MINUTE N° 22/517
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 31 Mai 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 20/03350
N° Portalis DBVW-V-B7E-HNY6
Décision déférée à la Cour : 05 Novembre 2020 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COLMAR
APPELANTE :
S.A.S. LIEBHERR FRANCE
prise en la personne de son représentant légal
2, avenue Joseph Rey
68000 COLMAR
Représentée par Me Guillaume HARTER, avocat au barreau de COLMAR
INTIME :
Monsieur [S] [Y]
21 Rue du Stade
68320 WICKERSCHWIHR
Représenté par Me Michel WELSCHINGER, avocat au barreau de COLMAR
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. EL IDRISSI, Conseiller
Mme ARNOUX, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [S] [Y], né le 25 juillet 1976 a été embauché par la SAS Liebherr France à compter du 04 septembre 1995 en qualité d'apprenti, puis par contrat à durée déterminée en qualité d'usineur, suivi d'un contrat à durée indéterminée. Il occupe depuis octobre 2009 les fonctions de mécanicien sur commande numérique.
Il a le 04 juillet 2018 fait l'objet d'un avertissement pour différents manquements professionnels, avertissement contesté par courrier du 10 juillet 2018.
Puis il a, par courrier remis en main propre le 15 octobre 2018 été convoqué à un entretien préalable le 23 octobre 2018, puis licencié pour fautes graves par lettre du 26 octobre 2018.
Contestant son licenciement Monsieur [S] [Y] a, le 13 février 2019, saisi le conseil de prud'hommes de Colmar aux fins d'obtenir, après avoir fait écarter les barèmes de l'article L 1235-3 du code du travail, divers montants au titre de la rupture.
Par jugement du 05 novembre 2020, le conseil de prud'hommes a dit et jugé que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, a rejeté la demande d'inconventionalité des barèmes, et a condamné la SAS Liebherr France à payer à Monsieur [S] [Y] les sommes de :
- 7.736,66 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,
- 773,66 € au titre des congés payés afférents,
- 25.917,81 € nette au titre de l'indemnité légale de licenciement,
- 65.761,61 € à titre de dommages et intérêts pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil des prud'hommes a en outre condamné la société à rembourser à Pole Emploi les indemnités chômage à hauteur de six mois, et a rappelé l'exécution provisoire de droit, sans l'ordonner pour le surplus.
La SAS Liebherr France a le 11 novembre 2020 interjeté appel de la décision.
Selon conclusions transmises par voie électronique le 11 février 2021, la SAS Liebherr France demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter Monsieur [Y] de l'ensemble de ses demandes, et de le condamner à lui payer 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
À titre subsidiaire elle demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté l'inconventionalité du plafonnement prévu par l'article L 1235-3 du code du travail, mais conteste les différentes sommes allouées. Elle demande à la cour de déclarer que le salaire brut mensuel est de 3.562,24 €, de réduire à de plus justes proportions les dommages et intérêts alloués, et d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le remboursement à pôle emploi de six mois d'indemnités chômage.
Selon conclusions transmises par voie électronique le 07 juin 2021 Monsieur [S] [Y] demande à la cour de confirmer le jugement déféré, et de condamner la société Liebherr France à lui payer une somme de 2.000 € à titre de frais irrépétibles, ainsi que tous les frais et dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 2021.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. Sur le licenciement pour faute grave
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail, ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier d'en rapporter la preuve.
Monsieur [S] [Y] conteste l'intégralité des griefs allégués, et en particulier se prévaut d'évaluations positives de janvier 2016 et janvier 2018. Il convient néanmoins de relever que les griefs reprochés au salarié sont, pour l'essentiel, postérieurs à sa dernière évaluation, de sorte que celles-ci ne constituent pas une preuve de la fausseté des griefs allégués en septembre et octobre 2018, et de l'antécédent de juillet 2018.
Par ailleurs la maladie professionnelle du canal carpien, est sans incidence sur les griefs allégués par l'employeur, le médecin du travail ayant en dernier lieu, par avis du 03 juillet 2018, déclaré le salarié apte à son poste, et ce sans restriction quand bien même il bénéficie d'un suivi individuel renforcé. Il est relevé qu'il n'y avait pas davantage de restrictions dans le précédent avis d'aptitude du 04 avril 2016.
Par lettre de licenciement du 26 octobre 2018 Monsieur [Y] été licencié pour fautes graves, l'employeur lui reprochant, outre un passé disciplinaire, plusieurs griefs qu'il convient d'examiner successivement.
1.
Sur les incidents du 18, 20, et 21 septembre 2018
"'En date du 18 septembre 2018, votre responsable a constaté un problème sur une pièce Mining. Le meulage des tétons manquait sur cette dernière. Il vous a été demandé d'effectuer cette opération ainsi que de retoucher divers impacts sur la pièce. Or, le lendemain le constat a été identique. Vous n'aviez pas appliqué les consignes. Malgré les consignes et les relances, vous n'avez pas exécuté les opérations demandées. Finalement ce sont vos collègues de la contre équipe qui ont dû retoucher les pièces pour les envoyer au plus vite sur la ligne de production, et ne pas retarder la production.
Le 20 septembre 2018, votre responsable vous a alors fait part de son mécontentement quant à la récurrence du non-respect des consignes données, et de leurs conséquences en termes de production, mais également de charge de travail pour vos collègues.
Dans la continuité, le vendredi 21 septembre 2018, votre responsable vous a demandé de refaire le meulage des pieds sur une pièce Mining. Le meulage initial ne convenait pas, il ne répondait pas à l'attendu. Vous savez que ses pieds doivent être irréprochables notamment en termes de qualité car le client est très exigeant. Il est toujours nécessaire de vous répéter encore, et encore les consignes. Nous ne pouvons que constater que vous ne réalisez jamais les finitions et vous vous débrouillez pour laisser ces opérations à vos collègues. Vous ne prenez pas en compte les remarques de votre hiérarchie laquelle est dans l'obligation de vous faire des rappels réguliers.
Ce comportement est inacceptable. Vous devez exécuter votre fonction dans son ensemble sans faire de sélection de tâches. Ces faits caractérisent clairement et sans conteste votre insubordination' "
- Sur la précision des motifs de licenciement
Le conseil des prud'hommes a jugé que ces griefs ne sont pas établis dès lors que l'attestation de Monsieur [E] n'est pas suffisamment précise s'agissant du grief du 18 septembre 2018, et qu'aucun élément n'est apporté s'agissant de celui du 21 septembre 2018.
L'énoncé du, ou des motifs de licenciement, dans la lettre de licenciement est imposé par l'article L 1232-6 du code du travail.
Cependant l'article L 1235-2 du code du travail dispose que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement peuvent être précisés après la notification par l'employeur soit à son initiative, soit à la demande du salarié, dans les conditions fixées par décret en conseil d'État.
Il résulte des pièces versées aux débats par l'appelante que le salarié a en l'espèce usé de son droit de réclamer des précisions sur les motifs dans le délai de 15 jours à compter de la notification du licenciement, en adressant un courrier daté du 31 octobre 2018, reçu le 05 novembre 2018. L'employeur a par courrier recommandé du 12 novembre 2018, envoyé le 16 novembre, soit dans le délai de 15 jours dont il dispose lui également, répondu à cette demande.
Ainsi selon l'article L 1235-2 applicable en l'espèce la lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du licenciement.
Dans sa réponse du 12 novembre 2018 la SAS Lieherr expose : " (') nous avons fait état de votre insubordination laquelle est constante. Vous ne respectez pas les consignes indiquées par votre hiérarchie. Cette insubordination est récurrente malgré les demandes de votre hiérarchie de réaliser les opérations complètes, vous n'effectuez qu'une partie de celle-ci. Pour illustrer nos griefs nous avons évoqué les derniers faits survenus en septembre 2018 et cela concernait plusieurs opérations. Ces faits ne sont pas isolés puisque vous faisiez continuellement l'objet de rappels oraux et écrits. (') Votre insubordination nuit également au bon fonctionnement du service. Vos collègues ne supportent plus votre ignorance délibérée des consignes car ces derniers doivent systématiquement réaliser votre travail non effectué. L'ambiance du travail est totalement dégradée ('). "
- Sur l'insubordination consistant à ne pas réaliser les opérations complètes, malgré les demandes de la hiérarchie
Il est exact que l'attestation de Monsieur [E] [X], responsable d'équipe depuis janvier 2016, ne précise pas les dates exactes des 18 au 20 septembre 2018, et ne qualifie pas exactement l'opération de meulage de tétons, ou des pieds.
En revanche il atteste que " des pièces Mining (pièce pour fabrication pelle minière) que Monsieur [Y] avait traitées étaient non conformes. Ces pièces doivent être parfaites étant donné l'exigence du client. Pendant l'équipe c'est donc un autre opérateur qui a du s'en charger, de manière à ce qu'elles sortent rapidement et gênent le moins possible la production. Lorsque je lui ai fait la réflexion le lendemain il m'a simplement répondu : " et alors ! Moi aussi je dois retoucher les pièces des autres ". À ce jour je n'ai pas connaissance de pièces qu'il aurait rattrapées et venant d'autres opérateurs ".
Ainsi le témoin direct, confirme que ce sont bien des pièces " Mining " visées dans la lettre de licenciement, que confiées à Monsieur [Y] elles n'étaient pas conformes, que ces pièces étaient destinées à un client exigeant, que c'est un autre opérateur qui a remédié à la malfaçon, et enfin qu'il n'a tenu aucun compte de la réflexion de son supérieur hiérarchique le lendemain. Ainsi les faits décrits par le témoin, même s'ils ne sont pas datés correspondent pour partie à ceux décrits dans la lettre de licenciement.
En effet le témoin ne décrit pas deux incidents de meulage d'une part sur des tétons, et d'autre part sur des pieds, mais un seul incident.
En revanche la récurrence des faits est également confirmée par l'attestation de Monsieur [E] [X].
Monsieur [K] [U] responsable d'atelier déclare que beaucoup ont le sentiment que Monsieur [Y] se moque de tous. Il cite différents exemples de réclamation : " en disant oui aux tâches qu'on lui confie et que d'autres avaient réalisées. (')La contre équipe qui disait qu'il laisse toujours la m' aux autres. La maîtrise qui en avait marre de devoir apaiser la situation et de rectifier les choses (')".
Il résulte ainsi de ce qui précède que le premier grief consistant à ne pas réaliser les opérations complètes qui lui étaient confiées, malgré demande de sa hiérarchie, et au détriment de ses collègues, est partiellement caractérisé.
2. Sur les antécédents
La lettre de licenciement poursuit : " vous persistez alors même que vous avez été alerté à de multiples reprises, et avez déjà fait l'objet d'un rappel pour ce type d'agissements notamment au mois de juillet 2018. "
La lettre du 12 novembre 2018 précise " ces faits ne sont pas isolés puisque faisiez continuellement l'objet de rappels oraux et écrits " citant une réunion du mois de mars 2018 dont il n'est cependant pas justifié.
Cette lettre précise encore " L'avertissement versé à votre dossier au mois de juillet exposait à nouveau votre comportement d'insubordination. Nous vous avions alors demandé de vous ressaisir et d'adopter rapidement une attitude plus professionnelle. Malheureusement vous n'avez pas cru bon devoir en tenir compte puisque nous vous reprochons aujourd'hui encore les mêmes attitudes. "
- Sur les sanctions disciplinaires de plus de trois ans
S'agissant des antécédents, c'est à juste titre que le salarié rappelle qu'en vertu de l'article L 1332-5 du code du travail aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction. Par conséquent il ne peut être tenu aucun compte de l'avertissement du 28 novembre 2005, et de la mise à pied disciplinaire de trois jours du 20 décembre 2013 versés aux débats par la société appelante.
- Sur l'avertissement du 04 juillet 2018
Cet avertissement a été décerné en raison de deux griefs commis les 11 et 13 juin 2018.
Les faits du 11 juin 2018 concernent l'absence de recoupage d'une pièce endommagée, malgré une demande de la maîtrise, et un engagement de sa part de le faire.
Monsieur [E] [X] confirme qu'au mois de juin des pièces ont été abîmées à la barre à mine, que le recoupage n'a pas été exécuté, puisque Monsieur [Y] a opposé à son collègue un refus de terminer le travail, de sorte que la tôle est restée sur la table.
Les faits du 13 juin 2018 concernent la négligence dans le tri des pièces, et des chutes jetées ensemble dans la même cuve, obligeant le collègue du poste suivant à effectuer le tri à sa place.
Le témoin écrit qu'une autre journée Monsieur [Y] affecté sur la machine de coupe a systématiquement mis les pièces destinées au rebut, et les pièces de production dans la même caisse, afin de ne pas les trier lui-même, ainsi " au final son collègue de poste suivant a du s'en charger. Ce dernier est venu m'en faire part ".
Ainsi l'employeur justifie du bien-fondé de cet avertissement par la production de l'attestation Monsieur [E] [X], et que c'est vainement que Monsieur [Y] conteste cette sanction disciplinaire.
*
Les lettres de licenciement, et d'explication des motifs du licenciement citent l'avertissement de juillet 2018, et mentionnent que le salarié a été " alerté à de multiples reprises ", ou qu'il faisait " continuellement l'objet de rappels oraux et écrits ".
Aucune pièce ne justifie d'une réunion de recadrage du 06 mars 2018 visée dans l'avertissement et rappelée dans la lettre du 12 novembre 2018.
En revanche l'employeur verse aux débats un compte rendu d'une réunion du 21 juillet 2017 visant à rendre attentifs Monsieur [Y] : " que de multiples alertes ou dysfonctionnements imprécis engendrent une surcharge inutile pour le service maintenance ". Sont ensuite évoqués différents exemples " comme la perte de liquide de refroidissement Messer et des outils de manutention Demag ". La conclusion de ce compte rendu et qu'il est attendu de Monsieur [Y] qu'il réagisse, et fasse preuve de professionnalisme. Ce compte rendu est signé par trois responsables, mais également par Monsieur [S] [Y] lui-même, dont la signature confirme le bien-fondé de cet entretien, et des conclusions qui en sont tirées.
Ainsi l'employeur justifie d'une réunion de recadrage du 21 juillet 2017, et un avertissement justifié du 04 juillet 2018 pour des faits commis les 11 et 13 juin 2018, soit moins de 4 mois avant le licenciement.
3. Sur les problèmes relationnels avec les collègues
La lettre de licenciement reproche à Monsieur [Y] d'être à l'origine d'une ambiance de travail détestable en expliquant : " le dialogue avec certains de vos collègues est même rompu. Au-delà de la sélection de tâches, vous êtes désagréables et vous vous permettez de hurler sur des collègues et faites des réflexions déplaisantes, vexantes. Vous ignorez totalement le travail collaboratif, la courtoisie, et le savoir être.
Pour exemple le 4 octobre 2018 vous avez eu un comportement désinvolte et provocateur en renversant délibérément votre boisson sur la table ce qui a abouti à des échanges désobligeants avec un collègue. Ces faits ne sont malheureusement pas isolés. Vous manquez cruellement de respect envers vos collègues et entretenez un climat de tension. "
Ainsi Monsieur [C] [G], métallier explique avoir à plusieurs reprises constaté " des moqueries envers différents collègues (et ta s'ur) sur un ton agressif, des sourires moqueurs, des pichenettes envers certains ([I] [W]) ".
Monsieur [N] [G] opérateur machine rapporte des plaintes récurrentes de certains salariés, et de lui-même concernant Monsieur [Y] [S], et liste : " moqueries récurrentes (sourire, commérages, insultes, divers) (') non-respect total envers les collègues (connard, ta s'ur) pointage du doigt d'un collègue en plein travail. Diffamation régulière sous forme d'insultes. " Il se plaint également d'une altercation verbale avec lui-même le 04 octobre 2018, l'ensemble participant selon le temoin grandement à une ambiance malsaine dans l'entreprise.
Monsieur [T] [A] rapporte que le 11 septembre 2018 à sa question de savoir s'il faisait du foot, Monsieur [Y] lui a répondu sur un ton provocateur " ouais avec ta s'ur ". Il précise qu'ensuite ils se sont expliqués, que chacun s'est excusé, mais que Monsieur [Y] a alors rajouté sur un ton ironique " heureusement que je n'ai pas dit " ta mère " ". Le témoin écrit que ces pics à répétition obligent les salariés à se contrôler pour éviter que cela ne dégénère, ce qui met une mauvaise ambiance dans l'atelier, et est démotivant.
Monsieur [E] [X] témoigne que des opérateurs " nous ont alerté " quant au comportement insupportable et désagréable de Monsieur [Y] envers certains de ses collègues essentiellement en équipe de nuit, en l'absence d'encadrement. Il rapporte avoir saisi son N+1 de la difficulté, et avoir interrogé l'opérateur malmené qui lui a confié qu'il n'y avait rien de grave, " mais qu'à force c'est usant ".
Enfin le responsable d'atelier Monsieur [K] [U] rapporte notamment qu'une partie du personnel de l'atelier est excédée " par ces agissements, et ces pitreries toujours dans le dos de la maitrise en équipe de nuit ", et que les salariés ont décidé de se confier aux RH. Il explique que depuis le départ de Monsieur [Y] l'atelier a retrouvé sa sérénité et est soulagé de la charge de travail due à l'attitude de Monsieur [Y]. Il rapporte : "'des témoignages de certains de mes collègues de bureau et d'atelier qui sont venus me raconter la façon dont ils avaient été poussés à bout par l'insistance des railleries, et pics dont ils ont fait l'objet. Et que pratiquement tous m'ont dit avoir mis un terme soit en rompant les relations, soit en refusant d'être dans la même équipe de travail, et dans certains cas par une bousculade ".
Il résulte de ces témoignages que l'employeur n'établit pas que Monsieur [Y] hurlait sur des collègues, ou qu'il a délibérément renversé sa boisson le 04 octobre 2018. Il est souligné que Monsieur [N] [G] s'il rapporte une altercation verbale le 04 octobre 2018 n'apporte aucune précision à cet égard.
En revanche il est clairement établi que Monsieur [Y] fait de manière récurrente des réflexions déplaisantes et vexantes à ses collègues, et que son attitude irrespectueuse entretient un climat de tension. Il est remarquable que cette attitude est rapportée, non pas par un seul témoin, mais par plusieurs salariés, et ce de manière concordante.
Les attestations de plusieurs témoins produites par Monsieur [Y] quant à ses bonnes relations avec ses collègues, ne sont pas de nature à contredire les difficultés qu'il a rencontrées avec d'autres salariés qui en témoignent ci-dessus.
Hormis les deux faits précis écartés (hurlements, et renversement d'une boisson), le grief est par ailleurs établi.
4. Sur le tabagisme au poste de travail
La lettre de licenciement énonce : "' vous avez été vu en train de fumer à votre poste de travail à plusieurs reprises. Il s'avère que vous fumez de manière régulière à votre poste de travail et pendant vos heures de travail. Vous ne pouvez ignorer qu'il est interdit de fumer dans les locaux clos et couverts affectés à l'ensemble des salariés et de manière générale qu'il est interdit de fumer en dehors des temps de pause et en dehors des zones autorisées. Ces dispositions relèvent du règlement intérieur de Libherr France. Ces faits montrent une fois de plus votre irrespect délibéré des consignes et des règlements en vigueur au sein de l'entreprise. Il incombe à l'employeur une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés. Nous ne pouvons en aucun cas tolérer un tel comportement. D'autant plus que certains collègues se sont plaints de la gêne occasionnée par le tabac. "
Le tabagisme sur le poste de travail est confirmé par Monsieur [C] [G] qui a constaté que son collègue fumait des cigarettes semaine 37 et 40, et que l'odeur incommodait l'atelier, et lui-même.
De la même manière Monsieur [C] [D] atteste que les semaines 37 et 40 Monsieur [S] [Y] fumait des cigarettes durant son temps de travail à son poste, et qu'il explique que cette odeur l'incommodait particulièrement, étant lui-même non-fumeur.
Il y a lieu de préciser que les semaines 37 et 40 de l'année 2018 correspondent aux semaines des 10 septembre et 1er octobre.
Enfin Monsieur [E] [X] atteste que sur la période 2016 à 2018, il a à deux reprises surpris Monsieur [Y] à fumer dans le local grenaillage. Il indique qu'un rappel oral des règles lui a été fait la première fois, et que la seconde fois quelques mois plus tard : " du coup il a glissé sa main dans sa poche avec la cigarette en me voyant arriver. Je lui ai demandé de sortir sa main de la poche avant de se brûler, et lui ai précisé que c'était la dernière fois sous peine d'avertir le N+1. Les deux fois où j'ai pu constater qu'il fumait, il n'a pas nié étant donné qu'il avait surpris sur le fait. "
Ainsi l'employeur établit que Monsieur [Y], malgré l'interdiction, et les deux rappels à l'ordre de son supérieur hiérarchique fumaient à son poste de travail ce qui incommodait ses collègues.
C'est à tort que le salarié soutient une tolérance de l'employeur qui aurait été informé des faits, alors qu'il résulte de l'attestation de Monsieur [E] [X] que ce dernier n'a pas fait remonter l'information au N+1, mais a simplement menacé de le faire la prochaine fois. Par ailleurs les deux autres témoins rapportent des faits qui se sont déroulés en septembre et octobre 2018. Ainsi le salarié n'établit nullement une connaissance, et encore moins une tolérance de l'employeur quant à son tabagisme à son poste de travail.
***
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'employeur établit l'existence d'une faute. La multiplication des faits retenus par la cour, et ce malgré un avertissement récent, et des rappels à l'ordre justifient la rupture du contrat de travail. Cependant compte tenu de l'ancienneté importante du salarié (23 ans), seule une faute simple, et non une faute grave sera retenue.
Le jugement déféré qui a retenu un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse est par conséquent infirmé.
II. Sur les conséquences financières
Le conseil des prud'hommes a retenu comme base de calcul des différentes indemnités un salaire mensuel moyen de 3.868,33 € bruts tel que sollicité par le salarié, alors que l'employeur conteste ce salaire moyen qu'il chiffre pour sa part à 3.562,24 €.
Monsieur [Y] n'apporte pas de précision sur le salaire moyen qu'il retient.
Selon les bulletins de paye versés aux débats durant la période d'octobre 2017 à septembre 2018, soit durant les 12 derniers mois précédant le mois du licenciement, le salarié a perçu une somme totale de 42.746,88 € bruts, soit un salaire mensuel moyen de 3.562,24 € bruts. Ce dernier montant sera par conséquent retenu comme base de calcul des différentes indemnités. En effet le salaire moyen des trois derniers est inférieur est donc, et donc moins favorable au salarié.
Monsieur [Y] justifiant d'une ancienneté de plus de deux ans est bien fondé, en application de l'article L 1234 -1 du code du travail, à réclamer une indemnité de préavis correspondant à deux mois de salaire, soit 7.124,48 € bruts, outre l'indemnité de congés payés afférente de 712,44 € bruts. Le jugement déféré est infirmé sur ces points.
En application des articles L 1234-9, et R 1234-1 et 2 du code du travail, compte tenu de l'ancienneté de 23 ans et un mois à la notification du licenciement, et du salaire mensuel moyen de 3.562,24 €, Monsieur [Y] est bien-fondé à obtenir paiement d'une indemnité de licenciement s'élevant à 24.440,92 € nets ((890,56 x 10) + (1.187,41 x 13) + 98,95). Le jugement déféré doit donc être infirmé.
Le licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse, le jugement est infirmé en ce qu'il a alloué une somme de 65 761,61 € à titre de dommages et intérêts, Monsieur [Y] étant débouté de ce chef de demande. La contestation du plafonnement des indemnités est par ailleurs sans objet.
Enfin il y a également lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le remboursement par l'employeur à pôle emploi des indemnités chômages versées à Monsieur [Y] à hauteur de six mois. Il n'y a pas lieu à condamnation en ce sens dès lors que le licenciement est justifié.
III. Sur les demandes annexes
Le jugement déféré est confirmé s'agissant de la condamnation de l'employeur à payer une somme de 2.000 € à Monsieur [Y] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et du rejet de la demande sur ce même fondement par la société Libherr France.
Le jugement qui n'a pas statué sur les frais et dépens doit être complété. Les frais de première instance sont mis à la charge de la société Libherr France qui succombe au moins partiellement.
À hauteur de cour l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 au bénéfice de l'une ou de l'autre des parties compte tenu de la solution du litige.
Enfin Monsieur [Y] qui succombe pour l'essentiel est condamné aux dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré
INFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Colmar le 5 novembre 2020 en toutes ses dispositions SAUF en ce qu'il condamne la SAS Liebherr France à payer à Monsieur [S] [Y] la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboute la société de sa demande sur ce fondement, et déboute Monsieur [Y] du surplus de ses demandes ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant
DIT et JUGE que le licenciement Monsieur [S] [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SAS Libherr France à payer à Monsieur [S] [Y] les sommes de :
- 7.124,48 € bruts (sept mille cent vingt quatre euros et quarante huit centimes) à titre d'indemnité de préavis,
- 712,44 € bruts (sept cent douze euros et quarante quatre centimes) au titre des congés payés afférents,
- 24.440,92 € nets (vingt quatre mille quatre cent quarante euros et quatre vingt douze centimes) au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
DEBOUTE Monsieur [S] [Y] de sa demande de dommages et intérêts ;
DIT n'y avoir lieu à ordonner le remboursement d'indemnités chômage versées à Monsieur [S] [Y] par Pole emploi ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Monsieur [S] [Y] aux dépens de la procédure d'appel.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022, signé par Madame Christine DORSCH, Président de Chambre et Madame Martine THOMAS, Greffier.
Le Greffier, Le Président,