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07/04/2022 | FRANCE | N°19/008411

France | France, Cour d'appel de colmar, 4s, 07 avril 2022, 19/008411


NH/FA

MINUTE No 22/310

NOTIFICATION :

Copie aux parties

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 07 Avril 2022

AVANT DIRE DROIT

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 19/00841 - No Portalis DBVW-V-B7D-HAJT

Décision déférée à la Cour : 20 Décembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du HAUT-RHIN

APPELAN

T :

Monsieur [T] [B]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représenté par Me Virginie VOILLIOT, avocat au barreau de COLMAR
(bénéficie d'une aide juridictionnelle ...

NH/FA

MINUTE No 22/310

NOTIFICATION :

Copie aux parties

Clause exécutoire aux :

- avocats
- parties non représentées

Le

Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION SB

ARRET DU 07 Avril 2022

AVANT DIRE DROIT

Numéro d'inscription au répertoire général : 4 SB No RG 19/00841 - No Portalis DBVW-V-B7D-HAJT

Décision déférée à la Cour : 20 Décembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du HAUT-RHIN

APPELANT :

Monsieur [T] [B]
[Adresse 1]
[Localité 6]

Représenté par Me Virginie VOILLIOT, avocat au barreau de COLMAR
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2019/006178 du 26/11/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de COLMAR)

INTIMÉES :

Société GARAGE DIETRICH
[Adresse 8]
[Localité 5]

Représentée par Me Loïc RENAUD, avocat au barreau de COLMAR

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU HAUT-RHIN
[Adresse 2]
[Localité 4]

Dispensée de comparution

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Février 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
Mme ARNOUX, Conseiller
Mme HERY, Conseiller
qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme WALLAERT, Greffier

ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre,
- signé par Mme FERMAUT, Magistrat honoraire, faisant fonction de Président de chambre et Mme WALLAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

Le 13 mai 2005, la SAS Garage Dietrich a établi, à fin de prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Haut-Rhin au titre de la législation professionnelle, une déclaration d'accident du travail dont son salarié, M. [T] [B], né le [Date naissance 7] 1957, mécanicien, avait été victime le même jour, le certificat médical initial faisant état d'un « traumatisme sonore bilatéral ».

La CPAM a accepté la prise en charge de cet accident du travail au titre de la législation professionnelle.

Le 18 mai 2015, M. [B] a adressé à la CPAM, pour prise en charge, un certificat médical de rechute liée à son accident du travail faisant état d'une « hypoacousie par blaste, avec aggravation des symptômes bilatéraux RG42 ».

La CPAM, après avis de son médecin conseil, par courrier du 6 juillet 2015, a notifié à M. [B] un refus de prise en charge au motif qu'il n'y avait pas de relation de cause à effet entre les faits invoqués et les lésions médicalement constatées par certificat médical.

Suite à l'expertise diligentée à la demande de M. [B], la CPAM, le 16 novembre 2015, a notifié à l'assuré son refus de lui accorder, à compter de la date de la rechute, l'indemnisation de l'arrêt de travail au titre de la législation professionnelle.

Le 6 novembre 2015, M. [B] a établi une déclaration de maladie professionnelle à fin de prise en charge par la CPAM au titre du tableau no42 des maladies professionnelles pour une hypoacousie bilatérale.

Le 11 août 2016, la caisse lui a notifié sa décision de prendre en charge son hypoacousie de perception au titre de la législation professionnelle (tableau no42).

Le 5 octobre 2016, la CPAM du Haut-Rhin lui a notifié la consolidation de son état de santé au 6 novembre 2015 avec un taux d'incapacité permanente de 20% et versement d'une rente.

Sur contestation de M. [B] devant le tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI) de Strasbourg, ce taux a été porté à 22% à compter du 7 novembre 2015.

Par courrier réceptionné le 15 février 2017 par la CPAM, M. [B] a demandé à la caisse de mettre en oeuvre la procédure de faute inexcusable à l'encontre de la société Garage Dietrich.

Faute de réponse de la société, cette demande a abouti à l'établissement de procès-verbaux de non conciliation.

Par courrier expédié le 11 septembre 2017, M. [B] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) du Haut-Rhin afin de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 20 décembre 2018, le TASS a :

–déclaré irrecevable la demande de reconnaissance de faute inexcusable formulée par M. [T] [B] ;

–dit n'y avoir lieu à dépens ;

–rejeté la demande formulée par M. [T] [B] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par courrier expédié le 11 février 2019, M. [B] a formé appel à l'encontre de ce jugement.

L'affaire a été appelée à l'audience du 10 février 2022, la CPAM du Haut-Rhin ayant été autorisée, sur sa demande, à ne pas y comparaître.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions reçues le 27 avril 2020, M. [B] demande à la cour de :

–déclarer son appel recevable et bien fondé ;

y faisant droit :

–infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau ;

–déclarer sa demande recevable et bien fondée ;

par conséquent :

–constater l'existence d'une faute inexcusable de la SAS Garage Dietrich dans la survenance de la maladie professionnelle dont il est affecté ;

–fixer au maximum la majoration de la rente versée au titre de la maladie professionnelle ;

avant dire droit :

–ordonner une expertise médicale dont il décrit la mission ;

–réserver ses droits à chiffrer les préjudices subis ;

–condamner la SAS Garage Dietrich à lui payer un montant de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

–la condamner aux entiers frais et dépens.

Aux termes de ses conclusions transmises par la voie électronique le 8 novembre 2021, la société Garage Dietrich demande à la cour de :

–dire et juger que la demande de M. [B] à hauteur de cour est irrecevable comme nouvelle en tout état de cause ;

–rejeter l'appel de M. [T] [B] ;

–confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

–condamner M. [B] à payer à la SAS Garage Dietrich la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses conclusions reçues le 22 octobre 2019, la CPAM du Haut-Rhin demande à la cour de :

–confirmer le jugement attaqué ;

–déclarer irrecevable la demande de reconnaissance de la faute inexcusable présentée par M. [T] [B] ;

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait déclarer recevable l'action engagée par M. [T] [B] :

–lui donner acte en ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour s'agissant de la reconnaissance de la faute inexcusable de la société Garage Dietrich ;

si la cour devait reconnaître l'existence de la faute inexcusable de l'employeur :

–lui donner acte de ce qu'elle s'en remet à la sagesse de la cour s'agissant des réparations qui pourraient être attribuées à M. [T] [B] au titre de l'article L.452–3 du code de la sécurité sociale ;

–condamner l'employeur fautif à lui rembourser conformément aux dispositions de l'article L.453-3 précité, le paiement des préjudices personnels qui pourraient être alloués à la victime.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées et soutenues oralement à l'audience du 10 février 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

M. [B] ayant accusé réception de la notification du jugement entrepris le 18 janvier 2019, son appel est recevable pour avoir été interjeté dans les forme et délai légaux.

Sur l'irrecevabilité de la demande de M. [B] formulée à hauteur d'appel

La société Garage Dietrich soutient que la demande de M. [B] tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable pour sa maladie professionnelle est irrecevable à hauteur d'appel pour être nouvelle.

Elle indique que M. [B] a saisi le TASS du Bas-Rhin en se référant expressément à l'échec de la conciliation qui lui a été notifiée par la CPAM « dans l'affaire de la maladie professionnelle du 13 mai 2005 », qu'elle s'est vu proposer une conciliation « à la suite de l'accident du travail dont il a été victime le 13 mai 2005 », de sorte qu'il est manifeste que la saisine du TASS portait sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur attachée à l'accident du 13 mai 2005 et non pas sur la maladie professionnelle qui lui a été reconnue en 2016. Elle ajoute que M. [B] a saisi le tribunal judiciaire de Mulhouse d'une demande tendant à faire constater que sa maladie professionnelle est la résultante d'une faute inexcusable de l'employeur tel que cela ressort de son annexe 11.

Elle souligne que M. [B] invoque une erreur de la CPAM sur ce point mais que, cependant, le courrier de M. [B] du 11 février 2017 fait référence à plusieurs reprises à son accident du travail du 13 mai 2005, sans évoquer, à un quelconque moment, sa maladie professionnelle et le fait que celle-ci aurait été provoquée par la faute inexcusable de son employeur, ce dont il se déduit que la CPAM n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle lui a adressé une notification de conciliation en se référant à l'accident du travail de M. [B] mais en a commis une en lui notifiant l'absence de conciliation dans cette affaire puisqu'elle se référait à la « maladie professionnelle du 13 mai 2005 ».

M. [B] répond que depuis le début, la demande de reconnaissance de faute inexcusable a été faite pour la maladie professionnelle du 11 août 2016, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle en appel.

Aux termes des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'analyse du jugement entrepris permet de constater qu'il s'est positionné sur le point de savoir si la demande de faute inexcusable portait sur l'accident du travail ou la maladie professionnelle, ce qui témoigne de ce que la demande de M. [B] tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable en lien avec sa maladie professionnelle était déjà dans les débats en première instance et n'est donc pas nouvelle à hauteur d'appel, ce qui la rend recevable.

Sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société Garage Dietrich dans la maladie professionnelle de M. [B]

A hauteur d'appel, M. [B] demande explicitement que la faute inexcusable de son employeur soit reconnue non pas pour son accident du travail mais pour sa maladie professionnelle, ce qui fixe l'objet du litige, de sorte qu'il n'y a pas lieu de se prononcer sur les développements en lien avec l'accident du travail et notamment la prescription soulevée et qu'il y a lieu de donner acte à M. [B] de ce qu'il ne demande plus à hauteur d'appel la reconnaissance de la faute inexcusable de la SAS Garage Dietrich concernant l'accident du travail dont il a été victime le 13 mai 2005.

Sur la prescription

Se prévalant des dispositions de l'article L.431-2 du code de la sécurité sociale, la société Garage Dietrich considère que l'action de M. [B] en lien avec sa maladie professionnelle est prescrite.

Elle précise qu'après que la CPAM a reconnu le caractère professionnel de la maladie le 11 août 2016, M. [B] n'a écrit qu'une fois à la CPAM, le 11 février 2017 pour son accident survenu le 13 mai 2005 et non pour sa maladie professionnelle et que le courrier de notification de non-conciliation du 6 février 2018 procède d'une erreur puisque la CPAM ne pouvait faire référence à la maladie professionnelle de M. [B] qui ne l'avait pas évoquée dans sa demande de conciliation.

Elle ajoute que la saisine de la CPAM d'une requête tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur pour l'accident du travail n'a pas pu avoir d'effet interruptif de prescription pour sa maladie professionnelle.

M. [B] répond que la prescription pour la maladie professionnelle n'est pas acquise puisque sa demande date du 11 septembre 2017.

Aux termes des dispositions de l'article L.431-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable aux faits de l'espèce, les droits de la victime aux prestations et indemnités prévues au livre 4 sur les accidents du travail et les maladies professionnelles se prescrivent par deux ans à dater du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière, cette prescription étant soumise aux règles de droit commun.

L'article L.461-1 du même code précise qu'en ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.

La CPAM a notifié à M. [B] une date de consolidation de son état de santé au 6 novembre 2015. La consolidation entraînant la cessation du versement des indemnités journalières, cette date du 6 novembre 2015 constitue le point de départ du délai de prescription de deux ans.

Il est de principe que la saisine de la caisse aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable interrompt le cours de la prescription biennale de l'article L.431-2 du code de la sécurité sociale.

M. [B] justifie de ce qu'il a adressé à la CPAM du Haut-Rhin un courrier daté du 11 février 2017 aux termes duquel il lui demande d'engager la procédure de faute inexcusable.

Force est de constater que M. [B] n'y vise que son accident du travail du 13 mai 2015 et sa rechute et non sa maladie professionnelle, de sorte que ce courrier ne produit pas d'effet interruptif de la prescription.

L'acte de saisine du TASS du 11 septembre 2017 ne produit pas plus cet effet puisque s'il vise la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, il ne précise pas qu'elle est sollicitée au titre de la maladie professionnelle et se réfère au courrier envoyé par la CPAM valant notification de non conciliation lequel évoque une maladie professionnelle du 13 mai 2005 alors que cette date correspond à l'accident du travail,

ce courrier faisant suite à la saisine de la CPAM pour mettre en oeuvre la procédure de reconnaissance de faute inexcusable que M. [B] a formalisée par courrier du 11 février 2017 déjà évoqué et auquel il est renvoyé.

Il convient donc de déterminer à quelle date, devant le TASS, M. [B] a formalisé sa demande de reconnaissance de faute inexcusable de son employeur pour sa maladie professionnelle, étant rappelé que la procédure y est orale.

Le jugement entrepris renvoie aux conclusions de la société Garage Dietrich dont la date de réception est le 7 septembre 2018 -d'après le cachet du tribunal y apposé- les conclusions étant datées du 4 septembre 2018. Leur analyse permet de constater qu'en page 5, la société Garage Dietrich indique « la lettre du 11 février 2017 ne prouve pas que la MP serait liée à une quelconque faute inexcusable de la SAS ».

A l'évidence, la société Garage Dietrich répond au moyen que M. [B] soulève dans ses conclusions reçues le 13 octobre 2017 où il évoque la « requalification de l'accident du travail en maladie professionnelle par la caisse ».

La demande de faute inexcusable en lien avec la maladie professionnelle doit donc être fixée à la date du 13 octobre 2017, de sorte que la prescription n'était pas acquise à cette date.

La demande de M. [B] tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle est recevable.

Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef.

Sur l'existence de la faute inexcusable

M. [B] soutient que son employeur a commis une faute inexcusable ayant provoqué sa maladie professionnelle.

Il expose que la société Garage Dietrich n'a pas de DUERP (document unique d'évaluation des risques professionnels), que le médecin du travail avait préconisé un reclassement dans un environnement sonore meilleur, ce qui démontre que ses conditions de travail sont à l'origine de sa maladie professionnelle, étant souligné que son employeur n'a pas contesté l'origine de sa maladie professionnelle.

Il ajoute que sa passion pour la moto n'y est pour rien et qu'il n'est pas le seul salarié de la société à être atteint de cette maladie professionnelle.

La société Garage Dietrich conteste les allégations de M. [B] sur le non-respect des règles de sécurité et souligne que l'intéressé ne rapporte pas la preuve de sa faute inexcusable.

Aux termes du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Par application des dispositions combinées des articles L.452-1 du code de la sécurité sociale, L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été l'origine déterminante de la maladie contractée par le salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que sa responsabilité soit engagée, alors même que d'autres fautes y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir de celui-ci. La conscience du danger s'apprécie au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

En l'espèce, il convient de relever que M. [B] a déclaré à la CPAM une maladie professionnelle à savoir une hypoacousie de perception, cette pathologie relevant du tableau no42 des maladies professionnelles correspondant aux atteintes auditives provoquées par les bruits lésionnels supposant une durée d'exposition d'un an réduite à trente jours en ce qui concerne la mise au point des propulseurs, réacteurs et moteurs thermiques et à une liste limitative de travaux comportant une exposition aux bruits lésionnels.

Le tableau no42 existe depuis le 10 avril 1963 et liste des travaux qui s'exécute dans les garages automobiles, de sorte que la société Garage Dietrich avait nécessairement conscience du danger auquel M. [B] était exposé, ce qui est conforté par l'accident du travail dont ce dernier a été victime le 13 mai 2005, suite à la rupture d'un tuyau d'air qualifié de traumatisme sonore aigu par le corps médical.

M. [B] produit une attestation de M. [W] [P] qui a également travaillé comme mécanicien au sein du Garage Dietrich de 1980 à 2013 et qui fait état de ce qu'au même titre que M. [B] avec qui il travaillait, il a été exposé au bruit provenant de sources diverses : gros compresseur moteur à côté du poste de travail non isolé, karcher, grosses déboulonneuses, turbines ventilateurs de peinture, carrosserie. Il signale l'absence de casques pour le bruit, de prévention en matière d'hygiène et de sécurité et que ce n'est qu'en 2017 que chaque ouvrier a reçu un casque de protection contre le bruit.

M. [B] produit également un courrier adressé par le contrôleur du travail à la société Garage Dietrich le 28 février 2011 dont il ressort que cette dernière lui a donné une réponse évasive sur les équipements de protection individuelle, ne lui a pas produit le document d'évaluation des risques en arguant d'une mise à jour en cours, ce qui démontre un dilettantisme certain de la société Garage Dietrich en matière de sécurité de ses salariés.

Considérant que M. [B] établit que la société Garage Dietrich avait conscience du danger auquel il était exposé et justifie qu'elle n'a pas pris les mesures pour le protéger, la faute inexcusable de cette dernière est retenue.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

* Sur la majoration de la rente

M. [B] demande de fixer au maximum la majoration de la rente versée au titre de la maladie professionnelle.

La société Garage Dietrich s'y oppose faisant valoir que rien ne justifie que cette majoration soit fixée au maximum, M. [B] ne donnant aucune explication à ce sujet et ne précisant pas s'il a perçu un capital ou une rente.

M. [B] justifie que suite à la décision du TCI, la CPAM lui a notifié, le 16 octobre 2017, une rectification quant à son taux d'IPP et corrélativement quant au montant de la rente dont il bénéficie.

Seule la faute inexcusable de la victime, entendue comme une faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, est susceptible d'entraîner une diminution de la majoration de la rente.

La faute inexcusable de l'employeur étant reconnue à l'exclusion de toute faute de même nature de la victime, il convient d'ordonner la majoration au taux maximal légal de la rente servie en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale.

Cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle reconnu à la victime.

* Sur les préjudices personnels

Aux termes de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

En cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime peut demander à celui-ci réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

En outre, il est de principe que la victime, en cas de faute inexcusable n'est pas en droit de de se voir indemniser des préjudices déjà couverts par ailleurs, à savoir :

· le déficit fonctionnel permanent (couvert par L.431-1, L.434-1 et L.452-2),

· les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L.431-1 et suivants, L.434-2 et suivants),

· l'incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l'allocation d'un capital ou d'une rente d'accident du travail (L.431-1 et L.434-1) et par sa majoration (L.452-2),

· l'assistance d'une tierce personne après consolidation (couverte par l'article L.434-2 alinéa 3),

· les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.

En revanche, la victime est en droit de prétendre notamment à l'indemnisation, outre celle des chefs de préjudice expressément visés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, à celle :

· du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire,

· des dépenses liées à la réduction de l'autonomie, y compris les frais de logement ou de véhicule adapté, et le coût de l'assistance d'une tierce personne avant consolidation,

· du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d'agrément.

L'évaluation des préjudices nécessitant dans le cas d'espèce une expertise médicale, il y a lieu de l'ordonner sur cette base, selon les modalités précisées dans le dispositif du présent arrêt.

La CPAM fera l'avance des frais d'expertise, en application des dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

* Sur l'action récursoire de la CPAM

En application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices alloués à la victime d'une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l'employeur, indépendamment de la majoration de la rente, est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

En l'espèce, la CPAM est donc fondée à recouvrer à l'encontre de la société Garage Dietrich le montant des indemnisations complémentaires qui seront éventuellement accordées postérieurement ainsi que la majoration de la rente.

Sur les dépens et les frais de procédure

Le jugement entrepris est infirmé sur les frais de procédure.

La société Garage Dietrich est condamnée à payer à M. [B] la somme de 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais exposés devant le TASS.

Les dépens et frais de procédure afférents à la procédure d'appel sont réservés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe après en avoir délibéré,

DÉCLARE l'appel de M. [T] [B] recevable ;

DONNE acte à M. [T] [B] de ce qu'il ne demande plus à hauteur d'appel la reconnaissance de la faute inexcusable de la SAS Garage Dietrich concernant l'accident du travail dont il a été victime le 13 mai 2005 ;

INFIRME le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du Haut-Rhin du 20 décembre 2018 en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable la demande de reconnaissance de faute inexcusable formulée par M. [T] [B] ;

- rejeté la demande formulée par M. [T] [B] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONFIRME pour le surplus le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du Haut-Rhin du 20 décembre 2018 ;

Statuant de nouveau sur les seuls points infirmés et y ajoutant :

DÉCLARE recevable la demande de reconnaissance de faute inexcusable formulée par M. [T] [B] à l'encontre de la SAS Garage Dietrich en lien avec sa maladie professionnelle « hypoacousie de perception » ;

DIT que la maladie professionnelle hypoacousie de perception du 6 novembre 2015 dont M. [T] [B] est atteint est due à la faute inexcusable de son employeur, la société Garage Dietrich ;

FIXE la majoration de la rente au maximum ;

Avant-dire droit sur la liquidation des préjudices subis par M. [T] [B], ordonne une expertise judiciaire et désigne pour y procéder le docteur [Y] [L] Institut médico-légal [Adresse 3] avec pour mission de :

1o) Convoquer les parties et recueillir leurs observations ;

2o) Se faire communiquer par les parties tous documents médicaux relatifs à la maladie ;

3o) Fournir le maximum de renseignements sur l'identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d'études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à la maladie ;

4o) A partir des déclarations de la victime et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, la nature et le nom de l'établissement, le ou les services concernés et la nature des soins ;

5o) Retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et, si nécessaire, reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaître les lésions initiales et les principales étapes de l'évolution ; prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits ;

6o) Décrire un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;

7o) Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

8o) Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l'autonomie et, lorsque la nécessité d'une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité en particulier :

- indiquer si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation en décrivant avec précision les besoins (nature de l'aide apportée, niveau de compétence technique, durée d'intervention quotidienne ou hebdomadaire) ;

- lorsque la nécessité de dépenses liées à la réduction de l'autonomie (frais d'aménagement du logement, frais de véhicule adaptés, aide technique, par exemple) sont alléguées, indiquer dans quelle mesure elles sont susceptibles d'accroître l'autonomie de la victime ;

9o) Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par l'accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles ; si l'incapacité fonctionnelle n'a été que partielle, en préciser le taux ;

10o) Lorsque la victime allègue une répercussion dans l'exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances et les analyser, étant rappelé que pour obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, la victime devra rapporter la preuve que de telles possibilités pré-existaient ;

11o) Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation) du fait des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles ; les évaluer selon l'échelle de sept degrés ; précisant s'il est temporaire (avant consolidation) ou définitif ; l'évaluer selon l'échelle de sept degrés ;

12o) Lorsque la victime allègue une impossibilité ou des difficultés pour se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette gêne et son caractère définitif, sans prendre position sur l'existence ou non d'un préjudice afférent à cette allégation ;

13o) Dire s'il existe un préjudice sexuel et l'évaluer ; le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la morphologie, l'acte sexuel proprement dit (difficultés, perte de libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction) ;

14o) Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission ;

DIT que l'expert fera connaître sans délai son acceptation, qu'en cas de refus ou d'empêchement légitime, il sera pourvu aussitôt à son remplacement ;

DIT que l'expert pourra s'entourer de tous renseignements utiles auprès notamment de tout établissement hospitalier où la victime a été traitée sans que le secret médical ne puisse lui être opposé ;

DIT que l'expert rédigera, au terme de ses opérations, un pré-rapport qu'il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum d'un mois ;

DIT qu'après avoir répondu de façon appropriée aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti ci-dessus, l'expert devra déposer au greffe du pôle social (section sécurité sociale) de la cour d'appel de Colmar un rapport définitif en double exemplaire dans le délai de six mois à compter de sa saisine ;

DIT que l'expert en adressera directement copie aux parties ou à leurs conseils ;

FIXE à 700 euros (HT) les frais d'expertise et DIT que cette somme sera avancée par la CPAM du Haut-Rhin qui en récupérera le montant auprès de la société Garage Dietrich ;

DÉSIGNE la présidente de la section SB -chambre sociale- pour suivre les opérations d'expertise ;

DIT que la CPAM du Haut-Rhin versera directement à M. [T] [B] les sommes dues au titre de la majoration de la rente et de l'indemnisation complémentaire ;

DIT que la CPAM du Haut-Rhin pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir et majoration accordée à M. [T] [B] à l'encontre de la SAS Garage Dietrich et CONDAMNE cette dernière à ce titre, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise à la CPAM du Haut-Rhin ;

CONDAMNE la SAS Garage Dietrich à payer à M. [T] [B] une somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais de procédure exposés devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Haut-Rhin ;

RÉSERVE les dépens et les frais de procédure de la procédure d'appel ;

RENVOIE l'affaire à l'audience d'instruction du :

Jeudi 5 Janvier 2023 à 14h00 salle 32

DIT que la notification du présent arrêt vaut convocation des parties à ladite audience de renvoi,

et DIT que les parties devront avoir déposé leurs conclusions et pièces quinze jours avant cette audience.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : 4s
Numéro d'arrêt : 19/008411
Date de la décision : 07/04/2022
Sens de l'arrêt : Autre décision avant dire droit

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2022-04-07;19.008411 ?
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