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29/04/2022 | FRANCE | N°21/00097

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 4 a, 29 avril 2022, 21/00097


CKD/KG





MINUTE N° 22/395





















































NOTIFICATION :



Pôle emploi Alsace ( )







Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées



Le



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMA

R

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



ARRET DU 29 Avril 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/00097

N° Portalis DBVW-V-B7F-HOW5



Décision déférée à la Cour : 30 Novembre 2020 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SAVERNE



APPELANT :



Monsieur [K] [D]

31a, rue du Rhin

68680 KEMBS



Rep...

CKD/KG

MINUTE N° 22/395

NOTIFICATION :

Pôle emploi Alsace ( )

Clause exécutoire aux :

- avocats

- délégués syndicaux

- parties non représentées

Le

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

ARRET DU 29 Avril 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/00097

N° Portalis DBVW-V-B7F-HOW5

Décision déférée à la Cour : 30 Novembre 2020 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SAVERNE

APPELANT :

Monsieur [K] [D]

31a, rue du Rhin

68680 KEMBS

Représenté par Me Audrey ZAHM FORMERY, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMEE :

S.A.S. EST PR

prise en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 827 719 782

75 avenue de la grande armée

75016 PARIS

Représentée par Me Pascale LAMBERT, avocat au barreau de MULHOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Décembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme DORSCH, Président de Chambre

M. EL IDRISSI, Conseiller

Mme ARNOUX, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,

- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [K] [D], né le 16 mars 1975, a été engagé par la société Oblinger en qualité d'adjoint chef des ventes à compter du 02 janvier 2012.

En date du 1er novembre 2017, son contrat de travail a été transféré par convention tripartite à la SAS Est PR, avec reprise d'ancienneté.

M. [D] est entré au service de la société Est PR en qualité de cadre expert de la plaque de distribution de pièces de rechanges de l'établissement d'Obernai et bénéficiait du classement ZC II.1 position 2 B de la convention collective nationale des services de l'automobile.

Il occupait les fonctions de responsable du Call Center et de l'administration des ventes et percevait en dernier lieu un salaire mensuel moyen de 3.692 € bruts.

À réception d'un courriel rédigé par Mme [N], salariée du service administration des ventes, auquel étaient attachés en fichiers joints la copie d'un courrier ainsi que deux témoignages dénonçant les pratiques managériales de M. [D] qualifiées de harcèlement moral, la SAS Est PR a diligenté une enquête interne en procédant à l'audition de 14 salariés. Le compte-tendu de cette enquête a été rendu le 22 février 2019.

Le 25 février 2019, M. [D] a été convoqué, avec mise à pied à titre conservatoire, à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement.

À la suite de cet entretien qui s'est déroulé le 05 mars 2019, le salarié a été licencié par lettre du 12 mars 2019 pour faute grave.

Par courrier du 29 avril 2019, il contestait son licenciement, et demandait à la SAS Est PR la communication de différents éléments.

La société ayant répondu par courrier daté du 09 mai 2019 qu'aucune solution amiable n'était envisageable, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Saverne afin de contester son licenciement et obtenir paiement de divers montants.

Par jugement du 30 novembre 2020, le conseil des prud'hommes de Saverne jugeant que le licenciement repose sur une faute grave, et que les faits de harcèlement ne sont pas prescrits, a débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes à l'exception de celle afférente à la portabilité, a condamné la société Est PR à lui payer la somme de 500 € pour les frais de santé restés à sa charge, et l'a condamné au paiement de la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance.

M. [D] a, le 24 décembre 2020, interjeté appel à l'encontre de cette décision.

Selon dernières conclusions en réplique et récapitulatives transmises par voie électronique le 1er décembre 2021, M. [D] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Est PR à lui payer la somme de 500 € pour les frais de santé restés à sa charge et de l'infirmer dans toutes ses autres dispositions, de constater que la société n'a pas produit certains éléments, de dire et juger que les faits pour lesquels il a été licencié sont prescrits, de dire et juger que la société n'apporte pas la preuve d'un management constitutif de harcèlement moral, de dire et juger que l'enquête a été menée sans que le salarié n'ait été entendu sur des griefs précis.

Il sollicite de la cour qu'elle dise et juge que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamne la SAS Est PR à lui verser les sommes de :

' 29.536 € à titre de dommages et intérêts ;

' 6.608.68 € au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

' 11.076 € au titre de l'indemnité de préavis.

L'appelant demande enfin à la cour de condamner l'intimée aux entiers frais et dépens de la procédure.

Selon conclusions en réplique et appel incident transmises par voie électronique le 1er juin 2021, la SAS Est PR conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [D] reposait sur une faute grave et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail, et son infirmation en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour les frais de santé. Elle demande à la cour de débouter M. [D] de l'ensemble de ses fins, moyens et conclusions et de le condamner aux frais et dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux dernières conclusions précédemment visées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 03 décembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur le licenciement

Au visa de l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Le point de départ du délai de deux mois est la date à laquelle l'employeur a connaissance des faits en cause.

Le délai de prescription commence à courir à partir du moment où le supérieur hiérarchique direct de l'intéressé est averti des faits, peu importe son rang dans la hiérarchie de l'entreprise et le fait qu'il ne dispose pas expressément du pouvoir de sanctionner, ou qu'il ait tardé à avertir la direction.

La connaissance des faits par l'employeur s'entend de l'information exacte de la réalité, de la nature, et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Ainsi, s'il apparaît nécessaire de procéder, ou de faire procéder à une enquête complémentaire, voire à un audit, la connaissance des faits fautifs sera alors effective à compter de la connaissance de l'employeur des résultats de ces enquêtes.

L'employeur peut toutefois se prévaloir des faits antérieurs à deux mois dans la mesure ou le comportement du salarié s'est poursuivi ou réitéré dans ce délai s'il s'agit de faits de même nature.

Enfin, lorsque la prescription des faits fautifs est opposée par le salarié, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la connaissance des faits dans le délai de deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites disciplinaires.

***

En l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats que Mme [U] [N], salariée au sein du service administration des ventes, a signalé à la société Est PR des faits qualifiés de harcèlement moral par courriel du 29 novembre 2018.

A réception du courriel accompagné notamment d'un courrier rédigé par celle-ci à l'attention de la médecine du travail, d'un courrier signé par Mme [L] une salariée, témoignant de faits de harcèlement moral et d'une attestation rédigée par Mme [R] ayant côtoyé professionnellement M. [D] par le passé, la société Est PR a diligenté une enquête interne qui s'est déroulée du 14 décembre 2018 au 14 janvier 2019.

Le compte-rendu rédigé le 22 février 2019, soit plus d'un mois après la fin de l'enquête, conclu à la révélation d'« éléments de nature à accréditer l'accusation de harcèlement moral, dans la mesure où des actes répétés de la part de JG (M. [D]), qui ont eu pour effet de porter atteinte aux conditions de travail, à l'image que les gens ont d'eux-mêmes et in fine à leur santé », lesquels sont notamment caractérisés par des actes d'humiliation, un manque de soutien des équipes de la part du responsable, ainsi que le dénigrement du service d'administration des ventes.

Trois jours après la remise du rapport, soit le 25 février 2019, M. [D] a été convoqué, avec mise à pied à titre conservatoire, à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement, puis a été licencié par lettre du 12 mars 2019 pour faute grave après avoir été entendu au cours de cet entretien.

L'appelant reproche aux premiers juges d'avoir considéré que la société Est PR a découvert les faits à l'origine de son licenciement au travers des résultats de cette enquête interne.

Selon lui, les faits invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement ' fidèlement reproduite par les premiers juges, à laquelle la cour se réfère ' sont prescrits au titre des dispositions légales, et des dispositions internes à l'entreprise.

Concernant le non-respect du délai légal de la prescription, M. [D] prétend que la société Est PR a été informée de faits de harcèlement moral dès le mois de février 2018.

Il indique, en se prévalant des faits renseignés par Mme [N] dans le cadre de la procédure prud'homale dirigée par celle-ci à l'encontre de la société Est PR, qu'un entretien s'est déroulé en février 2018 au cours duquel trois salariées, Mmes [N], [L] et [C], ont interpellé le directeur du site, et N+2 de M. [D], M. [B], des faits qui lui sont reprochés.

La société intimée soutient qu'elle n'a pas été informée de faits de harcèlement moral durant cet entretien.

Sur ce point, quand bien même le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Saverne le 27 juillet 2020 est dépourvu d'autorité de chose jugée en ce qu'un appel a été interjeté à l'encontre de la décision, il appert des comptes-rendus des différents entretiens réalisés dans le cadre de l'enquête interne ainsi que du compte-rendu d'enquête, que les trois collaboratrices ont profité de l'absence de M. [D] au mois de février 2018 afin d'interpeller M. [B]. A cet égard, il ressort de ces documents que les salariés entendaient « donner l'alerte » (pièce n°10 de l'intimée) du comportement de M. [D] au directeur du site après que l'une des salariées, Mme [C], ait pleuré à l'issue d'une réunion d'équipe.

Si, lors de son audition, Mme [L] attestait de difficultés résultant de blocages d'accès à certains dossiers informatiques qui ont été discutés en présence de M. [B], l'entretien n'a pas été limité à ce sujet comme le prétend la société. En effet il ressort expressément des courriers rédigés par les salariées présentes à cet entretien, ainsi que du compte-rendu de leur audition que l'entretien s'est étendu aux méthodes de management de M. [D].

En effet, le courrier adressé par Mme [N] au service de santé au travail le 20 novembre 2018 mentionne expressément que le comportement de M. [D] « avait créé dès les premiers mois une situation d'incompréhension de notre part, de questionnement, de doutes incessants sur notre capacité à occuper le poste, et bien sûr, très rapidement, de démotivation, d'un surcroit de stress permanent et inutile, de frustrations etc ' A bout et après seulement à peine 4 mois d'activité, et après de multiples concertations et hésitations, notre équipe ADV avait alors demandé en février 2018 un entretien avec notre Directeur M. [G] [B], afin de lui exposer les faits et tenter de lui expliquer l'attitude inappropriée de M. [D]. Cet entretien nous a rapidement été accordé » (pièce n°18 de l'intimée).

Elle y dénonçait des vociférations incessantes de la part de M. [D], ses interruptions intempestives de conversations téléphoniques, la surveillance des appels, ses injonctions permanentes, ainsi que la présentation du service ADV à une candidate au Call Center comme un service « poubelle de la société ». Son audition a révélé que le comportement humiliant consistant à la laisser s'enferrer dans des calculs qu'elle ne maîtrisait pas, remontait au début de l'activité du service, en décembre 2017.

Dans son témoignage du 16 novembre 2018, Mme [L] indiquait en outre « après un énième passage à tabac et des larmes, nous avons demandé et planifié une entrevue avec MR [B]. (') Nous voulions tirer la sonnette d'alarme vis à vis du comportement de MR [D] et de l'impact psychologique que celui-ci avait sur nous, et ce en moins de six mois d'activités » (pièce n°19 de l'intimée). Ces propos ont été confirmés par la salariée au cours de l'enquête « Nous nous sommes plaintes auprès de M. [B] en février 2018 et rien n'a été fait depuis, et son comportement n'a pas changé » (pièce n°10 de l'intimée).

Enfin, dès le mois de février 2018, le directeur de la société avait remarqué des problèmes de communication chez M. [D]. M. [B] a, lui-même, indiqué au cours de l'enquête que les trois salariées s'étaient plaintes tant du management de M. [D] que du manque de confiance de sa part (pièce n°8 de l'intimée). D'après le témoignage de Mme [L], le directeur aurait encore indiqué que « [K] peut être dangereux pour l'entreprise, il a un problème avec le pouvoir ».

Les différents documents versés aux débats font encore apparaître qu'à l'issue de l'entretien conduit par M. [B], ce dernier s'est entretenu avec M. [D].

Il résulte de ces éléments que la société Est PR avait connaissance des méthodes de management et du comportement de M. [D] dès le mois de février 2018, lorsque plusieurs salariées se sont plaintes auprès de son supérieur hiérarchique, M. [B], des pressions psychologiques exercées à leur encontre.

Contrairement au conseil de prud'hommes, la cour retient que les faits de harcèlement moral imputé à M. [D] et à l'origine du déclenchement de l'enquête interne ont été rapportés à l'employeur dès le mois de février 2018.

Postérieurement à ces événements, plusieurs salariés auditionnés relatent que M. [D], vexé par l'attitude des salariées consistant à solliciter un rendez-vous avec son N+2 en son absence, leur a ultérieurement reproché ce comportement.

Ayant eu connaissance de ce fait, M. [B] ainsi que celui-là l'atteste lors de son audition, s'est adressé à M. [D] pour lui dire qu'il n'y avait aucune raison d'interdire à qui que ce soit de venir le voir. La direction avait dès lors nécessairement connaissance de ce nouveau fait commis durant le mois de février 2018.

Au mois de mai 2018, Mmes [L] et [C] étaient à nouveau en pleurs après s'être séparément entretenues avec M. [D], ainsi qu'en atteste Mme [S] (pièce n°22 de l'intimée).

Il résulte de l'audition de Mme [L] que M. [X], responsable marketing et commerce, supérieur hiérarchique direct de l'appelant, a rejoint en cours d'entretien Mme [L] et M. [D] le 09 novembre 2018. À cette occasion, il a été exposé à M. [X] que le départ de Mme [L] de l'entreprise résultait des difficultés relationnelles entretenues avec M. [D] depuis la fin d'année 2017, ce qui confirme les propos que la salariée a tenu au directeur de site lors de la remise de sa lettre de démission au mois d'octobre 2018.

Interrogée dans le cadre de l'enquête interne, Mme [C] a indiqué avoir sollicité un entretien avec M. [B] début décembre 2018 au cours duquel elle l'informait de sa volonté de chercher un autre poste en précisant que cette démarche résultait du comportement de M. [D].

M. [B] s'est ensuite entretenu avec M. [D] « en lui demandant de bien vouloir faire le nécessaire pour renforcer le service, et ne pas leur mettre de pression car elles sont déjà en sous-effectif ».

De plus, Madame [N] a indiqué au cours de son audition qu'un entretien s'était déroulé à cette période entre M. [B] et Mme [C] « pour lui dire qu'elle ne supportait plus JG ».

Enfin, selon l'audition de Mme [L], M. [B] avait évoqué avec Mmes [C], [S] et [E] au début du mois de décembre 2018 la proposition de faire venir un coach, ce que confirmait l'appelant lors de son interrogatoire.

À cette occasion Mme [E] a également fait part à M. [B] d'un incident lié au manque de soutien qu'elle a ressenti lorsque M. [D] a rappelé un client et indiqué la disponibilité d'autres conseillers en cas de difficultés.

***

Il ressort de l'ensemble des éléments qui précèdent que l'employeur a eu connaissance des faits reprochés dans la lettre de licenciement antérieurement aux conclusions de l'enquête interne.

En effet, l'exactitude des faits reprochés était connue de l'employeur dès le mois de février 2018, et son ampleur a été révélée par l'envoi du courriel du 29 novembre 2018 ainsi que les différents entretiens dont les derniers se sont déroulés notamment avec MM. [B] et [X], supérieurs hiérarchiques de M. [D], jusqu'au début du mois de décembre 2018.

Ces événements ont permis à la société de prendre connaissance du comportement de M. [D], de ses méthodes de management, du passé relationnel compliqué entre Mme [L] et M. [D], ainsi que les difficultés rencontrées par certains salariés.

Cette enquête n'a, de surcroît, aucunement permis de dater le seul propos dénigrant cité dans la lettre de licenciement, à savoir la qualification de « poubelle » du service d'administration des ventes, au demeurant déjà visé par le courriel d'alerte de Mme [N].

Les exemples révélés lors de l'enquête ne sont que des illustrations du comportement du salarié dont l'employeur avait connaissance, et ne permettent pas d'écarter le jeu de la prescription en ce qu'aucun fait fautif n'a été commis postérieurement au début du mois de décembre 2018 sans être connu de la société.

Mme [S] a certes révélé au cours de l'enquête qu'elle a « entendu dire » en décembre 2018 d'une autre plaque que M. [D] « aurait dit » que certaines salariées sont incompétentes, sans que ces faits non datés, imprécis, et non circonstanciés ne puissent être retenus. De la même manière le fait du 26 décembre relatif à l'accomplissement de certaines tâches, ne peut être retenu puisque Mme [S] indique avoir proposé d'effectuer elle-même ces tâches.

Enfin, lors de l'enquête, Mme [C] a fait part de sa déception résultant du fait que M. [D] ne lui aurait pas proposé de l'accompagner lors d'une réunion des responsables du service d'administration des ventes à laquelle elle n'était pourtant pas conviée.

Il apparaît ainsi que les méthodes de management, la tonalité d'expression utilisée par M. [D] dans ses échanges avec les salariés de la plaque de distribution, mais aussi la pression permanente au sein du service et, en définitive, l'ensemble des faits mentionnés dans la lettre de licenciement, étaient connus de l'employeur avant l'engagement de l'enquête interne.

Or si la remise d'un rapport d'enquête, constitue en principe le point de départ du délai de deux mois ou d'un délai conventionnel plus court durant lequel l'employeur est tenu d'engager la procédure de licenciement, l'employeur qui a connaissance de l'étendue, de l'ampleur et de la gravité des faits reprochés au moment de l'engagement d'une telle enquête n'est pas fondé à se prévaloir de la date de remise du rapport pour retenir la date de départ du délai de la prescription de deux mois.

En l'espèce le licenciement pour faute grave, notifié au salarié le 12 mars 2019 repose, comme l'indique M. [D], sur des faits tous survenus plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire par courrier du 25 février 2019, et donc prescrits conformément à l'article L.1332-4 du code du travail.

Aucun élément suffisamment précis ne permet d'établir que de tels faits se seraient poursuivis dans ce délai de deux mois, ou que des faits de même nature se soient reproduits depuis le 25 décembre 2018.

Dès lors que l'ensemble des faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, et que l'employeur avait eu connaissance de l'ampleur et de la réalité des manquements imputés, le licenciement de M. [D] est pour ce seul motif, et sans que la cour n'ait à analyser le bien fondé des griefs reprochés, privé de cause réelle et sérieuse.

Le jugement est, dès lors, infirmé sur ce point.

II. Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail

A. Sur l'indemnisation du caractère abusif du licenciement

Monsieur [K] [D] réclame le versement de la somme de 29.536 €, soit huit mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Il ne peut cependant justifier du quantum réclamé en raison du caractère non contradictoire de l'enquête diligentée alors qu'il a été entendu et que les questions qui lui ont été posées lui ont pleinement permis d'exercer ses droits à la défense, qu'il pouvait à nouveau exposer lors de son entretien préalable.

Compte-tenu du salaire mensuel moyen non contesté (3.692 € bruts), de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise (7 ans et 2 mois), de son âge à la date de la rupture (43 ans) et des conditions de celle-ci, la société Est PR doit en application de l'article L 1235-3 du code du travail être condamnée à lui verser une indemnité de 18.000 € bruts qui réparera intégralement le préjudice causé par la rupture du contrat de travail.

B. Sur l'indemnité légale de licenciement et l'indemnité de préavis

Par application des articles R.1234-1 à R.1234-5 du code du travail, M. [D] est fondé à réclamer le paiement de la somme de 6.608,68 € au titre de l'indemnité de licenciement, et de 11.076 € brut au titre de l'indemnité conventionnelle de préavis de trois mois. La cour condamne la société Est PR à verser ces sommes à l'appelant.

III. Sur l'absence de portabilité de la complémentaire santé d'entreprise

La société Est PR sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [D] la somme de 500 € au titre des frais de santé restés à la charge du salarié. Elle indique que la notice relative à la portabilité des droits figurait en annexe au courrier de licenciement.

Selon cette notice, il appartenait cependant à l'employeur de transmettre à l'IRP AUTO le formulaire de déclaration de portabilité des droits complété comportant la date et le motif de la rupture du contrat de travail.

Ainsi que l'ont relevé avec pertinence les premiers juges, la société intimée ne conteste pas l'existence de frais de santé engagés par M. [D] à compter du mois de mai 2019, soit trois mois après la rupture du contrat de travail, ni que ces frais n'ont pas été remboursés au salarié licencié en raison de l'absence de demande en ce sens de la société.

Les frais de santé engagés par M. [D] (pièce n°16 de l'appelant) qui restent à sa charge étant supérieurs au montant de l'indemnisation réclamée, les premiers juges ont à juste titre condamné la société Est PR à lui verser la somme de 500 € sur la base du chiffrage arrêté par le salarié à l'audience.

Le jugement est par conséquent confirmé sur ce point.

IV. Sur les demandes annexes

Selon l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L.1132-4, L.1134-4, L.1144-3, L.1152-3, L.1153-4, L.1235-3 et L.1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Le remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées, ce qui est le cas en l'espèce.

Il conviendra en conséquence d'ordonner le remboursement des indemnités éventuellement versées dans la limite fixée à trois mois.

Le jugement déféré est infirmé s'agissant des frais et dépens, et des frais irrépétibles.

La société Est PR, qui succombe, est condamnée aux frais et dépens des procédures de première instance et d'appel, et par voie de conséquence sa demande de frais irrépétibles ne peut-être que rejetée.

Par ailleurs l'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. [D] à hauteur de 2.000 € pour les deux instances.

PAR CES MOTIFS

La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

CONFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Saverne en ce qu'il condamne la SAS Est PR à payer à Monsieur [K] [D] la somme de 500 € pour les frais de santé restés à sa charge ;

INFIRME le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

DIT et JUGE que le licenciement de Monsieur [K] [D] notifié le 12 mars 2019 est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SAS Est PR à payer à Monsieur [K] [D] les sommes suivantes :

' 18.000 € bruts (dix-huit mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

' 6.608,68 € (six mille six cent huit euros et soixante-huit centimes) au titre de l'indemnité légale de licenciement,

' 11.076 € (onze mille soixante-seize euros) bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de préavis,

' 2.000 € (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE le remboursement par la SAS Est PR à Pôle Emploi EST des indemnités de chômage versées le cas échéant à Monsieur [K] [D] dans la limite de trois mois à compter de la rupture sur le fondement des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail ;

DEBOUTE la SAS Est PR de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS Est PR aux frais et dépens des procédures de première instance et d'appel.

LEDIT ARRÊT a été prononcé par mise à disposition au greffe le 29 avril 2022, et signé par Mme Christine DORSCH, Président de Chambre, et par Mme Martine THOMAS, Greffier.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 4 a
Numéro d'arrêt : 21/00097
Date de la décision : 29/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-29;21.00097 ?
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