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16/06/2022 | FRANCE | N°21/002361

France | France, Cour d'appel de colmar, 4s, 16 juin 2022, 21/002361


MINUTE No 22/540

NOTIFICATION :

Copie aux parties

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 16 Juin 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 21/00236 - No Portalis DBVW-V-B7F-HO6G

Décision déférée à la Cour : 16 Décembre 2020 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

S.A.S. TRILUX FRANCE
[Adresse

7]
[Adresse 7]
[Localité 5]

Représentée par Me Cédric D'OOGHE, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEES :

Madame [F] [H]
[Adresse 2]
[Localité 4]...

MINUTE No 22/540

NOTIFICATION :

Copie aux parties

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 16 Juin 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 21/00236 - No Portalis DBVW-V-B7F-HO6G

Décision déférée à la Cour : 16 Décembre 2020 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

S.A.S. TRILUX FRANCE
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 5]

Représentée par Me Cédric D'OOGHE, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEES :

Madame [F] [H]
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représentée par Me Pierre DULMET, avocat au barreau de STRASBOURG

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU BAS-RHIN
Service contentieux
[Adresse 1]
[Localité 3]

Comparante en la personne de Mme [L] [K], munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
Mme ARNOUX, Conseiller
Mme HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier

ARRET :

- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
- signé par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCEDURE

Mme [F] [H], née le [Date naissance 6] 1978, a été engagée le 15 avril 2011 par la SAS Trilux France, dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein et à durée indéterminée, en qualité d'assistante des ventes (ADV).

Le 19 juin 2015, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin lui a notifié la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de son accident du travail survenu le 21 janvier 2015.

L'état de santé de Mme [H] a été déclaré consolidé le 1er octobre 2017 et l'assurée s'est vu attribuer par la CPAM un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 20% ainsi qu'une rente.

Par courrier du 28 août 2017, Mme [H] a demandé à la CPAM de mettre en oeuvre la procédure de faute inexcusable de son employeur, la SAS Trilux France.

Faute de conciliation, par courrier du 31 mai 2018, Mme [H] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) du Bas-Rhin aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de la société Trilux France.

Par jugement du 16 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Strasbourg remplaçant le TASS a :

- déclaré Mme [F] [H] recevable en son action ;
- dit que l'accident du travail dont Mme [F] [H] a été victime le 21 janvier 2015 est dû à une faute inexcusable de la SAS Trilux France, son employeur ;
- dit que la rente servie par la CPAM du Bas-Rhin en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale sera majorée au montant maximum et que la majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité attribué ;
- avant dire droit, sur la liquidation des préjudices subis par Mme [F] [H], a ordonné une expertise judiciaire et désigné pour y procéder le docteur [B] dont il a détaillé la mission ;
- dit que la CPAM du Bas-Rhin fera l'avance des frais d'expertise ;

- dit que la CPAM du Bas-Rhin versera directement à Mme [F] [H] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision d'un montant de 2000 euros et de l'indemnisation complémentaire ;
- dit que la CPAM du Bas-Rhin pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à Mme [F] [H] à l'encontre de la SAS Trilux France et a condamné cette dernière à ce titre ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise ;
- invité la SAS Trilux France à communiquer à la caisse les coordonnés de son assurance la garantissant pour le risque « faute inexcusable » ;
- condamné la SAS Trilux aux entiers dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;
- renvoyé l'affaire à une audience ultérieure pour conclusions des parties après expertise.

Par lettre expédiée le 7 janvier 2021, la société Trilux France a formé appel à l'encontre de ce jugement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes des ses conclusions transmises par voie électronique le 4 mars 2022, la société Trilux France demande à la cour de :

- recevoir son appel ;
- juger ses demandes recevables et bien fondées ;
- infirmer dans son intégralité le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg le 16 décembre 2020 ;

statuant à nouveau :

- constater l'absence de faute inexcusable imputable à la société Trilux ;
- débouter Mme [F] [H] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;
- débouter Mme [H] de l'ensemble de ses fins et prétentions ;
- condamner Mme [F] [H] à payer une somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens pour la procédure de première instance et la procédure d'appel.

Aux termes de ses conclusions transmises par voie électronique le 7 mai 2021, Mme [F] [H] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 16 décembre 2020 en toutes ses dispositions ;

en conséquence :

- confirmer que l'accident du travail dont elle a été victime le 21 janvier 2015 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société Trilux ;
- confirmer que la majoration de la rente accident du travail doit être fixée au maximum ;
- confirmer la provision sur dommages et intérêts qui lui a été octroyée pour un montant de 2000 euros ;
- confirmer que le jugement est commun à la CPAM du Bas-Rhin ;
- confirmer que la CPAM du Bas-Rhin fera l'avance de la provision qui lui a été allouée ;

- confirmer que le jugement du 16 décembre 2020 était exécutoire par provision ;

en conséquence :

- renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, pôle social, pour qu'il soit statué sur les préjudices qu'elle a subis, selon expertise en cours devant le Dr [B] ;
- condamner la société Trilux à lui verser 2500 euros pour les frais irrépétibles d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux frais et dépens de l'instance.

Aux termes de ses conclusions reçues le 3 août 2021, la CPAM du Bas-Rhin demande à la cour de :

- statuer sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la SAS Trilux France dans la survenance de l'accident du travail du 21 mai 2015 de Mme [H], la caisse s'en remettant à l'appréciation de la cour de céans sur ce point ;

Si la cour devait confirmer l'existence de la faute inexcusable de l'employeur :

- statuer sur la majoration de rente et l'allocation d'une provision ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 16 décembre 2020 quant au fait que la caisse fera l'avance de toutes les sommes fixées par les juges et en récupérera le montant auprès de la SAS Trilux France ;
- renvoyer le dossier par devant le pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins d'expertise pour l'évaluation des préjudices ;
- statuer sur la demande d'article 700 du code de procédure civile sans avance de la caisse à ce titre, et condamner Mme [H] ou la SAS Trilux France aux entiers frais et dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées et soutenues oralement à l'audience du 7 avril 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Interjeté dans les forme et délai légaux, l'appel est recevable.

Sur la faute inexcusable

La société Trilux France demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a déclaré Mme [H] recevable en son action mais ne développe aucun moyen à cette fin, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur la recevabilité de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société Trilux France.

La société Trilux France conteste les éléments que Mme [H] invoque au soutien de la faute inexcusable à savoir :

- l'existence d'un environnement de travail pathogène faisant valoir qu'elle n'a pas instauré une culture du sur engagement en son sein ; à cet égard, elle donne une analyse différente de tous les points invoqués par Mme [H],

- un traitement singulier infligé à Mme [H],
- les circonstances des faits survenus le 21 janvier 2015 reconnus comme accident du travail par la CPAM.

A titre préliminaire, Mme [H] indique que le classement sans suite de la plainte pénale pour harcèlement moral formulée à l'encontre de M. [U] est sans incidence sur la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Elle expose que l'accident de travail du 21 janvier 2015 s'inscrit dans un contexte de souffrance au travail générée, d'une part, par un environnement de travail pathogène et, d'autre part, par le traitement singulier que la direction lui a fait subir depuis le début de l'année 2014.

Elle considère que la faute inexcusable de la société Trilux France est caractérisée par :

- la conscience du danger de son employeur puisque l'accident de travail s'inscrit dans le contexte de travail évoqué, après qu'elle a alerté le directeur des ressources humaines des souffrances ressenties, du défaut d'adaptation de son poste et de l'accentuation des pressions à son encontre depuis sa candidature sur les listes CGT, l'Inspection du travail, aucune mesure spécifique et radicale n'ayant néanmoins été prise pour favoriser la communication entre elle et sa hiérarchie, la négligence de son employeur ayant rendu possible l'accident de travail en cause,

- la connaissance par son employeur de la gravité des faits puisque le PDG de la société, informé de la survenance de l'accident du travail s'est déplacé en personne et a recueilli ses observations, celles de M. [U] et du salarié témoin, M. [Y],

- l'absence de prise de mesures par son employeur avant et après l'accident, l'inertie de la société Trilux ayant directement conduit à l'accident du travail, étant souligné que ce comportement fautif s'est encore prolongé après l'accident.

La CPAM s'en remet à la sagesse de la cour sur la faute inexcusable.

Aux termes du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Par application des dispositions combinées des articles L.452-1 du code de la sécurité sociale, L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été l'origine déterminante de l'accident du travail dont a été victime le salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que sa responsabilité soit engagée, alors même que d'autres fautes y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.

Il incombe à Mme [H] de prouver que son employeur, qui avait ou devait avoir conscience du danger auquel elle était exposée, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Mme [H] et la société Trilux France sont en désaccord sur les circonstances des faits du 21 janvier 2015 que la CPAM a accepté de prendre en charge comme accident du travail au titre de la législation professionnelle.

Ainsi, la société Trilux France soutient que les faits rapportés par Mme [H] sont transformés et tronqués et relèvent d'une mise en scène d'un incident avec préméditation, le seul témoignage produit par Mme [H] étant celui de M. [Y] qu'il s'agit d'écarter des débats puisque des différends judiciaires l'opposent à ce témoin (mise en cause de la société pour harcèlement moral et discrimination syndicale), les témoignages qu'elle produit, de son côté, ne corroborant pas les allégations de Mme [H].

Elle conteste qu'il y ait eu une agression mais répète qu'il s'agit d'un incident sans aucune gravité créé par Mme [H], à partir duquel elle a quitté l'entreprise pour ne plus jamais y revenir, la plainte pénale de Mme [H] ayant été classée sans suite.

Mme [H], de son côté mentionne une agression au travail par son supérieur hiérarchique direct, M. [O] [U], les quatre témoignages versés au débat par la société étant contestables dès lors que :

- une attestation émane de M. [U], son agresseur,
- M. [D], salarié et ami très proche de la direction et notamment de MM. [U] et [A], n'était pas présent au moment des faits, étant précisé que son bureau n'avait pas de vue sur le lieu de l'agression,
- le salarié, M. [V], n'a pas assisté à la scène dans son intégralité et appartient au noyau dur proche de la direction,
- M. [A], président de Trilux est proche de M. [U] et lui a fait des avances qu'elle a refusées.

Elle retrace ainsi la chronologie de l'accident du travail dont elle a été victime : avant qu'elle arrive au travail, M. [U] a déposé sur son bureau, un document qu'elle avait rédigé sur sa demande en respectant ses consignes puis l'a dénigrée en raturant brutalement le document remis en se prévalant d'une prétendue nouvelle procédure qui ne lui a jamais été communiquée ; elle s'est ensuite rendue à la photocopieuse, où M. [U] l'a suivie, puis l'a intimidée par un rapprochement physique et des propos visant à l'impressionner et la diminuer psychologiquement tel que « je suis le chef, j'ai tous les droits », la réalité de l'agression psychologique étant attestée par un salarié de la société, M. [Y], témoin de la scène qui se trouvait dans son bureau situé en face de la photocopieuse, dont la porte vitrée était ouverte, lequel est ensuite intervenu ce qui a amené, M.[U], particulièrement gêné, à déclarer, pour se justifier : « il n'y a pas de harcèlement ! », M. [Y] ayant constaté l'état de détresse de Mme [H] au moment de cette agression psychologique voire même physique.

Force est de constater que même si Mme [H] et la société Trilux France sont en désaccord sur le déroulement des faits du 21 janvier 2015, cette dernière ne conteste pas le caractère professionnel de l'accident mais lui dénie toute gravité, étant précisé que le fait que la plainte pénale de Mme [H] ait été classée sans suite est sans emport.

Mme [H] produit le document de travail qu'elle a établi le 20 janvier 2015 et qu'elle reproche à M. [U] d'avoir barré, ce qui n'est pas contesté par la société Trilux France.

Ce document barré porte les mentions « Non!!! OK Accord Retour » et plus bas « Nouvelle procédure ZZR comme tu l'as déjà fait ce jour avec le client [...] ».

Mme [H] produit également une attestation de M. [Y] lequel indique que le 21 janvier 2015, il a vu M. [U] suivre Mme [H] au photocopieur central accolé à son bureau vitré et qu'il a été en mesure d'entendre et voir les échanges entre eux deux.

Il précise qu'alors que Mme [H] était au photocopieur, M. [U] l'a rejointe pour la menacer et l'intimider, ce dernier lui imposant un contact physique avec son ventre alors que Mme [H] lui demandait d'arrêter de la suivre constamment et de la harceler et lui indiquait qu'elle ne pouvait plus supporter tout cet acharnement, M. [U] ayant alors dit à Mme [H] qu'il était son chef et qu'il ferait ce qu'il voulait.

M. [Y] ajoute qu'il s'est alors rendu au photocopieur et a vu M. [U] bondir en arrière pour que le contact avec Mme [H] cesse et l'a entendu dire « il n'y a pas de harcèlement ».

Il décrit qu'après cette scène, Mme [H] était en détresse, en état de choc, n'arrivant plus à s'exprimer, bégayant et ayant les mains et une voix tremblantes.

Il indique encore que le PDG, M. [A] est venu au photocopieur et les a emmenés tous les trois dans son bureau, Mme [H] ne cessant de dire à M. [U] d'arrêter de la harceler, de lui mettre la pression et de lui donner des directives contradictoires. Il soulignait que Mme [H], au vu de son état, avait des difficultés à s'exprimer.

Ce témoignage est conforme aux dispositions du code de procédure civile, est circonstancié, son rédacteur ayant acté le risque auquel il s'exposait en cas de faux témoignage.

De son côté, la société Trilux France produit plusieurs témoignages mais aucune des quatre attestations n'est conforme, en tous points, aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile puisqu'elles n'indiquent pas, notamment, qu'elles sont établies en vue de leur production en justice et que leurs auteurs ont connaissance qu'une fausse attestation de leur part les expose à des sanctions pénales.

De surcroît, les attestations établies par MM. [N] [D] et [T] [V] ne donnent pas de détails précis sur la scène qui s'est déroulée à côté du photocopieur.

Il n'y a donc pas lieu de tenir compte des attestations produites par la société Trilux France, étant souligné que M. [A] est le PDG de la société Trilux France, partie prenante dans le présent litige.

L'altercation verbale et le contact physique inapproprié de M. [U] sont donc établis.

A la suite des faits du 21 janvier 2015, Mme [H] a été en mesure de produire un certificat médical d'un psychiatre qui fait état de ce qu'elle a présenté un état anxio-dépressif intense associé à un syndrome de stress post-traumatique, étant rappelé que la CPAM a considéré que ces lésions psychiques caractérisaient un accident du travail du fait de leur apparition brutale et de ce qu'elles étaient liées au travail ou survenues par le fait du travail.

Mme [H] soutient que ses troubles psychiques révélés par les faits du 21 janvier 2015 résultent d'une souffrance au travail générée, d'une part, par un environnement de travail pathogène et, d'autre part, par le traitement singulier que la direction lui a fait subir depuis le début de l'année 2014, ce qu'il lui appartient de démontrer.

S'agissant de l'environnement de travail pathogène, Mme [H] explique que la société Trilux France entretient une culture du sur-engagement générant une surcharge de travail pour les salariés au détriment de leur santé, ce qui est illustré par l'absence de CHSCT alors que l'effectif de la société dépasse le seuil légal de cinquante salariés depuis plusieurs années.

Mme [H] justifie de ce que, rapidement après son embauche, elle a été amenée à travailler dans un contexte de surcharge de travail qu'elle a également subie et qu'elle en a informé sa hiérarchie à plusieurs reprises, ce qui témoigne de ce que cette surcharge de travail n'était pas acceptée par la salariée. En revanche, Mme [H] ne saurait soutenir que l'absence de mise en place d'un CHSCT a contribué à sa souffrance au travail.

S'agissant du traitement singulier que la société Trilux France lui a infligé, Mme [H] dénonce :

- des injonctions contradictoires, lesquelles sont effectivement établies par les mails du 6 janvier 2015 émanant de Mme [H], M. [U], M. [I] et M. [Y] et par le document du 20 janvier 2015 barré par M. [U], la société Trilux France ne démontrant pas qu'elle avait dûment informé la salariée, de la réalité d'un changement de procédure, en temps utile et avec des modalités adaptées, étant souligné que la méthode employée par M. [U] pour signifier ledit changement de procédure est abrupte et inadéquate,

- des remarques déstabilisantes avec des objectifs renforcés par rapport à ses collègues, cependant, aucun des documents qu'elle produit n'est suffisamment évocateur de ce grief,

- des motifs discriminatoires, son employeur s'étant montré passif pour aménager son poste suite à son intervention chirurgicale au dos et à la reconnaissance de son statut de travailleur handicapé par la MDPH le 25 novembre 2014 et lui ayant notifié un avertissement dans un temps où elle était candidate aux élections professionnelles ; Mme [H] démontre qu'effectivement la société Trilux France a trop tardé à respecter les consignes de la médecine du travail qui avait requis la mise à sa disposition, notamment, d'un siège adapté, d'un repose-pied et d'un repose-document, sans prendre en compte le statut de travailleuse handicapée dont la société avait nécessairement connaissance pour avoir fait une demande d'aide financière auprès de l'AGEFIPH, organisme oeuvrant pour l'insertion des personnes handicapées ; quant à la concomitance entre sa candidature aux élections et l'avertissement disciplinaire, Mme [H] ne saurait en tirer argument dès lors que cet avertissement fait l'objet d'une contestation en justice.

Mme [H] établit ainsi la réalité d'un environnement de travail pathogène et d'un traitement singulier de nature à expliquer sa souffrance au travail, ce dont la société Trilux France avait conscience puisque Mme [H] s'était plainte de sa surcharge de travail auprès de sa hiérarchie, que les consignes contradictoires émanaient de la hiérarchie, que c'est la société Trilux France qui a été informée par la médecine du travail des mesures nécessaires pour prendre en compte l'état de santé de Mme [H].

Or, la société Trilux France n'a pas pris les mesures nécessaires ou, pour certaines, ne les a pas prises à temps pour préserver Mme [H] de la souffrance qu'elle subissait laquelle a provoqué les lésions psychiques, exacerbées, d'une part, par le comportement de M. [U] le 21 janvier 2015 qui a, encore, ajouté un degré de souffrance à Mme [H] en lui infligeant un contact physique qu'elle ne souhaitait pas, et, d'autre part, par la réaction immédiate et inappropriée du PDG, M. [A] de réunir Mme [H], M. [U], son agresseur et M. [Y].

La faute inexcusable de la société Trilux France est donc retenue et le jugement entrepris, confirmé sur l'existence de la faute inexcusable mais aussi sur ses conséquences (majoration de rente, expertise, provision et action récursoire de la caisse) et sur l'invitation faite à la société Trilux France à communiquer à la caisse les coordonnées de son assurance la garantissant pour le risque «faute inexcusable ».

Sur les dépens et les frais de procédure

Le jugement entrepris est confirmé sur les dépens.

Le jugement entrepris n'ayant pas statué sur la demande de la société Trilux France formulée de ce chef, il y a lieu de la débouter de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

A hauteur d'appel, la société Trilux France est condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Mme [H] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Trilux France est déboutée de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour ses frais de procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et en avoir délibéré :

DECLARE l'appel recevable ;

CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Strasbourg du 16 décembre 2020 ;

Y ajoutant :

CONDAMNE la SAS Trilux France aux dépens de la procédure d'appel ;

CONDAMNE la SAS Trilux France à payer à Mme [F] [H] la somme de 2000 euros (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés à hauteur d'appel ;

DEBOUTE la SAS Trilux France de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais de procédure de première instance et d'appel ;

DIT que l'instance se poursuivra devant le tribunal judiciaire de Strasbourg sur l'indemnisation des préjudices subis.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : 4s
Numéro d'arrêt : 21/002361
Date de la décision : 16/06/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2022-06-16;21.002361 ?
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