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28/04/2022 | FRANCE | N°20/02436

France | France, Cour d'appel de Colmar, Chambre 2 a, 28 avril 2022, 20/02436


MINUTE N° 193/2022

























Copie exécutoire à



- Me Claus WIESEL



- la SELARL ACVF ASSOCIES





Le 28/04/2022



Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRET DU 28 Avril 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02436 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMIE



Décision déférée

à la cour : 09 Juillet 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG





APPELANTS et intimés sur incident :



Monsieur [E] [P]

Madame [U] [K] épouse [P]

demeurant tous les deux [Adresse 1]



représenté par Me Claus WIESEL, avocat à la cour.

plaidant...

MINUTE N° 193/2022

Copie exécutoire à

- Me Claus WIESEL

- la SELARL ACVF ASSOCIES

Le 28/04/2022

Le Greffier

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 28 Avril 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A N° RG 20/02436 - N° Portalis DBVW-V-B7E-HMIE

Décision déférée à la cour : 09 Juillet 2020 par le Tribunal judiciaire de STRASBOURG

APPELANTS et intimés sur incident :

Monsieur [E] [P]

Madame [U] [K] épouse [P]

demeurant tous les deux [Adresse 1]

représenté par Me Claus WIESEL, avocat à la cour.

plaidant : Me Hubert METZGER, avocat à Strasbourg

INTIMÉE et appelante sur incident :

Maître [B] [R]

demeurant [Adresse 2]

représentée par la SELARL ACVF ASSOCIES, avocat à la cour.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 modifié et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Février 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre, et Madame Myriam DENORT, Conseiller, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre

Madame Catherine GARCZYNSKI, Conseiller

Madame Myriam DENORT, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SCHIRMANN

ARRET contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, présidente et Madame Sylvie SCHIRMANN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte d'affectation hypothécaire reçu le 20 juin 2008 par Me [B] [R], notaire à [Localité 6], à la requête des époux [P], désignés comme 'le bénéficiaire ou les prêteurs', et de M. [Z] [M], désigné comme 'le constituant', ce dernier a reconnu leur devoir la somme de 180 000 euros à raison d'un prêt de même montant 'dont le versement est intervenu par chèque dès avant les présentes' et consenti pour une durée d'un an, moyennant intérêts au taux légal, payables en même temps que le remboursement du principal, soit jusqu'au 20 juin 2009 ; M. [Z] [M] a, 'à la sureté et garantie' du remboursement de ce prêt, hypothéqué le lot n°13 - décrit comme un appartement sur deux étages, comportant un séjour et trois chambres, d'une surface de 131,7 m² avec une terrasse-balcon de 12,5 m² - et ses quotes-parts de parties communes, dans un ensemble immobilier section [Cadastre 3] sis [Adresse 4], qu'il avait acquis suivant acte de vente reçu par le même notaire le 16 juin 2008 de la SARL Epsylon (en cours de transcription à son nom au Livre foncier).

M. [M] n'ayant pas remboursé le prêt, les époux [P] ont saisi le 23 février 2015 le tribunal d'instance de Haguenau, qui a ordonné le 12 mars 2015 l'exécution forcée par voie d'adjudication du lot 13 et commis Me [I], notaire à [Localité 5] pour y procéder ; ce dernier a informé, par courrier du 24 mars 2016, les époux [P] que la description de l'appartement dans l'acte d'affectation hypothécaire ne correspondait pas à la réalité, celui-ci étant, selon le syndic, un 'grenier à l'état brut' dont la mise à prix ne pourrait être supérieur à 10 000 euros.

Ayant appris que M. [M] avait acheté le bien, au prix de 95 000 euros seulement, à une société dont il était le gérant (Epsylon), par compensation avec une créance qu'il aurait détenue à son encontre, et que l'acte, également passé par Me [R], mentionnait le refus de permis de construire de la mairie pour changer la destination des constructions existantes - ce dont ils déduisaient que Me [R] aurait dû avoir un doute sur la consistance du bien, au regard du faible prix de vente, et porter à leur connaissance ces informations -, ils ont assigné le notaire, par acte du 13 août 2018, devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, en responsabilité, pour obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 307 186,14 euros en principal.

Le tribunal, par jugement en date du 9 juillet 2020 a écarté la prescription soulevée par Me [R], mais débouté les époux [P] de leurs demandes et les a condamnés aux dépens et à payer à Me [R] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a estimé pour l'essentiel que :

1) le point de départ du délai de prescription était, en application de l'article 2224 du code civil, le 24 mars 2016, date de l'information transmise par le notaire chargé de l'adjudication, les époux [P] n'ayant eu aucune raison précédemment de douter de la substance du bien,

2) sur le fond, aucun élément ne permettait à Me [R] de douter de la consistance ou de la substance du bien, notamment pas la différence entre le prix de vente figurant dans l'acte de cession et la valeur de la garantie selon l'acte d'affectation hypothécaire, ni la vente par une société dirigée par M. [M] avec paiement par compensation, ni les deux adresses de M. [M], ni le refus de permis de construire concernant le changement de destination de l'appartement,

3) Me [R] n'avait pas à faire de vérifications in situ,

4) une simple visite des époux [P] sur les lieux avant d'accorder leur prêt leur aurait permis de découvrir la supercherie,

5) Me [R] n'avait pas manqué à son devoir de conseil sur l'opportunité du prêt puisqu'il avait déjà été accordé, ni à son devoir de mise en garde, faute de doute sur la substance du bien hypothéqué,

6) aucun préjudice, en lien direct avec la faute alléguée, n'était démontré puisque le prêt avait déjà été consenti.

*

Les époux [P] ont interjeté appel du jugement par déclaration du 24 août 2020.

Par conclusions du 24 novembre 2020, ils sollicitent l'infirmation du jugement déféré et la condamnation de Me [R] à leur payer la somme de 307 186,14 euros (180 000 + 120 171,81 au titre des intérêts arrêtés au 30 juillet 2018), augmentée des intérêts au taux légal à compter du 31 juillet 2018, outre la somme de 2500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils approuvent le jugement déféré sur la recevabilité.

Sur le fond, ils reprochent au notaire de ne pas avoir assuré l'efficacité juridique de l'acte d'affectation hypothécaire, en omettant d'attirer leur attention sur les risques d'insuffisance de la garantie, et en effectuant aucune vérification alors qu'il existait des éléments de nature à créer un doute sur la substance du bien ainsi que sur sa nature et son affectation. Ils reprochent également à Me [R] de ne pas leur avoir transmis les informations dont elle disposait à la suite de l'acte passé le 16 juin 2008, ni mis en garde sur le risque représenté par l'acte d'affectation hypothécaire, ce qui constitue, selon eux, un manquement réitéré à son devoir de conseil. Ils estiment que le secret professionnel ne s'opposait pas à ces vérifications et informations.

Ils contestent avoir remis la somme prêtée avant l'acte, ne l'ayant virée à la banque de M. [M] que le 25 juin 2008, via la Banque cantonale du Jura, et n'ayant pas détecté la 'clause standart' de l'acte mentionnant un versement déjà réalisé ; ils ajoutent que cette clause n'exonère pas le notaire de sa responsabilité quant à l'affectation hypothécaire d'un bien payé quelques jours plus tôt 95 000 euros pour garantir un prêt de 180 000 euros et que celui-ci a admis finalement la postériorité du versement de la somme.

Sur le préjudice, ils précisent que le bien a été vendu 15 000 euros le 7 décembre 2018, l'acte de vente dressé mentionnant cette fois que la description du lot 'est erronée' puisqu'il ne consiste pas en un appartement mais en un 'grenier non aménagé dont l'accès s'effectue par une trappe de l'appartement formant le lot n°5 appartenant à la SCI TK7", et que la créance du Trésor public privilégiée s'élevait à plus de 400 000 euros en 2012 et plus d'un millions d'euros en mars 2018 ; ils soutiennent que l'obligation de réparation s'étend, en cas d'inefficacité d'un acte d'affectation hypothécaire garantissant un prêt, au paiement de la somme prêtée portant intérêts selon le contrat de prêt.

Par conclusions du 3 février 2021, Me [R], formant appel incident, demande à la cour d'infirmer le jugement déféré sur la recevabilité et de déclarer l'action irrecevable comme prescrite ; à défaut, elle sollicite la confirmation du jugement. Elle réclame la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que les époux [P] étaient en mesure d'apprécier les faits leur permettant d'exercer l'action dès le lendemain de l'expiration du délai d'un an fixé pour le remboursement du prêt (20 juin 2009) puisqu'ils avaient connaissance de leur dommage constitué par le non-remboursement du prêt.

Sur la faute, elle observe que la faute invoquée est un manquement à l'obligation de conseil puisqu'il ne s'agit pas d'un manquement à l'obligation d'authentification.

Elle oppose le secret professionnel résultant de l'article 23 de la loi du 25 ventose an XI - dont le non-respect est sanctionné pénalement par l'article 226-13 du code pénal - quant aux informations qu'elle détenait à la suite de l'acte de vente du 16 juin 2008, de sorte qu'elle n'aurait pu révéler le prix inférieur à l'affectation hypothécaire, rappelant que le secret s'applique notamment aux actes instrumentés et que seule la loi pourrait l'en délier.

Elle indique qu'elle ne pouvait donner que des conseils portant sur des éléments objectifs et décisifs de l'efficacité de l'opération et qu'elle n'avait pas à effectuer des vérifications matérielles sur la consistance du bien ou sa valeur réelle, les époux [P] devant se renseigner eux-mêmes sur l'état réel du bien.

Elle ajoute qu'aucun élément ne lui permettait de 'deviner' qu'il s'agissait d'un grenier à l'état brut, que M. [M] avait fixé lui-même le prix du bien lors de la vente du 16 juin 2008, ce qui ne signifiait pas qu'il n'avait pas une valeur supérieure, et qu'une valeur de 180 000 euros pour le lot tel que décrit apparaissait cohérente. Elle relève que le refus de permis de construire était lié à un problème de place de stationnement qui aurait pu être résolu.

Enfin, elle fait valoir que la somme avait été remise avant l'acte selon les énonciations de celui-ci, signées par les époux [P], ce qui les valide, et que le fait qu'un virement soit intervenu après ne signifie pas que cette remise n'a pas eu lieu, les parties ayant pu vouloir modifier les conditions de paiement (virement au lieu de chèque).

Elle conteste également le lien de causalité entre la faute et le préjudice et souligne qu'il ne s'agirait que d'une perte de chance, laquelle est nulle puisque les époux [P] ont laissé prescrire l'action contre leur débiteur, ajoutant que seule la différence entre 95 000 et 180 000 euros pourrait être indemnisée, outre que les intérêts résultant du retard à demander l'indemnisation ne peuvent être indemnisés.

*

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 juillet 2021.

MOTIFS

Sur la prescription

C'est à juste titre que le premier juge a fixé le point de départ du délai de prescription de l'article 2224 du code civil au jour où les époux [P] avaient appris que le bien donné en garantie n'était pas un appartement mais un 'grenier à l'état brut', dont la valeur était bien inférieure au montant du prêt, soit le 24 mars 2016, date du courrier qui leur a été adressé par le notaire commis dans la procédure d'adjudication.

Les époux [P] n'ont en effet eu connaissance de leur dommage, constitué par l'insuffisance de la garantie hypothécaire consenti par leur débiteur, qu'au jour où ils ont appris la véritable consistance et valeur en résultant du bien hypothéqué.

L'arrivée du terme fixé pour le remboursement du prêt ne constitue que le point de départ du délai d'action contre le débiteur en remboursement du prêt et non celui de l'action en responsabilité délictuelle contre le notaire.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré l'action des époux [P] recevable.

Sur la faute du notaire

En vertu de l'article 1382, ancien, du code civil, devenu l'article 1241, le notaire, en sa qualité d'officier ministériel chargé d'authentifier les actes passés devant lui, est tenu à un devoir d'information et de conseil à l'égard de l'ensemble des parties à l'acte, portant notamment sur les risques des actes auxquels il est requis de donner forme.

Il a ainsi l'obligation de s'assurer de l'efficacité de la sureté donnée par un débiteur et d'informer le bénéficiaire des risques d'insuffisance pour couvrir sa dette.

En l'espèce, il apparaît que Me [R] a manqué à son obligation de s'assurer de l'efficacité de l'hypothèque constituée par M. [M] et d'informer les époux [P] des risques d'insuffisance de celle-ci pour couvrir le prêt accordé.

En effet, Me [R] avait connaissance, par l'acte qu'elle avait reçu quelques jours plus tôt, que la transformation du lot en appartement n'avait pu se faire, puisqu'elle a mentionné dans cet acte que le permis de construire déposé par le précédent propriétaire (société Primmofi) pour le changement de destination des constructions existantes, soit la transformation d'un établissement hôtelier en appartements, avait été refusé par la mairie de [Localité 5] ; ce refus devait la conduire à s'interroger sur la consistance exacte du bien donné en garantie, décrit comme un appartement de plusieurs pièces sans particularité, au regard de l'obligation pour elle de s'assurer de l'efficacité de la sûreté, et à inciter les époux [P] à effectuer des vérifications, au besoin sur place. Par ailleurs, sans révéler aux époux [P] le prix de la vente du bien par la société Epsylon à M. [M], elle devait attirer leur attention sur le fait que la garantie était susceptible de ne pas couvrir la valeur du prêt.

En conséquence, si elle ne devait pas révéler le contenu de l'acte, elle devait attirer l'attention des époux [P] sur les risques d'insuffisance de la garantie, tant au regard des questions qui se posaient sur sa consistance exacte que de sa valeur.

Sa faute est donc caractérisée.

Sur le préjudice

La faute retenue consistant en un manquement au devoir de conseil, le préjudice subi par les époux [P] n'est qu'une perte de chance de n'avoir pu prendre une autre garantie efficace, après avoir pu se renseigner sur les limites de celle qu'ils envisageaient de prendre.

Cependant il n'est pas démontré que M. [M] avait une autre garantie à leur proposer et il ressort des termes mêmes de l'acte, valant jusqu'à inscription de faux, que les époux [P] avaient déjà versé, avant celui-ci, la somme de 180 000 euros à M. [M] par chèque, l'acte ne faisant que constater la reconnaissance de dette de M. [M] au profit des époux [P] pour ce montant, avant d'en préciser les conditions de remboursement.

Dès lors, force est de constater que la faute du notaire n'a causé aucun préjudice aux époux [P].

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande au fond.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la faute retenue à l'encontre de Me [R], la décision sera infirmée, en ce qu'elle a condamné les époux [P] aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, chacune des parties gardant à sa charge les frais qu'elle a exposés, tant en première instance qu'en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément à l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré, sauf sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leur demande respective fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel ;

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Colmar
Formation : Chambre 2 a
Numéro d'arrêt : 20/02436
Date de la décision : 28/04/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-04-28;20.02436 ?
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