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13/05/2022 | FRANCE | N°21/01661

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 13 mai 2022, 21/01661


MINUTE N° 22/475

















































NOTIFICATION :



Pôle emploi Alsace ( )







Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées



Le



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

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ARRET DU 13 Mai 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01661

N° Portalis DBVW-V-B7F-HRLH



Décision déférée à la Cour : 13 Janvier 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG



APPELANTE :



S.A.S. BESTFOODS FRANCE INDUSTRIES

Prise en son Etablissement sis 5...

MINUTE N° 22/475

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 13 Mai 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01661

N° Portalis DBVW-V-B7F-HRLH

Décision déférée à la Cour : 13 Janvier 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG

APPELANTE :

S.A.S. BESTFOODS FRANCE INDUSTRIES

Prise en son Etablissement sis 5 rue Jean Prêcheur à 67120 DUPPIGHEIM

Représentée par son représentant légal

N° SIRET : 383 16 2 9 55

23 rue François Jacob

92842 RUEIL MALMAISON CEDEX

Représentée par Me Anne CROVISIER, avocat à la Cour

INTIME :

Monsieur [A] [C]

30 rue du Canal

67203 OBERSCHAEFFOLSHEIM

Représenté par Me Luc DORR, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme DORSCH, Président de Chambre, et M. EL IDRISSI, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. EL IDRISSI, Conseiller

M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

M. [A] [C] a été embauché par la société Cpc, devenue la société Bestfoods France industries en qualité d'opérateur de production par contrat de travail à durée déterminée en date du 27 février 1991 à effet au 4 mars 1991 et occupait en dernier lieu un poste de « conducteur process mélange » dans le cadre d'une organisation de travail en 3x8.

M. [C] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 septembre 2018 par lettre en date du 5 septembre 2018.

Il a été licencié par lettre du 17 septembre 2018 pour avoir eu une attitude agressive, provocante et menaçante vis-à-vis de collègues le 24 août 2018.

Contestant son licenciement, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg afin d'obtenir sa réintégration et, subsidiairement, paiement de la somme de 40 418 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement en date du 13 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit et jugé la demande de M. [C] régulière, recevable et bien fondée,

- dit et jugé que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [C] de sa demande de réintégration,

- condamné la société Besfoods France industries à payer à M. [C] la somme 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Besfoods France industries à payer à M. [C] la somme 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [C] de sa demande d'intérêts sur les dommages et intérêts à compter du jour du jugement et de sa demande d'exécution provisoire,

- débouté la société Besfoods France industries de toutes ses demandes.

La société Bestfoods France industries a interjeté appel à l'encontre de ce jugement par déclaration adressée au greffe par voie électronique le 19 mars 2021.

Dans ses dernières conclusions reçues au greffe par voie électronique le 24 février 2022, elle demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement en ce qu'il a partiellement accueilli les prétentions de M. [C],

et statuant à nouveau :

- dire et juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter M. [C] de l'ensemble de ses fins et prétentions.

y ajoutant,

- condamner M. [C] à lui verser la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts,

sur l'appel incident,

- déclarer M. [C] mal fondé en son appel incident et l'en débouter,

en tout état de cause,

- condamner M. [C] à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [C] aux entiers frais et dépens de la présente procédure.

Au soutien de son appel, elle expose que les faits reprochés à M. [C], soit avoir eu le 24 août 2018 à l'égard de salariés membres de son équipe une attitude violente verbalement, insultes, et physiquement, jets de chaises pouvant blesser un collègue, sont démontrés, notamment par l'attestation de M. [L].

Elle précise que ces faits, par ailleurs reconnus par M. [C], sont survenus à l'exclusion de toute provocation, que cette attitude était le point d'orgue d'un comportement ingérable de longue date illustré par des sanctions antérieures, que cet incident faisait suite à un rappel à l'ordre lors d'un point d'information trois semaines plus tôt et que M. [C] s'est refusé à toute remise en cause personnelle ou toute excuse.

Elle ajoute que tenue à une obligation de sécurité de résultat, elle devait mettre immédiatement un terme à tout danger pour ses salariés et elle n'avait dès lors d'autre alternative que d'écarter immédiatement M. [C] de son lieu de travail.

Elle indique que le licenciement prononcé est adapté au parcours de M. [C], relevant que les faits reprochés, par leur caractère particulièrement grave et répété étaient qualifiables de faute grave mais qu'au regard notamment de son ancienneté, elle a préféré retenir une cause réelle et sérieuse, le dispenser de l'exécution de son préavis, le lui régler et lui verser l'indemnité légale de licenciement à hauteur de près de 27 000 €.

Elle conteste l'affirmation de M. [C] selon laquelle elle aurait voulu de longue date se désengager du site de Duppigheim, n'investissant plus dans l'outil de production et préparant un plan de sauvegarde de l'emploi.

A ce titre, elle fait valoir que poursuivie par le comité social et économique pour délit d'entrave pour avoir dissimulé la préparation d'un tel plan aux institutions représentatives du personnel, le tribunal correctionnel de Strasbourg le 7 décembre 2021 l'a relaxée ainsi que son président, jugeant que toutes les alternatives à la fermeture du site avaient été investiguées et que la décision n'avait été prise qu'en dernier ressort.

Elle rappelle par ailleurs que la contrepartie des droits renforcés dont jouit le salarié réside notamment dans l'obligation de ce dernier d'exécuter ses missions de bonne foi et qu'en l'espèce, en s'affranchissant ostensiblement et durablement des obligations du règlement intérieur, de la santé de ses collègues et de son pouvoir de direction, M. [C] a délibérément manqué à ses obligations contractuelles et disciplinaires, et, partant à l'obligation d'exécuter son contrat de travail de bonne foi et qu'il doit en conséquence être condamné à l'indemniser de son préjudice.

Elle demande en conséquence à ce titre sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts d'un montant de 1 000 €.

Sur l'appel incident de M. [C], elle fait valoir qu'il ne justifie pas du montant de 40 418 € demandé à titre de dommages et intérêts.

Elle indique notamment que M. [C] ne peut invoquer la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi et prétendre qu'il aurait pu être éligible à ce plan s'il n'avait pas été licencié, précisant qu'il est mal fondé à faire valoir une perte de chance, la jurisprudence, restrictive, n'admettant le cas échéant une telle indemnisation que si le PSE est concomitant à l'éviction du salarié, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, trois ans séparant le licenciement dudit plan.

M. [C] s'est constitué intimé devant la cour le 27 avril 2021 et dans ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 7 janvier 2022, demande à la cour de :

sur l'appel principal,

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel de la société Bestfoods France industries, - débouter en conséquence la société Bestfoods France industries de son appel,

en conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse, l'a débouté de sa demande de réintégration dans la société Bestfoods France industries, a condamné la société Bestfoods France industries à payer à lui des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, a débouté la société Bestfoods France industries de toutes ses demandes et l'a condamnée à lui payer une somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Bestfoods France industries de ses demandes tendant à le voir condamner au paiement d'un montant de 1 000 € à titre de dommages et intérêts et de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Bestfoods France industries à lui payer une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

sur l'appel incident

- infirmer le jugement uniquement sur le quantum des dommages et intérêts,

- porter le montant des dommages et intérêts de 20 000 € à 40 418 €,

- condamner la société Bestfoods France industries à lui payer la somme de 40 418 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en toute hypothèse et subsidiairement,

- confirmer le jugement qui a condamné la société Bestfoods France industries à lui payer une somme de 20 000 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A l'appui de ses demandes M. [C] indique à titre liminaire que depuis le jugement entrepris, la société a initié une procédure de licenciement collectif pour motif économique touchant l'ensemble des salariés du site de Duppigheim au motif d'une cessation d'activité.

Sur le licenciement, il expose que les faits du 24 août 2018 se sont produits dans un contexte particulier puisque depuis plusieurs mois, les conditions de travail au sein des équipes de production s'étaient considérablement dégradées, que le secrétaire du Chsct avait dû par courrier en date du 23 août 2016 saisir le président du Chsct pour l'alerter des conditions de travail dégradées entrainant stress, comportement anti-sociaux, harcèlement, dépression et burn-out. Il ajoute que ces dégradations des conditions de travail s'expliquaient par la décision de la société de se désengager su site de Duppigheim.

Il explique que le 24 août 2018, il a constaté que l'équipe précédente n'avait pas assuré l'intégralité de la production de sorte que son équipe devait démarrer immédiatement pour éviter tout autre retard et pallier la carence de l'équipe précédente.

Il ajoute qu'il avait déjà vécu à plusieurs reprises cette situation, qu'il l'a particulièrement mal vécue et ne conteste pas s'être énervé, traitant ses collègues de « branleurs » et avoir repoussé avec énervement les chaises qui l'empêchaient de commencer son travail, sans agression de quiconque, ce que confirment les collègues de travail présents.

Il précise que conformément aux attestations de M. [L] et de M. [B], ceux-ci se sont plaints de son attitude auprès de son chef d'équipe, M. [M], pour simplement qu'il soit rappelé à l'ordre, que leur démarche a dépassé leur intention puisqu'elle a conduit à son licenciement alors qu'il avait 27 ans d'ancienneté dans l'entreprise.

Il fait valoir, conformément aux témoignages produits, qu'il était apprécié de ses collègues de travail, qu'il était un travailleur sérieux, rigoureux, attentif et impliqué, n'ayant jamais eu de mauvaise relation de travail avec ses collègues, ce que sa dernière évaluation confirme et que les conditions de travail étaient dégradées, perturbant la bonne entente entre les salariés.

En réponse aux développements de la société Bestfoods France industries qui invoque son passé disciplinaire, il relève que la lettre de licenciement ne fait pas état d'avertissements ou sanctions antérieurs alors qu'elle circonscrit les griefs de sorte qu'elle ne peut invoquer d'autres griefs.

Il conteste au surplus les sanctions prises et constate leur ancienneté alors que son dernier compte-rendu d'évaluation annuel mentionne qu'il donnait satisfaction.

Il conclut que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et que licencié en septembre 2018, il a été privé du bénéfice des mesures du PSE validé le 16 septembre 2021.

Sur sa demande de dommages et intérêts, il constate que la procédure de licenciement est irrégulière puisque, en violation de l'article L. 1232-2 du code du travail, sa convocation à l'entretien préalable n'a pas été remise cinq jours ouvrables avant la tenue dudit entretien.

Il relève que compte tenu de son ancienneté, il peut réclamer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 40 418 € au regard des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, ce qui apparaît d'autant plus justifié qu'il a été privé par ce licenciement du bénéfice du plan de sauvegarde de l'emploi auquel il aurait été éligible.

S'agissant de la demande de dommages et intérêts formée par la société, il expose qu'en l'absence de licenciement pour faute lourde, aucun dommage et intérêt ne peut juridiquement lui être réclamé.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 25 février 2022.

L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 11 mars 2022, à laquelle les parties ont développé leur argumentation.

MOTIFS

Sur le licenciement :

Il ressort de l'analyse de la lettre de rupture qui, n'ayant pas été précisée dans les délai et forme fixés par l'article L. 1235-2 du code du travail, fixe les limites du litige, que le licenciement de M. [C] lui a été notifié pour les motifs ainsi énoncés :

« Nous vous rappelons les faits à l'origine de notre entretien. Ces faits sont intervenus le 24 août 2018 vers 22 heures à votre prise de poste.

Vous avez eu une attitude agressive, provocante et menaçante vis-à-vis de vos collègues de l'équipe qui vous précédait et plus précisément auprès de MM [B] et [L].

Vous les avez traités de « branleurs » et vous avez violemment pris la chaise proche du mélange M3 que vous avez jeté par 2 fois dans l'atelier (jusqu'à la machine Bader).

Il apparaît que ces faits d'agressivité verbale et physique lors des passages de consigne avec vos collègues de l'équipe précédente se répètent au point que les salariés menacés ne supportent plus cette attitude et ont peur pour leur intégrité physique.

Lors de l'entretien vous avez reconnu les faits du 24 août sur les invectives menaçantes et de votre point de vue vous auriez déplacé brutalement des chaises qui se trouvaient là et non jeté.

Vous nous avez aussi confirmé que cela s'était déjà produit et faisait suite à un ras le bol vis-à-vis de collègues qui, selon vous, « ne feraient rien de la journée, ne foutent rien, ne seraient pas disponibles au moment de la prise de poste, soit à prendre un café à la maintenance, soit ailleurs et je sais où' ».

Il y a moins d'un mois, lors d'un point d'information, Mr [G] a indiqué à toutes les équipes que les attitudes de respect de l'autre et d'échanges pour résoudre ensemble les situations de travail étaient primordiales et que nous ne saurions tolérer des comportement ou paroles agressives et violentes.

Or, c'est tout le contraire qui s'est passé le 24 août et vos propos confirment que ce n'est pas un fait isolé de votre part.

Vous avez ajouté que « d'habitude, ce type de choses se réglait au sein des équipes » sans que la Direction de l'Entreprise n'en soit saisie.

C'est allé trop loin au point que vos collègues ont alerté Mr [G], le responsable de votre chef d'équipe Mr [M], pour indiquer que cette attitude réitérée et les menaces vis-à-vis d'eux et d'autres, faisaient qu'ils risquaient d'en venir aux mains eux-mêmes à force d'être provoqués.

Nous ne pouvons tolérer ces faits dans l'Entreprise. Il est de notre responsabilité d'empêcher ce type de comportement et leurs conséquences. Et comme nous vous l'avons dit, rien ne peut justifier la violence.

Nous sommes donc amenés à prononcer votre licenciement ».

Par application des dispositions de l'article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

Outre l'objectivité des griefs qui doivent être matériellement vérifiables, les faits allégués doivent être établis, être la cause exacte du licenciement et être suffisamment pertinents pour justifier la sanction.

Selon les dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, il appartient alors au juge, en cas de litige, d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur à l'appui du licenciement au vu des éléments fournis par les parties et, au besoin, après avoir ordonné toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La cour relève que la lettre de licenciement se réfère expressément à des faits intervenus le 24 août 2018 vers 22 heures et à l'attitude qu'aurait eu M. [C] à l'égard de M. [K] [L] et M. [N] [B].

Or, M. [N] [B] évoque des faits du 27 août 2018 dans son attestation en date du 8 octobre 2018 communiquée par M. [C] et non du 24 août 2018.

Les faits du 27 août 2018 ne seront dans ces conditions pas analysés puisque non évoqués dans la lettre de licenciement.

La société Bestfoods France industries produit l'attestation de M. [K] [L] datée du 8 octobre 2018, attestation qui a été produite par M. [C] devant le conseil de prud'hommes et qu'il communique de nouveau à hauteur d'appel.

Dans son attestation, M. [L] déclare que le 24 août 2018, M. [C] est arrivé énervé, qu'il lui a reproché de n'avoir rien fait de la journée et qu'il a lui-même répondu ironiquement.

M. [L] ajoute que M. [C] a « repoussé violemment une chaise qui se trouvait au poste de travail à deux reprises sur plusieurs mètres » en lui disant ne pas avoir le temps, lui, de s'assoir.

M. [L] qualifie le comportement de M. [C] d'agressif, raison pour laquelle il a décidé d'en parler au chef d'équipe de M. [C], M. [R] [M], mais précise que sa relation de travail avec M. [C] « n'était pas toujours houleuse » et qu'il n'y avait pas eu « de violence physique dans notre altercation ». Il ajoute que sa démarche avait pour but non de voir M. [C] sanctionné mais qu'il soit raisonné.

Il ressort en outre de l'attestation de M. [L] que les passages de consignes se déroulaient dans un climat tendu depuis plusieurs semaines avec M. [C], mais également avec les collègues de celui-ci.

S'il est établi que M. [C] a eu une attitude agressive, verbalement et par son comportement en repoussant une chaise, il n'est pas démontré qu'il ait eu un comportement menaçant.

M. [C], qui explique son attitude à l'égard de ses collègues de l'équipe précédant la sienne par les conditions de travail et une surcharge de travail, produit l'attestation de M. [V] [H] selon laquelle ce qui arrive à M. [C] résulte « d'un profond malaise au sein de notre société ». M. [H] précise « nous sommes souvent sous pression et évidement tout cela engendre, fatigue, stress, énervement » et renvoie à un courrier d'alerte du secrétaire du Chsct à la direction.

La cour constate que M. [P] [S] atteste également « d'une surcharge de travail croissante, la pénibilité du travail, des problèmes de machines récurrents et une pression fréquente pour plus de performance et de productivité ».

Par ailleurs, M. [P] [F], ancien collègue de M. [C] et membre du Chsct déclare dans son attestation du 8 octobre 2018 que la direction a été alertée par le secrétaire du Chsct « de la situation alarmante au niveau de la production » et que « peu de temps après cette alerte arrive ce qui devait arriver. Une altercation verbale entre M. [C] et deux collègues de l'équipe relevée ».

M. [X] [F], travaillant dans la même équipe que M. [C], délégué du personnel et secrétaire du Chsct, atteste avoir prévenu la direction, un mois avant les faits, d'un mal-être, d'un état de stress et de burn-out de salariés provoquant des échanges entre collègues ou avec la hiérarchie.

Ainsi, dans un courrier adressé au président de la société Bestfoods France industries, M. [X] [F] en sa qualité de secrétaire du Chsct alerte notamment sur les conditions de travail actuelles, sur l'hygiène des ateliers et sur l'état du matériel mais également sur le mal être des intérimaires et des salariés du site. Il écrit que les salariés du site souffrent de surcharge de travail, de règles changeantes, d'une hiérarchie stressante, de la contrainte de devoir gérer de plus en plus de fonctions avec de moins en moins de moyens, situation générale qui provoque des risques psychosociaux, stress, comportements antisociaux, harcèlement, dépression, burn-out'

En conclusion il précise « je vous alerte et vous préviens sur les faits suivants qui risquent et vont arriver dans notre entreprise ; stress grandissant avec risque de burn-out collectif, coups de gueule, d'énervements entre opérateurs ou envers la hiérarchie' ».

Il ressort de ces attestations et de ce courrier que M. [C] rapporte ainsi la preuve d'un contexte de travail particulier au sein de la société Bestfoods France industries l'ayant conduit au comportement qui a été le sien le 24 août 2018.

La société Bestfoods France industries ne démontre pas avoir pris des mesures en réponse au courrier d'alerte de M. [F]. Elle ne justifie pas, comme elle le mentionne dans la lettre de licenciement, qu'un mois avant les faits un point d'information aurait été tenu par Mr [G] au cours duquel il aurait rappelé l'importance du respect et des échanges pour résoudre les diverses situations de travail.

Or, force est de constater que M. [C], dont l'ancienneté dans la société Bestfoods France industries était de plus de 27 ans, est décrit par ses collègues comme agréable, dynamique, travailleur, sérieux, rigoureux et impliqué, ce que confirme le compte rendu de son entretien professionnel du 7 novembre 2017 puisqu'il y est mentionné que les critères de technicité, de gestion des aléas, de qualité, de sécurité et de communication et travail d'équipe sont tenus et les exigences satisfaites, son point fort s'agissant du travail en équipe étant la « bonne entente avec ses collègues », seul le critère d'amélioration continue n'étant tenu que sur certains points et des exigences n'étant pas satisfaites.

Si M. [C] a été sanctionné d'un avertissement le 9 mai 2011 et d'une mise à pied de cinq jours le 20 juillet 2011, la cour relève que les faits et sanctions sont anciens.

Par ailleurs, les faits de 2014, propos offensants envers un collègue et dégradation involontaire de matériel, n'ont pas fait l'objet de sanctions.

S'il est établi que M. [C] a eu un comportement critiquable à l'égard de M. [L] le 24 août 2018, ce fait, compte tenu du contexte dans lequel il s'est déroulé et des conditions de travail, ne peut justifier un licenciement qui constitue une sanction disproportionnée.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a été jugé que le licenciement de M. [U] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

Sur le montant des dommages et intérêts :

Selon les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux qui sont fixés par un tableau, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Pour une ancienneté de 27 ans l'article L.1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 3 et 19 mois de salaire brut, pour les entreprises ayant un effectif de plus de onze salariés, ce qui est le cas en l'espèce.

M. [C] demande une indemnisation d'un montant de 40 418 €.

M. [C] était âgé de 52 ans à la date de la rupture du contrat de travail et percevait un salaire moyen de 3 103,62 € bruts. Il ne justifie pas de sa situation au-delà du versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi par Pôle emploi jusqu'au 9 novembre 2019, la cour observant que selon un courrier en date du 9 novembre 2019, pôle emploi atteste qu'il a perçu depuis la rupture de son contrat de travail et jusqu'au 31 octobre 2019, 244 allocations journalières et qu'il peut encore prétendre à 486 allocations journalières.

Il ne sera pas retenu pour l'appréciation du préjudice de M. [C] des termes du plan de sauvegarde de l'emploi signé le 9 août 2021, soit près de trois ans après son licenciement.

Au vu de ces éléments, il sera alloué à M. [C] la somme de 40 000 € bruts à titre de dommages et intérêts.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société Bestfoods France industries :

Selon l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Il est constant que la responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde, la faute lourde étant celle qui est caractérisée par l'intention de nuire, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission d'un fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

La société Bestfoods France industries expose que M. [C], par son comportement violent, a manqué à son obligation d'exécuter son contrat de travail de bonne foi, qu'il a délibérément dégradé les conditions de travail de ses collègues et menacé leur intégrité et demande sa condamnation à lui verser la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts.

En l'espèce, la société Bestfoods France industries ne caractérise pas une intention de nuire de la part de M. [C], étant rappelé qu'il a été jugé que le licenciement de celui-ci ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.

La société Bestfoods France industries sera en conséquence déboutée de sa demande et le jugement qui l'a déboutée de toutes ses demandes sera confirmé.

Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

La société Bestfoods France industries, qui succombe, a été condamnée à bon droit aux dépens de première instance et sera condamnée aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande de mettre à la charge de la société Bestfoods France industries une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 1 500 € au profit de M. [C] en confirmant les dispositions du jugement déféré de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Strasbourg du 13 janvier 2021 sauf en ce que la Sas Bestfoods France industries a été condamnée à payer M. [C] la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Condamne la Sas Bestfoods France industries à payer M. [A] [C] la somme de 40 000 € (quarante mille euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Y ajoutant,

Condamne la Sas Bestfoods France industries aux dépens d'appel,

Condamne la Sas Bestfoods France industries à payer à M. [A] [C] la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Sas Bestfoods France industries.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 13 mai 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 21/01661
Date de la décision : 13/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-13;21.01661 ?
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