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27/05/2022 | FRANCE | N°20/01413

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 27 mai 2022, 20/01413


MINUTE N° 251/2022





























Copie exécutoire à



- Me Anne CROVISIER



- la SELARL ACVF ASSOCIES





Le 27/05/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 27 mai 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/01413 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HKQ3



Décision déférée à la cour : 18 mai 2020 par le Tribunal judiciaire de MULHOUSE





APPELANTE et intimée incidente :



La S.A.S. AC INVEST, représentée par son représentant légal,

ayant siège social [Adresse 1]



représentée par Me Anne CROVISIER, avocat à la cou...

MINUTE N° 251/2022

Copie exécutoire à

- Me Anne CROVISIER

- la SELARL ACVF ASSOCIES

Le 27/05/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 27 mai 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/01413 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HKQ3

Décision déférée à la cour : 18 mai 2020 par le Tribunal judiciaire de MULHOUSE

APPELANTE et intimée incidente :

La S.A.S. AC INVEST, représentée par son représentant légal,

ayant siège social [Adresse 1]

représentée par Me Anne CROVISIER, avocat à la cour.

plaidant : Me BAUER, avocat à Montbéliard.

INTIMÉE et appelante incidente :

Madame [C] [B]

demeurant [Adresse 2]

représentée par la SELARL ACVF ASSOCIES, avocat à la cour.

plaidant : Me Caroline VILAIN, avocat à Paris.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Février 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement après prorogation du 31 mars 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Dominique DONATH faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES

A partir de 2007, Madame [C] [B] a exercé un mandat de commissaire aux comptes, renouvelé pour six exercices en 2013, pour la SAS Socar ayant une activité de vente de véhicules neufs et d'occasions sous concession Volkswagen exploitée sur quatre sites dans des locaux appartenant respectivement à la SCI J2A (Sausheim), à la SCI Auréline (Huningue et Altkirch), à la SCI Parc de l'île (Sausheim) et à la société Socar (Fellering). Les éléments corporels et incorporels du fonds de commerce étaient détenus par la société Socarest.

Le capital de la société Socar était détenu par la société Sogea (9800 actions), et par Mmes [N] et [J] [T], chacune pour 100 actions.

Selon lettre d'intention du 26 octobre 2015, la société AC Invest, dirigée par M. [V], a confirmé être candidate au rachat de la totalité des actions de la SAS Socar, du fonds de commerce détenu par la SARL Socarest et des différents immeubles d'exploitation.

Selon contrat de cession d'actions sous conditions suspensives du 23 janvier 2016, la société AC Invest a acquis l'intégralité des actions de la société Socar pour un prix provisoirement fixé à la somme totale de 1 450 000 euros, prenant en considération le montant des capitaux propres de cette société tels qu'ils ressortaient des comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2014, annexés à l'acte, soit 1 547 712,67 euros.

Il était précisé que la variation négative ou positive des capitaux propres de la société Socar, à la date de réalisation Socar, - définie comme étant la date de transfert de propriété des actions -, hors incidence des cessions d'immobilisations, viendrait en diminution ou en augmentation de la somme de 1 547 712,67 euros pour donner le prix définitif, et que cette variation ne serait prise en compte que dans la limite de 850 000 euros, avec fixation d'un prix définitif minimum de 600 000 euros.

L'acte stipulait que le prix définitif Socar serait établi sur la base d'une situation comptable de référence arrêtée à la date de réalisation Socar, en coopération avec les services comptables et le cabinet d'expertise comptable de l'acquéreur, par M. [S], expert-comptable de la société Socar.

L'acte de cession définitif des actions Socar a été régularisé le 31 mars 2016, après réalisation des conditions suspensives. A la suite de l'établissement de la situation de référence, soit la situation comptable Socar arrêtée au 31 mars 2016, correspondant à la date de réalisation, les parties s'accordaient pour constater que les capitaux propres de la société Socar à la date de réalisation étaient négatifs de 69 600 euros, soit une variation négative des capitaux propres au sens des stipulations de l'article 21 du contrat de cession de 1 573 884 euros, de sorte que le prix de vente définitif théorique étant négatif de 123 884 euros, le prix définitif des actions Socar était fixé, selon 'avenant n°4 prix définitif'du 15 juillet 2016 au prix plancher de 600 000 euros.

Parallèlement, Mme [B] avait adressé, le 17 février 2016, à la société Socar un courrier recommandé, dans le cadre d'une procédure d'alerte, lui faisant part des difficultés de trésorerie et d'ordre opérationnel liées au désengagement du constructeur Volkswagen dans la concession de [Localité 5] et à la diminution de l'encours avec le constructeur et Volkswagen Bank, dont elle avait eu connaissance dans l'exercice de sa mission, faits qu'elle considérait comme étant de nature à compromettre la continuité de l'exploitation.

Le 2 mars 2016 la société Socar répondait qu'une cession était en cours, de sorte que le 3 mars 2016, Mme [B] informait le président du tribunal de grande instance qu'elle n'avait pas poursuivi la procédure d'alerte au vu des explications fournies.

Mettant en cause la sincérité des comptes certifiés par Mme [B], et lui reprochant d'avoir ainsi trompé sa vigilance lors de l'acquisition, la société AC Invest l'a assignée, le 19 avril 2018, devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, chambre civile, en paiement de la somme de 599 999 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 18 mai 2020 le tribunal judiciaire a :

- rejeté la demande d'indemnisation de la SAS AC Invest pour responsabilité professionnelle de Mme [C] [B] ;

- rejeté la demande d'indemnisation de Madame [C] [B] pour procédure abusive ;

- condamné la SAS AC Invest à payer à Madame [C] [B] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le tribunal a tout d'abord relevé que pour évaluer son préjudice à 599 999 euros, la société AC Invest ne pouvait prétendre que, si elle avait été correctement informée, elle n'aurait procédé à l'acquisition des actions Socar qu'au prix d'un euro symbolique, alors que la cession portait sur toute l'exploitation commerciale du groupe et sur les locaux de Fellering, et que le prix définitif résultait de l'établissement, notamment des capitaux propres, dans un document intitulé 'situation de référence' émanant de plusieurs experts-comptables.

Le tribunal a considéré que la situation de référence établie conjointement avec le cabinet Mazars reposait sur une 'fiche méthode' annexée à l'acte de cession et que la situation avait été fortement impactée par les changements de méthode demandés par l'acquéreur, s'agissant notamment des provisions pour dépréciation.

Le tribunal a considéré qu'en l'absence de toute expertise financière, notamment sur les postes imputés à faute à Mme [B] :

- sous-évaluation de la dépréciation des pièces détachées,

- écart d'inventaire des pièces détachées

- absence de provision sur 'buy-back'

- comptabilisation erronée des marges arrières sur véhicules

- sous-évaluation de la provision sur créances clients,

il ne pouvait savoir si la situation comptable telle qu'elle résultait des nouvelles méthodes comptables utilisées par l'acquéreur était plus fidèle à la réalité économique de la société Socar en 2016, que celle utilisée par les experts-comptables pour l'établissement des comptes 2014 certifiés par Mme [B].

Le tribunal a enfin relevé que toutes les parties savaient que la situation de la société Socar n'était pas bonne suite au retrait de Volkswagen de deux établissements. Il a ainsi considéré qu'il n'était donc pas possible de reprocher à Mme [B] d'avoir dissimulé la véritable situation de la société qui était parfaitement connue de l'acquéreur.

La société AC Invest a interjeté appel de ce jugement, le 26 mai 2020 en toutes ses dispositions.

Par conclusions transmises par voie électronique le 5 mai 2021, elle demande à la cour d'infirmer le jugement du 18 mai 2020 en ce qu'il rejette sa demande d'indemnisation pour responsabilité professionnelle de Madame [C] [B] et la condamne à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et, statuant de nouveau, de :

- dire et juger que Madame [C] [B] en sa qualité de commissaire aux comptes de la SAS Socar a engagé sa responsabilité civile professionnelle à l'égard de la société AC Invest ;

- la condamner à payer à la société AC Invest la somme de 599 999 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé ;

- déclarer Madame [B] mal fondée en son appel incident et l'en débouter ;

- débouter Madame [B] de toutes ses demandes fins et conclusions ;

- la condamner à payer à la société AC Invest la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens nés de l'appel principal et de l'appel incident.

L'appelante rappelle que les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice, et sont responsables envers les tiers des conséquences dommageables des fautes et négligences commises par eux dans l'exercice de leur mission.

Elle se fonde sur un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation ayant retenu la responsabilité du commissaire aux comptes dans une affaire similaire, et soutient que la preuve du respect des normes d'exercice professionnelles dans le cadre de sa mission incombe au commissaire aux comptes.

En l'espèce, elle fait valoir que :

- les comptes certifiés sont faux ;

- l'écart entre les comptes certifiés et les comptes réels est considérable ;

- la société était en grande difficulté, et en quasi cessation des paiements ;

- le commissaire aux comptes, après avoir dans un premier temps obstinément refusé de verser aux débats le moindre document de travail, a fini par produire des documents qui démontreraient la légèreté et l'insuffisance de ses diligences dans le cadre de la vérification des comptes de la société Socar ;

- cette communication bien qu'incomplète révèle cependant que Mme [B] n'a pas fixé de seuil de planification, lequel détermine l'étendue de ses travaux et permet de réduire à un niveau acceptable le risque que le montant total des anomalies relevées ou non détectées excède le seuil de signification, au-delà duquel ces anomalies impactent l'appréciation de la situation de la société par le lecteur des comptes, et qu'elle n'a pas mentionné les anomalies relevées, ni procédé à un contrôle de stocks tout en relevant que leur valorisation était une zone de risque.

La société AC Invest considère que l'intimée est défaillante dans l'administration de la preuve qui lui incombe de l'exécution légalement conforme de sa mission et qu'en toute hypothèse, soit elle n'a pas relevé d'anomalies, ce qui constitue un manquement professionnel au vu des éléments découverts a posteriori, soit elle ne les a pas prises en compte dans les conclusions de l'audit puisque les comptes ont toujours été certifiés sans réserve, ce qui constitue également un manquement professionnel, l'intimée ne justifiant pas non plus avoir communiqué à la direction les anomalies constatées.

La société AC Invest rappelle que le prix de cession a été défini sur la base des comptes certifiés par le commissaire aux comptes, que les comptes des quatre exercices précédents la cession avaient été certifiés sans réserve et présentaient une situation positive et que ce n'est qu'en 2016 qu'elle a constaté la situation catastrophique de la société dont les capitaux propres étaient négatifs de 69 600 euros, alors pourtant que Mme [B] avait certifié les comptes 2015 sans réserve avec un montant de capitaux propres de 1 320 450 euros.

Par voie de conséquence, l'appelante soutient que les comptes arrêtés au 31 décembre 2014 ne donnent pas une image fidèle de la réalité de la situation de la société Socar, l'analyse détaillée des différents comptes révélant qu'ils s'avèrent faux, fictifs ou sous évalués. Elle critique l'appréciation du premier juge quant au changement de "fiche-méthode" dont elle a chiffré et pris en compte l'impact qui n'excède pas 320 000 euros.

Elle invoque une sous-évaluation de la dépréciation des pièces détachées, un écart d'inventaire considérable des pièces détachées, une absence de provision sur les "buy-back", une comptabilisation erronée des marges arrières sur véhicules, une sous-évaluation de la provision sur créances clients douteux, ainsi qu'une sous-évaluation massive des litiges sociaux en cours, toutes anomalies qui additionnées aboutissent à un écart de comptes hors normes, au point que la société pouvait être considérée comme étant en état de cessation des paiements, chacun des postes excédant le seuil de signification fixé par Mme [B] à 60 000 euros.

La société AC Invest lui reproche enfin d'avoir engagé tardivement la procédure d'alerte, les décisions de résiliation des contrats de distribution prises par le groupe Volkswagen en 2013 et 2015 étant la résultante de la mauvaise gestion de la société Socar.

Elle estime que son préjudice, qui consiste en une perte de chance, est avéré, qu'il est en relation causale directe avec les fautes reprochées à Mme [B], la valeur de l'immeuble de Fellering étant indifférente, dès lors qu'elle a acheté une activité commerciale et non un bien immobilier, et que le prix a été fixé sur la base du montant des capitaux propres qui est un agrégat comptable ; or c'est sur la base d'indications erronées qu'elle a été amenée à accepter un prix plancher de 600 000 euros, alors que la réalité de la situation de la société aurait dû conduire à un prix nul.

Par conclusions transmises par voie électronique le 26 février 2021, Mme [B] demande à la cour de confirmer le jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, qu'elle réitère, sollicitant à ce titre la somme de 25 000 euros, outre 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle rappelle les caractéristiques de sa mission, son caractère légal et son obligation de non-immixtion dans la gestion de la société, et conteste tout manquement de sa part à son obligation de moyens dont la preuve incombe à l'appelante qui ne peut pallier sa carence en demandant la communication de ses dossiers de travail.

Elle indique que le commissaire aux comptes procède par sondages, méthode qui exclut toute mission de révision ou encore d'audit de l'ensemble des documents constituant la comptabilité, sa mission consistant à orienter son contrôle sur les postes significatifs et/ou sensibles dans le but de vérifier que les comptes, dans leur ensemble, ne comportent pas d'anomalies significatives.

Elle soutient que les comptes 2014 que la société AC Invest verse aux débats, et qui étaient ceux annexés à l'acte de cession, ne sont pas les comptes définitifs Socar pour 2014 certifiés par elle, auxquels elle avait ajouté des précisions s'agissant notamment de la valorisation des stocks.

Elle conteste les différents reproches qui lui sont faits, faisant valoir que :

- la prétendue sous-évaluation de la dépréciation des pièces détachées provient exclusivement d'un changement de méthode comptable entre 2014 et 2016,

- l'écart d'inventaire n'est pas non plus démontré en l'absence d'indication sur le traitement par la société Socar de l'entrée et/ou de la sortie des pièces détachées entre les deux inventaires réalisés au 31 décembre 2015 et au 31 mars 2016, et représente tout au plus 2% ; au surplus, les comptes clos au 3l décembre 2015 qui seraient prétendument affectés de cet écart d'inventaire, n'étaient pas encore arrêtés et encore moins certifiés par le commissaire aux comptes, au jour de la cession ;

- l'absence de provision pour « buy back » dans les comptes 2014, à supposer qu'elle aurait dû être passée, ne pouvait pas être détectée par le commissaire aux comptes qui, pas plus que l'expert-comptable, n'avait été informé par la direction de l'époque de risques de pertes à terminaison sur ce type de contrat, et en tout état de cause, il n'en résulte aucune incidence significative sur les comptes 2014, les provisions ultérieurement fixées s'étant avérées excessives au regard du risque réel - sur les 39 clients concernés seulement 2 ayant demandé la reprise de leurs véhicules et avec une marge positive pour la société Socar - ;

- s'agissant des marges arrières, le fait que lorsqu'un véhicule était vendu peu avant la fin d'un exercice comptable, la société Socar comptabilise la prime-constructeur sur cet exercice même si le véhicule n'était livré que sur l'exercice suivant est sans incidence puisqu'elle vérifiait, à la date de ses travaux d'audit, soit en général au mois de mai de l'année suivante, que le produit avait effectivement été perçu sur l'exercice en cours, de sorte que le produit était certain sur l'exercice précédent, quand bien même le véhicule était-il toujours en stock, ce qui ne constituait donc pas une irrégularité qui aurait dû être relevée par le commissaire aux comptes, à supposer même qu'elle soit significative, ce qui n'était manifestement pas le cas, - 78 435 euros pour un chiffre d'affaires de 30 000 000 euros - ;

- la sous-évaluation de la provision sur créances clients est également la conséquence d'un changement de méthode comptable et la prétendue sous-évaluation des provisions pour litiges sociaux en cours ne peut lui être imputée, le montant cette provision étant déterminé par le dirigeant, et le commissaire aux comptes n'avait pas à s'immiscer dans cette décision de gestion.

S'agissant enfin du déclenchement prétendument tardif de la procédure d'alerte, Mme [B] soutient que la situation financière de la société n'avait rien de catastrophique au 31 décembre2014, les soi-disant « pertes occultées » dont croit pouvoir faire état la société AC Invest n'existant pas. Par ailleurs, si elle n'a lancé une procédure d'alerte qu'au mois de février 2016, c'est parce qu'elle n'a été informée qu'à cette date par l'expert-comptable de la société Socar, de la résiliation à effet au 10 décembre 2015 du contrat de concession Volkswagen pour le site de [Localité 5].

L'intimée considère donc que la diminution des capitaux propres au 31 mars 2016 dont se plaint la société AC Invest, ne traduit pas une réalité économique, mais s'explique principalement par l'application des méthodes comptables ultra prudentielles contractuellement arrêtées pour l'établissement de la « Situation de Référence » et qui n'étaient pas celles appliquées jusque-là par la société Socar, ce dont la société AC Invest minimise l'impact.

Elle rappelle qu'en 2015, la société Socar a connu des difficultés importantes puisque les comptes clos au 31 décembre 2015 font ressortir une perte de 212 000 euros, raison pour laquelle la vente a été envisagée. Ces mauvais résultats se sont poursuivis sur le début de l'année 2016 et ce d'autant plus que le contrat Volkswagen était résilié depuis le mois de décembre 2015, pour le site de [Localité 5] ce qui était parfaitement connu de l'acquéreur, de sorte que la situation de référence arrêtée au 31 mars 2016, ne pouvait que refléter les difficultés financières de la société Socar à cette période qui étaient constatées et connues par l'acquéreur. Au surplus, l'établissement d'une situation sur trois mois uniquement et non sur un exercice entier ne peut qu'aboutir à la présentation d'une situation financière dégradée, puisque ne correspondant pas à un cycle d'exploitation normal.

Enfin, la société AC Invest ne démontre pas quelles anomalies comptables seraient à l'origine de l'écart de valorisation des capitaux propres qu'elle dénonce.

Elle indique qu'à sa demande un co-commissaire aux comptes le cabinet Gamet a été nommé en 2017 qui a examiné les comptes antérieurement certifiés sans relever d'anomalies.

Mme [B] prétend enfin avoir subi des pressions pour qu'elle démissionne ce qu'elle a refusé, ce qui motiverait la présente procédure, soulignant que la société AC Invest n'a introduit aucune action contre les cédants qui, au vu de ses explications, se seraient pourtant rendus coupables d'un dol.

Subsidiairement, elle conteste le lien de causalité, la décision de la société AC Invest d'acquérir la société Socar n'ayant pas été déterminée par les comptes certifiés par elle, notamment en 2015 puisque cette certification est postérieure à l'acte de cession, et le prix définitif ayant été déterminé par rapport à la situation de référence de 2016 arrêtée selon la fiche méthode de l'acquéreur. Enfin, la société AC Invest n'a pas estimé utile de procéder à un audit préalable et ce faisant a commis une faute qui est la cause exclusive de son prétendu dommage.

A titre infiniment subsidiaire, elle considère que la société AC Invest ne démontre pas son préjudice, le prix plancher correspondant a minima à la valeur de l'immeuble de [Localité 4], observant que cette acquisition a permis à la société AC Invest qui appartient au Groupe [V] de s'implanter dans une zone où elle n'exerçait pas encore son activité, la société Socar, désormais Espace 3000, étant la concession Volkswagen la plus importante du Grand Est.

Le préjudice serait tout au plus la perte d'une chance d'acheter les actions à leur juste valeur, laquelle est nulle compte tenu de la valeur du seul immeuble de [Localité 4].

Elle considère que la procédure est manifestement abusive et a manifestement été initiée afin de la pousser à la démission.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 7 septembre 2021.

MOTIFS

L'article L.823-9, alinéa 1er du code de commerce énonce 'Les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice.', et l'article L. 823-10 : 'les commissaires aux comptes ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur.'

L'article L 822-17 du même code prévoit que les commissaires aux comptes sont responsables, tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions.

Le commissaire aux comptes étant tenu d'une obligation de moyens dans l'exécution de sa mission, sa responsabilité ne peut être recherchée que pour faute prouvée, ce qui suppose, outre la démonstration d'une faute qui lui soit imputable, l'existence d'un préjudice, ainsi que d'un lien de causalité entre les deux.

Contrairement à ce que soutient la société AC Invest, il n'appartient pas au commissaire aux comptes de prouver qu'il a réalisé sa mission dans le respect des normes d'exercice professionnelles en fournissant ses documents de travail, mais à l'appelante d'établir que les comptes certifiés en 2014 par Mme [B] sur la base desquels ont été déterminés les modalités de fixation du prix des actions de la société Socar, étaient faux, en tous cas affectés d'anomalies qui ne pouvaient échapper à la vigilance du commissaire aux comptes, et ont ainsi contribué à dissimuler la situation réelle de la société qui aurait été quasiment en état de cessation des paiements, l'intimée étant alors seulement tenue de démontrer avoir mis en oeuvre tous les contrôles exigés par les normes professionnelles pour satisfaire à son obligation de moyens.

Il sera ensuite relevé que le prix 'plancher' a été fixé dans le contrat de cession d'actions sous conditions suspensives du 23 janvier 2016, sur la base des comptes arrêtés au 31 décembre 2014, de sorte que la société AC Invest ne peut se prévaloir de prétendues anomalies constatées dans les comptes 2015 certifiés sans réserves par Mme [B], lesquels n'étaient pas connus à cette date, Mme [B] les ayant en effet certifiés le 15 septembre 2016.

L'intimée soutient que les comptes 2014 annexés à l'acte de cession ne sont pas ceux qu'elle a certifiés. Si l'exemplaire des comptes 2014 produit par la société AC Invest ne comporte effectivement pas le cachet du commissaire aux comptes ainsi que l'admet l'appelante, il ressort toutefois de l'article 4.02 du contrat de cession d'actions que sont annexés à l'acte le rapport général et le rapport spécial du commissaire de Socar sur l'exercice clos au 31 décembre 2014, ainsi que la lettre de sincérité remise au commissaire aux comptes, de sorte qu'il peut être admis que ce sont bien les comptes 2014 certifiés par Mme [B] qui ont été pris comme base de détermination du prix. Au surplus, il sera relevé que les seules différences entre l'exemplaires des comptes annuels produits par la société AC Invest et celui annexé au rapport de Mme [B] concernent la comptabilisation des créances clients, poste sans incidence sur la détermination du montant des capitaux propres de la société sur la base duquel a été déterminé le prix, et ne faisant l'objet d'aucune discussion en la présente instance, outre une mention relative à un changement de la méthode de calcul de la provision pour dépréciation des pièces détachées en stock sur laquelle il sera revenu ci-après, cette mention figurant également dans le rapport du commissaire aux comptes adressé à l'assemblée générale le 14 juin 2015 annexé à l'acte de cession.

Enfin, il importe de relever que l'acte de cession d'actions Socar sous conditions suspensives précise: « il sera impérativement fait application pour l'établissement de la situation de référence de la fiche méthode ['] ci-annexée (annexe article 21§07), en particulier pour la détermination des stocks, encours, Buybacks et comptabilisation des remises constructeurs. Cette condition est une condition impérative de l'Acquéreur sans laquelle il n'aurait pas consenti à acquérir. », et que si l'impact du changement de fiche méthode a été évalué à 320 100 euros par la société AC Invest (annexe n°33), cette évaluation a été faite par référence au bilan 2015 et non pas au bilan 2014 ayant servi de base à la fixation du prix.

Il convient, en tenant compte des observations qui précédent, de reprendre successivement chacun des manquements allégués.

Sur la sous-évaluation de la dépréciation des pièces détachées

La société AC Invest soutient que la méthode d'évaluation utilisée par Madame [B] pour établir les comptes de l'exercice 2014 a permis d'améliorer le résultat net de la société Socar et de l'augmenter artificiellement. Elle estime que cette sous-évaluation est avérée en ce que la dépréciation était chiffrée à 77 753,20 euros dans les comptes au 31 décembre 2014 et qu'elle ressort à 268 099,38 euros dans les comptes arrêtés au 31 mars 2016 établis en juillet 2016. L'appelante fait valoir que la faute de Madame [C] [B] est constituée en ce qu'elle aurait dû préconiser, voire imposer, une méthode d'évaluation plus rigoureuse.

Madame [B] oppose que les chiffres cités par l'appelante ne sont pas comparables puisque l'acte de cession signé entre la société AC Invest et ses vendeurs, mentionne explicitement que la situation de référence a été établie en utilisant la fiche méthode d'évaluation et de dépréciation du Groupe AC Invest et non les méthodes comptables appliquées historiquement par la société Socar.

La cour relève que, dans son rapport sur les comptes annuels 2014, Mme [B] évoquait un changement de la méthode de calcul de la provision pour dépréciation des pièces détachées en stock consistant à ne comptabiliser que les pièces en stock sans mouvement depuis quatre ans et plus (trois antérieurement) et à appliquer un taux de provision de 100 % aux pièces en stock depuis plus de 6 ans (5 antérieurement), et soulignait que ce changement de méthode avait eu une incidence positive de 27 256 euros sur le résultat net.

Dans la « situation de référence » arrêtée au 31 mars 2016, la méthode appliquée a consisté à provisionner toutes les pièces détachées en stock sans rotation depuis plus d'un an, la provision étant de 100% pour les pièces détachées en stock depuis plus de trois ans.

Ce changement de méthode conduit nécessairement à une augmentation significative de ce poste, sans pour autant qu'il puisse être considéré que les comptes arrêtés en 2014 seraient entachés d'anomalies, alors que la méthode de provisionnement des pièces détachées avait été clairement explicitée par Mme [B] dans son rapport et était connue de l'acquéreur au moment de la cession.

La société AC Invest, qui ne conteste pas avoir eu connaissance du changement de méthode entre 2013 et 2014 s'agissant de la dépréciation des pièces détachées, dont l'impact a été expressément évalué et souligné par Mme [B] dans son rapport sur les comptes de l'exercice 2014, ne peut ainsi soutenir qu'il s'agirait d'un 'véritable tour de passe-passe' ayant permis d'améliorer très sensiblement le résultat net et donc de fausser les comptes.

Enfin, la société AC Invest, qui n'a pas estimé utile de solliciter une mesure d'expertise, se contente d'affirmer que sa méthode serait plus rigoureuse et plus fiable que celle validée par Mme [B], sans le démontrer, ni même établir qu'elle serait conforme à la fiche méthode du constructeur Volkswagen laquelle n'est pas produite.

Le grief n'apparaît donc pas fondé.

Sur l'écart d'inventaire des pièces détachées

La société AC Invest soutient que la carence du commissaire aux comptes est établie en ce qu'il n'a pas assisté à la prise d'inventaire afin de s'assurer que les procédures définies par la direction pour l'enregistrement et le contrôle des résultats comptables étaient appliquées et d'en apprécier la fiabilité. L'appelante

relève un écart de 20 133,14 euros correspondant à des pièces manquantes de l'inventaire, soit 1470 références, qui ont été comptabilisées en stock au 31 décembre 2015.

L'intimée oppose à juste titre non seulement que l'écart d'inventaire dont se prévaut la société AC Invest représenterait à peine 2% du stock et ne peut donc être considéré comme révélant une anomalie significative, mais surtout qu'il est déterminé par référence aux comptes clos au 31 décembre 2015, qui n'étaient pas encore arrêtés et encore moins certifiés par Mme [B] lors de la signature de l'acte de cession des actions de la société Socar par l'appelante le 26 janvier 2016 et n'a donc pas pu avoir la moindre incidence sur la fixation du prix définitif minimum.

Sur l'absence de toute provision sur les « buy-back » 

La société AC Invest soutient que Madame [B] a commis une faute grave en omettant de mentionner qu'il fallait provisionner pour un tel risque, qui a fait l'objet d'une provision à hauteur de 419 672,67 euros au 31 mars 2016.

L'intimée soutient que cette absence de provision ne pouvait être détectée par le commissaire aux comptes et n'avait aucune incidence significative sur les comptes 2014. Elle fait valoir en effet que ni le commissaire aux comptes, ni l'expert-comptable n'avaient été informés par la direction de l'époque de risque de pertes à terminaison sur ce type de contrat et qu'en l'absence de signalement par l'entité et ou d'outils internes de suivi, les contrôles a posteriori et par sondages du commissaire aux comptes ne pouvaient pas permettre de les détecter.

L'appelante observe à juste titre que nonobstant l'absence de risque spécifiquement signalé par la direction, le commissaire aux comptes ne pouvait ignorer que la société Socar ayant une activité de concessionnaire automobile elle pratiquait des opérations de « buy-back » consistant pour le concessionnaire à s'engager à reprendre à un prix déterminé à l'avance un véhicule financé au moyen d'une location financière, et devait, à tout le moins interroger la direction sur l'absence de provisionnement d'un risque de perte à terminaison, ce que Mme [B] ne démontre pas avoir fait.

Néanmoins, l'incidence effective de l'absence d'une telle provision dans les comptes 2014 n'est pas démontrée, Mme [B] établissant au contraire que la provision constituée à hauteur de 419 672,67 euros dans la situation de référence au 31 mars 2016 était manifestement excessive, puisqu'elle a été ramenée à 107 000 euros au 30 juin 2017.

Le grief allégué n'est donc pas davantage démontré.

Sur la comptabilisation erronée des marges arrières sur véhicules 

La société AC Invest soutient que des marges arrières, à savoir des primes constructeur, ont été comptabilisées en produit pour les exercices 2014 et 2015, même sur les véhicules en stock, ce qui constitue une grave irrégularité des comptes puisque ces primes ne sont dues qu'après la vente effective des véhicules concernés, à savoir la livraison, de sorte qu'il s'agit donc d'un produit fictif qui se chiffre à 78 435,10 euros.

Madame [B] fait valoir que la somme avancée par l'appelante n'est pas justifiée par elle et qu'elle ne précise pas si cette anomalie concernerait les comptes Socar 2014 ou 2015, seuls les comptes 2014 étant susceptibles d'être concernés. Elle invoque en outre le changement de méthode comptable puisque selon les fiches méthodes du Groupe [V], il a été expressément décidé de comptabiliser les primes constructeurs au titre du seul exercice de réception du véhicule par le client.

Il n'est pas contesté par l'intimée que jusqu'en 2016, les primes constructeur étaient comptabilisées en produit de l'exercice en cours, y compris pour les véhicules vendus en fin d'exercice comptable qui étaient livrables au cours de l'exercice suivant, Mme [B] indiquant qu'elle vérifiait alors que le produit correspondant avait effectivement été perçu au cours de l'exercice suivant, et estimant que cela ne constituait pas une irrégularité qu'il lui incombait de signaler.

Si cette appréciation apparaît contestable dès lors qu'il n'est pas discuté que la prime constructeur n'est effectivement versée qu'au moment de la livraison du véhicule, force est toutefois de constater que l'impact de cette pratique sur les comptes arrêtés au 31 décembre 2014 n'est pas démontré, le chiffre évoqué par la société AC Invest qui ressort de sa pièce annexe n°37, présentée comme le récapitulatif des primes sur véhicules en stock au 31 mars 2016, fait sommairement état d'une addition entre trois valeurs respectivement intitulées « Stock VN », « Stock VD » et « Stock VDR » pour arriver à un total de « 78 435,1 », sans aucun autre élément de contexte supplémentaire permettant de démontrer la comptabilisation d'un produit fictif au titre de l'exercice 2014 comme l'avance l'appelante.

Sur la sous-évaluation de la provision sur créances clients irrécouvrables

L'appelante soutient que les pertes de créances clients étaient provisionnées à hauteur de 5 999,37 euros dans les comptes arrêtés au 31 décembre 2014, de 12 956,09 euros dans les comptes 2015 mais ont été chiffrées à la somme de 87 234,514 dans les comptes arrêtés au 31 mars 2016, ce dont elle déduit que ce poste a été largement sous-évalué ce qui n'aurait pas dû échapper à la vigilance de Madame [B] qui n'a apporté aucune mention dans sa note d'orientation et n'a manifestement pas examiné les états de rapprochement. Elle considère que le commissaire aux comptes ne pouvait pas certifier des comptes alors que l'organisation administrative et les contrôles internes n'étaient pas fiables, voire étaient inexistants sur certains points.

L'intimée oppose que la différence relevée par l'appelante s'explique par le changement de méthode de calcul de provisionnement entre 2014 et 2016 du fait de l'application des fiches méthodes du groupe [V], qui étaient particulièrement prudentes en imposant un provisionnement systématique de toutes les créances de plus de six mois, sans aucune distinction et sont exclusivement à l'origine de cette augmentation significative de la provision au 31 mars 2016.

La cour ne peut que constater que si le montant de la provision pour créances irrecouvrables a sensiblement augmenté entre 2014 et 2016, il n'est pas pour autant démontré une carence du commissaire aux comptes, compte tenu du changement de méthode comptable intervenu entre 2014 et 2016 ayant consisté, à partir de 2016, à provisionner toutes les créances de plus six mois quelle qu'en soit l'origine, la société AC Invest ne produisant aucun élément démontrant que des créances qui auraient dû être provisionnées en 2014 ne l'avaient pas été, le tableau qu'elle produit en annexe n°38 concernant les exercices 2015 et 2016, et n'établissant pas davantage que la méthode précédemment retenue ne serait pas conforme aux usages dans ce domaine d'activité. Elle ne produit enfin aucun un élément démontrant la prétendue désorganisation administrative de la société Socar, se contentant de procéder par affirmations à cet égard.

Sur la sous-évaluation massive des litiges sociaux en cours 

L'appelante fait valoir qu'une somme de 159 000 euros a dû être inscrite en provision dans les comptes arrêtés au 31 mars 2016, alors qu'une somme dérisoire de 15 000 euros avait été provisionnée en 2014 validée par Madame [B], à qui il appartenait d'en vérifier l'adéquation, et que la simple lecture du courrier de l'avocat de la société à ce sujet lui aurait permis de déceler une anomalie.

L'intimée argue que ce n'est pas le commissaire aux comptes qui fixe le montant d'une provision mais qu'il s'agit d'une décision de gestion dont seul est responsable le chef d'entreprise, que le commissaire aux comptes, tiers à l'entreprise et qui ne doit pas s'immiscer dans la gestion, doit seulement vérifier l'absence de sous-évaluation manifeste en fonction de l'appréciation du risque fait par la société et/ou par les avocats. Elle fait également valoir que l'augmentation du coût réel des litiges deux années plus tard n'est pas justifié par l'appelante et est, de surcroît, indifférent pour l'appréciation des diligences effectuées par Madame [B] pour certifier les comptes clos au 31 décembre 2014 sur base des éléments qui lui ont été communiqués à cette date.

La société AC Invest fonde son argumentation sur un courrier de l'avocat de la société Socar en date du 17 février 2016 récapitulant les dossiers en cours à cette date, sans toutefois que soit précisé la date d'introduction des procédures. Il ne peut donc être déduit de cette seule correspondance largement postérieure à la certification des comptes 2014 un quelconque manquement du commissaire aux comptes à son devoir de vigilance s'agissant de l'évaluation des risques liés aux litiges sociaux en cours en 2014. La preuve d'un tel manquement ne peut pas non plus être déduite de l'augmentation ultérieure du coût réel des litiges.

Le grief n'est donc pas établi.

Sur le déclenchement tardif de la procédure d'alerte

La société AC Invest fait valoir que Madame [B] a été négligente en ce qu'elle a mis en 'uvre la phase 1 d'une procédure d'alerte le 17 février 2016, soit 9 semaines après la découverte des faits du 10 décembre 2015 et juste après la signature du contrat de cession le 24 janvier 2016. Elle argue également que Madame [B] ne pouvait ignorer jusqu'en décembre 2015 l'existence d'un courrier recommandé avec accusé de réception en date du 2 décembre 2013 par lequel Volkswagen Groupe France avait procédé à la 'résiliation ordinaire' du contrat de distributeur Volkswagen du site de [Localité 5] avec un préavis de 24 mois à raison de résultats qualité d'insuffisants, ainsi que d'un courrier du 10 mai 2015 par lequel Volkswagen Groupe France avait également procédé à la 'résiliation ordinaire' du contrat de distribution Volkswagen du site d'[Localité 3] pour les mêmes motifs.

Elle relève que la procédure d'alerte repose également sur une capacité d'autofinancement négative en 2013-2014 révélant un manque chronique de trésorerie, qui aurait dû conduire Mme [B] à lancer une telle procédure plus tôt.

Madame [B] soutient que les pertes occultées dont se prévaut la société AC Invest n'existent pas, que la diminution des capitaux propres au 31 mars 2016 dont se plaint la société AC Invest ne traduit pas une réalité économique mais s'explique principalement par l'application des méthodes comptables contractuellement arrêtées pour l'établissement de la situation de référence et qui n'étaient pas celles qu'appliquait jusque-là la société Socar, qu'elle a lancé la procédure d'alerte lorsqu'elle a eu connaissance de la résiliation à effet au 10 décembre 2015 du contrat de concession Volkswagen pour le site de [Localité 5], et que la société AC Invest était parfaitement informée de cette résiliation.

L'appelante ne verse aucune pièce aux débats démontrant Mme [B], qui le conteste, avait eu connaissance des courriers de résiliation des 2 décembre 2013 et 10 mai 2015 avant février 2016, la lettre d'affirmation adressée par la dirigeante de la société à Mme [B] le 29 mai 2015 ne faisant état d'aucun événement susceptible d'avoir une incidence sur la pérennité de l'exploitation. Il n'est pas non plus démontré que la société aurait été quasiment en état de cessation des paiements, comme l'affirme la société AC Invest sans l'établir, ce qui ne peut être déduit du seul fait que la capacité d'autofinancement de la société soit négative.

Enfin, la société AC Invest avait parfaitement connaissance, au jour de la cession, de la résiliation des contrats de distribution par Volkswagen dont il est fait mention à l'article 1.05 du contrat.

La société AC Invest n'établit donc ni la fausseté des comptes arrêtés au 31 décembre 2014 certifiés par Mme [B], les écarts de chiffres relevés par rapport à ceux arrêtés au 31 mars 2016, provenant essentiellement de l'utilisation de deux méthodes comptables différentes, et l'appelante ne démontrant pas en quoi la méthode qu'elle retient permet de donner une image plus fidèle de la situation économique de la société que celle retenue par le commissaire aux comptes, la diminution des capitaux propres devant par ailleurs être mise en relation avec les pertes enregistrées par la société en 2015 à hauteur de 227 262 euros, ni un manquement du commissaire aux comptes à son devoir de contrôle et de vigilance. Le jugement entrepris sera donc confirmé en tant qu'il l'a déboutée de sa demande.

Sur l'indemnisation au titre de la procédure abusive

Madame [B] conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il retient qu'aucun abus ou négligence fautive de la part de la société AC Invest n'a été établi afin de démontrer le caractère abusif de la procédure.

Madame [B] soutient que le peu de sérieux des arguments développés et la mauvaise foi manifeste au soutien des assertions de la société AC Invest suffisent à démontrer la légèreté et le caractère abusif de l'action, que la procédure a manifestement été initiée pour tenter de faire pression sur elle pour obtenir sa démission et qu'elle a subi un préjudice en ce que sa réputation professionnelle est entachée par la présente procédure, outre le temps qu'elle a dû utiliser pour organiser sa défense.

L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

Le seul fait que la société AC Invest soit défaillante dans la démonstration d'une faute professionnelle ou d'une négligence imputable à Madame [B] dans le cadre de ses fonctions de commissaire aux comptes ne peut suffire pour démontrer la mauvaise foi de l'appelante ou pour caractériser un abus de procédure.

Il convient donc également de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts de Madame [B] pour procédure abusive.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le jugement entrepris étant confirmé en ses dispositions principales, il le sera également en celles relatives aux dépens et frais irrépétibles.

La société AC Invest succombant en son appel, il convient de la condamner aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement à Mme [C] [B] d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande de ce chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Mulhouse du 18 mai 2020 en toutes ses dispositions ;

Et y ajoutant,

CONDAMNE la SAS AC Invest aux entiers dépens de la procédure d'appel ;

CONDAMNE la SAS AC Invest à payer à Mme [C] [B] une somme de 10 000 euros (dix mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

REJETTE la demande de la société AC Invest au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.

Le grefffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/01413
Date de la décision : 27/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-27;20.01413 ?
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