MINUTE N° 22/478
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 07 Juin 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/03812
N° Portalis DBVW-V-B7F-HVDL
Décision déférée à la Cour : 26 Juillet 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SAVERNE
APPELANTE :
S.A.R.L. ESJOT-GOLDENBERG
prise en la personne de son gérant
41 rue du Zornhoff
67700 MONSWILLER
Représentée par Me Guillaume HARTER, avocat à la Cour
INTIME :
Monsieur [M] [J]
24 rue Hohl
67340 Weinbourg
Représenté par Me Mathieu EHRHARDT, avocat au barreau de SAVERNE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 Avril 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. EL IDRISSI, Conseiller
M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
M. [M] [J] a été embauché en qualité de comptable par la Sarl Esjot-Goldenberg selon un contrat de travail à durée indéterminée en date du 19 novembre 2010 et promu au poste de directeur général selon un avenant du 2 septembre 2013.
M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement économique par lettre recommandée en date du 26 février 2021.
L'entretien préalable s'est tenu le 9 mars 2021 et le 30 mars 2021, M. [J] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.
M. [J], par demande introductive d'instance enregistrée au greffe le 30 avril 2021, a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Saverne de demandes de paiement de son salaire du mois de mars 2021, de frais, de l'indemnité de licenciement, d'une indemnité compensatrice de congés payés et de remise des documents de fin de contrat sous astreinte.
Par ordonnance de référé en date du 26 juillet 2021, le conseil de prud'hommes a :
- déclaré la demande recevable et bien fondée,
- donné acte à la Sarl Esjot-Goldenberg qu'elle reconnait devoir à M. [J] le salaire du mois de mars 2021 pour un montant de 6 131,67 € et l'indemnité de licenciement pour un montant de 36 372,60 €,
- ordonné la Sarl Esjot-Goldenberg à payer à M. [J] les montants suivants augmentés des intérêts légaux à compter de la demande :
- 6 131,67 € bruts au titre du salaire du mois de mars 2021,
- 349,99 € au titre de remboursement de frais,
- 36 372,60 € d'indemnité de licenciement,
- 30 840,68 € bruts au titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
- ordonné à la Sarl Esjot-Goldenberg de remettre à M. [J] le certificat de travail, ainsi que l'attestation Pôle emploi, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du cinquième jour suivant la notification de |'ordonnance,
- dit que M. [J] a procédé à la restitution du véhicule de fonction en date du 11 avril 2021,
- débouté M. [J] du surplus de ses demandes,
- débouté la Sarl Esjot-Goldenberg de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- débouté M. [J] et la Sarl Esjot-Goldenberg de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Sarl Esjot-Goldenberg aux entiers dépens de la procédure y compris les éventuels frais d'exécution.
La Sarl Esjot-Goldenberg a interjeté appel à l'encontre de cette ordonnance par déclaration adressée au greffe par voie électronique le 10 août 2021.
Dans ses conclusions transmises au greffe par voie électronique le 5 novembre 2021, la Sarl Esjot-Goldenberg demande à la cour de :
- la recevoir en ses demandes fins et prétentions,
- confirmer partiellement l'ordonnance dont appel en ce qu'elle l'a condamnée à payer à M. [J] le salaire et accessoire du mois de mars 2021 pour un montant de 6 131,67 €, l'indemnité de licenciement pour un montant de 36 372,60 €, l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles en l'état des explications de M. [J],
- infirmer l'ordonnance de référé pour le surplus et statuant à nouveau,
- constater sa bonne foi,
- juger qu'il existe des contestations sérieuses relativement à l'indemnité compensatrice de congés payés réclamée à hauteur de 30 840,68 €,
- juger qu'il existe des contestations sérieuses relativement à l'indemnité compensatrice de congés payés réclamées au titre des 87 jours de congés payés sur la période de référence précédente,
- juger qu'il existe des contestations sérieuses relativement à l'indemnité compensatrice de congés payés réclamées au titre des 12,5 jours de RTT,
- renvoyer le demandeur à mieux se pourvoir de ce chef,
- rejeter les demandes de M. [J],
- condamner M. [J] au paiement d'une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la présente instance.
A l'appui de son appel, elle expose qu'il existe une contestation sérieuse sur le principe de congés payés au bénéfice de M. [J].
Elle rappelle le principe selon lequel les congés auxquels le salarié a droit ne sont pas pris pendant la période de référence pertinente, soit du 1er juin au 31 mai, sont perdus et ne peuvent être reportés sur la période de référence suivante, sauf accord, qui peut être implicite, de l'employeur.
Elle fait valoir qu'elle n'a pas donné son accord pour un tel report.
Elle souligne que M. [J] travaillait en totale autonomie, qu'il établissait ses propres bulletins de paie, qu'il choisissait ses dates de congés sans son accord préalable.
Elle précise que l'indemnité compensatrice de congés payés demandée ne correspond à aucune réalité.
Elle conteste également les jours de Rtt, soit 12,5 jours et conteste le principe de Rtt, M. [J] ne bénéficiant pas d'un forfait jours, organisant librement son temps de travail et le site n'ayant plus d'activité.
Elle relève que M. [J] ne précise pas sur quelle période il aurait réalisé des heures de travail au-delà de l'horaire légal et note au surplus des erreurs de calcul sur les bulletins de salaire du mois d'octobre 2020 au mois de janvier 2021.
Subsidiairement, elle indique qu'il sera alloué à M. [J] l'indemnité correspondant à 16,75 jours de congés payés pour la période du 31 mai 2020 au 31 mars 2021.
Il affirme également qu'il existe une contestation sérieuse s'agissant de la demande de transmission des documents sociaux.
M. [J] s'est constitué intimé devant la cour le 4 novembre 2021 et dans ses conclusions transmises au greffe par voie électronique le 30 novembre 2021, demande à la cour de :
- débouter la Sarl Esjot-Goldenberg de l'ensemble de ses conclusions,
- confirmer l'ordonnance,
y ajoutant,
- condamner la Sarl Esjot-Goldenberg à lui payer une indemnité de 5 000 € par application de |'article 700 du code de procédure civile au titre de première instance et d'appel,
- condamner la Sarl Esjot-Goldenberg aux entiers dépens de la procédure d'appel,
- constater que la décision à intervenir est exécutoire de plein droit.
Il expose qu'aux termes du bulletin de salaire du mois de février 2021, il lui restait à prendre 87 jours de congés payés sur la période de référence précédente, 16,67 jours de congés sur la période de référence en cours et 12,5 jours de Rtt.
Il fait valoir que selon la cour de cassation, le fait de mentionner les congés payés de la période antérieure sur les bulletins de salaire vaut accord de l'employeur pour le report des congés payés sur la période et qu'en l'espèce, les congés payés de la période antérieure ont toujours été reportés sur ses bulletins de paie.
Il rappelle qu'il était le seul salarié du site et qu'il était aisé pour la Sarl Esjot-Goldenberg d'exercer son contrôle des informations mentionnées sur les bulletins de paie.
Il conteste qu'il pouvait prendre ses congés comme il le voulait et souligne qu'il était en contact avec les responsables italiens de la Sarl Esjot-Goldenberg tous les jours, par mail, sms ou téléphone de sorte qu'il ne pouvait échapper au contrôle de son employeur qui disposait d'un décompte précis des congés pris.
Il souligne que les jours au titre des Rtt résultent d'un accord de réduction du temps de travail mentionné dans le contrat de travail.
Il conclut que la contestation soulevée n'est pas sérieuse.
Sur la remise des documents de fin de contrat, il relève que la contestation invoquée par la Sarl Esjot-Goldenberg n'est pas explicitée, que l'ordonnance n'est toujours pas exécutée, qu'il ne peut en conséquence percevoir d'indemnités chômage et qu'il est sans revenus.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs conclusions respectives.
Par ordonnance prise sur le fondement de l'article 905 du code de procédure civile le 10 novembre 2021, l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 8 avril 2022.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 8 avril 2022, à laquelle les parties ont développé leur argumentation.
MOTIFS
- A titre liminaire :
Il convient de constater que la saisine de la cour est limitée aux demandes de paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés et de remise des documents de fin de contrat.
- Sur la demande de paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés :
Selon l'article R. 1455-5 du code du travail, dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
Selon l'article R. 1455-7 du code du travail dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
La cour relève en premier lieu que M. [J] a saisi le juge des référés du conseil de prud'hommes d'une demande de paiement d'une somme de 30 840,68 € bruts au titre d'une indemnité compensatrice de congés payés, soit une demande au fond et non d'une demande de provision, mesure provisoire qui n'a pas autorité de chose jugée au fond.
Par ailleurs, M. [J] demande, sous l'intitulé indemnité compensatrice de congés payés, à la fois le paiement d'une indemnité concernant des jours de congés payés sur la période de référence précédente et des jours de congés payés sur la dernière période de référence mais également une indemnité relative à des jours de Rtt.
Or, il est constant que l'absence de prise des jours de repos au titre de la réduction du temps de travail n'ouvre droit à une indemnité, à défaut d'un accord collectif prévoyant une telle indemnisation, que si cette situation est imputable à l'employeur.
En l'espèce, comme l'expose la Sarl Esjo-Goldenberg, les bulletins de salaire de M. [J] édités par l'expert-comptable sur la base des informations transmises par M. [J], seul salarié présent sur le site, ne sont pas cohérents, le bulletin de salaire du mois d'octobre 2020 mentionnant un solde de jours de Rtt négatif de 20 jours (soit aucun jour de Rtt acquis contre 20 jours de Rtt pris), celui du mois de novembre 2020 un solde positif de 8 jours de Rtt (soit 12,5 jours acquis et 4,5 jours pris sans pour autant de mention de jours de Rtt pris au mois de novembre 2020) et celui du mois de janvier 2021 un solde positif de 12,5 jours de Rtt (soit 12,5 jours acquis et aucun jour pris), étant observé que le site n'a plus d'activité industrielle depuis la fin de l'année 2019 et que l'état d'urgence sanitaire a été instaurée à compter du 23 mars 2020.
Au regard de ces éléments, il n'appartient pas au juge des référés, juge de l'évidence, de prendre position sur la demande de M. [J] relative à l'indemnisation de jours de Rtt.
Sur les congés payés, selon l'article L. 3141-1 du code du travail, tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur et conformément à l'article L. 3141-3, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur et la durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.
Il est constant qu'en cas de litige sur la prise effective des congés payés, il appartient aux juges du fond de déterminer si le salarié a pris ou non ses congés acquis au titre de la période considérée et, dans la négative, de rechercher si l'employeur justifie avoir pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé en accomplissant à cette fin les diligences qui lui incombent.
M. [J] demande la prise en compte des informations mentionnées sur ses bulletins de salaire.
La Sarl Esjot-Goldenberg conteste devoir une indemnité de congés payés à M. [J], faisant valoir qu'il travaillait en autonomie, qu'il choisissait ses dates de congés sans son accord, qu'il établissait ses propres bulletins de salaire et qu'il n'est pas compréhensible qu'il n'ait pas pris de jours de congés payés, notamment pendant la période de la crise sanitaire.
Il résulte des développements concordants des parties et des pièces communiquées que M. [J] avait la qualité de directeur général de la Sarl Esjot-Goldenberg, avec pour mission d'assurer la définition de la stratégie de l'entreprise et de superviser et de coordonner les activités de celle-ci, outre la responsabilité administrative, financière et la gestion des ressources humaines, qu'il disposait d'une autonomie tant dans la prise de responsabilités et de décisions que dans l'organisation de son travail et dans son emploi du temps, que la Sarl Esjot-Goldenberg a cessé son activité à la fin de l'année 2019, que l'ensemble des salariés ont été licenciés, seul M. [J] restant sur le site jusqu'à la rupture de son contrat de travail le 9 mars 2021.
Les fonctions de M. [J] étaient en conséquence moindre à compter de la fin de l'année 2019 au regard de celles énoncées à l'avenant signé par les parties le 2 septembre 2013.
Il n'est par ailleurs pas justifié que M. [J], compte tenu de sa situation au sein de l'entreprise et de l'autonomie dont il disposait, transmettait au dirigeant de la Sarl Esjot-Goldenberg un décompte des jours de congés payés pris, le décompte édité le 15 avril 2021 produit aux débats par M. [J] étant insuffisant sur ce point faute d'éléments quant à l'objet et la destination d'un tel document.
Il résulte en outre des échanges entre M. [J] et la Caisse d'Epargne quant à l'établissement de codes personnels pour le dirigeant de la Sarl Esjot-Goldenberg, notamment le 9 mars 2021 et le 16 juin 2021, et le courrier du conseil de la Sarl Esjot-Goldenberg du 18 mai 2021, que M. [J] disposait seul des éléments permettant de faire les virements bancaires pour le compte de l'entreprise, étant observé que le salaire de M. [J] lui était viré tous les mois.
Ainsi, au regard de l'ensemble de ces éléments, il existe une contestation sérieuse sur la prise effective ou non des congés payés dont M. [J] demande l'indemnisation.
L'ordonnance de référé sera en conséquence infirmée en ce que la Sarl Esjot-Goldenberg a été condamnée à payer à M. [J] la somme de 30 840,68 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.
- Sur la remise sous astreinte du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi :
Le premier juge a ordonné la remise du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi à M. [J] au motif que depuis le 30 mars 2021 jusqu'à la date des débats, la Sarl Esjo-Goldenberg n'avait délivré à M. [J] ni certificat de travail, ni attestation conforme pour l'assurance chômage, celle qui avait été remise étant inexploitable comme ne portant pas la signature de la société.
La cour relève que la Sarl Esjot-Goldenberg ne développe pas de moyens propres à l'appui de sa demande d'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée à remettre à M. [J] le certificat de travail et l'attestation Pôle emploi sous astreinte.
L'ordonnance sera en conséquence confirmée sur ce point.
- Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
M. [J], qui succombe pour l'essentiel, est condamné aux dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, l'ordonnance étant confirmée sur ce point.
L'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant au profit de la Sarl Esjot-Goldenberg que de M. [J].
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Saverne du 26 juillet 2021 en ce que la Sarl Esjot-Goldenberg a été condamnée à payer à M. [J] la somme de 30 840,68 € bruts (trente mille huit cent quarante euros et soixante huit centimes) à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
Statuant à nouveau sur ce point
Juge incompétente la formation de référé du conseil de prud'hommes pour statuer sur la demande d'indemnité de congés payés formée par M. [M] [J],
Renvoie les parties à mieux se pourvoir de ce chef,
Confirme l'ordonnance pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne M. [M] [J] aux dépens d'appel,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Sarl Esjot-Goldenberg et de M. [M] [J].
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 07 juin 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.
Le Greffier, Le Président,