MINUTE N° 22/462
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 20 Mai 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/00944
N° Portalis DBVW-V-B7F-HQFH
Décision déférée à la Cour : 12 Janvier 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MULHOUSE
APPELANTE :
S.A.R.L. XPRESS TRANSPORTS
prise en la personne de son représentant légal
15, rue de l'Industrie
67400 ILLKIRCH-GRAFFENSTADEN
Représentée par Me Rachel KURT, avocat au barreau de STRASBOURG
INTIME :
Monsieur [V] [D]
13 rue Gustave Schaeffer
68200 MULHOUSE
Représenté par Me Nicolas DESCHILDRE, avocat au barreau de MULHOUSE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme DORSCH, Président de Chambre, et M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. EL IDRISSI, Conseiller
M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Monsieur [V] [D] né le 27 décembre 1982 a été embauché en qualité de chauffeur livreur à compter du 19 septembre 2011 par la société Alsace Messagerie. Le contrat de travail a été transféré à la Sarl Xpress Transports le 1er mai 2015.
Par courrier daté du 28 janvier 2019, Monsieur [V] [D] démissionnait de son poste de chauffeur, et sollicitait la dispense d'effectuer le préavis de 15 jours, sans motiver sa décision.
Postérieurement à la démission il réclamait le paiement d'heures supplémentaires, et a le 24 juin 2019 saisi le conseil des prud'hommes de Mulhouse afin d'obtenir paiement d'heures supplémentaires, d'une indemnité pour travail dissimulé, et de voir requalifier la démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les indemnités qui en découlent.
Par jugement du 12 janvier 2021 le conseil des prud'hommes a condamné la société Xpress Transports à payer à Monsieur [D] les sommes de :
- 4.709,35 € bruts au titre des heures supplémentaires,
- 470,94 € bruts au titre des congés payés,
- 11.833,56 € nets pour l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le conseil des prud'hommes a en revanche jugé que Monsieur [D] était bien démissionnaire, et l'a débouté de ses demandes relatives aux indemnités de rupture.
Par déclaration du 08 février 2021, la SARL Xpress Transports a interjeté appel de la décision.
Selon dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 septembre 2021, la SARL Xpress Transports demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris s'agissant des montants alloués, et de débouter Monsieur [D] de l'intégralité de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés, et de l'indemnité pour travail dissimulé. Elle conclut à la confirmation du jugement pour le surplus, et sollicite la condamnation de Monsieur [D] à lui payer 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
Selon dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er juillet 2021 Monsieur [V] [D] demande à la cour de confirmer le jugement s'agissant des montants qui lui ont été alloués, mais conclut à son infirmation sur le surplus, et demande à la cour de requalifier la démission en prise d'acte de rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la SARL Xpress Transports à lui payer les sommes de :
- 3.944,52 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,
- 394,45 € bruts au titre des congés payés afférents,
- 3.589,51 € nets au titre de l'un des licenciements,
- 15.778,08 € nets à titre de dommages et intérêts
- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il demande en outre la condamnation de la société en tous les frais et dépens, y compris ceux exposés pour l'exécution de la décision.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 04 mars 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Sur les heures supplémentaires et les congés payés afférents
Aux termes de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence et au nombre d'heures effectuées, l'employeur doit fournir au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, et au vu de ces éléments le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toute mesure d'instruction qu'il estime utile ;
En cas de litige relatif à l'existence, ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Monsieur [D] affirme qu'il a entre juin 2016 et décembre 2017 effectué 360 heures supplémentaires pour un montant total de 7.628,86 €. Conformément au décompte figurant en page 10 de ses conclusions, il déduit à hauteur de 2.919,51 €, les heures supplémentaires rémunérées, et réclame par conséquent un solde de 4.709,35 €.
Au vu des éléments qu'il lui appartient de présenter au soutien de sa demande, Monsieur [D] verse aux débats :
- des grilles hebdomadaires intitulées " carnet de véhicule " mentionnant pour chaque jour de la semaine l'immatriculation du véhicule, le kilométrage au départ, à l'arrivée, et celui parcouru, le nombre de points livrés de jour et de nuit, le salarié mentionnant dans la colonne " remarque " le nombre précis d'heures de travail exécutées chaque jour,
- le décompte des heures effectuées, et celle payées, attaché à la lettre de réclamation envoyée le 13 février 2019,
- les bulletins de paye correspondant.
Il apparaît que les carnets de véhicule mentionnant très précisément l'horaire journalier de travail le matin et l'après-midi (par exemple 5 h à 12h30, puis 14 h à 16 h) sont des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'apporter ses propres éléments.
L'employeur conteste les horaires mentionnés sur les carnets de véhicule, qui ne sont pas destinés à recevoir cette information, mais des remarques sur l'état du véhicule, la consommation de gasoil, et le nombre de clients livrés. Il soutient que ces carnets ainsi remplis ne lui ont jamais été remis, et qu'ils ne sont au demeurant pas signés par le responsable. Il produit 5 grilles de carnet de véhicule renseignées par d'autres chauffeurs, ainsi qu'une attestation du technicien logistique Monsieur [S] qui déclare n'avoir jamais eu connaissance des carnets mentionnant des heures de travail, que la colonne " remarque " concerne l'état du véhicule, et enfin qu'il n'a pas signé ces documents.
Il convient d'emblée de relever que l'employeur qui a une obligation légale, et même conventionnelle, de contrôle des heures de travail, ne justifie en l'espèce pas de la mise en place d'un système de contrôle. Il n'explique d'ailleurs pas de quelle manière il a pu procéder au calcul des heures supplémentaires rémunérées. Il est à cet égard souligné que l'horaire prévisionnel de service, comme son nom l'indique est prévisionnel, et ne peut être définitivement arrêté qu'à l'issue de la tournée, dont la durée dépend notamment des difficultés de circulation, et de la présence, ou de l'absence des clients.
Par ailleurs la production de 5 grilles hebdomadaires de carnet de véhicule n'est pas probante. En effet ces documents au nombre très limité ne démontrent pas la fausseté des relevés d'heures mentionnées par Monsieur [D] sur son propre carnet de véhicule. L'attestation de Monsieur [S], ne permet pas davantage de contester le relevé précis d'heures que le salarié affirme avoir effectuées.
Il importe d'ailleurs peu que le relevé des heures de travail, figure par commodité sur le carnet de véhicule constituant un planning de la semaine, il aurait pu être produit de manière identique sur tout autre support.
Force est de rappeler que l'employeur qui a une obligation de contrôle des heures de travail est totalement défaillant en la matière, et de rajouter qu'il ne démontre pas la fausseté des relevés d'heures mentionnées par le salarié, ces relevés fussent-ils mentionnés sur les carnets de véhicule. Il est d'ailleurs relevé que l'employeur ne souligne aucune incohérence entre les heures mises en compte, le kilométrage effectué, et le nombre de colis livrés.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les relevés d'heures établis par le salarié sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'apporter ses propres éléments qui ne peuvent se réduire à la seule critique de ceux produits par l'autre partie. L'employeur n'apporte pas d'élément probant sur le nombre d'heures travaillées.
Par conséquent, pour l'ensemble de ces motifs, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de rappel des heures supplémentaires à hauteur de 4.709,35 € bruts, et des congés payés afférents.
2. Sur le travail dissimulé
La dissimulation d'emploi salarié prévue par le dernier alinéa de l'article L. 8221-5 du code du travail invoqué par le salarié, n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui effectué.
Le conseil des prud'hommes considérant que Monsieur [D] remettait chaque semaine à son employeur les carnets de véhicule mentionnant l'intégralité de ses heures de travail, a retenu le travail dissimulé.
Or la remise de ces documents, contrairement aux affirmations des premiers juges, n'est pas établie. Il apparaît d'une part que les carnets de véhicule produits en pièce 6 sont des originaux, et non des copies. Par ailleurs Monsieur [S] supérieur hiérarchique de Monsieur [D] atteste de manière claire et circonstanciée qu'il n'a jamais eu connaissance des carnets comportant des heures de travail, et qu'il est exact qu'il n'a pas contresigné ces documents.
Ce n'est par conséquent que postérieurement à la démission qu'une réclamation concernant le paiement des heures supplémentaires est établie. L'employeur répondait d'ailleurs à cette réclamation par lettre du 11 mars 2019 en affirmant que les heures supplémentaires effectuées ont été payées ajoutant : " nous ne pensons pas avoir omis de vous payer d'autres heures complémentaires comme mentionné dans votre courrier. Ainsi, nous vous saurions gré de justifier ces heures dont vous réclamez le paiement et nous ne manquerons pas d'y prêter une très grande attention".
Dans de telles conditions, la seule absence de rémunération d'une partie des heures supplémentaires n'est pas suffisante à elle seule pour caractériser le non-paiement intentionnel de ces heures.
Par conséquent le jugement déféré ayant alloué une somme de 11.833,56 € net à Monsieur [D] au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est infirmé, et l'intimé débouté de ce chef de demande.
3. Sur la requalification de la démission
Monsieur [D] a par lettre du 28 janvier 2019 démissionné de son poste de chauffeur livreur sans mentionner aucun motif. Il ne justifie par ailleurs de l'existence d'aucun contentieux au moment de la démission, qui permettrait de considérer celle-ci comme étant équivoque. Il ne justifie en effet d'aucune demande de paiement d'heures supplémentaires tout au long de la relation contractuelle, avant la démission, ni immédiatement après celle-ci.
À l'inverse l'employeur explique cette démission par un projet personnel du salarié, et justifie des éléments suivants :
- de janvier à octobre 2018 le salarié a bénéficié d'un congé pour une formation au métier de conducteur d'appareils de l'industrie chimique,
- au retour par courrier du 05 novembre 2018 Monsieur [D] écrit : " je souhaite désormais démarrer de nouveaux projets professionnels suite à la formation Caic que j'ai obtenue, et sollicite par conséquent auprès de vous la mise en place d'une procédure de rupture conventionnelle' ",
- Il a ensuite pris 23 jours de congés du 03 novembre au 03 décembre 2018,
- par courrier daté du 05 décembre 2018, l'employeur refusait la rupture conventionnelle,
- le salarié a été placé en arrêt maladie du 14 au 27 janvier 2018,
- Il a démissionné le 28 janvier 2018.
Ainsi l'absence de toute réclamation relative au paiement d'heures supplémentaires durant la relation contractuelle, puis la demande de rupture conventionnelle motivée par un changement d'orientation professionnelle suite à un congé formation de neuf mois établissent que la démission s'inscrit dans la réalisation de ce nouveau projet professionnel, et n'est pas motivée par des arriérés de salaires, qui n'avait jamais été réclamés avant la démission.
Le jugement déféré qui a rejeté la demande de requalification de la démission, et toutes les demandes indemnitaires en découlant est par conséquent confirmé.
4. Sur les demandes annexes
Le jugement déféré est confirmé s'agissant des frais et dépens, et des frais irrépétibles.
L'appelante qui succombe partiellement est condamnée aux entiers dépens de la procédure d'appel, et que par voie de conséquence déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
L'équité ne commande pas de faire application de ces dispositions au bénéfice de Monsieur [D] qui lui aussi succombe partiellement.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré
Confirme le jugement prononcé le 12 janvier 2021 par le Conseil des Prud'hommes de Mulhouse en toutes ses dispositions SAUF en ce qu'il condamne la SARL Xpress Transports à payer à Monsieur [V] [D] la somme de 11.833,56 € nets (onze mille huit cent trente trois euros et cinquante six centimes) au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
Statuant à nouveau sur le chef infirmé, et Y ajoutant
Déboute Monsieur [V] [D] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Condamne la SARL Xpress Transports aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel ;
Rejette les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le 20 mai 2022, et signé par Mme Christine DORSCH, Président de Chambre, et par Mme Martine THOMAS, Greffier.
Le Greffier Le Président