MINUTE N° 22/505
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 31 Mai 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 20/03618
N° Portalis DBVW-V-B7E-HOGQ
Décision déférée à la Cour : 03 Novembre 2020 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE
APPELANT :
Monsieur [N] [X]
33 Boulevard de la Source
97400 SAINT-DENIS
Représenté par Me Nicolas DESCHILDRE, avocat au barreau de MULHOUSE
INTIMEE :
ASSOCIATION CHRETIENNE DE COORDINATION, D'ENTRAIDE ET DE SOLIDARITE - ACCES
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 324 128 859
9 rue des Chaudronniers
68100 MULHOUSE
Représentée par Me Emmanuelle RALLET, avocat au barreau de MULHOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. EL IDRISSI, Conseiller
Mme ARNOUX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Mulhouse du 3 novembre 2020, régulièrement frappé d'appel, le 1er décembre 2020, par voie électronique, par M. [N] [X];
Vu les conclusions de M. [N] [X], transmises par voie électronique le 31 août 2021 ;
Vu les conclusions de l'association Acces, transmises par voie électronique le 31 mai 2021 ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 26 novembre 2021 ;
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions ;
MOTIFS
Il résulte des pièces et des conclusions des parties que M. [N] [X], né le 31 janvier 1968, a été embauché, à compter du 23 avril 1990, par l'association de droit local Acces (association chrétienne de coordination et d'entraide et de solidarité) suivant un contrat à durée déterminée, en qualité d'homme d'entretien.
La relation de travail s'est poursuivie, à compter du 23 juillet 1990, sous forme de contrat à durée indéterminée, régularisé par écrit le 14 juillet 2002.
Le 4 octobre 2017, M. [N] [X] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 18 octobre 2017, puis il a été licencié le 27 octobre 2017 pour faute grave.
Par acte introductif d'instance du 6 avril 2018, il a saisi le conseil de prud'hommes de Mulhouse aux fins de contester son licenciement et d'obtenir diverses sommes à titre d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 3 novembre 2020, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [N] [X] pour faute grave est justifié,
- débouté M. [N] [X] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté l'association Acces du surplus de ses demandes,
- condamné M. [N] [X] aux entiers frais et dépens, y compris les frais liés à une éventuelle exécution par voie d'huissier.
Sur le licenciement
En application des articles L.1232-1, L.1232-6 et L.1235-1 du code du travail, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception, qui doit comporter l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, et il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
La lettre de licenciement de M. [N] [X] du 27 octobre 2017 est ainsi libellée :
'Ainsi que nous vous l'avons exposé lors de l'entretien, les motifs de ce licenciement sont les suivants :
- Appropriation du bien de l'association, en l'occurrence un ordinateur portable affecté à un collègue de travail, Mme [W] et écrasement de l'ensemble des données s'y trouvant, sans autorisation,
- Insuffisance professionnelle récurrente.
En effet, lundi 25 septembre 2017, après un entretien avec votre directeur M. [O] concernant la qualité de votre travail et le rappel des consignes, vous avez sollicité la mise à disposition d'un ordinateur afin d'assurer notamment la transmission des fiches d'intervention, au lieu et place de la bannette que nous proposions à cet effet, dans la mesure où vous omettez régulièrement de les communiquer.
Bien que vos fonctions ne justifient pas l'octroi d'un PC, M. [O] a accédé à votre demande dans la mesure où il disposait d'un ordinateur de 'secours' d'ailleurs utilisé par les stagiaires.
Vous signifiiez alors votre insatisfaction, suggérant qu'un autre PC aurait votre préférence, en l'occurrence celui de Mme [W], chef de service du CHRS Urgence, en cours de réaffectation à l'équipe de la Maison du Pont. M. [O] n'a pas donné suite à cette sollicitation qu'il a jugée excessive au regard de l'utilité de l'ordinateur mis à votre disposition et la nature de vos tâches.
Pourtant, le jour même, vous vous êtes rendu dans les locaux du Passavant où se trouve le bureau de Mme [W], avez demandé à ce que l'on vous donne accès à son bureau en son absence, y avez pris l'ordinateur que vous vous êtes ainsi approprié sans aucune autorisation.
Pire, ce PC contenait encore des fichiers professionnels, la messagerie de Mme [W] ainsi que quelques données personnelles que vous avez tout simplement écrasées en reformatant le disque dur et, pour ce faire, avez manifestement piraté celui-ci puisqu'il était verrouillé par un mot de passe.
Suite à la découverte des faits au retour de Mme [W], le 28 septembre, et le lien étant rapidement fait avec vous, M. [O] a exigé la restitution dudit ordinateur, ce que vous avez fait le lendemain.
Vous avez reconnu les faits lors de l'entretien préalable.
Ces agissements sont graves et mettent en cause la loyauté et l'honnêteté que nous sommes légitimement en droit d'attendre de vous.
Vous n'aviez ni autorisation de pénétrer dans le bureau de Mme [W] sans autre motif, ni l'autorisation de prendre son ordinateur et encore moins d'en forcer le mot de passe puis d'en écraser les données et le reformater.
Ces agissements portent préjudice tant à la structure qu'à votre supérieure, qui en fut bouleversée, en faisant perdre des données professionnelles et personnelles, étant précisé que nous n'avons même pas la certitude que vous n'ayez pas conservé une copie de certains fichiers.
Or, ces faits s'inscrivent dans un contexte plus général de collaboration devenu difficile compte tenu de votre incapacité à respecter les consignes données par vos supérieurs et notamment de rendre compte de votre travail.
Nous rappelons que vous occupez le poste d'homme d'entretien des 2 établissements CHRS Insertion et CHRS Urgence, et votre travail vous amène à vous déplacer sur plusieurs sites et logements, dans lesquels vous êtes amenés à intervenir.
Il est indispensable de disposer du suivi de vos interventions, et ce pour plusieurs raisons :
- Votre propre sécurité : il importe à vos supérieurs hiérarchiques de connaître vos déplacements et les chantiers sur lesquels vous intervenez,
- La traçabilité de nos travaux : nous sommes constitués d'établissements recevant du public (et notamment le Passavant et la Maison du Pont) et soumis à ce titre à des visites de la commission de sécurité dans le cadre desquelles il nous est demandé un suivi précis des travaux effectués par des entreprises extérieures autant que des travaux menés en interne. Il y va de nos agréments et de la pérennité de notre activité.
Votre fiche de poste prévoit d'ailleurs que chaque tâche fera l'objet d'une consigne écrite, et d'un retour par écrit de l'agent.
Or, vous ne semblez pas comprendre, malgré de multiples rappels en ce sens, la nécessité de nous permettre le suivi de vos interventions.
II vous a en effet été demandé de rendre compte de votre travail à maintes reprises par votre directeur et par les chefs de service des deux établissements respectifs.
Plusieurs méthodes de travail ont été successivement testées sur les cinq dernières années et hélas, aucune n'a fonctionné de manière satisfaisante (compte-rendu des travaux à la fin de réunion des cadres de jeudi après-midi, encadrement du travail par le directeur avec la mise en place d'un cahier par service, fiches de travaux centralisés auprès de l'assistant de direction qui devait réceptionner ses fiches, répartition des journées de travail par établissement avec des travaux remis par les chefs de service, mise en place de tableaux de semaine avec suivi des travaux effectués, boîte mail, abonnement téléphonique SM avec appels et informations data illimités, rendez-vous le lundi et le vendredi matin avec le directeur pour remise des fiches de travaux en parallèle avec un système de transmission par mail et un compte rendu en fin de semaine des travaux effectués ... ).
Malgré plusieurs relances, vos réponses aux demandes de votre supérieur sont rares sinon insuffisantes et totalement imprécises ou incomplètes.
Nous avons tenté de vous rendre attentif à ces exigences à de maintes reprises.
Outre votre entretien individuel le 7 juin dernier, une réunion s'est tenue avec votre directeur le 16 juin 2016, afin de reprendre avec vous votre manière de vous organiser et vous rappeler la nécessité de suivre les priorités d'interventions qui vous sont données par vos supérieurs hiérarchiques.
je vous ai également adressé une observation écrite en ce sens le 15 décembre 2016, dans la mesure où l'inapplication des consignes provoquait des dysfonctionnements préjudiciables à la réalisation de nos missions d'hébergement et d'accompagnement.
Ainsi, malgré nos rappels sur la nécessité de remplir le planning de travail et les fiches travaux, ainsi que l'accompagnement dont vous avez bénéficié pour cette tâche, vous ne percevez manifestement pas l'importance de ces attentes malgré nos explications multiples en ce sens et n'informez ni des travaux réalisés, ni de ceux à venir.
Cette incapacité durable de mettre en 'uvre les directives de votre hiérarchie, malgré son inventivité à essayer différentes formules, nous met en difficulté.
Au regard de votre insuffisance professionnelle chronique d'une part, de la faute grave commise rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise d'autre part, nous n'avons d'autre choix que de mettre fin à votre contrat.
Votre licenciement est donc immédiat, soit à la date de l'envoi de cette lettre le 27 octobre 2017 au soir, sans préavis ni indemnité de rupture.'
M. [N] [X] conteste tant la réalité les faits reprochés et relevant de la faute grave que leur caractère grave. Il conteste également la réalité des faits qui lui sont reprochés et relevant de l'insuffisance professionnelle.
1. Sur les griefs relevant de l'insuffisance professionnelle
L'appréciation de l'insuffisance professionnelle relève du pouvoir de direction de l'employeur, sauf par lui à produire des éléments objectifs la caractérisant sans que n'apparaisse de contradiction manifeste et justifier qu'il avait mis en mesure le salarié de satisfaire à sa mission.
Ainsi, l'insuffisance professionnelle ne peut constituer un motif de licenciement que si elle repose sur des faits concrets, précis, objectifs et matériellement vérifiables.
En l'espèce, l'association Acces reproche à M. [N] [X] de ne remplir ni le planning de son travail, ni les fiches des travaux réalisés et ceux à réaliser. Elle ajoute que malgré plusieurs relances, ses réponses aux demandes de son supérieur hiérarchique sont rares sinon insuffisantes et totalement imprécises ou incomplètes.
Pour en justifier, l'association Acces produit une lettre d'observation du 15 décembre 2016, selon laquelle M. [N] [X] ne rendait pas compte de son travail, comme convenu par courriel adressé chaque soir aux deux chefs de services avec copie au directeur de l'établissement.
Cette lettre précise que l'absence d'information claire de la part du salarié avait créé de la confusion, de la tension, voire de la violence avec les personnes dont l'association avait la responsabilité, faute de pouvoir transmettre et informer de l'avancement des travaux.
Toutefois, force est de relever que l'association Acces ne produit aucun autre élément permettant d'apprécier et de caractériser objectivement l'insuffisance professionnelle alléguée entre cette lettre et la procédure de licenciement, soit sur une période de plus de dix mois. Elle ne produit pas non plus des demandes ou des reproches de la hiérarchie au cours de cette période.
Bien au contraire, il ressort du courriel de M. [H] [O], directeur d'établissement, du 29 septembre 2017 que M. [N] [X] ne s'est vu confier un ordinateur portable pour échanger des courriels avec le personnel de l'association que le 25 septembre 2017, soit quelques jours seulement avant son licenciement, ce qui laisse supposer que l'employeur n'avait pas mis en mesure le salarié de satisfaire à la mission qui lui était confiée.
Ainsi, l'employeur n'apporte pas la preuve de l'insuffisance professionnelle alléguée.
2. Sur les griefs relevant de la faute grave
La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied à titre conservatoire, est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible la poursuite des relations de travail.
L'employeur qui entend arguer d'une faute grave supporte exclusivement la charge de prouver celle-ci, dans les termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, et si un doute subsiste il profite au salarié.
En l'espèce, il est constant que M. [N] [X] s'est permis de rentrer dans le bureau de Mme [T] [W], chef du centre d'hébergement et de réinsertion sociale d'urgence (CHRS urgence), pendant son absence et alors que ce bureau était fermé à clé, qu'il a récupéré son ancien ordinateur professionnel, qu'il a reformaté le disque dur et qu'il a supprimé toutes les données personnelles et professionnelles s'y trouvant.
M. [N] [X] soutient qu'il aurait obtenu l'accord verbal de M. [H] [O], directeur d'établissement, pour récupérer ledit ordinateur qui n'était plus utilisé par Mme [T] [W], et produit une attestation de Mme [L] [B], salariée de l'association, qui déclare que 'l'ordinateur ... était déposé sur une étagère dans le bureau de Mme [T] [W] depuis près d'un an et n'était plus utilisé par Mme [W] étant donné qu'elle avait reçu un Mac (Macintosh Apple)'.
Toutefois, et en premier lieu, M. [N] [X] procède par simple voie d'affirmation sans fournir le moindre justificatif de l'accord verbal invoqué.
En second lieu, la circonstance que Mme [T] [W] travaillait depuis près d'un an sur un ordinateur type Macintosh ne l'autorisait pas à récupérer son ancien ordinateur sans sa permission, et encore moins à effacer les données s'y trouvant alors qu'il était verrouillé par un mot de passe.
En effet, cet ancien ordinateur permettait encore à Mme [T] [W] d'accéder à sa messagerie et en raison de son incompatibilité avec le nouvel ordinateur Macintosh, cette dernière n'avait pu transférer l'ensemble de ses données tant personnelles que professionnelles et confidentielles.
Les manquements de M. [N] [X] révèlent un comportement inadmissible, alors que de par son expérience et son ancienneté, il avait la confiance de son employeur.
Ces faits sont caractéristiques d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'association, ce d'autant qu'il ne fournit aucune explication plausible à son attitude déloyale envers son employeur et qu'il a perdu la confiance de celui-ci.
En conséquence, le licenciement pour faute grave est justifié, et il y a lieu de rejeter les demandes de M. [N] [X] en paiement des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce en quoi le jugement entrepris sera confirmé.
Sur les demandes accessoires
Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu''il a condamné M. [N] [X] aux dépens de la première instance, et en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
À hauteur d''appel, M. [N] [X], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.
Les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement rendu le 3 novembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Mulhouse en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
REJETTE les demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [N] [X] aux dépens d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 31 mai 2022, signé par Mme Christine Dorsch, Président de chambre, et Mme Martine Thomas, Greffier.
Le Greffier, Le Président,