MINUTE N° 440/2008
Copie exécutoire à :
- Mes WETZEL et FRICK
- la SCP WEMAERE et LEVEN
COUR D'APPEL DE COLMARDEUXIEME CHAMBRE CIVILE - SECTION B
ARRET DU 16 Mai 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 2 B 06/00945
Décision déférée à la Cour : 17 Janvier 2006 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STRASBOURG
APPELANTE et demanderesse :
LA CAISSE DE CREDIT MUTUEL "CCM" DE LA BASSE ZORN, dont le siège social est 74, Rue de la République à 67720 HOERDT, agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice domicilié ès qualités audit siège,
Représentée par Mes WETZEL et FRICK, Avocats à la Cour,Plaidant : Me Grégoire FAURE, Avocat à STRASBOURG,
INTIME et défendeur :
Maître Jean-Pierre Y..., demeurant ... à 67610 LA WANTZENAU,
Représenté par la SCP WEMAERE et LEVEN, Avocats à la Cour,
COMPOSITION DE LA COUR :L'affaire a été débattue le 05 Mars 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :M. LEIBER, Président,Mme SCHIRER, Conseiller,Mme MITTELBERGER, Conseiller,qui en ont délibéré.
Greffier ad'hoc, lors des débats : Mme DOLLE
ARRET :- Contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.- signé par M. Adrien LEIBER, président et Mme Astrid DOLLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
- Ouï M. LEIBER, Président, en son rapport.
Selon acte authentique reçu le 23 mars 1989 par Maître Jean-Pierre Y..., notaire à LA WANTZENAU, la Caisse de Crédit Mutuel de HOERDT, devenue entre-temps la CCM de la BASSE ZORN, a accordé aux époux Z... un prêt professionnel de 300.000 F dont le remboursement était garanti notamment par l'engagement de la Sà RL PINOCCHIO en qualité de caution réelle, donnant en nantissement son fonds de commerce.
A la suite de la défaillance des débiteurs principaux en 1993 la banque a tenté de réaliser la garantie ainsi constituée, mais ce nantissement a été annulé par jugement du 10 septembre 1998, confirmé par arrêt de la Cour d'Appel du 23 janvier 2001, par application de l'article 51 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 223-31 du Code de commerce.
Par assignation signifiée le 22 décembre 2003 la CCM de la BASSE ZORN, estimant que Maître Y... avait commis une faute en manquant à son obligation d'information et de conseil et en ne s'assurant pas de l'efficacité de son acte, a conclu à sa condamnation à lui payer la somme de 97.330,14 € à titre de dommages et intérêts, outre une indemnité de procédure de 2.000 €.
Par jugement du 17 janvier 2006 le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a considéré que la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4-1 du Code de commerce, courant à compter du fait dommageable, soit de la date de l'acte litigieux, était acquise au 23 mars 1999 et que Maître Y... n'avait jamais renoncé à cette prescription postérieurement à cette date, et en conséquence a déclaré la CCM demanderesse irrecevable en ses fins et conclusions.
Par déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 15 février 2006 la Caisse de Crédit Mutuel de la BASSE ZORN a interjeté appel de ce jugement.
Selon conclusions finales du 9 octobre 2007 elle soutient que la prescription décennale de l'article L. 110-4-1 du Code de commerce devait être combinée avec les dispositions de l'article 2270-1 du Code civil édictant une prescription de même durée mais dont le point de départ se situe à la date de la réalisation du dommage,- qu'en tout état de cause l'acte notarié du 23 mars 1989 n'avait pas produit d'effet dommageable avant que ne soit prononcée judiciairement la nullité du nantissement du fonds de commerce de la Sà RL PINOCCHIO,- qu'elle ne pouvait pas agir préventivement, à défaut d'un intérêt né et actuel à agir contre le notaire avant que son préjudice ne soit constitué,- que le délai de prescription était nécessairement suspendu tant qu'aucune décision définitive n'était rendue quant à la validité de la garantie constituée,- qu'à titre subsidiaire elle relève que Maître Y... avait implicitement admis sa responsabilité sans opposer aucune contestation ou objection quant à la prescription en transmettant le courrier de son conseil du 21 août 2001 à la Chambre des Notaires du BAS-RHIN, renonçant ainsi à la prescription prétendument acquise à cette date.
Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement entrepris et à la condamnation de Maître Y..., responsable du préjudice subi du fait de la nullité du nantissement litigieux, à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 97.330,14 € réclamée en première instance (étant observé que le dispositif des conclusions d'appel est affecté d'une erreur matérielle dont il n'y a pas lieu de tenir compte), ainsi qu'une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens de la procédure.
Par conclusions du 3 mai 2007 Maître Jean-Pierre Y... réplique que c'est bien la prescription décennale de l'article L. 110-4-1 du Code de commerce qui doit trouver application et que le point de départ de ce délai se situe à la date de la faute commise par le notaire, soit en l'espèce le 23 mars 1989,- que la banque appelante n'était pas dans l'impossibilité d'agir avant l'expiration de ce délai, et qu'il lui appartenait pour le moins d'engager la procédure dès que le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a annulé le nantissement par son jugement du 10 septembre 1998,- que l'action engagée seulement le 22 décembre 2003 est bien prescrite et irrecevable,- qu'il n'est pas sérieux de prétendre que le notaire aurait renoncé à la prescription en incitant la banque à interjeter appel du jugement de 1998, ni même en transmettant le dossier à la Chambre des Notaires et à son assureur.
Il conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement, en sollicitant une indemnité de procédure de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture du 17 janvier 2008 ;
Vu le dossier de la procédure et les documents annexes versés aux débats ;
Attendu que s'il n'est pas contesté que la prescription décennale prévue par l'article L. 110-4 du Code de commerce s'applique à toutes les obligations nées à l'occasion de l'activité commerciale d'une banque, même si elle est de statut civil, il convient de relever que cette disposition ne précise pas le point de départ de ce délai de prescription ;
Attendu que s'agissant d'une action en responsabilité contre un notaire, la prescription ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de sa révélation, ainsi qu'il a été jugé par plusieurs arrêts rendus par la Cour de Cassation au visa de l'article L. 110-4 du Code de commerce :
Com. 27/09/2005 no 02-21.045,Com. 28/03/2006 no 04-15.506,Civ. 1re 12/07/2007 no 05-20091 ;
Attendu qu'en l'espèce le dommage subi par la CCM ne résultait pas de l'acte notarié lui-même, mais de l'annulation du nantissement par le jugement du 10 septembre 1998 confirmé par l'arrêt du 23 janvier 2001, privant la banque de la garantie constituée sur le fonds de commerce de la Sà RL PINOCCHIO ;
Attendu qu'en conséquence le délai de prescription décennal n'ayant commencé à courir, au plus tôt, qu'à compter du jugement précité de 1998, l'action de la banque engagée le 22 décembre 2003 n'était pas prescrite ;
Attendu que sur le fond l'erreur fautive commise par Maître Y... n'est ni contestée ni contestable au vu des décisions intervenues annulant le nantissement qui devait garantir la créance de la banque ;
Attendu qu'il n'est pas davantage contesté que l'hypothèque de 2ème rang constituée sur les biens des époux Z... n'a pas non plus permis de désintéresser la CCM et que les époux Z... sont eux-mêmes devenus totalement insolvables ;
Attendu qu'en conséquence la nullité du nantissement a fait perdre à la banque toute chance de recouvrer sa créance ;
Attendu que la valeur du fonds de commerce nanti n'a certes pas été précisée, mais que la Cour doit constater que le montant de la créance revendiquée, soit au total 97.330,14 €, intérêts compris, n'a fait l'objet d'aucune contestation de la partie adverse,- que ce montant doit donc être retenu à titre de dommages et intérêts.
PAR CES MOTIFS
DÉCLARE l'appel recevable et bien fondé,
INFIRME le jugement rendu le 17 janvier 2006 par le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG,
Et statuant à nouveau :
REJETTE l'exception de prescription de l'action,
DÉCLARE Maître Jean-Pierre Y... entièrement responsable du préjudice subi par la Caisse de Crédit Mutuel de la BASSE ZORN du fait de la nullité du nantissement du fonds de commerce de la Sà RL PINOCCHIO,
CONDAMNE Maître Y... à payer à la CCM de la BASSE ZORN la somme de 97.330,14€ (quatre vingt dix sept mille trois cent trente euros et quatorze cents) à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'une somme de 3.000 € (trois mille euros) par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE Maître Y... aux entiers dépens de première instance et d'appel.