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19/05/2022 | FRANCE | N°19/035741

France | France, Cour d'appel de colmar, 4s, 19 mai 2022, 19/035741


SA/VD

MINUTE No 22/446

NOTIFICATION :

Copie aux parties

- DRASS

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 19 Mai 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 19/03574 - No Portalis DBVW-V-B7D-HFAQ

Décision déférée à la Cour : 03 Juillet 2019 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

URSS

AF ALSACE
TSA 60003
[Localité 1]

Comparante en la personne de Mme [Y] [G], munie d'un pouvoir

INTIMEE :

Société HEPPNER
[Adresse 2]
[Adresse 2]

Représentée...

SA/VD

MINUTE No 22/446

NOTIFICATION :

Copie aux parties

- DRASS

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 19 Mai 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 19/03574 - No Portalis DBVW-V-B7D-HFAQ

Décision déférée à la Cour : 03 Juillet 2019 par le pôle social du Tribunal Judiciaire de STRASBOURG

APPELANTE :

URSSAF ALSACE
TSA 60003
[Localité 1]

Comparante en la personne de Mme [Y] [G], munie d'un pouvoir

INTIMEE :

Société HEPPNER
[Adresse 2]
[Adresse 2]

Représentée par Me Pascal BATHMANABANE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Février 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme ARNOUX, Conseiller, et Mme HERY, Conseiller, chargées d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
Mme ARNOUX, Conseiller
Mme HERY, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier

ARRET :

- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
- signé par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

La société par actions simplifiée (SAS) Heppner, qui a pour activité la fourniture de services de transport de marchandises et de solutions logistiques en France et à l'étranger, cotise depuis le 1er janvier 2008 en un lieu unique auprès de l'Urssaf de [Localité 5] devenue l'Urssaf d'Alsace.

Courant 2009, la SAS Heppner a fait l'objet d'un contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, d'assurance chômage et de garantie des salaires portant sur l'ensemble de ses établissements au titre des années 2006, 2007 et 2008.

A l'issue du contrôle, l'Urssaf a notifié une lettre d'observations du 5 novembre 2009 comprenant plusieurs chefs de redressement relatifs aux frais professionnels, dont il est résulté un rappel de cotisations et contributions sociales au titre des indemnités kilométriques (point no1 de la lettre d'observations) d'un montant de 827.470 € pour les cotisations et contributions sociales au principal et de 108.530 € pour les contributions d'assurance chômage.

Par lettre du 8 décembre 2009, la société Heppner a contesté le redressement envisagé par l'Urssaf au titre des indemnités kilométriques.

Par courrier du 22 décembre 2009, les inspecteurs du recouvrement ont partiellement fait droit à la demande de la société en minorant le chef de redressement initialement envisagé sur ce point à 751.032 € en cotisations et contributions de sécurité sociale au principal et 98.086 € pour les contributions d'assurance chômage.

L'ensemble des cotisations de sécurité sociale, augmenté des majorations de retard, a été réclamé par une mise en demeure du 28 décembre 2009 pour un montant total de 1.019.107 €, dont 888.083 € de cotisations et 131.024 € de majorations de retard.

La SAS Heppner a procédé le 20 janvier 2010 au paiement de l'ensemble des sommes réclamées en sollicitant la remise de l'intégralité des majorations de retard.

En parallèle, par le même courrier du 8 décembre 2009, la société Heppner a sollicité, pour le compte de certains établissements listés en annexe des courriers des 3 juin et 10 août 2009, le remboursement de cotisations sociales payées selon elle à tort au titre de la réduction Fillon du 1er janvier 2006 au 30 septembre 2007 pour un montant de 297.481 €.

Par courriers du 22 décembre 2009 puis par décision administrative du 30 décembre 2009, l'Urssaf admettait la régularisation au titre des seules périodes de suspension du contrat de travail pour cause de maladie indemnisée par la sécurité sociale.

La SAS Heppner a procédé à la déduction de la somme totale de 251.587 € sur les bordereaux de cotisations de novembre 2010 après recalcul de la réduction Fillon concernant les heures afférentes au repos compensateur de remplacement, les heures de pause, les temps consacrés à l'ouverture et à la fermeture des portes et aux absences pour cause de maladie.

A la suite de cette déduction, l'Urssaf a déclenché une procédure de recouvrement en notifiant 17 mises en demeure le 6 janvier 2011.

Le 20 janvier 2010, la société Heppner a saisi la commission de recours amiable de l'Urssaf d'Alsace en contestation de la mise en demeure du 28 décembre 2009 et sollicitait un remboursement de cotisations payées au titre de la réduction Fillon, requête rejetée par décision de la commission du 6 février 2012, notifiée le 22 mars 2012.

Par requête du 18 mai 2012, la société Heppner a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Bas-Rhin en contestation de la décision de la commission de recours amiable du 6 février 2012 et sollicitait l'annulation des 17 mises en demeure du 6 janvier 2011 à hauteur de 251.587 €.

Par jugement du 2 décembre 2015, le tribunal a notamment ordonné avant-dire droit à l'Urssaf de prendre en considération les justificatifs des déplacements professionnels et des allègements Fillon et a enjoint l'organisme d'établir dans les six mois de la réception desdits justificatifs un nouveau décompte en conséquence.

Vu l'appel interjeté par l'Urssaf d'Alsace le 31 juillet 2019 à l'encontre du jugement mixte du 3 juillet 2019 rendu par le pôle social du tribunal de grande instance de Strasbourg, auquel le contentieux a été transféré qui, dans l'instance opposant la SAS Heppner à l'Urssaf d'Alsace, a :

– annulé la mise en demeure du 28 décembre 2009 à hauteur de 229.930 € en cotisations au titre du redressement opéré concernant les indemnités kilométriques versées par la SAS Heppner à ses salariés au cours des années 2006 à 2008,
– condamné l'Urssaf d'Alsace à rembourser à la SAS Heppner cette somme à ce titre,
– annulé la décision de la commission de recours amiable du 6 février 2012 de ce chef,
– donné acte à la SAS Heppner de ce qu'elle acquiesce sans réserve à l'acceptation par l'Urssaf d'Alsace de sa demande de remboursement à hauteur de 210.043 € au titre de la réduction Fillon,
– ordonné la réouverture des débats pour le surplus,

– invité la SAS Heppner à produire et à donner toutes les explications utiles sur :

* le recours daté et signé qu'elle a déposé devant la commission de recours amiable de l'Urssaf concernant les 17 mises en demeure du 6 janvier 2011 ainsi que son accusé de réception,
* le cas échéant la décision de la commission de recours amiable statuant sur ce recours,
– invité l'Urssaf d'Alsace à se prononcer sur la demande de la SAS Heppner tendant à l'annulation des 17 mises en demeure en date du 6 janvier 2011,

– réservé à statuer pour le surplus sur les demandes des parties,
– renvoyé l'affaire à l'audience du 23 septembre 2019 ;

Vu les conclusions visées le 26 janvier 2022, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles l'Urssaf d'Alsace demande à la cour de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* annulé la mise en demeure du 28 décembre 2009 à hauteur de 229.930 € en cotisations au titre du redressement opéré concernant les indemnités kilométriques versées par la SAS Heppner à ses salariés au cours des années 2006 à 2008,
* condamné l'Urssaf d'Alsace à rembourser à la SAS Heppner cette somme à ce titre,
* annulé la décision de la commission de recours amiable du 6 février 2012 de ce chef,

– confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Heppner tendant à la condamner à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

par conséquent, statuant à nouveau,

– entériner la décision de la commission de recours amiable du 22 mars 2012,
– valider la mise en demeure du 28 décembre 2009 pour son montant total de 1.019.107 €,
– rejeter la demande de minoration du rappel afférent aux indemnités kilométriques à hauteur de 229.930 €,
– valider le redressement opéré au titre des frais professionnels non justifiés pour son entier montant soit 751.032 € en cotisations,
– prendre acte du règlement intégral des rappels en cotisations et majorations de retard par la SAS Heppner pour un montant de 1.019.107 €,
– rejeter la demande de condamnation de l'Urssaf au versement d'une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
– rejeter toute autre demande de la société comme mal fondée ;

Vu les conclusions visées le 16 février 2022, reprises oralement à l'audience, aux termes desquelles la SAS Heppner demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* annulé la mise en demeure du 28 décembre 2009 à hauteur de 229.930 € en cotisations au titre du redressement opéré concernant les indemnités kilométriques versées par la SAS Heppner à ses salariés au cours des années 2006 à 2008,
* condamné l'Urssaf d'Alsace à rembourser à la SAS Heppner cette somme à ce titre,
* annulé la décision de la commission de recours amiable du 6 février 2012 de ce chef,

– infirmer le jugement déféré en ce qu'il n'a pas fait droit à sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
– débouter l'Urssaf d'Alsace de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner l'Urssaf d'Alsace à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions ;

MOTIFS

Interjeté dans les forme et délai légaux, l'appel est recevable.

A titre liminaire, il convient de préciser que par décision du 20 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Strasbourg a déclaré le recours de la société Heppner concernant le calcul de la réduction Fillon recevable, et a annulé les 17 mises en demeure du 6 janvier 2011 pour un montant de 251.587 € ci-dessus évoquées, et que l'Urssaf a fait appel de cette décision.

Le présent litige qui est soumis à la cour est strictement limité au redressement opéré au titre des indemnités kilométriques.

1) Sur les frais professionnels non justifiés – indemnités kilométriques

Aux termes de l'article L242-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable aux dates d'exigibilité des cotisations litigieuses, tout avantage en argent ou en nature alloué en contrepartie ou à l'occasion du travail doit être soumis à cotisations à l'exclusion des sommes représentatives de frais professionnels, dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel.

L'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, entré en vigueur le 1er janvier 2003, définit en son article premier les frais professionnels comme des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l'emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l'accomplissement de ses missions.

L'article 2 dudit arrêté précise que l'indemnisation des frais professionnels s'effectue, soit sous la forme de remboursement des dépenses réellement engagées par le travailleur salarié ou assimilé, soit sur la base d'allocations forfaitaires.

Dans ce dernier cas, les indemnités forfaitaires allouées aux travailleurs salariés ou assimilés au titre des frais professionnels sont déductibles de l'assiette des cotisations à la condition que l'employeur rapporte la preuve de leur utilisation conformément à leur objet.

L'article 4 de cet arrêté dispose que lorsque le travailleur salarié ou assimilé est contraint d'utiliser son véhicule personnel à des fins professionnelles, l'indemnité forfaitaire kilométrique est réputée utilisée conformément à son objet dans les limites fixées par les barèmes kilométriques annuellement publiés par l'administration fiscale.

A cet égard, la déduction de l'assiette des cotisations des indemnités pour frais professionnels suppose de démontrer, en cas de versement d'indemnités forfaitaires dont le montant n'excède pas les limites fixées par les barèmes kilométriques annuellement publiés par l'administration fiscale, que le travailleur se trouve placé dans une situation professionnelle engendrant pour lui des dépenses supplémentaires.

Ainsi, il appartient à l'employeur de justifier, lors des opérations de contrôle, en application de l'article R243-59 alinéa 3 du code de la sécurité sociale, que le salarié attributaire de cette indemnité se trouve contraint d'utiliser son véhicule personnel à des fins professionnelles et du caractère professionnel du kilométrage parcouru.

Bien qu'aucun texte n'interdise à l'employeur de recourir à l'indemnisation de l'utilisation d'un véhicule privé pour les besoins professionnels en présence d'un véhicule de société, c'est à la condition que l'indemnisation ne vise pas le défraiement des distances parcourues avec ce type de véhicule.

En l'espèce, il résulte de la lettre d'observations litigieuse que la SAS Heppner a versé des indemnités kilométriques aux salariés occupant principalement un statut de cadre ou commercial, dont le taux kilométrique varie entre 0,28 € et 0,39 € selon la puissance fiscale du véhicule et qu'elle mettait à disposition des salariés effectuant plus de 15.000 kilomètres annuels un véhicule d'entreprise.

Ayant constaté que la société Heppner avait commis de nombreuses irrégularités concernant le remboursement des frais de déplacement à ses salariés d'une part (absence de justificatifs de péages, kilométrage identique chaque mois avec destinations différentes, pas de réduction du kilométrage pendant les mois avec périodes de congés ou RTT, kilométrage forfaitaire mensuel sans indication des destinations?), et que la société prenait directement en charge des frais d'avion ou de train concernant des destinations mentionnées sur des états de frais ayant fait l'objet d'indemnités kilométriques pour les salariés concernés par les déplacements d'autre part, les inspecteurs du recouvrement ont procédé à la réintégration des indemnités kilométriques non justifiées dans l'assiette des cotisations et contributions sociales.

Les premiers juges ont considéré que la SAS Heppner apportait suffisamment la preuve du caractère professionnel des déplacements des salariés à hauteur de 229.930 € et, en conséquence, le tribunal a procédé, dans cette limite, à l'annulation de ce chef de redressement minoré par la commission de recours amiable.

Au soutien de son appel, l'Urssaf fait valoir que les documents produits lors de la saisine de la commission de recours amiable puis devant les premiers juges ne permettent pas de remettre en cause le redressement minoré.

Elle expose que les factures de péage ou les notes de restaurant transmises en 2015 n'ont pas été fournies lors des opérations de contrôle et qu'à défaut d'être nominatifs ces éléments ne permettent pas de justifier de la réalité des déplacements professionnels.

Elle considère que les états de calculs de distance issus de « Google » ne permettent pas de justifier de l'engagement de frais pour le compte de la société, pas davantage les éléments produits en 2016 dont les états fournis n'indiquent même pas le motif et le lieu du déplacement.

La société Heppner rétorque avoir fourni des justificatifs de déplacements professionnels dès le 8 décembre 2009.

Elle invoque les termes de la circulaire d'application du ministre chargé de la sécurité sociale DSS/SDFSS/5B/No2003/07 du 7 janvier 2003 qui énonce que lorsque le salarié est contraint d'utiliser son véhicule personnel à des fins professionnelles, l'employeur peut déduire l'indemnité forfaitaire kilométrique dans les limites fixées par les barèmes kilométriques annuellement publiés par l'administration fiscale et que ces dispositions visent à la fois le cas des salariés en déplacement professionnel (itinérants, commerciaux) et celui des salariés qui utilisent leur véhicule personnel pour effectuer le trajet domicile – lieu de travail.

Elle se prévaut des termes de cette circulaire qui précise que « L'employeur doit apporter des justificatifs relatifs :

– au moyen de transport utilisé par salarié ;
– à la distance séparant le domicile du lieu de travail ;
– à la puissance fiscale du véhicule, ;
– au nombre de trajets effectués chaque mois », en indiquant que ces précisions concernent le trajet domicile-travail et que dans le cas des déplacements professionnels, ni l'arrêté du 20 décembre 2002, ni la circulaire précitée, n'imposent à l'employeur de fournir impérativement des factures de restaurant ou d'autoroute.

Il résulte pourtant de cette circulaire que « Ces dispositions visent à la fois le cas des salariés en déplacement professionnel (itinérants, commerciaux?) et celui des salariés qui utilisent leur véhicule personnel pour effectuer le trajet domicile-lieu de travail » (cf l'article 3.3.2. relatif à l'indemnité forfaitaire kilométrique).

Pour invoquer le bénéfice de la présomption d'utilisation conforme à son objet d'une part des indemnités forfaitaires kilométriques versées, l'intimée indique que certaines catégories de salariés, du fait de leurs fonctions, sont amenées à se déplacer avec leur véhicule personnel tels que les commerciaux.

Elle prétend qu'une part des frais – 229.930 € – est justifiée en ce qu'elle a produit à l'Urssaf :

– des agendas des salariés ;
– des extractions du programme Octave intégrant les comptes-rendus de visites aux clients ;
– des distances parcourues ;
– des reçus de péages ;
– les factures afférentes aux déplacements professionnels des salariés.

Elle indique que si les notes de restaurant et les fiches de péage ne sont pas nominatives, elles proviennent du dossier personnel des salariés concernés.

Elle considère que la preuve de l'utilisation d'un autre moyen de transport que le véhicule personnel des salariés, notamment l'utilisation des véhicules de service, incombe à l'Urssaf et lui fait le grief de ne pas la rapporter.

Lors de l'audience du 2 décembre 2015, la société avait pourtant admis ne pas être ne mesure de justifier du caractère professionnel de l'ensemble des indemnités kilométriques en raison du nombre de salariés concernés et s'est proposée de soumettre quelques exemples individuels au tribunal.

Les états récapitulatifs par salarié n'ont été produits que le 29 mars 2016 à l'Urssaf (p.10 des conclusions de la société Heppner), soit postérieurement aux opérations de contrôle, mais conformément aux injonctions du tribunal dans son jugement avant-dire droit.

Dès lors que ces états reposent sur des pièces transmises lors des opérations de contrôle et qu'ils participent à une synthèse des déplacements des salariés concernés, facilitant ainsi le travail d'analyse, ces éléments ne sauraient être écartés des débats. Les factures de péage, notes de restaurant et états de calculs de distance du site internet Google, qu'ils aient été produits en 2015 ou en 2016, c'est-à-dire postérieurement aux opérations de contrôle, le seront.

La cour constate par ailleurs que la société ne reproduit pas, à hauteur d'appel, les pièces versées à l'Urssaf (pièce no29 de l'intimée), ni au tribunal, hors les états récapitulatifs concernant un salarié de l'entreprise, M. [A] [J].

La société entend se prévaloir de ce seul exemple dans ses conclusions et estime que la démonstration doit être appliquée aux autres salariés visés par le contrôle.

Or l'exemple choisi par la société ne permet en aucun cas d'annuler ne serait-ce que partiellement le redressement litigieux déjà minoré.

En effet, l'ensemble des frais kilométriques concernant M. [J] a été, sur la période 2006 – 2008, admis par l'Urssaf au titre de la minoration du redressement litigieux sur ce point (pièce no4 de l'intimée).

Cet exemple démontre que, malgré la production « en vrac » par la société des agendas des salariés, des extractions de la base Octave, des distances parcourues et des reçus de péage en annexe de son courrier du 8 décembre 2009, il ne saurait être reproché à l'Urssaf d'avoir, selon l'expression de l'intimée, adopté une position visant à nier purement et simplement l'existence de tout déplacement professionnel à l'égard des salariés commerciaux.

Au-delà de l'examen de la situation individuelle de M. [J], l'Urssaf a procédé à une analyse détaillée de la situation de chaque salarié concerné selon les tableaux annexés à son courrier de réponse aux observations de la société durant la phase contradictoire.

A cet égard, la cour constate encore que les inspecteurs du recouvrement ont, pour chacune des années 2006, 2007 et 2008, établi un tableau dans lequel sont renseignés, pour chaque salarié, le montant des indemnités kilométriques mensuellement versées. Mais surtout, ces inspecteurs ont admis de nombreux justificatifs qui les ont, dans certaines situations, conduit à annuler entièrement le redressement de certains salariés (M. [X] au titre des trois années contrôlées, M. [H] en 2008 ...).

Si la société indiquait qu'il n'était pas matériellement réaliste de transmettre un volume important de pièces au tribunal, elle a encombré l'Urssaf de pièces inutiles en 2016 concernant la situation de plusieurs salariés (Mme [T] [B] pour l'année 2006, Mme [M] [I] et M. [N] [W] pour l'année 2008) alors que le redressement minoré ne concernait aucun de ces salariés.

La cour relève une certaine contradiction de la société qui n'a pas produit les états récapitulatifs individuels dès son envoi du 9 décembre 2009 – lequel a par ailleurs conduit à la minoration du redressement initialement envisagé – tout en indiquant dans ses conclusions que ces éléments proviennent du dossier personnel de chaque salarié.

Il convient encore de préciser que le redressement a été minoré par l'Urssaf tant pour les trajets de courtes et de longues distances lorsque la société a justifié respectivement de la présence du salarié sur le lieu de déplacement porté sur les états de déplacements ou apporté des tickets de péage ainsi que des notes de repas.

Ce chef de redressement a néanmoins été maintenu lorsque les déplacements de longue distance ayant donné lieu à une indemnisation n'ont pas été justifiés par des tickets de péage alors qu'il avait été relevé que ces trajets étaient régulièrement effectués en train ou par avion et qu'il ressort des pièces versées aux débats par l'intimée que les salariés empruntaient régulièrement les autoroutes (cf les reçus de péage).

Concernant la catégorie des commerciaux, les inspecteurs ont relevé que des états mensuels détaillés de certains salariés portaient des mentions en totale discordance avec les copies des agendas remis par la société Heppner.

Ainsi, alors que l'état de frais de M. [V] indiquait un déplacement de 130 kilomètres à [Localité 3] le 26 décembre 2006, un déplacement de 280 kilomètres le lendemain, de 270 kilomètres le jeudi 28 décembre 2006 et un déplacement à [Localité 4] de 430 kilomètres le 29 décembre 2006, l'agenda indiquait une journée de RTT le 26 décembre 2006 et n'indiquait rien concernant les trois autres jours.

Inversement, à certains égards, la société produisait des reçus de péage qui n'ont donné lieu à aucun remboursement de frais kilométriques (exemple de M. [J], pièce no25 de l'intimée).

De plus, dans leur courrier du 22 décembre 2009, les inspecteurs du recouvrement avaient déjà relevé d'importantes incohérences entre les rendez-vous clients mentionnés sur les agendas des collaborateurs et les états de frais, c'est-à-dire entre le nombre de kilomètres indemnisables et le nombre de kilomètres indemnisés. La société Heppner avait elle-même, dans son courrier en date du 8 décembre 2009, reconnu l'existence d'incohérences manifestes.

En dehors du cas de M. [J] déjà analysé, la société ne démontre pas que, compte-tenu de l'ensemble de ces incohérences, les agendas ou états extraits du programme « Octave » permettent de reconstituer les trajets effectués par les commerciaux et de justifier d'un kilométrage parcouru à titre professionnel qui n'ont pas déjà été retenus par les inspecteurs de l'Urssaf.

La société Heppner indique elle-même que les déplacements professionnels des commerciaux ont été reconstitués mais ne donne pas d'indication quant à la méthode utilisée pour justifier du caractère professionnel du kilométrage parcouru au moment du versement desdites indemnités autrement que par les tickets de péage et des itinéraires Google.

Si les considérations de l'Urssaf évoquant des insuffisances, des incohérences et des anomalies s'apparentent à des considérations d'ordre général, les agents chargés du contrôle ont procédé, selon la démonstration qui précède, à l'examen des éléments produits par la société Heppner à l'appui de ses observations suite à contrôle et ont dressé le constat de ces carences dès la phase de contrôle.

Malgré les nombreuses incohérences constatées par les inspecteurs du recouvrement, la société Heppner ne met pas la cour en mesure d'effectuer la moindre vérification matérielle hors le cas de M. [J].

Le jugement mixte du 2 décembre 2015 a ordonné à l'Urssaf de prendre en considération les justificatifs des déplacements professionnels fournis par la société Heppner tels que ceux qui ont été présentés au tribunal. Le tribunal n'a pas statué au fond et il ne peut être déduit de cette décision, non frappée d'appel, que les justificatifs fournis par la société à cette occasion permettent de justifier du caractère professionnel d'un déplacement indemnisé.

Quand bien même l'intimée allègue que l'organisme continue d'exiger des justificatifs supplémentaires non requis par le tribunal des affaires de sécurité sociale du Bas-Rhin, elle ne démontre pas que l'Urssaf n'a pas tenu compte des justificatifs produits le 29 mars 2016.

Aucun ordre de mission, ni extrait de l'applicatif Octave n'ont été produits à hauteur de cour qui reste totalement ignorante des pièces transmises au tribunal et à l'Urssaf par la société Heppner sinon celles concernant le cas de M. [J].

Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que la société intimée, qui ne conteste pas le bien-fondé de ce redressement dans sa majorité, ne justifie pas la motivation professionnelle des déplacements pour lesquels elle sollicite son annulation.

Par conséquent, il convient de considérer que la SAS Heppner ne prouve pas que les salariés étaient contraints d'utiliser leur véhicule personnel à des fins professionnelles pour les distances non reconnues comme étant du kilométrage professionnel par l'Urssaf, ce qui justifie la réintégration dans l'assiette des cotisations et contributions des indemnités kilométriques qu'ils ont perçues et donc l'infirmation du jugement entrepris

2) Sur les dispositions accessoires

Partie succombante, la SAS Heppner sera condamnée aux dépens.

S'agissant des prétentions formulées devant eux au titre de l'article 700 du code de procédure civile, les premiers juges ont réservé à statuer de sorte que les prétentions des parties sur ce point devant la cour, en confirmation / infirmation du jugement, ne peuvent qu'être rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la Loi,

DECLARE l'appel recevable ;

INFIRME le jugement entrepris rendu le 3 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de Strasbourg en ce qu'il a :

* annulé la mise en demeure du 28 décembre 2009 à hauteur de 229.930 € en cotisations au titre du redressement -point 1 de la lettre d'observations du 5 novembre 2019- opéré concernant les indemnités kilométriques versées par la SAS Heppner à ses salariés au cours des années 2006 à 2008,

* condamné l'Urssaf d'Alsace à rembourser à la SAS Heppner cette somme à ce titre,
* annulé la décision de la commission de recours amiable du 6 février 2012 de ce chef ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

VALIDE le redressement opéré par l'Urssaf d'Alsace au titre des frais professionnels non justifiés – indemnités kilométriques versées par la SAS Heppner à ses salariés au cours des années 2006 à 2008 pour son entier montant de 751.032 € en cotisations ;

VALIDE la mise en demeure du 28 décembre 2019 décernée par l'Urssaf d'Alsace à la société Heppner pour son montant total de 1.019.107 €, dont 888.083 € en cotisations et 131.024 € en majorations ;

PREND ACTE du règlement intégral des rappels en cotisations et majorations de retard par la SAS Heppner pour un montant de 1.019.107 € ;

CONSTATE qu'il a été réservé à statuer sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile par le jugement déféré ;

CONDAMNE la SAS Heppner aux dépens d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : 4s
Numéro d'arrêt : 19/035741
Date de la décision : 19/05/2022
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 03 juillet 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2022-05-19;19.035741 ?
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