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13/05/2022 | FRANCE | N°21/01278

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 13 mai 2022, 21/01278


MINUTE N° 22/477

















































NOTIFICATION :



Pôle emploi Alsace ( )







Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées



Le



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

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ARRET DU 13 Mai 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01278

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQWO



Décision déférée à la Cour : 18 Février 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG



APPELANT :



Monsieur [U] [T]

13A, sous Les Platanes

67400 ILLKIRCH GRAFFENSTADEN...

MINUTE N° 22/477

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 13 Mai 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/01278

N° Portalis DBVW-V-B7F-HQWO

Décision déférée à la Cour : 18 Février 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG

APPELANT :

Monsieur [U] [T]

13A, sous Les Platanes

67400 ILLKIRCH GRAFFENSTADEN

Représenté par Me Pierre DULMET, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE :

Association FRANCE HORIZON

prise en la personne de son représentant statutaire

N° SIRET : 775 66 6 7 04

5 place du Colonel Fabien

75010 Paris

Représentée par Me Delphine RICARD, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme DORSCH, Président de Chambre, et M. EL IDRISSI, Conseiller, chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. EL IDRISSI, Conseiller

M. BARRE, Vice Président placé, faisant fonction de Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

M. [U] [T] a été embauché par l'association France horizon à compter du 11 juillet 2016 en qualité de responsable logistique niveau 2 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

Par avenant du 10 octobre 2016, la rémunération brute mensuelle de base de M.[T] a été fixée à la somme de 1 712,77 € compte tenu de l'horaire pratiqué et des termes de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951

Le 5 janvier 2018, M. [T] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement fixé au 16 janvier 2018 et a été mis à pied à titre conservatoire jusqu'à la date de l'entretien préalable.

M. [T] a été licencié pour faute grave par lettre en date du 19 janvier 2018 pour avoir eu une posture inadaptée à l'égard d'une de ses collègues, Mme [V], avoir eu des comportements répétés de harcèlement à caractère sexuel, avoir envoyé de nombreux sms visant à obtenir attention et avantages de Mme [V], avoir pris le 10 novembre 2017 les clefs de Mme [V] qui se trouvaient dans son bureau et s'être introduit dans son domicile sans son autorisation, être sorti énervé de son bureau le 21 décembre 2017, avoir donné un coup de poing dans le mur, puis s'être violemment cogné la tête contre le mur.

Contestant le licenciement, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Strasbourg le 28 décembre 2018.

Par jugement en date du 18 février 2021, le conseil de prud'hommes a :

- dit et jugé que le licenciement de M. [T] était fondé sur une faute grave,

- rejeté ses prétentions,

- condamné le demandeur à la moitié des frais et dépens éventuels de la présente instance, le défendeur étant condamné à l'autre moitié des frais et dépens éventuels de la présente instance,

- dit et jugé n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [T] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement par déclaration adressée au greffe par voie électronique le 1er mars 2021.

Dans ses conclusions reçues au greffe par voie électronique le 30 avril 2021, il demande à la cour de :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

avant dire droit, devant le juge de la mise en état,

- ordonner une mesure d'instruction et procéder à l'audition de Mme [L] [V],

- ordonner à l'association France horizon, de produire l'intégralité des sms échangés entre son téléphone professionnel 06 71 25 26 47 et les trois numéros appartenant à Mme [V] soit 07 60 74 92 64 (Iness), 06 50 91 02 73 (Iness new),

06 69 95 56 67 (Bouygues pro) Iness FH, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard que le conseil se réservera le droit de liquider,

en tout état de cause,

- dire et juger que la rupture de son contrat est nulle conformément aux articles L.1152-2 et L. 1152-3 du code du travail, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

- condamner l'association France horizon à lui verser les montants suivants :

' 18 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,

' 2 152,85 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 215,28 € bruts pour les congés payés y afférent,

' 807,31 € nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

' 7 000 € nets de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

' 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à l'association défenderesse, la transmission des documents de fin de contrat rectifiés (certificat de travail, attestation Pôle emploi et bulletin de paie) sous astreintes de 200 € par document et par jour de retard que la cour se réservera le droit de liquider,

- dire que ces montants porteront intérêts à compter du jour de la demande s'agissant de créances salariales et à compter du jour du jugement à intervenir s'agissant de dommages et intérêts,

- condamner la partie défenderesse aux entiers frais et dépens.

Au soutien de son appel, M. [T] fait valoir qu'en 2017 et en 2018 plusieurs salariés ont eu à subir des comportements anormaux de la part de la direction, soit la cheffe de service Mme [S] [Y] avec la complicité du chef d'établissement M. [P] [H], s'apparentant à du harcèlement moral et que le Chsct a mené une enquête qui a confirmé l'existence de tensions anormales sur le site de Strasbourg à la fin de l'année 2017.

Il ajoute que pour évincer le clan des opposants la direction a tenté de monter des stratagèmes, demandant de l'aide à certains salariés dont lui et Mme [V].

Il indique que le 22 décembre 2017, la direction lui a demandé de l'aider à élaborer de futures fautes graves contre six salariées, qu'il a alors pris conscience du management délétère de la direction et qu'il a en conséquence tenté de sensibiliser Mme [Y] et M. [H] aux risques psychosociaux graves engendrés par ces pratiques.

En raison de l'absence de réaction de la direction, il affirme avoir fait venir directement sur site l'inspection du travail et qu'en réponse, la direction a convoqué son amie, Mme [V], pour faire pression sur lui et que Mme [V] a finalement porté plainte contre lui le 4 janvier 2018

Il précise avoir lancé de nouvelles alertes sur les risques sociaux existant au sein de l'association, notamment après la réception de sa lettre de licenciement.

Il fait valoir que la lettre du 5 janvier 2018 le met à pied jusqu'à l'entretien préalable, soit jusqu'au 16 janvier 2018, qu'il a travaillé après cette date de sorte que la mise à pied n'a pas été prise à titre conservatoire mais pour une période déterminée et qu'elle avait un caractère disciplinaire, ce qui empêchait l'association France horizon de le sanctionner d'un licenciement pour tout fait antérieur au 5 janvier 2018.

Il en conclut que son licenciement ne repose sur aucun nouveau grief de sorte qu'il est nécessairement sans cause réelle et sérieuse.

Il expose également que le licenciement n'a pas de fondement et que la rupture est nulle.

Il affirme que le motif de son licenciement est une atteinte à la vie privée et que son licenciement a en réalité pour seule raison son refus d'aider la direction à licencier six salariées ainsi que sa dénonciation de risques psycho-sociaux pour les salariés de l'association.

Il rappelle qu'il était proche de Mme [V], ce que savait son employeur, et indique que ces relations étaient toujours bonnes à la fin de l'année 2017.

Il conteste tout harcèlement sexuel à l'égard de Mme [V], dit s'interroger sur la raison pour laquelle l'association France horizon n'en a pas averti le Chsct et constate que la plainte de Mme [V], qui portait sur des faits de harcèlement moral et non de harcèlement sexuel, a été classée sans suite.

Il déclare avoir fait l'objet d'un stratagème conduisant à le licencier et cite l'attestation de Mme [E] selon laquelle il y a eu des pressions de la part de la direction pour le faire licencier, lui et d'autres salariés, et avoir été témoin d'explications très détaillées de Mme [Y] à Mme [V] pour qu'elle porte plainte contre lui.

Sur les faits du 21 décembre 2017, il dit avoir été atterré ce jour-là par la détresse de ses collègues, avoir voulu échanger avec M. [H] mais s'être finalement assommé en donnant deux coups de tête contre le mur, conduisant à une perte de connaissance, précisant que Mme [V] était absente des lieux.

Il conteste que ce fait puisse caractériser une faute grave.

Il demande en conséquence le paiement d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés y afférents ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement nul et des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

L'association France horizon s'est constituée intimée devant la cour le 7 avril 2021 et dans ses conclusions transmises au greffe par voie électronique le 29 juillet 2021, demande à la cour de :

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,

en conséquence,

- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [T] à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [T] aux entiers dépens.

A l'appui de ses demandes, elle expose qu'au cours de l'automne 2017, un petit groupe de salariés ont créé un climat délétère au sien de l'association, nourrissant un sentiment presque haineux à l'encontre de Mme [Y], jeune cheffe de service, en n'hésitant pas à dresser les salariés les uns contre les autres ou contre la direction.

Elle précise que pour autant, M. [T] n'a jamais eu de discussion avec la direction sur de quelconques risques psycho-sociaux au sein de l'établissement, ni sur des pressions prétendument exercées par la direction sur Mme [V], l'une de ses collègues.

Elle relève que M. [T] a commencé à avoir une attitude déplacée à l'égard de Mme [V], une collègue, la poursuivant d'avances incessantes et inopportunes malgré les refus de celle-ci, qu'il a dérobé ses clés le 10 novembre 2017 dans son bureau et s'est introduit à son domicile et que le 21 décembre 2017, après une discussion d'ordre professionnel avec Mme [V], il a de nouveau fait preuve d'une attitude excessive et déplacée, donnant un coup de poing dans un mur et se frappant ensuite volontairement la tête contre le mur jusqu'au sang.

Compte tenu du caractère répété et excessif du comportement de M. [T], elle relève que Mme [V] n'a eu d'autre choix que d'informer la direction et de porter plainte contre ce dernier le 4 janvier 2018.

Elle déclare que contrairement à ce que M. [T] affirme, il a fait l'objet d'un rappel à la loi pour les faits de harcèlement moral et violation de domicile dénoncés par Mme [V].

Elle constate que M. [T], qui invoque la nullité de son licenciement, ne fonde pas juridiquement et factuellement cette demande et qu'il ne formule aucune demande au titre d'un quelconque harcèlement moral ou d'une quelconque discrimination.

Sur la mise à pied, elle conteste que M. [T] soit venu travailler après l'entretien préalable, précise qu'il a été dispensé d'activité lors de son entretien préalable dans l'attente de la décision de la direction et qu'il lui avait été demandé de ne pas se présenter à son poste de travail.

Elle ajoute avoir eu recours à un agent de sécurité pour interdire les lieux à M. [T], ce qui s'est avéré utile compte tenu de sa tentative d'entrer dans les locaux de l'association le 18 janvier 2018 et qu'en tout état de cause, le fait de rémunérer par erreur une mise à pied ne saurait remettre en cause le licenciement pour faute grave.

Elle précise qu'elle était tenue de prendre les mesures nécessaires pour éloigner l'auteur d'un harcèlement du poste occupé par le salarié qui estime en être victime sans quoi elle aurait manqué à son obligation de sécurité.

Elle affirme que la violation de domicile commis le 10 novembre 2017 à l'égard de Mme [V], son comportement déplacé à son égard, notamment sur le lieu de travail, faits ayant conduit à un rappel à la loi et sa réaction le 21 décembre 2017 après avoir eu une discussion avec Mme [V] dans les locaux de l'association justifient le licenciement pour faute grave de M. [T].

Elle conclut sur le comportement excessif de M. [T] à la suite de la procédure de licenciement.

Sur les demandes de M. [T], elle relève à titre subsidiaire qu'il ne communique aucune pièce relative à sa situation financière et professionnelle postérieurement à son licenciement, qu'ayant moins de deux ans d'ancienneté, le préavis est d'un mois et non de deux mois et qu'il ne motive pas sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens de chacune des parties, il conviendra de se référer à leurs conclusions respectives en application de l'article 455 du Code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 25 février 2022.

L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 11 mars 2022, à laquelle les parties ont développé leur argumentation.

MOTIFS

- Sur les demandes avant-dire droit :

Aux termes de l'alinéa 3 de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

M. [T] demande, tant dans le dispositif de ses conclusions que dans les motifs, au « juge de la mise en état », d'ordonner l'audition de Mme [V] et d'ordonner à l'association France horizon de produire l'intégralité des messages échangés entre lui-même et Mme [V] sous astreinte.

La cour n'est pas saisie de prétentions en l'espèce spécialement adressées au « juge de la mise en état », en réalité au conseiller de la mise en état, étant observé que M. [T] n'a pas saisi le conseiller de la mise en état par des conclusions spécialement adressées à lui de telles demandes, comme il l'annonçait dans les motifs de ses conclusions.

- Sur la nullité du licenciement :

Selon l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ['] ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, l'article L. 1152-3 du code du travail précisant que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article précité est nul.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient à la cour d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

M. [T] expose que son licenciement est nul sur le fondement des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail dans la mesure où il a été sanctionné pour ne pas avoir aider la direction de l'association France horizon à licencier six salariées et pour avoir dénoncer des risques psychosociaux au sein de l'association.

L'association France horizon fait quant à elle valoir que M. [T] ne fonde pas juridiquement, ni factuellement sa demande et qu'il ne peut se prévaloir à titre personnel d'une décision de justice reconnaissant le harcèlement moral subi par une autre salariée.

M. [T] ne communique aucun élément à l'appui de son affirmation selon laquelle l'association France horizon lui aurait demandé une « aide » pour licencier six salariées, ni aucune pièce relative à une dénonciation, qu'il aurait personnellement formulée et qu'il aurait transmise à la direction ou collectivement avec d'autres salariés, quant à des risques psycho-sociaux au sein de l'association.

A ce titre, aucune pièce produite par M. [T] évoque un lien entre les faits du 21 décembre 2017, faits au cours desquels il s'est volontairement heurté la tête contre un mur, et une réunion qui se serait tenue avec l'inspection du travail, la médecine du travail et le Chsct le 26 janvier 2018, la cour relevant au surplus qu'aucun élément ne démontre la réalité de la tenue de cette réunion.

La cour observe que M. [T] n'a pas dénoncé de faits de harcèlement moral à son égard par la direction, les salariés à l'origine de l'enquête du Chsct sur le site de Strasbourg du 12 au 14 décembre 2017 étant Mme [K] [X], Mme [W] [A] [Z] et Mme [I] [E] conformément à leurs lettres annexées au courrier en date du 29 novembre 2017 de la Cgt adressé à l'association France horizon et que le compte rendu des entretiens effectués dans ce cadre ne fait pas état de difficultés spécifiques dans le service logistique au sein duquel M. [T] travaillait, attirant cependant l'attention de la direction quant à la charge de travail supportée par ce service et son organisation.

Ainsi, en l'espèce, les éléments présentés par M. [T], pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

- Sur le licenciement pour faute grave :

Sur la qualification de la mise à pied notifiée le 5 janvier 2018 :

L'article L. 1332-3 du code du travail énonce que lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'article L. 1332-2 ait été respectée.

Il est par ailleurs constant que la mise à pied prononcée par l'employeur dans l'attente de sa décision dans la procédure de licenciement engagée dans le même temps a un caractère conservatoire, y compris lorsque la mise à pied est prononcée pour un temps déterminé. De même, même si l'employeur décide de réintégrer le salarié après l'entretien préalable, dans l'attente de la décision définitive, la mise à pied ne perd pas son caractère conservatoire pour devenir disciplinaire.

M. [T] expose que la mise à pied qui lui a été notifiée le 5 janvier 2018 a un caractère disciplinaire comme ayant été fixée pour une durée déterminée, soit jusqu'à la date de l'entretien préalable, ayant travaillé après l'entretien préalable du 16 janvier 2018 et conclut que l'association France horizon, qui avait en conséquence épuisé son pouvoir disciplinaire, ne pouvait le licencier.

En l'espèce, l'association France horizon a adressé à M. [T] une lettre recommandée avec accusé réception en date du 5 janvier 2018 aux termes de laquelle il est écrit :

« Je vous informe que j'envisage de prendre une sanction disciplinaire à votre égard pouvant aller jusqu'au licenciement. Je vous indique que compte tenu de la gravité des faits dont j'ai été informé, je prends une mesure de mise à pied conservatoire, et vous demande de ne pas vous présenter dans l'établissement jusqu'à la date de l'entretien préalable auquel je vous convoque' ».

S'agissant de la poursuite de son activité professionnelle après l'entretien préalable, la cour relève que M. [T] expose de façon contradictoire, d'une part, qu'il a travaillé à compter du 18 janvier 2018 et, d'autre part, reproche à l'association France horizon d'avoir fait appel à un vigile pour l'éloigner du site le 17 janvier 2018.

En tout état de cause, le fait que l'association France horizon ait dans un même courrier notifié une décision de mise à pied à M. [T], en précisant son caractère conservatoire, et en engageant une procédure en le convoquant en même temps à un entretien préalable, établit son caractère conservatoire.

La demande de M. [T] tendant à ce qu'il soit jugé que l'association France horizon avait épuisé son pouvoir disciplinaire après lui avoir notifié une mise à pied disciplinaire sera en conséquence rejetée.

Sur le licenciement :

En application des articles L.1232-1, L.1232-6 et L.1235-1 du code du travail, lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception, qui doit comporter l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, et il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

Outre l'objectivité des griefs qui doivent être matériellement vérifiables, les faits allégués doivent être établis, être la cause exacte du licenciement et être suffisamment importants pour justifier la sanction.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise.

Il appartient à l'employeur, qui invoque la faute grave pour licencier, d'en rapporter la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Selon la lettre de licenciement de M. [T] du 19 janvier 2018 l'association France horizon écrit :

« Les faits qui vous sont reprochés sont les suivants :

La direction de l'établissement vient d'être informée que depuis plusieurs mois vous avez une posture parfaitement inadaptée à l'égard de votre collègue Mme [V]. Vous tenez des propos et vous avez des comportements de harcèlement à caractère sexuel. C'est ainsi que vous adressez de nombreux sms visant à obtenir attention, et avantages même si votre collègue a repoussé vos tentatives de séduction à plusieurs reprises.

Le 10 novembre dernier vous avez dérobé dans son bureau, les clefs de son logement. Vous vous êtes introduit à son domicile, sans son autorisation.

Le 21 décembre suite à une altercation d'ordre professionnel, vous êtes sorti de son logement énervé, vous avez donné un coup de poing dans le mur, puis vous avez cogné votre tête « violemment contre le mur », selon les nombreux témoins présents.

Après l'entretien du 16 décembre, vous avez reconnu que vous vous êtes introduit chez votre collègue à son insu.

En ce qui concerne les autres faits qui vous sont reprochés, vous avez eu des explications confuses et votre comportement très agité lors de l'entretien, nous ont conduit à faire intervenir les pompiers afin que vous quittiez les alentours de l'établissement.

Ainsi la situation et nos échanges lors de l'entretien n'ont pas été de nature à modifier mon appréciation des faits reprochés.

Nous vous rappelons que le pouvoir disciplinaire de l'employeur s'étend à des faits commis hors du temps de travail et du lieu de travail dès lors que ceux-ci se rattachent à l'activité de l'employeur.

Des propos et attitudes déplacées d'un salarié à l'égard de personnes avec lesquelles l'intéressé était en contact en raison de son travail ne relèvent pas de la vie personnelle.

De tels agissements ne sont pas tolérables et mettent gravement en danger la sécurité de l'équipe de travail ainsi que celle des usagers présents dans l'établissement.

C'est un comportement qui ne permet pas votre maintien dans nos effectifs et nous conduit à vous signifier la rupture immédiate de votre contrat de travail ».

Ainsi, il est reproché à M. [T] :

- une posture inadaptée à l'égard de Mme [V], une collègue de travail, propos et comportements répétés de harcèlement à caractère sexuel, vol des clés de son domicile laissées dans son bureau et introduction au sein de son domicile le 10 novembre 2017,

- blessure volontaire en frappant des poings et de la tête un mur au sein de l'association France horizon le 21 décembre 2017.

M. [T] fait valoir que le motif du licenciement constitue une atteinte à sa vie privée, qu'il n'a pas commis de harcèlement sexuel à l'égard de Mme [V], que la plainte de celle-ci à son encontre a été classée sans suite et que les coups qu'il s'est portés étaient le signe d'une détresse ayant pour but de faire venir sur le site l'inspection du travail et la médecine du travail.

Il est constant qu'un fait de vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire sauf s'il constitue un manquement à une obligation professionnelle ou s'il se rattache à la vie de l'entreprise.

En, l'espèce, l'association France horizon produit une plainte de Mme [V] en date du 4 janvier 2018 à l'encontre de M. [T], des échanges de sms entre M. [T] et Mme [V], un courriel de Mme [V] en date du 26 avril 2019, une attestation datée du même jour et une déclaration d'accident de travail du 21 décembre 2017.

Dans sa plainte, Mme [V] fait état de l'évolution de ses relations avec M. [T] depuis son embauche au sein de l'association France horizon en juillet 2017 et déclare notamment avoir « catégoriquement » refusé ses avances en septembre 2017, qu'il est entré à son domicile en son absence après avoir pris ses clés laissées à son bureau le 10 novembre 2017, qu'il l'a dénoncée comme toxicomane auprès de collègues et de sa hiérarchie et que le 21 décembre 2017 suite à une altercation au sujet d'une affaire professionnelle avec lui, il a donné un coup de poing dans le mur et y a cogné sa tête violemment. Elle ajoute avoir peur de M. [T] et dit qu'elle souhaite déménager malgré un précédent déménagement deux semaines plus tôt.

M. [T] produit l'attestation de M. [N] [G] décrivant la relation entre M. [T] et Mme [V] comme une relation de complicité de grand frère à plus jeune et les déclarations de Mme [I] [E] dans le cadre de l'enquête pénale engagée suite à la plainte de Mme [V] contre lui pour harcèlement et violation de domicile selon lesquelles elle a ressenti qu'ils étaient en couple plutôt qu'en situation de harcèlement. Mme [E] ne donne cependant aucune illustration concrète lui ayant laissé penser qu'ils étaient en couple.

S'il affirme que la plainte de Mme [V] serait un stratagème monté contre lui par l'association France horizon pour le licencier, force est de constater qu'il n'en rapporte pas la preuve.

En effet, les déclarations de Mme [E] sur ce point ne démontrent pas que Mme [V] aurait été instrumentalisée. Si elle dit avoir été témoin d'explications données par Mme [Y], cheffe de service, à Mme [V] pour qu'elle porte plainte contre M. [T] et ajoute avoir compris que « ces personnes » poussaient Mme [V] à porter plainte, elle précise « mais malheureusement je n'ai aucune preuve à vous apporter », les conseils donnés à Mme [V] pouvant être la réponse de la direction à des plaintes par celle-ci relatives au comportement de M. [T].

D'ailleurs, à ce titre, la cour observe que dans un courriel du 26 avril 2019, dont il ne peut être prétendu qu'il serait un faux dans la mesure où ce courriel accompagnait la transmission d'une attestation rédigée par Mme [V] datée du 26 avril 2019, produite aux débats et non contestée par M. [T], Mme [V] remercie M. [H] et Mme [Y] de l'avoir soutenue lorsqu'elle a rencontré des difficultés avec M. [T].

En outre, Mme [V], contactée par les services de police le 20 novembre 2018, a déclaré qu'elle avait porté plainte « pour des raisons personnelles » et que « sa plainte n'a[vait] aucun rapport avec le litige qu'avait M. [T] et France horizon ». Elle a également précisé ne plus être importunée par M. [T] et avoir déménagé pour qu'il ne puisse plus la contacter.

Si M. [T] dans le cadre de son audition du 22 novembre 2018 n'a pas reconnu les faits qui lui étaient reprochés, il a fait l'objet d'un rappel à la loi le 14 octobre 2019, la cour rappelant qu'un rappel à la loi peut être pris par le procureur de la République préalablement à sa décision sur l'action publique lorsqu'elle est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction ou de contribuer au reclassement de l'auteur des faits conformément aux dispositions de l'article 41-1 du code de procédure pénale.

Il est établi que M. [T], s'il n'a pas eu un comportement de harcèlement à caractère sexuel à l'égard de Mme [V], a eu une posture inadaptée à son égard, que ces agissements ont nécessairement eu une incidence négative sur leur travail, notamment sur les conditions de travail de Mme [V] qui a déclaré avoir été prête à démissionner en raison du comportement harcelant de M. [T] dans son attestation du 26 avril 2019, et ont ainsi perturbé le fonctionnement de l'association France horizon.

Sur les faits du 21 décembre 2021, selon la déclaration d'accident de travail, M. [T], « en discussion de travail avec une salariée ['] s'est taper (sic) volontairement la tête contre un mur », Mme [C] et Mme [V] étant mentionnées comme témoins.

Si M. [T] affirme que Mme [V] n'était pas présente lorsqu'il s'est cogné la tête volontairement, la cour constate en premier lieu qu'il ne conteste pas la matérialité des faits et en second lieu que dans le cadre de sa plainte, Mme [V] mentionne que la réaction de M. [T] a fait suite à une altercation entre eux au sujet d'une affaire professionnelle, confirmant ainsi sa présence au moment de ces faits.

En tout état de cause, l'existence de tensions au sein de l'association France horizon ne justifiait en aucune manière le comportement de M. [T], caractérisé par son incapacité à gérer ses émotions. Au surplus, ce comportement s'est déroulé au contact d'autres salaries, dont Mme [V], étant souligné les conséquences que peuvent engendrer une telle attitude, notamment de nature à impressionner voire perturber les collègues de travail, surtout Mme [V], déjà fragilisée par le comportement antérieur de M. [T] à son égard.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la preuve d'une posture inadaptée de M. [T] à l'égard d'une collègue de travail outre la réalité des faits du 10 novembre 2017 et du 21 décembre 2017, conformément à ce qui est énoncé dans la lettre de licenciement, est rapportée par l'association France horizon, ces fautes imputables à un salarié embauché depuis dix-huit mois étant suffisamment graves pour empêcher son maintien à son poste.

Par conséquent le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a été jugé que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave et en ce qu'il a été débouté de l'ensemble de ses demandes, y compris de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail, faute pour lui de rapporter la preuve d'une faute de l'association France horizon et de caractériser un préjudice en lien avec un comportement fautif de l'association France horizon.

- Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

M. [T], qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation du jugement de ce chef.

Par ailleurs l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant au bénéfice de M. [T] que de l'association France horizon.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par mise à disposition de l'arrêt au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Strasbourg du 18 février 2021 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [U] [T] aux dépens d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile tant au bénéfice de M. [U] [T] que de l'Association France horizon.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 13 mai 2022, signé par Madame Christine Dorsch, Président de Chambre et Madame Martine Thomas, 0 Greffier.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 21/01278
Date de la décision : 13/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-13;21.01278 ?
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