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28/01/2016 | FRANCE | N°14/02231

France | France, Cour d'appel de colmar, Ct0202, 28 janvier 2016, 14/02231


COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 28 janvier 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 14/02231
Décision déférée à la Cour : jugement du 24 mars 2014 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTE et demanderesse :
La SNCF prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 34 rue du Commandant René Mouchotte 75014 PARIS
représentée par la SCP CAHN et ASSOCIÉS, avocats à COLMAR

INTIMÉE et défenderesse :
La S.A. ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL (ACM) IARD prise e

n la personne de son représentant légal ayant son siège social 34 rue du Wacken 67000 STRASBOURG
représe...

COUR D'APPEL DE COLMAR

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE - SECTION A
ARRÊT DU 28 janvier 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 A 14/02231
Décision déférée à la Cour : jugement du 24 mars 2014 du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de STRASBOURG

APPELANTE et demanderesse :
La SNCF prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 34 rue du Commandant René Mouchotte 75014 PARIS
représentée par la SCP CAHN et ASSOCIÉS, avocats à COLMAR

INTIMÉE et défenderesse :
La S.A. ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL (ACM) IARD prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social 34 rue du Wacken 67000 STRASBOURG
représentée par Maître SENGELEN-CHIODETTI, avocat à COLMAR plaidant : Maître EHRESMANN, avocat à STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 décembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Bernard POLLET, Président, et Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Bernard POLLET, Président Madame Isabelle DIEPENBROEK, Conseiller Monsieur Olivier DAESCHLER, Conseiller qui en ont délibéré.
Greffier ad hoc, lors des débats : Madame Valérie ALVARO

ARRÊT Contradictoire - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile. - signé par Monsieur Bernard POLLET, Président et Madame Valérie ALVARO, greffier ad hoc, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le 9 décembre 2009 à 12 heures 16, un véhicule conduit par Mme Joséphine X..., épouse Y..., a été heurté par un train sur un passage à niveau situé à Dachstein (Bas-Rhin).
Il ressort de l'enquête de gendarmerie que le véhicule s'est engagé sur le passage à niveau alors que les signaux lumineux et sonores étaient en fonctionnement, et les barrières baissées.
La conductrice a été tuée et les Assurances du Crédit Mutuel (ACM), assureur du véhicule, ont pris en charge l'indemnisation de ses ayants droit.
La SNCF a sollicité le paiement des dommages causés au matériel ferroviaire auprès des ACM, qui lui ont opposé la compensation avec leur propre créance au titre de l'indemnisation des ayants droit de la victime.
Par jugement en date du 24 mars 2014, le tribunal de grande instance de Strasbourg a
- dit que Mme Joséphine X..., épouse Y..., a commis une faute d'imprudence ou d'inattention en continuant à circuler alors qu'elle était éblouie par le soleil, - exonéré partiellement la responsabilité de la SNCF et retenu cette responsabilité que dans une proportion de 50 %, - condamné les ACM à payer à la SNCF la somme de 62 410,74 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 août 2010, - condamné la SNCF à payer aux ACM la somme de 27 143,58 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 4 août 2010, - ordonné la compensation entre les deux créances, - débouté chaque partie de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, - fait masse des dépens qui seront partagés par moitié par les ACM et par moitié par la SNCF, - ordonné l'exécution provisoire du jugement, - débouté toutes les parties pour le surplus.

Le tribunal a considéré que la conductrice du véhicule avait commis une faute irrésistible pour la SNCF, mais non imprévisible, exonérant la SNCF de la responsabilité pesant sur elle en vertu de l'article 1384, alinéa premier, du code civil, dans la proportion de moitié.
Il en a déduit que la SNCF devait payer la moitié de la créance des ACM et celles-ci la moitié de la créance de la SNCF.

La SNCF a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 30 avril 2014.
Elle demande à la cour d'infirmer la décision déférée et de
- donner acte à la partie adverse de son absence de contestation sur le montant revendiqué par la SNCF, soit 124 821,48 euros, et la condamner en conséquence au paiement de cette somme, ainsi que des intérêts au taux légal à compter du 6 août 2010, - rejeter dans son intégralité la demande reconventionnelle des ACM, - condamner les ACM aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SNCF fait valoir que sa demande est fondée sur les dispositions de la loi du 5 juillet 1985, que les ACM y ont acquiescé et que le premier juge ne pouvait dès lors n'y faire droit que pour moitié.
Sur la demande reconventionnelle des ACM, fondée sur les dispositions de l'article 1384, alinéa premier, du code civil, la SNCF soutient qu'elle doit être exonérée en totalité, dès lors que la faute de la victime présentait les caractères de la force majeure, étant non seulement irrésistible, mais aussi imprévisible.
Les ACM concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a limité à 50 % l'indemnisation de la SNCF, mais à sa réformation en ce qu'il a aussi limité leur propre indemnisation dans la même proportion. Formant appel incident sur ce dernier point, elles sollicitent la condamnation de la SNCF à leur payer la somme de 54 287,17 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 4 août 2010.
Les ACM font valoir qu'en ne ralentissant pas son allure, le conducteur du train a commis une faute justifiant la réduction de l'indemnisation de la SNCF à hauteur de 50 % .
Elles contestent la faute reprochée à la conductrice du véhicule, au motif que celle-ci a été éblouie par le soleil, et soutiennent que la SNCF est en conséquence tenue à indemnisation intégrale. Elles ajoutent qu'en toute hypothèse, la faute de la victime, n'étant pas imprévisible, ne peut exonérer la SNCF de sa responsabilité.
Les ACM réclament une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises à la cour par voie électronique
- le 4 février 2015 pour la SNCF, - le 22 septembre 2014 pour les ACM.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance en date du 10 novembre 2015.

MOTIFS

Le premier juge s'est prononcé sur la responsabilité de la SNCF, c'est-à-dire sur la demande reconventionnelle des ACM, sans examiner la responsabilité de la conductrice du véhicule, sur laquelle était fondée la demande principale de la SNCF.
La demande principale et la demande reconventionnelle reposent sur des fondements juridiques différents, la loi du 5 juillet 1985 étant applicable à la demande formée contre les ACM, en qualité d'assureur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans l'accident, mais non à la demande formée contre la SNCF, les chemins de fers étant exclus du domaine d'application de cette loi.
Les deux demandes doivent donc être examinées séparément.
Sur la demande principale de la SNCF
Dans les courriers échangés avec la SNCF ainsi que dans leurs conclusions de première instance, les ACM ont déclaré ne pas contester la réclamation de la SNCF, ni dans son principe, ni dans son quantum.
Le premier juge ne pouvait, dès lors, réduire cette réclamation, et les ACM sont irrecevables à solliciter, en cause d'appel, une telle réduction.
Au surplus, le droit à indemnisation de la SNCF ne pourrait être réduit que par application des dispositions de l'article 5 de la loi du 5 juillet 1985, selon lesquelles la faute commise par la victime a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages aux biens qu'elle a subis.
Or, aucune faute n'est établie à l'encontre de la SNCF. Il ne saurait, notamment, être reproché au conducteur du train, préposé de la SNCF, de ne pas avoir ralenti, alors qu'il ressort de l'enregistrement ATESS qu'il circulait à la vitesse normale et autorisée de 120 km/h, qu'il a actionné l'avertisseur sonore du train 250 mètres avant le passage à niveau, qu'il a commencé à freiner 50 mètres avant ce passage, lorsqu'il a vu le véhicule s'engager sur celui-ci, et que le train ne s'est immobilisé que 490 mètres après le passage à niveau.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a réduit de moitié l'indemnisation de la SNCF, dont la demande doit être intégralement accueillie.
Sur la demande reconventionnelle des ACM
La présomption de responsabilité pesant, en vertu de l'article 1384, alinéa premier, sur le gardien de la chose qui a été l'instrument du dommage, est écartée en cas de faute de la victime présentant les caractères de la force majeure, c'est-à-dire lorsque cette faute est irrésistible et imprévisible pour le gardien.
Si la faute de la victime ne présente pas ces caractères, il y a lieu à exonération partielle du gardien.
En l'espèce, la faute de la conductrice du véhicule a été irrésistible pour le conducteur du train, qui ne pouvait rien faire pour éviter la collision entre le train lancé à 120 km/h et le véhicule automobile ayant fait irruption sur la voie ferrée en franchissant les barrières du passage à niveaux qui s'étaient abaissées.
Toutefois, un tel événement ne peut être considéré comme totalement imprévisible pour la SNCF, l'hypothèse d'un conducteur s'engageant sur le passage à niveau malgré le fonctionnement des signaux sonores et lumineux et malgré l'abaissement des barrières pouvant toujours se produire, que ce soit par indiscipline, s'agissant d'un conducteur ne voulant pas perdre de temps en restant immobilisé au passage à niveau, ou par inattention, tel le cas d'un conducteur s'endormant au volant, ou par suite de circonstances particulières, comme cela a vraisemblablement été le cas en l'espèce, la conductrice ayant, selon les témoins, été éblouie par le soleil.
Par conséquent, la faute de la victime ne peut exonérer totalement la SNCF.
Toutefois, cette faute a été d'une particulière gravité, car, même en retenant l'hypothèse d'un éblouissement par le soleil, un conducteur normalement attentif aurait du percevoir les signaux lumineux et sonores du passage à niveau, voir les barrières s'abaisser et entendre l'avertisseur sonore du train. Au surplus, le passage à niveau est annoncé par des panneaux et la victime connaissait les lieux, situés sur un parcours qu'elle empruntait fréquemment.
La gravité de la faute de la victime conduit à limiter à 25 % la responsabilité de la SNCF. Celle-ci sera donc condamnée à payer aux ACM la somme de 54 287,17 x 25 % = 13 571,79 euros.
Sur les demandes accessoires
Les créances réciproques des parties consistent en des indemnités. Conformément à l'article 1153-1 du code civil, elles seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Les ACM, qui succombent en plus grande part, seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la SNCF, ces condamnations emportant nécessairement rejet de la propre demande des ACM tendant à être indemnisées de leurs frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique,
INFIRME le jugement rendu le 24 mars 2014 par le tribunal de grande instance de Strasbourg ;
Statuant à nouveau,
CONDAMNE les Assurances du Crédit Mutuel à payer à la SNCF la somme de 124 821,48 € (cent vingt quatre mille huit cent vingt et un euros et quarante huit centimes), avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
CONDAMNE la SNCF à payer aux Assurances du Crédit Mutuel la somme de 13 571,79 € (treize mille cinq cent soixante et onze euros et soixante dix-neuf centimes), avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
CONDAMNE les Assurances du Crédit Mutuel à payer à la SNCF la somme de 3 000 € (trois mille euros) au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la SNCF tant en première instance qu'en cause d'appel ;
REJETTE la demande des Assurances du Crédit Mutuel fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE les Assurances du Crédit Mutuel aux dépens de première instance et d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de colmar
Formation : Ct0202
Numéro d'arrêt : 14/02231
Date de la décision : 28/01/2016

Analyses

"Le droit à indemnisation de la SNCF pour les dommages aux biens qu'elle a subis lors d'une collision entre un train et un véhicule automobile à un passage à niveau, ne peut être réduit en application de l'article 5 de la loi du 5 juillet 1985, en l'absence de preuve d'une faute imputable au conducteur du train" "La faute de la conductrice du véhicule automobile, qui s'est engagée sur le passage à niveau alors que les barrières étaient baissées et que le signal sonore retentissait, ne constitue pas un cas de force majeure dans la mesure où, si elle est irrésistible, elle n'est pas totalement imprévisible pour la SNCF, mais justifie, du fait de sa particulière gravité, la limitation du droit à réparation de la victime sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du code civil"


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Strasbourg, 24 mars 2014


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.colmar;arret;2016-01-28;14.02231 ?
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