG 21/01151) et selon exploit d'huissier du 05 mai 2021, elle a fait citer Mme [Y] devant la Première présidente de la cour d'appel de Colmar aux fins de voir ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire de cette décision (affaire numéro RG 21/00049).

Par ordonnance de référé du 30 juillet 2021, Madame la Première présidente de la cour d'appel de Colmar a rejeté l'ensemble des demandes présentées par la SELARL Havel, y compris sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a condamnée aux dépens de l'instance en référé ainsi qu'à payer à Mme [Y] une somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

***

Selon les conclusions trans mises par voie électronique le 18 novembre 2021, la SELARL Havel demande à la cour':

- sur l'appel principal, d'infirmer le jugement entrepris, de dire et juger le licenciement de Mme [Y] fondé sur une cause réelle et sérieuse et de débouter cette dernière de l'intégralité de ses fins et conclusions';

- sur l'appel incident, de débouter Mme [Y] de l'intégralité de ses fins et conclusions, subsidiairement de réduire le montant des dommages et intérêts mis à sa charge';

- en tout état de cause, de condamner Mme [Y] à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon conclusions transmises par voie électronique le 19 août 2021, Mme [O] [Y] conclut à ce qu'il plaise à la cour':

- sur l'appel principal, de débouter la SELARL Havel de l'intégralité de ses fins et conclusions';

- sur son appel incident, d'infirmer partiellement la décision déférée sur le quantum des dommages et intérêts alloués et de condamner la SELARL Havel à lui verser la somme de 14.186,53 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de confirmer la décision entreprise pour le surplus';

- en tout état de cause, de condamner la société appelante aux entiers frais et dépens des deux instances ainsi qu'au paiement de la somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 mars 2022.

En réponse au soit-transmis adressé au conseil de l'intimée le 08 mars 2022, Maître [L] a précisé qu'il ne produit aucune pièce annexe au soutien de ses conclusions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur le licenciement

A. Sur le motif économique

Selon l'article L.1233-3 du code du travail, dans sa version résultant de la loi n°2008-596 du 25 juin 2008 applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

La réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

Ce n'est que si la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise est établie que sa réorganisation peut constituer un motif économique de licenciement.

La sauvegarde de la compétitivité ne se confond pas avec la recherche de l'amélioration des résultats, et, dans une économie fondée sur la concurrence, la seule existence de la concurrence ne caractérise pas une cause économique de licenciement.

La cour est tenue de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l'adéquation entre la situation économique de l'entreprise et les mesures affectant l'emploi ou le contrat de travail envisagées par l'employeur, mais elle ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu'il effectue dans la mise en 'uvre de la réorganisation.

Si la réalité du motif économique du licenciement doit être appréciée à la date du licenciement, il peut être tenu compte d'éléments postérieurs à cette date permettant au juge de vérifier si la réorganisation était nécessaire ou non à la sauvegarde de la compétitivité.

Par ailleurs, en application de l'article L.1233-16 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur, motifs qui doivent être matériellement vérifiables, mais encore préciser leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié concerné.

La lettre de licenciement adressée à Mme [Y] le 09 mars 2015 est ainsi motivée':

«'Contexte économique

Des patients tendent à différer leurs prises de rendez-vous'; phénomène constaté par les Pouvoirs Publics qui révèlent qu'environ 25 % de la population sont touchés par le «'renoncement aux soins'» selon l'étude publiée par l'IRDES (Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé) en juin 2014.

Dans le même contexte, il est constaté une diminution notable de la chirurgie en France, notamment à [Localité 4] avec une diminution de 50 % des prostatectomies.

Sur le Haut-Rhin, l'un des «'urologues historiques'» effectue des missions en complément de son activité actuelle et s'est inscrit pour ce faire sur le site de l'AFU, conséquence de la raréfaction des patients.

Visant le Cabinet médical, il est constaté une baisse de prises de rendez-vous des patients se traduisant notamment par une réduction des consultations et des soins plus généralement.

L'ensemble de ces facteurs a conduit l'entreprise à adapter son offre de soins, notamment par la suppression du poste de Médecin salarié.

Pour tenir compte de ce contexte défavorable et s'y adapter, l'entreprise a décidé de

supprimer 1 (un) poste de salarié visant le secrétariat médical, seule fonction directement concernée par la réduction de l'offre de soins.

Dans ces conditions, les personnes visées par le projet de licenciement sont :

°°° La distinction d'emploi «'secrétaire'» et «'secrétaire médicale'» est sans objet au cas présent, visant le même coefficient 204 fixé par la convention collective applicable «'Convention collective nationale du personnel des Cabinets médicaux'» dont relève l'entreprise'».

Au soutien de la réformation du jugement entrepris qui a constaté l'absence d'éléments chiffrés et comptables démontrant les difficultés économiques de la SELARL, la société appelante invoque avoir recouru au licenciement pour motif économique de la salariée et supprimé son poste de travail afin de sauvegarder la compétitivité du cabinet médical.

La société Havel indique qu'elle compte deux cabinets médicaux spécialisés en urologie dans le Haut-Rhin au sein desquels travaillaient, au moment des faits, deux médecins, quatre secrétaires ainsi qu'une personne assurant l'administration et la comptabilité de l'entreprise.

Elle explique que Mme [Y] a été embauchée en qualité de secrétaire médicale, qu'elle bénéficiait du coefficient 204 de la convention collective appliquée comme les secrétaires et que l'appellation du poste résulte de la date d'embauche en raison des évolutions conventionnelles.

S'agissant de la préservation de la compétitivité de l'entreprise, la SELARL Havel ' qui ne conteste pas avoir bénéficié d'une situation financière saine au jour du licenciement ' invoque':

- un contexte de paupérisation de la population renonçant aux soins depuis 2010, généralisé en 2014';

- une baisse du nombre de consultations des patients du cabinet entre octobre 2014 et janvier (-8%) / février 2015 (-11%), corrélative à la mise en liquidation judiciaire de la polyclinique des 3 frontières à [Localité 5] avec laquelle elle travaillait';

- l'anticipation de la suppression du poste de secrétaire médicale au regard de l'offre de soins et à réduction de moitié du nombre de médecins (passant de deux à un) en février 2015 pour un départ effectif du docteur [R] le 09 mai 2015.

L'intimée rétorque que la réorganisation du cabinet n'est pas prouvée par le SELARL Havel.

Elle conteste la qualité de secrétaire médicale en rétorquant qu'elle occupe un poste de secrétaire ainsi que les mentionnent les bulletins de paie sans que l'employeur n'opère de distinction entre ces postes alors qu'un poste de secrétaire médical devenait superflu.

Elle fait valoir que l'employeur se prévaut de documents très généraux et de chiffres anciens remontant à l'année 2012.

Elle entend faire observer que la société appelante excipe d'un tableau d'évolution du nombre de consultations non corroboré par des éléments objectifs.

Surtout, elle considère que l'employeur se contente de comparer le chiffre des consultations de janvier et février 2015 avec des données du quatrième trimestre 2014.

Concernant les chiffres indiqués au titre du mois de février 2015, Mme [Y] fait valoir qu'ils sont partiels en ce qu'elle a été convoquée à l'entretien préalable par courrier du 13 février 2015.

Elle indique que la SELARL Havel n'apporte aucun élément de comparaison par rapport aux années complètes précédentes, notamment 2014.

S'agissant de la prévisibilité des difficultés économiques, la société n'indique pas l'évolution de la situation au cours de l'année 2015.

****

La cour constate, s'agissant de l'élément matériel, la suppression effective d'un des quatre postes de secrétaires / secrétaires médicales consécutivement au départ de l'un des deux médecins du cabinet.

Quand bien même Mme [Y] allègue l'embauche d'une nouvelle secrétaire médicale à durée indéterminée à compter du 16 octobre 2014, celle-ci est antérieure à l'engagement de la procédure de licenciement et a fait suite au départ d'une salariée de l'entreprise en date du 10 novembre 2014.

La société n'a procédé à aucune embauche consécutivement ou postérieurement au licenciement de l'intimée et Mme [Y] n'a pas été remplacée.

Il est donc établi que la SELARL Havel a procédé à une restructuration dans le cadre de difficultés économiques ayant entraîné la suppression d'un poste de secrétaire médicale.

Concernant l'élément causal du licenciement, la lettre de licenciement fait état, en premier lieu, d'une diminution notable de la chirurgie en France.

Au soutien de sa démonstration, la société Havel se prévaut du taux important de renonciation aux soins par une partie de la population française pour des raisons financières depuis 2010.

Elle produit une copie d'un colloque administratif intervenu le 22 novembre 2011, une question écrite au gouvernement, un extrait de l'étude de l'IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) relative au recours et au renoncement aux soins pour l'année 2012, une enquête réalisée par l'URAF (Union régionale des associations familiales) Alsace en 2014 intitulée «'Pourquoi ne vous soignez-vous pas'''», éléments qui, s'ils émanent d'instances ayant autorité en matière sociale dressant le constat d'une renonciation aux soins d'une partie de la population, ne permettent pas d'établir une incidence de cette diminution de recours aux soins sur l'emploi, le contrat de travail de la salariée et l'activité du cabinet médical.

La SELARL Havel ne produit aucun élément comptable permettant d'observer une diminution d'activité depuis 2010 ou 2014 qui aurait permis de justifier la nécessité de la mise en 'uvre d'une réorganisation du cabinet pour prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions dans le recours aux soins de sa patientèle.

En effet, la SELARL Havel se contente de se référer aux données chiffrées de la science sociale et sanitaire sans justifier de l'impact de ces données dans son secteur d'activité professionnel. Quand bien même l'employeur invoque dans la lettre de licenciement, une baisse de moitié des prostatectomies dans le secteur de [Localité 4], il ne communique aucune donnée permettant de constater les conséquences de cette évolution sur l'activité du cabinet.

De plus, s'agissant des seules données objectives relatives au nombre de consultations, dont la nature et le taux de suivi effectif des patients restent inconnus, l'employeur compare la période des deux premiers mois de l'année 2015 aux données du quatrième trimestre 2014 alors que la seule baisse du nombre de consultations sur une courte période de deux mois, incomparable avec une période plus longue et reposant sur des mois différents de l'année précédente, ne permet pas d'établir une baisse objective du nombre de consultations ni une évolution avérée de l'activité de l'entreprise ou de son environnement porteuses de difficultés économiques à venir.

En deuxième lieu, si la SELARL Havel a constaté une baisse de prises de rendez-vous des patients ainsi qu'une réduction des soins, l'employeur ne fournit aucune donnée objective relative au nombre d'actes pratiqués ni au chiffre d'affaires généré sur cette période ou celui projeté pour l'avenir, ni des pertes enregistrées ou envisagées.

Quand bien même l'employeur argue en troisième lieu du départ de l'un des deux médecins de l'entreprise, aucune distinction des actes accomplis par chacun des deux médecins n'est fournie, ni aucune appréciation de leurs compétences respectives ou du chiffre d'affaires généré.

Le seul élément chiffré sur ce point résulte de la lettre de licenciement pour motif économique du docteur [R] (pièce n°30 de l'appelante) dont il appert un déséquilibre entre le coût salarial total du médecin et les honoraires générés par celui-ci au dernier trimestre 2014 ' précisément le trimestre de référence de la période «'haute'» de consultations opposée de manière contradictoire à Mme [Y] ', en moyenne à 4.985 euros mensuels, soit une très faible part des honoraires enregistrés au titre de l'exercice fiscal 2019 (830.749,63 euros), seule donnée économique objective dans les débats depuis 2014 et avant la crise sanitaire liée à la Covid-19.

Au vu des développements qui précèdent, la lettre de licenciement ne comporte pas les motifs requis pour justifier de la nécessité de procéder au licenciement pour motif économique afin de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, de sorte que le licenciement se trouve pour ce seul motif dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par conséquent, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

B. Sur le respect des critères d'ordre

L'article L.1233-5 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, impose à l'employeur de définir les critères qu'il va suivre pour fixer l'ordre des licenciements à l'occasion d'un licenciement pour motif économique en tenant compte des charges de famille, en particulier celles des parents isolés, de l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, de la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés et des qualités professionnelles appréciées par catégorie.

Au sein d'une même catégorie, l'employeur doit prendre en compte l'ensemble des critères de l'ordre des licenciements, mais il est en droit d'en privilégier un, qui est le plus souvent celui des qualités professionnelles.

L'un de ces critères est celui des qualités professionnelles appréciées par catégorie.

L'employeur est seul juge de la valeur professionnelle des salariés et, sauf détournement de pouvoir de l'employeur, le juge ne peut substituer son appréciation à celle de l'employeur. Cependant, il appartient au juge, en cas de contestation, de vérifier que l'appréciation portée sur les aptitudes professionnelles du salarié ne procède pas d'une erreur manifeste ou d'un détournement de pouvoir.

Pour ce faire, en cas de litige, l'employeur doit communiquer au juge les données objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s'est appuyé pour arrêter son choix des personnes licenciées pour motif économique, selon les critères définis pour déterminer l'ordre des licenciements.

****

En l'espèce, la SELARL Havel indique à bon droit que la question des critères d'ordre de licenciement est sans emport sur la cause réelle et sérieuse du licenciement dès lors que son inobservation n'ouvre droit qu'à des dommages et intérêts.

Celle-ci démontre que le choix de licencier Mme [Y] résulte de l'application des critères légaux (article L.1233-5 du code du travail) et conventionnels de licenciement.

L'employeur a effectivement retenu les charges de famille, l'ancienneté, les difficultés de réinsertion professionnelle et les qualités professionnelles des quatre secrétaires et secrétaires médicales.

Ainsi, l'ordre du licenciement a été fixé par l'employeur selon les critères de l'article L.1233-5 du code du travail appliqués à l'ensemble des secrétaires et secrétaires médicales, c'est-à-dire à une catégorie de salariés ' à laquelle appartient Mme [Y] ' exerçant dans le cabinet des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

S'agissant de l'emploi occupé par Mme [Y], l'employeur justifie avoir recruté la salariée en qualité de secrétaire médicale, que Mme [Y] disposait de la classification conventionnelle des secrétaires médicales indépendamment de la mention d'une fonction de «'secrétaire'» sur son bulletin de paie, celle-ci ne contestant pas avoir été en charge de missions de secrétariat médical, des relances des patients et de la vérification des décomptes de la Sécurité sociale.

La SELARL Havel indique avec raison avoir été transparente sur la définition des critères d'ordre, d'une part lors de l'entretien préalable, d'autre part dans la lettre de licenciement et, enfin, par la transmission en date du 20 avril 2015 d'un courrier comprenant le tableau comparatif visant l'application des critères suite à la demande de Mme [Y] du 17 avril 2015.

Toutefois, quand bien même le juge n'a pas le pouvoir de se substituer a l'appréciation des critères mis en 'uvre par l'employeur, en cas de contentieux ce dernier doit être en mesure de démontrer l'objectivité des critères retenus ainsi que les éléments sur lesquels il s'est appuyé pour arrêter son choix.

S'agissant de l'application des critères autres que celui des compétences professionnelles, ceux relatifs aux charges de famille et à la difficulté de réinsertion professionnelle ne posent aucune difficulté contrairement au critère de l'ancienneté.

À cet égard, Mme [Y] considère que ce critère ne lui a pas été favorable alors qu'elle disposait de l'ancienneté la plus importante, ce dont il ne saurait être fait grief à l'employeur qui avait la faculté d'attribuer un nombre de points plus faible aux années d'ancienneté, notamment en comparaison avec le critère relatif aux compétences professionnelles.

Le critère relatif aux compétences professionnelles repose sur la prise en compte de sept qualités (accueil et information des patients, travail en équipe, rédaction de courriers, autonomie de travail') évaluées de «'passable'» à «'très bon'» suivant une échelle attribuant de 10 à 40 points selon l'appréciation retenue.

Or, si ces critères ont été appliqués aux quatre salariées visées par la suppression du poste de secrétaire médical, les notations retenues par l'employeur ne reposent, à l'exception du sous-critère «'rédaction des courriers'», sur aucune évaluation au cours de sa carrière, ni des données ou comparaisons objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s'est appuyé.

Les points attribués au titre de six des sept qualités professionnelles recherchées par l'employeur ne reposant pas sur des éléments objectifs, la SELARL Havel n'a pas respecté son obligation d'établir des critères d'ordre objectifs dans la mise en 'uvre de ce licenciement.

Quand bien même Mme [Y] est bien fondée à contester la mise en 'uvre des critères d'ordre du licenciement, la cour constate qu'elle n'a tiré aucune conséquence juridique de l'absence de respect de ces critères sur le plan indemnitaire.

II. Sur les conséquences du licenciement

Mme [Y] sollicite la réformation du jugement querellé sur le quantum en réclamant une somme de 14.186,53 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle invoque la brutalité de son licenciement ainsi que son ancienneté, et indique n'avoir retrouvé un emploi que par contrat de travail à durée déterminée du 02 août 2016 prolongé en contrat de travail à durée indéterminée et soutient que le motif réel du licenciement est personnel.

Mme [Y] considère qu'au regard de la chronologie des événements, à savoir l'engagement de la procédure de licenciement, consécutivement à la contestation en janvier 2015 des deux avertissements qui lui ont été notifiés en octobre 2014, la rupture du contrat de travail ne trouve pas sa source dans les difficultés économiques mais serait imputable au contexte conflictuel de la relation de travail.

La SELARL Havel fait cependant observer avec pertinence que l'intimée n'a pas sollicité l'annulation des deux avertissements en cause dans le cadre de la présente instance, de sorte que ces deux sanctions sont devenues définitives.

De plus, malgré l'existence du contexte professionnel dégradé depuis les faits de harcèlement moral sanctionnés par l'employeur, l'existence d'un lien de causalité entre la contestation des sanctions disciplinaires et le licenciement pour motif économique litigieux est insuffisamment rapportée par Mme [Y], un tel lien ne pouvant être potentiel ainsi que l'a considéré à tort le conseil de prud'hommes dont le jugement sera réformé sur ce point.

La brutalité de la rupture du contrat de travail n'est pas davantage démontrée dès lors que la société n'a pas procédé au licenciement de Mme [Y] au mois d'octobre 2014 et a préféré recourir à des sanctions au moyen d'avertissements disciplinaires.

Au visa des articles L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail, dans leur version antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, en tenant compte du préjudice matériel et moral subi par Mme [Y], de son ancienneté (14 ans) dans une entreprise de moins de 11 salariés et de son âge (42 ans) au moment de la rupture ainsi que de son salaire moyen (minimas conventionnels), il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SELARL Havel à lui payer une indemnité de 9.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'appel incident de Mme [Y], qui ne justifie pas de sa situation postérieure au licenciement, sera donc rejeté.

Il convient cependant d'ajouter qu'aux termes de l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1132-4, L.1134-4, L.1144-3, L.1152-3, L.1153-4, L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Le remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées, ce qui est le cas en l'espèce.

Il conviendra ainsi d'ordonner à l'employeur le remboursement des éventuelles indemnités versées dans la limite fixée à trois mois.

III. Sur les demandes annexes

Succombant dans le cadre de la présente procédure, la SELARL Havel sera condamnée aux dépens d'appel.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens de première instance ainsi qu'au versement à Mme [Y] d'une somme de 1.200 euros au titre des frais irrépétibles.

La SELARL Havel sera condamnée à régler à Mme [Y] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement rendu le 26 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Mulhouse en toutes ses dispositions';

Y ajoutant,

ORDONNE le remboursement, par la SELARL Havel à Pôle Emploi, des indemnités de chômage versées à Mme [O] [Y] dans la limite de trois mois à compter de la rupture du contrat de travail jusqu'au présent arrêt';

REJETTE la demande présentée par la SELARL Havel au titre de l'article 700 du code de procédure civile';

CONDAMNE la SELARL Havel à verser à Mme [O] [Y] une indemnité de 2000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel';

CONDAMNE la SELARL Havel aux dépens de la procédure d'appel.

LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le 28 juin 2022, et signé par Mme Christine DORSCH, Président de Chambre, et par Mme Martine THOMAS, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 21/01151
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;21.01151 ?
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