MINUTE N° 316/2008
Copie exécutoire à
- Me Julien ZIMMERMANN
- Me Claude LEVY
- Me Serge ROSENBLIEH
COUR D'APPEL DE COLMARPREMIERE CHAMBRE CIVILE - SECTION B
ARRET DU 07 Mai 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 1 B 08/02047
Décision déférée à la Cour : 21 Avril 2008 par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE A COMPETENCE COMMERCIALE DE COLMAR
Défenderesse et APPELANTE :S.A. SC GALEC - GROUPEMENTS D'ACHATS DES CENTRES E. LECLERC26 quai Marcel Boyer 94200 IVRY SUR SEINE
représentée par Me Julien ZIMMERMANN, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me PARLEANI, avocat à PARIS
Demanderesse et INTIMEE :SAS UNIVERS PHARMARCIE79A route de Neuf Brisach 68000 COLMAR
représentée par Me Claude LEVY, avocat à la Cour Avocat plaidant : Me ALLOUCHE, avocat à COLMAR
Intervenantes volontaires et INTIMEES :UNION NATIONALE DES PHARMACIES DE FRANCE57 rue Spontini 75116 PARIS
SA DIRECTLABO24 rue Barbès 92120 MONTROUGE
UNION DES SYNDICATS DE PHAMARCIENS D'OFFICINE43 rue de Provence 75009 PARIS
représentées par Me Serge ROSENBLIEH, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :L'affaire a été débattue le 24 Avril 2008, en audience publique, devant la Cour composée de :M. LITIQUE, Président de ChambreM. CUENOT, Conseiller, entendu en son rapportM. ALLARD, Conseiller, qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme ARMSPACH-SENGLE,
ARRET :- Contradictoire- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.- signé par M. Jean-Marie LITIQUE, président et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Attendu que se plaignant d'une publicité mensongère dans la presse de la part du Groupement d'achats des magasins LECLERC, la société UNIVERS PHARMACIE a assigné la société coopérative GALEC en référé par acte du 11 avril 2008 pour faire interdire cette publicité ;
Que l'assignation a été délivrée pour une audience spécialement tenue le 16 avril 2008 conformément à une ordonnance sur requête du 11 avril 2008 ;
Attendu qu'une société DIRECTLABO est intervenue à cette instance aux côtés de la demanderesse, et que deux autres interventions volontaires ont été régularisées pour l'Union Nationale des Pharmacies de France et l'Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine ;
Que le principe de cette intervention a été critiqué de la part de la société défenderesse dans le cadre d'une procédure d'urgence ;
Attendu que par ordonnance du 21 avril 2008, le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de COLMAR a considéré que les publicités en cause étaient constitutives d'un trouble manifestement illicite, et qu'il en a interdit la diffusion dans la presse écrite et dans la presse télévisuelle à compter du 23 avril 2008 à peine d'astreinte de 20.000 euros par jour de retard ;
Qu'il a enjoint à la société GALEC de modifier un site Internet au moyen d'un avertissement, à compter du 1er mai 2008 à peine d'astreinte de 10.000 euros par jour de retard ;
Qu'il a condamné enfin la société coopérative GALEC à payer à chaque demandeur et intervenant une compensation de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que la société anonyme coopérative GALEC a relevé appel de cette ordonnance le 22 avril 2008, dans des conditions de recevabilité non contestées ;
Qu'elle a obtenu une autorisation d'assigner à jour fixe pour l'audience du 24 avril 2008 par ordonnance du 22 avril ;
Attendu que la rétractation de cette ordonnance a été sollicitée, mais rejetée, et que les intimées ont demandé le renvoi de l'affaire au motif allégué de la nécessité d'une réponse aux conclusions de l'appelante ;
Que cette demande de renvoi a été rejetée sur l'observation que les conclusions de l'appelante ne contenaient aucun élément nouveau par rapport à ceux proposés en première instance, et se bornaient à reprendre à l'identique le débat tenu initialement devant le Juge des référés de première instance ;
Attendu que le conseil des trois intervenantes intimées a demandé le donner acte de ce qu'il se trouvait dans ces conditions dans l'incapacité de participer à ce qu'il considérait comme une parodie de débats ;
Qu'il a pris néanmoins des conclusions de confirmation en principe de l'ordonnance entreprise ;
Attendu que cette Cour observe que l'argumentation de l'appelante n'est que la reprise au fond du débat élevé devant le Premier Juge ;
Qu'en première instance, la société UNIVERS PHARMACIE et les intervenantes étaient représentées par le même conseil ;
Qu'en cause d'appel, il a été fait le choix d'une défense séparée, essentiellement aux fins de légitimer une demande de renvoi, et de rendre pratiquement irréversible la décision entreprise ;
Attendu donc que si le nouveau conseil des intervenantes n'a disposé que d'un temps très bref pour une appréhension personnelle du dossier, cette circonstance est imputable au choix tactique délibéré des intervenantes intimées, effectué dans le but précédemment observé alors qu'elles avaient été régulièrement assignées à personne habilitée le 23 avril 2008, à 11 heures 31 en ce qui concerne la SA DIRECTLABO, et s'étaient vu signifier par le même acte les conclusions de l'appelante et ses pièces ;
Attendu donc qu'en donnant acte au conseil des trois intervenantes intimées de ses réserves, cette Cour estime devoir passer outre à cet incident, en observant que la contradiction est respectée dans une procédure qui n'est que la continuation à l'identique de celle débattue devant le Premier Juge et initiée à brefs délais par la demanderesse et les intervenantes elles-mêmes ;
Attendu qu'au fond, l'appelante fait essentiellement valoir que sa campagne publicitaire, fondée sur des observations objectives de hausse des prix, n'est pas manifestement illicite, et constitue un usage de la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ;
Qu'elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise, au rejet des demandes des intimées, et à leur condamnation à lui payer une compensation de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que la SAS UNIVERS PHARMACIE conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, en estimant essentiellement que les pharmaciens titulaires d'officines sont effectivement victimes d'une campagne de dénigrement, qui tente de leur attribuer des hausses de prix non vérifiées, et auxquelles la distribution de médicaments en grandes surfaces dans d'autres pays n'apporte pas de solution convaincante ;
Qu'elle sollicite 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il convient de rappeler enfin que les intervenantes intimées prennent des conclusions de confirmation en principe de l'ordonnance entreprise, et sollicitent chacune 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que cette Cour observe en fait que le Groupe LECLERC propose une campagne de diffusion d'un message destiné à obtenir le droit de vendre des médicaments non remboursés dans les parapharmacies de ses centres commerciaux, avec l'allégation que la concurrence serait susceptible de favoriser une baisse des prix des médicaments non remboursés, lesquels ont connu des hausses spectaculaires de 36 % en moyenne en 2006 ;
Attendu que ce message est diffusé dans la presse sur papier, sous le titre : "Avec l'augmentation du prix des médicaments, soigner un rhume sera bientôt un luxe" ;
Que le slogan est illustré par un buste support de bijoux orné par une parure faite de pilules et de gélules ;
Attendu qu'un site Internet dénommé "Se soigner moins cher" propage la même revendication, avec l'indication de pourcentages chiffrés de hausse pour certains médicaments ;
Qu'il contient une publicité pour les parapharmacies des centres LECLERC, pourvues de docteurs en pharmacie, qui seraient capables de distribuer les médicaments non remboursés, obtenus à des prix plus compétitifs par le réseau commercial LECLERC ;
Que le site fait référence à une expérience positive menée par LECLERC en Italie ;
Attendu que cette campagne est également diffusée par la voie télévisuelle, mais que cette Cour ne dispose pas d'une reproduction des messages en cause ;
Que d'après les indications des parties, le contenu au fond serait sensiblement identique à celui diffusé dans les deux autres médias ;
Que quelques reproductions d'images ont été fournies en cours de délibéré, mais que cette communication non sollicitée et apparemment non contradictoire n'apporte pas au fond d'élément suffisamment précis, alors d'ailleurs que les écritures de l'intimée restent vagues sur ce qui lui causerait particulièrement préjudice ;
Attendu que sous réserve de cette relative incertitude quant au contenu exact du message télévisuel, laquelle ne peut que conduire à attribuer à celui-ci la portée minimale admise implicitement par les deux parties, il convient de rechercher dans quelle mesure une telle campagne constitue un trouble manifestement illicite pour la société UNIVERS PHARMACIE, la société DIRECTLABO et les deux syndicats de pharmaciens ;
Attendu que ceux-ci ont invoqué les règles du Code de la consommation, relatives à la prohibition de la publicité mensongère ;
Attendu cependant que cette Cour ne peut qu'observer que, même dans leur rédaction résultant de la loi du 3 janvier 2008, les articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation ne s'appliquent qu'aux pratiques commerciales, et spécialement aux publicités, que dans la mesure où elles visent à promouvoir la vente d'un bien ou d'un service effectivement proposés sur le marché ;
Attendu que tel n'est pas le cas de la campagne organisée par le Groupe LECLERC, qui vise à réclamer le droit de vendre des médicaments non remboursables, avec la précision explicite que cette vente est actuellement impossible dans les grandes surfaces, et suppose implicitement un changement de législation, actuellement bien hypothétique ;
Attendu que plutôt qu'une publicité, la communication du Groupe LECLERC est constitutive d'une sorte de propagande en faveur d'un changement de législation ;
Attendu que cette campagne valorise indirectement les activités de parapharmacie effectuées dans les magasins LECLERC, mais qu'une telle valorisation ne comprend pas d'éléments trompeurs précis ;
Attendu qu'il a été discuté de la véracité de l'allégation selon laquelle la concurrence par les grandes surfaces apporterait un résultat bénéfique pour les consommateurs ;
Attendu cependant qu'une telle discussion reste effectivement ouverte, mais qu'il n'est pas possible de considérer a priori que l'allégation d'un effet bénéfique d'une ouverture à la concurrence est manifestement fausse et, à supposer même qu'il en soit ainsi, qu'une telle allégation fausse constitue automatiquement un acte illicite générateur d'un préjudice manifeste ;
Attendu que le débat reste ouvert et permis, et que la liberté d'expression est normalement de principe, rappel étant fait surabondamment qu'elle est effectivement garantie par l'article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ;
Attendu que la société UNIVERS PHARMACIE et les intervenantes ont invoqué subsidiairement les articles 1382 et 1383 du Code civil, pour sanctionner ce qu'ils qualifient de dénigrement, voire de diffamation ;
Attendu qu'il importerait cependant de préciser et de caractériser exactement ce qui constitue un dénigrement ;
Attendu que l'allégation d'une hausse des médicaments qui ne sont plus remboursés est corroborée par la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale, et que la Mutualité Française l'a effectivement chiffrée à 36 % pour 2006 ;
Attendu qu'attribuer cette hausse aux seuls titulaires d'officines serait probablement inexact, mais dans une mesure qui reste cependant à préciser ;
Attendu que l'allégation d'un effet positif de la concurrence pour neutraliser les effets d'une telle hausse est probablement réductrice aussi, mais qu'il ne s'agit pas pour autant d'un véritable dénigrement des titulaires d'officines ;
Attendu que l'image d'une parure faite de pilules et de gélules est sans doute d'une ironie un peu agressive, mais qu'elle ne dépasse pas manifestement les limites de ce qui est permis en matière d'expression humoristique ;
Attendu que l'allégation d'une concurrence déloyale est manifestement sans portée, puisqu'il n'y a précisément pas de concurrence en l'état actuel dans la distribution des médicaments au détail ;
Attendu qu'au total, aucun des fondements assez imprécisément allégués par la société UNIVERS PHARMACIE et par les intervenantes ne caractérise effectivement un trouble manifestement illicite, susceptible de résulter de la communication organisée par le groupe LECLERC ;
Attendu qu'il n'est pas permis aux juridictions d'arbitrer abstraitement des débats d'idées, en censurant des inexactitudes susceptibles d'être prononcées dans de tels débats, mais seulement de faire cesser des troubles manifestement illicites, et d'en organiser le cas échéant la réparation ;
Attendu qu'il n'y a pas en l'état de trouble manifestement illicite, non plus que de conséquence dommageable nettement établie ;
Attendu qu'il en résulte que l'action en référé de la société UNIVERS PHARMACIE et des intervenantes n'est pas fondée et doit être rejetée ;
Attendu que les intimées devront payer in solidum à la société GALEC une compensation totale de 1.200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
REÇOIT l'appel de la société coopérative GALEC contre l'ordonnance du 21 avril 2008 du Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de COLMAR ;
Au fond, REFORME l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, DEBOUTE la société UNIVERS PHARMACIE ainsi que les trois intervenantes de l'ensemble de leurs demandes en référé ;
Les CONDAMNE in solidum à payer à la société coopérative GALEC une compensation totale de 1.200 euros (mille deux cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes plus amples ;
CONDAMNE in solidum les quatre intimées aux entiers dépens de première instance et d'appel.