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07/04/2022 | FRANCE | N°19/042501

France | France, Cour d'appel de colmar, 4s, 07 avril 2022, 19/042501


NH/FA

MINUTE No 22/330

NOTIFICATION :

Copie aux parties

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 07 Avril 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 19/04250 - No Portalis DBVW-V-B7D-HGD3

Décision déférée à la Cour : 12 Juin 2019 par le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG

APPELANTE :

S.A. SANOFI AVENTIS RECHERCHE ET

DEVELOPPEMENT
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représentée par Me Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

Madame [J] [I] épouse [E]
[Adres...

NH/FA

MINUTE No 22/330

NOTIFICATION :

Copie aux parties

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 07 Avril 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 19/04250 - No Portalis DBVW-V-B7D-HGD3

Décision déférée à la Cour : 12 Juin 2019 par le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG

APPELANTE :

S.A. SANOFI AVENTIS RECHERCHE ET DEVELOPPEMENT
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représentée par Me Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON

INTIMÉES :

Madame [J] [I] épouse [E]
[Adresse 3]
[Localité 5]

Représentée par Me Elsa GALAUP, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU BAS-RHIN
Service contentieux
[Adresse 2]
[Localité 4]

Comparante en la personne de Mme [N] [H], munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
Mme ARNOUX, Conseiller
Mme HERY, Conseiller
qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier

ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
- signé par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre, et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

Le 4 mars 2015, Mme [J] [I], salariée de la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement a assisté, sur son lieu de travail, au suicide par ingestion de cyanure de son supérieur hiérarchique.

Par courrier du 3 août 2015, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Bas-Rhin lui a notifié sa décision de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l'accident du travail que l'assurée lui avait déclaré pour ces faits du 4 mars 2015.

Par courrier du 17 mai 2017, la CPAM a informé Mme [I] de ce que son état de santé en rapport avec cet accident était consolidé à la date du 31 mai 2017.

Le 9 août 2017, la CPAM a notifié à l'assuré un taux d'incapacité permanente de 5% générant le versement d'une indemnité en capital au 1er juin 2017 de 1.958,18 euros.

Par courrier recommandé du 22 septembre 2018, Mme [I] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance (TGI) de Strasbourg afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur, la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement, dans la survenance de l'accident du travail du 4 mars 2015.

Par jugement du 12 juin 2019, le TGI a :

– déclaré Mme [J] [I] recevable dans son action ;

– dit que l'accident du travail dont Mme [J] [I] a été victime est dû à une faute inexcusable de la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement, son employeur ;

– dit que la rente servie par la CPAM du Bas-Rhin en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale sera majorée au montant maximum et que la majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité attribué ;

– avant dire droit sur la liquidation des préjudices subis par Mme [J] [I], a ordonné une expertise médicale ;

– dit que la CPAM du Bas-Rhin versera directement à Mme [J] [I] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision et de l'indemnisation complémentaire ;

– dit que la CPAM du Bas-Rhin pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à Mme [J] [I] à l'encontre de la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement ;

– condamné la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement au remboursement du coût de l'expertise ;

– réservé à statuer sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par courrier expédié le 5 septembre 2019, la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement a formé appel à l'encontre de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions reçues le 23 janvier 2020, la société Sanofi Aventis Recherche et Développement demande à la cour de :

infirmant le jugement entrepris,

– à titre principal, débouter Mme [J] [I] sa demande de reconnaissance d'une faute inexcusable ;

– à titre subsidiaire :

* débouter Mme [J] [I] de sa demande d'indemnisation provisionnelle et, subsidiairement, en ramener le montant à de plus justes proportions ;

* limiter la mesure d'expertise médicale judiciaire, le cas échéant ordonnée, à l'évaluation des préjudices prévus par l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale et des préjudices qui ne sont pas d'ores et déjà indemnisés, même forfaitairement, par le livre IV du même code ;

– à titre plus subsidiaire, débouter Mme [J] [I] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions reçues le 6 mai 2020, Mme [I] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

– dire et juger la société Sanofi Aventis Recherche et Développement mal fondée en son appel et l'en débouter ;

– condamner la société Sanofi Aventis Recherche et Développement à verser à Mme [J] [I] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;

– condamner la société Sanofi Aventis Recherche et Développement aux entiers dépens.

Aux termes de ses conclusions déposées le 27 novembre 2020, la CPAM du Bas-Rhin demande la cour de :

– lui décerner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse du tribunal sur le point de savoir si l'accident du travail du 4 mars 2015 de Mme [J] [I] est imputable ou non à une faute inexcusable de l'employeur ;

dans l'affirmative,

– constater qu'elle ne s'oppose pas à la réalisation d'une expertise, sous réserve d'exclure de la mission de l'expert les préjudices non justifiés et/ou déjà indemnisés par le livre IV du code de la sécurité sociale ;

– réserver ses droits à conclure sur le chiffrage des préjudices après dépôt du rapport de l'expert ;

– condamner la société Sanofi Aventis Recherche et Développement à lui rembourser les sommes qu'elle sera amenée à verser au titre des préjudices accordés à Mme [J] [I] ;

– enjoindre à la société Sanofi Aventis Recherche et Développement de lui communiquer les coordonnées de son assurance la garantissant pour le risque faute inexcusable ;

– dire et juger qu'en cas de condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le paiement est à la charge directe et exclusive de l'employeur condamné.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions transmises aux dates susvisées et soutenues oralement à l'audience du 10 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Considération prise de ce que l'avis de réception de la lettre de notification du jugement entrepris ne fait pas apparaître à quelle date cette lettre a été reçue par la société Sanofi Aventis Recherche et Développement, il y a lieu de déclarer recevable l'appel interjeté par cette dernière.

Sur l'existence de la faute inexcusable de la société Sanofi Aventis Recherche et Développement

La société Sanofi Aventis Recherche et Développement indique que la cour ne doit se positionner que sur la question d'une faute envers Mme [I] et non envers le salarié qui s'est suicidé. Elle souligne qu'il n'y a pas eu de cas de suicide sur le site de [Localité 7] et que les autres sites évoqués par Mme [I] sont distincts juridiquement.
Elle argue de ce que dès lors qu'elle n'a commis aucune faute à l'origine du suicide en cause, aucune faute ne peut lui être reprochée à l'égard de Mme [I], soulignant qu'elle ne pouvait avoir conscience de la survenance de ce suicide et de ce que cette dernière allait trouver le corps.

Elle soutient que l'interdiction d'accès aux produits toxiques était impossible puisque le salarié qui s'est suicidé travaillait dans le service de chimie et signale que l'accès aux produits dangereux était réglementé.

Mme [I] réplique qu'il y a déjà eu un précédent de suicide par absorption de cyanure dans un autre laboratoire du groupe Sanofi en 2013 ainsi que d'autres cas de suicide.

Elle explique qu'à l'époque du suicide de son supérieur, l'accès aux produits toxiques était mal sécurisé puisqu'il était rendu possible par une seule personne ; que s'il était prévu que l'utilisateur doive passer par un valideur, il s'avère que son supérieur qui s'est suicidé cumulait ces deux qualités, de sorte qu'il a pu se suicider mais aussi mettre en danger les personnes amenées à le trouver du fait de l'émanation d'acide cyanhydrique, elle-même en l'occurrence.

Elle évoque l'enquête du CHSCT 6 mars 2015 qui pointe cette anomalie et relève qu'à la suite du suicide en cause, soit en mars 2016, a été mise en place une procédure plus sécurisée nécessitant obligatoirement plus de deux personnes, un processus de traçabilité existant déjà auparavant sans pour autant être appliqué.

Elle ajoute que son supérieur qui s'est suicidé était sur le point d'être muté suite à une réorganisation de la société et vivait mal sa mutation.

Elle en déduit que la société Sanofi Aventis Recherche et Développement avait conscience du danger consistant en la possibilité pour une seule personne d'utiliser des produits très dangereux pour attenter à sa vie ou à celle des autres et n'a pas pris les mesures nécessaires pour la préserver du danger auquel elle était exposée.

La CPAM s'en remet à la sagesse de la juridiction sur la faute inexcusable.

Aux termes du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Par application des dispositions combinées des articles L.452-1 du code de la sécurité sociale, L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Considération prise de la pertinence des motifs du jugement entrepris, il y a lieu de le confirmer, étant souligné que, d'une part, l'argument soulevé par la société Sanofi Aventis Recherche et Développement selon lequel les établissements du groupe sont juridiquement indépendants n'implique pas qu'il y ait une méconnaissance des cas de suicide intervenus au sein du groupe Sanofi lequel se doit de veiller au respect de l'obligation de sécurité envers l'ensemble de ses salariés au sein de chacun de ses établissements et que, d'autre part, la méconnaissance des cas de suicide survenus dans

un autre établissement n'altère en rien la conscience qu'avait ou qu'aurait dû avoir la société Sanofi Aventis Recherche et Développement du danger auquel elle exposait sa salariée Mme [I] au regard, notamment, du protocole défaillant existant à la date du suicide du supérieur hiérarchique de cette dernière en matière d'accès aux produits toxiques dangereux.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

La société Sanofi Aventis Recherche et Développement considère que la provision allouée par le jugement entrepris est trop importante.

Mme [I] fait état de ce qu'au regard du choc psychologique qu'elle a subi, la provision allouée est adaptée.

Le jugement entrepris n'a pas, dans ces motifs statué sur la provision sollicitée par Mme [I] laquelle, à hauteur d'appel, a fait l'objet d'un débat contradictoire.

S'agissant d'une omission de statuer, il y a lieu de compléter le jugement.

Au regard des séquelles importantes dont justifie Mme [I] qui a été en arrêt maladie pendant de longs mois après son accident du travail, il y a lieu de faire droit à sa demande de provision à hauteur de 5.000 euros.

Le jugement entrepris est confirmé pour le surplus la mission d'expertise prenant en compte la nature des préjudices indemnisables en matière de faute inexcusable.

Sur l'action récursoire de la caisse

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris de ce chef au vu de la pertinence de sa motivation.

Sur les dépens et les frais de procédure

Le jugement entrepris est confirmé de ces chefs.

A hauteur d'appel, la société Sanofi Aventis Recherche et Développement est condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Mme [I] la somme de 2.000 euros pour ses frais de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant, publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et en avoir délibéré :

DÉCLARE l'appel recevable ;

CONFIRME dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 12 juin 2019 ;

COMPLÉTANT le jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 12 juin 2019, CONDAMNE la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement à payer à Mme [J] [I] une provision de 5.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;

Y ajoutant :

CONDAMNE la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement aux dépens de la procédure d'appel ;

CONDAMNE la SA Sanofi Aventis Recherche et Développement à payer à Mme [J] [I] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés à hauteur d'appel.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : 4s
Numéro d'arrêt : 19/042501
Date de la décision : 07/04/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 12 juin 2019


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2022-04-07;19.042501 ?
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