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27/05/2022 | FRANCE | N°20/01670

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 27 mai 2022, 20/01670


MINUTE N° 249/2022





























Copie exécutoire à



- Me Valérie SPIESER



- Me Dominique HARNIST





Le 27/05/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 27 Mai 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/01670 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HK6L


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APPELANTS :



Monsieur [G] [M]

demeurant [Adresse 4]

[Localité 1]



S.A.R.L. JFA, prise en la personne de son représentant légal

8ayant son siège social [Adresse 6]

[Localité 2]



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MINUTE N° 249/2022

Copie exécutoire à

- Me Valérie SPIESER

- Me Dominique HARNIST

Le 27/05/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 27 Mai 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/01670 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HK6L

Décision déférée à la cour : 18 Mai 2020 par le tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANTS :

Monsieur [G] [M]

demeurant [Adresse 4]

[Localité 1]

S.A.R.L. JFA, prise en la personne de son représentant légal

8ayant son siège social [Adresse 6]

[Localité 2]

représentés par Me Valérie SPIESER, avocat à la cour.

Avocat plaidant : Me DIETRICH, substituant Me SIMONNET, avocat à Strasbourg

INTIMÉ :

ETAT FRANÇAIS - AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 5]

[Localité 3]

représenté par Me Dominique HARNIST, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Mars 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Dominique Donath faisant fonction

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 12 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

La SARL JFA, dont M. [G] [M] est le gérant, a une activité de commerce de véhicules neufs. Entre juin 2010 et avril 2011, ils ont été victimes de faits d'extorsion par menaces commis par plusieurs individus dont M. [I] [F], à qui ils ont été contraints de remettre d'importantes sommes d'argent et la totalité des véhicules du garage.

La société JFA et M. [M], soutenant que la commission de ces infractions à leur préjudice aurait pu être évitée dans la mesure où des interceptions téléphoniques qui avaient été mises en oeuvre sur commissions rogatoires d'un juge d'instruction de Mulhouse des 25 novembre 2010 et 12 janvier 2011, dans le cadre d'une information judiciaire ouverte pour des faits d'association de malfaiteurs suite à un vol à main armée commis le 28 mars 2010 au grand casino de Bâle, auraient révélé l'existence de faits d'extorsion avec menaces susceptibles d'être commis à leur préjudice par M. [F], ont assigné l'Etat français devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, le 18 avril 2019, aux fins d'obtenir indemnisation du préjudice qu'ils ont subi du fait d'un fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Par jugement du 18 mai 2020, le tribunal judiciaire a rejeté les demandes d'indemnisation respectives de la société JFA et de M. [M] et les a condamnés aux dépens et à payer à l'Etat français une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a rappelé qu'en application de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice n'est engagée qu'en cas de faute lourde ou de déni de justice, la faute lourde ayant été définie par l'assemblée plénière de la Cour de cassation comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

Le tribunal a relevé que ni les commissions rogatoires, ni leur retour n'étaient produits, et a retenu que, s'il résultait de la demande d'utilisation de renseignements recueillis au cours de l'exécution d'une commission rogatoire adressée, le 9 juin 2011, par le chef de la brigade criminelle et de répression du banditisme de l'antenne de police judiciaire de Mulhouse au juge d'instruction que les commissions rogatoires aux fins d'interception de lignes téléphoniques de M. [F] étaient datées des 25 novembre 2010 et 12 janvier 2011, et que ces interceptions avaient permis, au fur et à mesure de leur exploitation, de mettre au jour les faits commis au préjudice de la société JFA et de M. [M], il n'était pas établi que les dites interceptions aient été transcrites en exécution des commissions rogatoires précitées dans le retour qui en a été fait au juge d'instruction, dès lors qu'il n'était pas saisi de tels faits par le réquisitoire introductif d'instance, ni que le juge d'instruction en ait eu connaissance avant la plainte déposée par M. [M], le 2 mai 2011. Le tribunal a donc considéré qu'un fonctionnement défectueux du service public de la justice du fait de ce magistrat n'était pas établi, soulignant que la plainte de M. [M] avait été traitée dans un délai raisonnable et avait abouti à la condamnation des auteurs des faits d'extorsion.

S'agissant de la responsabilité de l'Etat pour faute du service de la justice imputable à la police judiciaire, le tribunal a rappelé les dispositions de l'article 40 du code pénal qui imposent à tout officier public qui acquiert dans l'exercice de ses fonctions la connaissance d'un crime ou d'un délit d'en aviser sans délai le procureur de la République. Le premier juge a relevé qu'il n'était pas démontré que les faits commis au préjudice de la société JFA et de M. [M] avaient été révélés au ministère public, mais a retenu que les pièces produites ne permettaient pas de déterminer la date exacte de commission des faits d'extorsion postérieurs aux commissions rogatoires précitées des 25 novembre 2010 et 12 janvier 2011, les pièces produites permettant seulement de déterminer que 3 véhicules auraient été extorqués en janvier 2011 et 11 (dont les 3 précédents) entre février et avril 2011 et que l'extorsion d'un chèque de 35 000 euros avait eu lieu mi-avril 2011. Le tribunal soulignait que la date de transcription de ces écoutes téléphoniques, qui ne se fait pas en temps réel, n'était pas non plus connue, et qu'il n'était pas non plus établi qu'en dénonçant les faits au procureur de la République les services de police auraient pu ou auraient eu pour ordre d'empêcher la réalisation d'un ou plusieurs des faits d'extorsion.

La société JFA et M. [M] ont interjeté appel de ce jugement le 24 juin 2020, aux fins d'annulation ou de réformation en toutes ses dispositions.

Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2021, ils demandent à la cour, au visa de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, d'infirmer le jugement du 18 mai 2020 en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la SARL JFA et celle de Monsieur [G] [M] et les a condamnés à verser à l'Etat français, prise en la personne de l'Agent judiciaire de I'Etat, la somme de 800 euros au titre de l'article 700, tout en les condamnant aux frais.

En conséquence et statuant a nouveau,

- condamner l'Etat Français, pris en 1a personne de Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat, à verser à la SARL JFA la somme de 307 626,40 euros augmentée des intérêts légaux à compter de la signification de l'assignation,

- condamner l'Etat Français, pris en la personne de Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat, à verser à Monsieur [G] [M] la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral, augmentée des intérêts légaux à compter de la signification de l'assignation,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner l'Etat Français, pris en la personne de Monsieur l'Agent Judiciaire de l'Etat, à verser à Monsieur [G] [M] et à la SARL JFA la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les appelants soutiennent que l'inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission résulte de :

- l'absence d'intervention des officiers de police judiciaire pour prévenir ou empêcher la commission des délits d'extorsion de biens avec violences commis à leur détriment, alors que M. [M] vivait sous la terreur d'une mise à exécution des menaces de meurtre et/ou de viol proférées à l'encontre de membres de sa famille au cas où il ne livrerait pas les véhicules demandés,

- l'absence de toute mesure de protection de la victime du flagrant délit d'extorsion de biens avec menaces, et d'ouverture d'une information judiciaire malgré la gravité de l'atteinte à l'ordre public.

Ils reprochent au tribunal d'avoir inversé la charge de la preuve et de ne pas avoir tiré les conséquences de droit de l'absence de communication par l'Agent judiciaire de l'Etat des éléments du dossier pénal relatif au cambriolage du grand casino de Bâle malgré les demandes réitérées du ministère de la justice aux autorités judiciaires.

Ils font valoir qu'ils rapportent suffisamment la preuve de la connaissance par les enquêteurs des intentions délictueuses de M. [F], avant la plainte déposée par M. [M] le 2 mai 2011, et s'appuient à cet égard sur le rapport intermédiaire du 16 juin 2011, selon lequel l'exploitation des écoutes mises en place en novembre 2010 avait été faite 'au fur et à mesure' des conversations de M. [F], ainsi que sur les termes du réquisitoire définitif et de l'ordonnance de renvoi et non-lieu partiel, ainsi que sur la demande adressée le 9 juin 2010 par l'officier de police judiciaire aux fins d'être autorisé à utiliser contre M. [F] les éléments recueillis dans le cadre des écoutes téléphoniques et enfin sur les déclarations des officiers de police judiciaire qui évoquent le fait que les interceptions permettaient 'au fur et à mesure' de mettre au jour les faits d'extorsion.

Ils considèrent que ces éléments démontrent l'antériorité des écoutes à la plainte de M. [M] et leur nécessaire exploitation dans cet intervalle de temps en application de l'article 100-4 du code procédure pénale. Au surplus, c'est précisément parce que les enquêteurs de l'antenne de la police judiciaire de Mulhouse étaient en possession d'éléments sur ces extorsions que le parquet de Strasbourg a transféré la procédure qui avait été ouverte suite à la plainte de M. [M] au parquet de Mulhouse, le juge d'instruction ayant autorisé l'utilisation des données.

Les appelants considèrent qu'il appartient dès lors à l'Agent judiciaire de l'Etat de démontrer l'ignorance par les enquêteurs des agissements délictueux commis par M. [F] au préjudice de M. [M] et de sa société durant la période où les interceptions ont eu lieu, soit de novembre 2010 à mai 2011, en versant aux débats les éléments du dossier d'information dans lequel les commissions rogatoires ont été ordonnées, une sommation ayant été vainement délivrée à l'intimé qui ne peut se prévaloir du fait que n'étant pas partie à la procédure pénale, il ne pouvait se faire communiquer des éléments du dossier alors qu'il produit par ailleurs des éléments du dossier pénal concernant la plainte de M. [M].

Ils reprochent au tribunal de n'avoir pas tiré les conséquences de ce refus de communication de pièces qui n'est pas légitime et d'avoir statué par des motifs dubitatifs en retenant qu'il n'était pas démontré qu'en dénonçant les faits au procureur de la République, les services de police auraient pu ou auraient eu pour ordre d'empêcher la réalisation d'un ou plusieurs des faits d'extorsion, observant que même si en vertu du principe d'opportunité des poursuites, qui est très relatif en matière d'atteintes graves aux personnes et aux biens, ils peuvent néanmoins se prévaloir d'une perte de chance certaine d'avoir pu éviter le pillage du fonds de commerce de véhicules de la société et la terreur permanente dans laquelle a vécu M. [M].

En ce qui concerne le préjudice de la société il est constitué au vu de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel du 23 mai 2016, par :

- la contre-valeur des véhicules récupérés et vendus par M. [F] : 142 246,83 euros,

- la perte de marge escomptée sur la revente des véhicules : 9 000 euros

- le montant des extorsions de fonds : 79 258,70 euros

- les frais d'avocat et débours pour l'ensemble des procédures : 5 500 euros

outre le préjudice moral de M. [M] qui a vécu dans la terreur pendant plusieurs mois.

Par conclusions transmises par voie électronique le 1er octobre 2021, l'Agent judiciaire de l'Etat demande à la cour de déclarer l'appel et l'ensemble des demandes de la SARL JFA et de M. [G] [M] mal fondés, les en débouter ainsi que de l'intégralité de leurs fins, moyens et conclusions, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et condamner la SARL JFA et M. [G] [M] à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Il reprend tout d'abord la chronologie de l'enquête et rappelle les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat qui supposent la preuve d'une faute lourde, laquelle doit s'apprécier non au regard des événements postérieurement survenus et non prévisibles à la date des décisions incriminées, mais dans le contexte soumis aux magistrats et aux enquêteurs, ainsi que d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Il fait valoir que :

- il ne saurait être reproché aux officiers de police judiciaire de ne pas avoir pris de mesures pour protéger M. [M] alors même que l'infraction n'était pas commise, l'appelant ayant lui-même précisé dans son assignation « les enquêteurs ont eu connaissance par les interceptions des conversations téléphoniques de M. [F] (...), des agissements délictueux que ce dernier allait commettre au préjudice de M. [M] »,

- les appelants ne rapportent pas la preuve que les enquêteurs avaient connaissance des intentions délictueuses de M. [F] avant la plainte de M [G] [M],

- les agissements délictueux se sont déroulés entre février 2011 et avril 2011, tandis que ce sont les écoutes téléphoniques réalisées dans le cadre de commissions rogatoires délivrées pour des faits antérieurs, qui ont permis de révéler certains éléments les concernant,

- il n'est nullement établi que les officiers de police judiciaire ou le juge d'instruction auraient été en mesure, en temps réel, de mettre fin à ces faits, qui n'étaient pas l'objet de leur saisine,

- le 9 juin 2011, les enquêteurs informaient de ces faits le juge d'instruction, qui dès le 10 juin 2011, autorisait l'utilisation des éléments recueillis, et il n'est nullement établi que les écoutes auraient permis d'intervenir avant la plainte de M. [M].

L'intimé souligne enfin que le principe de la présomption d'innocence doit toujours être appliqué, et qu'en tout état de cause, le principe d'opportunité des poursuites, résultant des articles 40 et 40-1 du code de procédure pénale donne pouvoir au ministère public d'apprécier les plaintes et dénonciations qui lui sont faites et de décider de leur suite, or en l'espèce les auteurs des faits commis au préjudice de la société JFA et de M. [M] ont été poursuivis et condamnés.

Sur le grief d'un renversement de la charge de la preuve, l'intimé fait valoir qu'il appartient aux appelants de rapporter la preuve d'une faute lourde susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, que cette preuve n'a pas été rapportée en première instance et ne l'est toujours pas en cause d'appel, les appelants n'établissant pas, contrairement à ce qu'ils soutiennent, que les services de police auraient eu connaissance des faits d'extorsion avant le dépôt de plainte, cette connaissance n'étant au surplus pas en elle-même constitutive d'une faute lourde.

Il considère que les appelants ne sauraient reprocher aux officiers de police judiciaire de ne pas être intervenus avant la plainte de M. [M], alors que selon lui les faits se déroulaient depuis juin 2010 et qu'il a lui-même attendu le 2 mai 2011 pour porter plainte.

Les appelants ne peuvent pas non plus se prévaloir d'une prétendue obstruction de la part de l'Agent judiciaire de l'Etat à la communication du dossier pénal concernant les faits de vol avec arme, puisqu'il n'est pas en possession de ces éléments n'étant pas partie à la procédure pénale, même s'il a pu obtenir communication d'éléments relatifs à la plainte déposée par M. [M] pour les besoins de sa défense, puisque c'est précisément cette plainte qui fonde la présente procédure. Il ajoute que les appelants auraient pu saisir le conseiller de la mise en état à fin d'obtenir la communication du dossier pénal ce qu'ils n'ont pas fait.

Il soutient enfin qu'il n'est pas certain que, dans l'hypothèse où les enquêteurs auraient eu connaissance de ces faits antérieurement, ils auraient pu éviter les préjudices subis par les appelants, de sorte que la perte de chance alléguée n'est donc pas démontrée.

S'agissant du préjudice, la contre-valeur des huit véhicules extorqués et la perte de marge ne sont pas la conséquence directe et certaine d'une faute de l'Etat, les appelants cherchant à faire supporter à l'Etat, par le biais d'une action en responsabilité, le paiement d'une créance civile issue de l'arrêt du 23 mai 2016 qu'ils n'ont pu recouvrer auprès des débiteurs, le préjudice financier de la SARL JFA étant la conséquence directe et certaine des agissements délictueux de M [F] et de ses complices.

L'intimé soutient que l'Etat ne saurait être condamné pour dysfonctionnement alors même que l'enquête a été menée dans les règles de l'art et que les personnes responsables ont été condamnées. Il n'est pas non plus démontré que les frais exposés, au demeurant excessifs, seraient la conséquence d'un dysfonctionnement du service public de la justice. Enfin M. [M] ne démontre pas plus la réalité du principe de son préjudice moral, ni son quantum .

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 1er février 2022.

MOTIFS

L'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, énonce : 'l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.'

Il appartient à l'usager qui entend rechercher la responsabilité de l'Etat pour fonctionnement défectueux de la justice de démontrer l'existence d'une faute lourde ou d'un déni de justice, ainsi que d'un lien de causalité entre cette faute ou ce déni de justice et le dommage qu'il subit. La faute lourde se définit comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

En l'espèce, la société JFA et à M. [M] soutiennent que 'l'inaptitude du service public de la justice à remplir sa mission résulte de l'absence d'intervention des officiers de police judiciaire pour prévenir ou empêcher la commission d'un délit d'extorsion de biens avec violences au détriment d'une victime vivant dans la terreur

d'une mise à exécution des menaces de mort et/ou de viol sur les membres de sa famille', aucune mesure de protection de la victime du flagrant délit d'extorsion de biens avec menace n'ayant été mise en place.

Il appartient aux appelants d'établir que les éléments recueillis dans le cadre de l'exploitation des interceptions téléphoniques menées dans le cadre de l'information judiciaire en cours suite aux faits commis à Bâle le 28 mars 2010 étaient de nature à caractériser un 'flagrant délit d'extorsion avec menace' ou étaient à tout le moins suffisamment graves et précis pour justifier une intervention afin d'éviter la commission prévisible et imminente de ce délit.

S'il est effectivement établi par les pièces versées aux débats que l'exploitation 'au fur et à mesure' des interceptions des deux lignes téléphoniques utilisées par M. [F] dans le cadre des commissions rogatoires délivrées les 25 novembre 2010 et 12 janvier 2011 par le juge d'instruction en charge de l'information judiciaire concernant le vol avec arme commis au grand casino de Bâle le 28 mars 2010 a mis en évidence des éléments ayant permis l'identification puis l'interpellation des auteurs des faits d'extorsion commis au préjudice de la société JFA et de son gérant, ce seul fait ne suffit pas à la démonstration d'une faute lourde du service public de la justice, ni à établir la connaissance par les enquêteurs d'éléments suffisamment précis pour leur permettre d'intervenir afin de mettre un terme à l'infraction ou de prévenir sa commission imminente.

Les appelants ne peuvent en effet, sans opérer un renversement de la charge de la preuve, soutenir qu'il appartient à l'Agent judiciaire de l'Etat de démontrer l'ignorance par les enquêteurs des agissements délictueux commis par M. [F] à leur préjudice, alors qu'il leur appartient au contraire d'établir le dysfonctionnement allégué qui impose que soit précisément caractérisée la défaillance reprochée aux services de police judiciaire, et en l'espèce une inaction fautive.

À cet égard, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, force est d'abord de constater que les éléments versés aux débats ne permettent pas de connaître la date exacte de commission des faits d'extorsion consistant en des remises de sommes d'argent, de véhicules, de matériel informatique et de montres de luxe, qui selon les appelants auraient débutés dès le mois de juin 2010 pour se poursuivre jusqu'en avril 2011, la plainte déposée le 2 mai 2011 par M. [M] n'étant pas versée aux débats, alors que les commissions rogatoires ont été délivrées le 25 novembre 2010 et le 12 janvier 2011, soit postérieurement aux premiers faits dénoncés par les appelants.

La société JFA et M. [M] reprochent par ailleurs à tort à l'Agent judiciaire de l'Etat une prétendue obstruction dans la communication des éléments de l'information judiciaire ouverte suite au vol avec arme perpétré le 28 mars 2010 au grand casino de Bâle dans le cadre de laquelle ces commissions rogatoires ont été émises, alors d'une part que l'intimé n'a pas accès au dossier pénal auquel il n'est pas partie et que les demandes de communication qu'il a formées auprès des autorités judiciaires n'ont pas été suivies d'effet, et d'autre part que les appelants non pas estimé devoir saisir le juge de la mise en état ou le conseiller de la mise en état d'une demande de communication de cette procédure pénale, et s'abstiennent en outre de produire la moindre pièce tirée de la procédure pénale diligentée suite à la plainte de M. [M], bien que les éléments de cette procédure auquel ce dernier avait accès en sa qualité de partie civile ne soient plus couverts par le secret de l'instruction puisque l'information judiciaire a été clôturée et les auteurs de ces faits définitivement jugés et condamnés.

Or, il ressort du réquisitoire définitif établi 18 février 2013 dans le cadre de cette information judiciaire que les auteurs des faits ont été confrontés aux éléments ressortant des interceptions téléphoniques (cotes D579 à D577, D489, D961 à D955 et D983 à D980) dont le juge d'instruction saisi des faits du 28 mars 2010 avait autorisé, le 10 juin 2011, l'utilisation dans le cadre de cette information judiciaire.

Par voie de conséquence, les appelants étant défaillants dans l'administration de la preuve qui leur incombe de la connaissance effective par les enquêteurs, avant le dépôt de plainte de M. [M] le 2 mai 2011, d'informations suffisamment précises leur permettant de se convaincre de la commission d'infractions qu'il leur appartenait de dénoncer au ministère public en application de l'article 40 du code de procédure pénale ou de la commission imminente de faits qu'ils auraient été en mesure de prévenir, la preuve d'une faute lourde dans le fonctionnement du service public de la justice n'est pas rapportée.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il a débouté M. [M] et la société JFA de leur demande.

Il le sera également en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

La société JFA et M. [M] succombant en leur appel, supporteront la charge des dépens d'appel et seront déboutés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il sera par contre alloué à l'agent judiciaire de l'Etat une somme de 1 000 euros sur ce fondement aux titre exclus des dépens exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse en date du 18 mai 2020 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

DEBOUTE M. [M] et la société JFA de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [G] [M] et la SARL JFA aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 1 000 euros (mille euros) au titre des frais exclus des dépens qu'il a exposés en cause d'appel.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/01670
Date de la décision : 27/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-27;20.01670 ?
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