La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2024 | FRANCE | N°22/03210

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre sociale, 27 juin 2024, 22/03210


AFFAIRE : N° RG 22/03210

N° Portalis DBVC-V-B7G-HD5X

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Pôle social du tribunal judiciaire de COUTANCES en date du 16 Novembre 2022 - RG n° 21/00045











COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRÊT DU 27 JUIN 2024





APPELANTE :



Madame [G] [U]

[Adresse 2]



Représentée par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES





INTI

MEES :



S.A.S. [10]

[Adresse 4]



Représentée par Me Romain BOUVET, substitué par Me MANVIELLE, du cabinet Michel LEDOUX, avocats au barreau de PARIS



S.A.S. [9] prise en la personne de son Président, domicilié en cette ...

AFFAIRE : N° RG 22/03210

N° Portalis DBVC-V-B7G-HD5X

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Pôle social du tribunal judiciaire de COUTANCES en date du 16 Novembre 2022 - RG n° 21/00045

COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRÊT DU 27 JUIN 2024

APPELANTE :

Madame [G] [U]

[Adresse 2]

Représentée par Me Emmanuel LEBAR, avocat au barreau de COUTANCES

INTIMEES :

S.A.S. [10]

[Adresse 4]

Représentée par Me Romain BOUVET, substitué par Me MANVIELLE, du cabinet Michel LEDOUX, avocats au barreau de PARIS

S.A.S. [9] prise en la personne de son Président, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 12]

[Localité 3]

Représentée par Me Hervé CHEREUL, avocat au barreau de CAEN

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE

[Adresse 11]

Dispensée de comparaître en vertu des articles 946 et 446-1 du code de procédure civile

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 16 mai 2024

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 27 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, le délibéré ayant été initialement fixé au 12 septembre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par Mme [G] [U] d'un jugement rendu le 16 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Coutances dans un litige l'opposant à la société [10], la société [9] (anciennement dénommée [9]) en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche.

FAITS et PROCEDURE

Le 28 novembre 2019, la société [10] a établi une déclaration d'accident du travail concernant sa salariée, Mme [U] [G], mise à disposition de la société [9], dans les termes suivants :

'Date 27 11 2019 heure 15 00

Lieu de l'accident : entreprise utilisatrice [Adresse 8]

Activité de la victime lors de l'accident : à son poste de travail habituel : travail sur presse

Nature de l'accident : selon les dires, alors que Mme [U] travaillait sur une presse, elle se serait fait écraser le majeur et l'index droit'.

Le certificat médical initial du 27 novembre 2019 mentionne une 'amputation traumatique trans P3 du majeur main droite'.

Après instruction, la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse) a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle suivant décision du 18 décembre 2019.

L'état de santé de Mme [U] a été déclaré consolidé à la date du 22 novembre 2020 avec un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 18 %.

La société [10] a contesté ce taux devant la commission médicale de recours amiable de la caisse qui, par décision du 12 mai 2021, a fixé le taux d'IPP à 14 % dans les rapports caisse/employeur.

La société [10] a contesté cette décision devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Le litige est actuellement pendant devant ce tribunal.

Mme [U] a elle-aussi contesté le taux de 18 %, devant la commission médicale de recours amiable de la caisse, qui a confirmé ce taux.

Par requête du 12 février 2021, Mme [U] a saisi le tribunal judiciaire de Coutances afin de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Suivant jugement du 16 novembre 2022, ce tribunal a :

- débouté Mme [U] de son recours introduit le 12 février 2021 et de l'ensemble de ses demandes

- débouté Mme [U] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté la société [9] (anciennement [9]) de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné Mme [U] aux dépens.

Par déclaration du 22 décembre 2022, Mme [U] a formé appel de ce jugement.

Suivant conclusions n° 3 reçues au greffe le 15 mai 2024 et soutenues oralement à l'audience, Mme [U] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* débouté Mme [U] de son recours introduit le 12 février 2021 et de l'ensemble de ses demandes

* débouté Mme [U] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

* condamné Mme [U] aux dépens;

juger à nouveau,

- déclarer recevable et bien fondée la demande de Mme [U]

- déclarer que la faute inexcusable de la société [10] est prouvée

- accorder la majoration maximale de la rente de Mme [U]

- ordonner une expertise médicale

- condamner la caisse à payer à Mme [U] une provision de 5000 euros

- condamner la société [10] et la société [9] à payer à Mme [U] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- débouter les défendeurs de leurs demandes

- condamner l'employeur aux dépens.

Selon conclusions reçues au greffe le 12 février 2024 et soutenues oralement à l'audience, la société [10] demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement du 16 novembre 2022 en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a débouté Mme [U] de son recours en reconnaissance de faute inexcusable

à titre subsidiaire,

- juger que seul le taux qui sera définitivement opposable à la société [10] pourra servir de base au capital représentatif de la majoration de la rente recouvrable par la caisse

- ordonner une expertise médicale et limiter la mission de l'expert aux préjudices énumérés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ainsi qu'à ceux qui ne sont pas couverts en tout ou partie ou de manière restrictive par les dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale, à l'exclusion en tout état de cause du préjudice de perte de possibilité de promotion professionnelle, des pertes de salaires subies, des pertes de gains professionnels futurs et des dépenses de santé et frais exposés pour les déplacements nécessités par les soins

- réduire la somme sollicitée à titre de provision

- juger que la faute inexcusable a été commise par l'entremise de l'entreprise utilisatrice, la société [9] substituée dans la direction de la société [10]

- condamner la société [9] à garantir la société [10] des condamnations prononcées à son encontre, tant en principal, intérêts et frais qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- juger que la somme allouée au titre des frais irrépétibles, devra être réduite et en tout état de cause, être mise à la charge de la société [9].

Par conclusions reçues au greffe le 15 mai 2024 et soutenues oralement à l'audience, la société [9] (anciennement dénommée [9]) demande à la cour de :

à titre principal

- juger que la société [9] a dispensé à Mme [U] toutes formations utiles concernant la presse et en matière de sécurité pour écarter la présomption de faute inexcusable

- dire que ni l'employeur, ni l'entreprise utilisatrice ne pouvaient avoir conscience du danger auquel Mme [U] s'est exposée, la société [9] ayant tout mis en oeuvre pour éviter un accident

- confirmer le jugement rendu le 16 novembre 2022 notamment en ce qu'il a débouté Mme [U] de sa demande tendant à reconnaître l'existence d'une faute inexcusable

- débouter en conséquence, Mme [U] et la société [10] de leurs demandes

à titre subsidiaire,

- juger que la société [9] n'a commis aucun manquement susceptible d'entraîner sa responsabilité

- rejeter par conséquent le recours en garantie initié par la société [10] à son encontre et/ou le limiter dans la mesure des responsabilités qu'il plaira à la cour de partager

- statuer ce que de droit sur l'expertise, la société [9] donnant adjonction aux réserves que formule la société [10] sur les limites de la mission

en tout état de cause,

- condamner la partie succombante à payer à la société [9] une indemnité de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par mail du 19 avril 2024, la caisse a sollicité une dispense de comparution à laquelle il a été fait droit.

Aux termes de conclusions reçues au greffe le 18 avril 2024, la caisse demande à la cour de:

à titre principal,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions

à titre subsidiaire en cas d'infirmation du jugement,

- prendre acte que la caisse s'en rapporte sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable

- dire que la majoration de la rente sera avancée par la caisse

- débouter Mme [U] de sa demande de provision

- dire que les frais d'expertise seront supportés par l'employeur

sur l'action récursoire de la caisse

- dire que la décision de prise en charge de l'accident du travail de Mme [U] est opposable à son employeur

- faire droit à l'action récursoire de la caisse à l'encontre de l'employeur de Mme [U]

- dire que dans le cadre de son action récursoire, la caisse récupérera l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance auprès de l'employeur dont la faute inexcusable aura été reconnue

- délivrer le présent arrêt revêtu de la formule exécutoire

- condamner l'employeur aux dépens.

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

A titre liminaire, en l'absence de contestation sur ce point, il sera dit comme le demande la caisse que la prise en charge de l'accident du 27 novembre 2019 au titre de la législation professionnelle est opposable à la société [10].

I / Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur  avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

  

Conformément à l'article L 4154-3 du code du travail, la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, est présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n'auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue à l'article L 4154-2.

La présomption de faute inexcusable instituée par l'article L 4154-3 du code du travail ne peut être renversée que par la preuve que l'employeur a dispensé au salarié la formation renforcée à la sécurité prévue à l'article L 4152-2.

Par ailleurs, la présomption s'applique même lorsque les circonstances de l'accident sont indéterminées, ou lorsque le salarié a fait preuve d'imprudence ou commis une faute grossière. De même, la circonstance que le matériel employé est d'utilisation courante ne suffit pas à écarter la présomption de faute inexcusable. Enfin, la présomption doit produire son effet quelle que soit l'expérience précédente du salarié victime.

En l'espèce, Mme [U] salariée de la société [10], a été mise à la disposition de la société [9] (désormais dénommée [9]) en qualité d'opérateur régleur du 1er novembre au 29 novembre 2019. Ce contrat a fait suite à deux précédents contrats de mise à disposition d'une durée identique.

Le poste de travail de Mme [U] est défini dans les termes suivants : 'chargement du poste en matières premières. Changement des outils. Lancement de production. Contrôle. Qualité des premières pièces. Utilisation de machine perfo laser'.

Il est précisé qu'il ne s'agit pas d'un 'poste à risque'.

Toutefois, il est établi que le poste de Mme [U] impliquait l'utilisation d'une machine et plus précisément d'une presse mécanique dont l'accident révèle qu'elle était suffisamment dangereuse pour entraîner des lésions pouvant aller jusqu'à l'écrasement de la main ou des doigts.

La fiche sécurité produite par la société [9] relative à la presse utilisée par Mme [U] fait d'ailleurs état des risques suivants : 'risque de coupure, d'écrasement et/ou de mutilation'.

Il en résulte que le poste occupé par Mme [U] présentait un risque de lésions graves pouvant aller jusqu'à la mutilation.

Il est donc démontré que Mme [U], salariée intérimaire, était affectée à un poste présentant un risque particulier pour la santé et la sécurité.

Pour renverser la présomption de faute inexcusable, il incombe à la société [10] et à la société [9] de rapporter la preuve que Mme [U] avait suivi une formation à la sécurité renforcée.

Pour ce faire, la société [9] produit deux documents intitulés 'formation interne sur poste, durée de formation' ainsi qu'un troisième document intitulé 'parcours d'intégration'.

Les deux premiers documents mentionnent uniquement que Mme [U] a reçu une première formation de 34 h 30 mn à la fin du mois d'août 2019, puis une seconde formation de 14 heures en septembre 2019 au cours des précédents contrats de mise à disposition.

Ces documents qui ne sont d'ailleurs revêtus d'aucune signature, ne comportent pas de précisions sur le contenu de la formation. Ils n'indiquent pas en particulier que la formation portait sur la sécurité.

Le troisième document intitulé 'parcours d'intégration' est signé par Mme [U], le responsable hiérarchique et le tuteur de la salariée. Il décrit les étapes d'intégration de la salariée dans la société correspondant notamment à la remise du contrat de travail, des documents administratifs, de la carte de pointage et à la désignation d'un tuteur. Les seules références à la formation de Mme [U] sont les suivantes :

'Accueil dans le service ... :

(..)

Planifier une formation qualité

Evaluer le besoin de formation obligatoire

(...)

Point d'intégration avec le tuteur ...:

(...)

Connaissances sur l'organisation de la sécurité et la gestion de l'environnement.'

Ces éléments ne permettent pas d'établir que Mme [U] a reçu une formation à la sécurité renforcée se rapportant à la presse mécanique à l'origine de l'accident du travail.

Par ailleurs, l'expérience passée de la salariée, le fait que les circonstances exactes de l'accident soient indéterminées ou encore le fait que Mme [U] ait pu commettre une faute grossière ou violé les règles de sécurité, sont inopérants pour renverser la présomption de faute inexcusable comme rappelé précédemment.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et il sera dit que l'accident du travail dont a été victime Mme [U] le 27 novembre 2019 est dû à la faute inexcusable de la société [10].

II / Sur les conséquences de la faute inexcusable

- Sur la majoration de la rente

Il résulte de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale que dans le cas où la faute inexcusable est reconnue, la victime reçoit une majoration de la rente ou de l'indemnité en capital.

Cette majoration de la rente ou du capital alloué à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle consécutif à la faute inexcusable de son employeur est calculée en fonction de la réduction de la capacité dont celle-ci reste atteinte de telle sorte que cette majoration doit en conséquence suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime.

Il sera donc dit que la rente sera fixée à son montant maximal prévu par la loi et rappelé que la majoration suivra le taux d'IPP de Mme [U] en cas d'aggravation de son état de santé.

- Sur la provision et l'expertise

L'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale dispose que : 'indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

(...)

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.'

En outre, par décision du 18 juin 2010 n° 2010-8 QPC, le Conseil constitutionnel a décidé que : 'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de l'article L 452-3 ne sauraient sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que les victimes ou leurs ayants droit puissent devant les mêmes juridictions demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV.'

Il en résulte qu'en plus des postes de préjudices limitativement énumérés par l'article L. 452-3, la victime est bien fondée à demander à son employeur devant la juridiction de sécurité sociale notamment, la réparation du préjudice sexuel, du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice d'assistance par une tierce personne avant consolidation.

En revanche, l'assistance par une tierce personne après consolidation est indemnisée dans les conditions de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale. Ce dommage ne peut en conséquence donner droit à indemnisation sur le fondement de l'article L 452-3 du même code.

Enfin, la rente accident du travail n'indemnise pas le déficit fonctionnel permanent de telle sorte que la victime est bien fondée à solliciter l'indemnisation de ce préjudice devant la juridiction de la sécurité sociale au titre de la faute inexcusable.

En l'espèce, il est constant que Mme [U] a fait l'objet d'une amputation traumatique du majeur de sa main droite.

Ces lésions justifient d'ordonner une mesure d'expertise médicale afin d'évaluer les préjudices corporels de Mme [U] dans les conditions ci-après mentionnées. Il ne sera pas donné mission à l'expert d'évaluer les préjudices économiques non indemnisables devant la juridiction de sécurité sociale. En revanche, l'avis de l'expert sera sollicité sur une éventuelle perte de possibilités de promotion professionnelle puisqu'il convient de déterminer si les séquelles physiques définitives de Mme [U] l'ont privée de la possibilité de poursuivre son activité au sein de cette société, susceptible de lui proposer un contrat à durée indéterminée à l'issue de son contrat d'intérimaire.

Compte tenu des séquelles définitives de Mme [U] en particulier l'amputation du majeur de la main droite à l'origine du préjudice de souffrances physiques et morales et d'un préjudice esthétique, il lui sera alloué une provision de 3000 euros.

- Sur l'action récursoire de la caisse

Conformément aux dispositions de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, il convient de rappeler que la caisse devra faire l'avance des sommes allouées à Mme [U] au titre de la faute inexcusable (majoration de rente, provision) ainsi que des frais d'expertise.

Il sera fait droit à la demande de la caisse de dire que dans le cadre de son action récursoire, elle pourra recouvrer auprès de l'employeur, la société [10], l'ensemble des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable.

Compte tenu du recours de la société [10] se rapportant au taux d'incapacité permanente, il sera précisé, s'agissant de la majoration de la rente, que l'action récursoire de la caisse s'exercera dans la limite du taux d'incapacité permanente partielle qui sera déclaré opposable à la société [10] par la juridiction de sécurité sociale.

- Sur l'action en garantie de la société [10]

La société [10] sollicite la condamnation de la société [9] à la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Si l'employeur juridique, la société [10], est tenue des conséquences de la faute inexcusable, en revanche, elle est recevable à invoquer la faute de la société utilisatrice au soutien d'une action en garantie.

L'article L. 1251-21 du code du travail dispose que l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail et notamment de celles se rapportant à la santé et la sécurité.

Comme rappelé précédemment, la formation renforcée à la sécurité n'a pas été dispensée à Mme [U] par la société utilisatrice qui a donc commis une faute.

Au contraire, aucune faute n'est établie à l'encontre de la société [10].

Compte tenu de ces observations, la société [9] sera condamnée à garantir intégralement la société [10] des condamnations prononcées à son encontre au titre de la faute inexcusable (y compris celles relatives aux dépens et indemnités allouées au titre des frais irrépétibles).

III / Sur les dépens et frais irrépétibles

Compte tenu de la mesure d'expertise ordonnée, il convient de réserver les dépens et demandes au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la décision du 18 décembre 2019 de la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident dont Mme [U] a été victime le 27 novembre 2019 est opposable à la société [10];

Dit que l'accident du travail dont Mme [U] a été victime le 27 novembre 2019 est dû à la faute inexcusable de la société [10];

Fixe au maximum légal la majoration de la rente prévue par la loi;

Rappelle que cette majoration suivra automatiquement l'augmentation du taux d'incapacité permanente partielle en cas d'aggravation de l'état de santé de Mme [U];

Alloue à Mme [U] une provision de 3000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices;

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche est tenue de faire l'avance des sommes dues à Mme [U] au titre de la faute inexcusable dont la majoration de rente et la provision;

Dit que dans le cadre de son action récursoire, la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche pourra recouvrer contre la société [10] les sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable, dans la limite du taux d'incapacité permanente partielle qui sera déclaré opposable à la société [10] par la juridiction de sécurité sociale s'agissant de la majoration de la rente;

Avant-dire droit sur la liquidation des préjudices de Mme [U], ordonne une expertise médicale judiciaire et désigne le docteur [T] [F],

Professeur chef du service de santé au travail et pathologie professionnelle

CHU de [Localité 6] Normandie

[Adresse 5]

Tél : [XXXXXXXX01]

Mel : [Courriel 7]

laquelle aura pour mission, après avoir examiné la victime et recueilli ses doléances, avoir entendu les parties en leurs observations, s'être fait remettre tous documents médicaux et s'être entouré de tous renseignements utiles, en se faisant adjoindre éventuellement un sapiteur psychiatre ou psychologue,

de donner son avis sur l'existence et l'étendue des dommages suivants, compte tenu d'une date de consolidation fixée au 22 novembre 2020 :

1. Souffrances physiques et morales endurées jusqu'à la date de consolidation : Décrire les différents aspects de ce préjudice et en évaluer la gravité sur une échelle de 1 à 7,

2. Préjudice esthétique : Décrire les différents aspects de ce préjudice tant temporaire que permanent et en évaluer la gravité sur une échelle de 1 à 7,

3. Préjudice d'agrément : indiquer s'il existe un préjudice d'agrément caractérisé par la perte ou la diminution d'activités spécifiques de sport ou de loisir et en déterminer l'étendue,

4.Préjudice sexuel : Indiquer s'il existe un tel préjudice et en déterminer la gravité,

5. Déficit fonctionnel temporaire : Evaluer ce préjudice en indiquant sa durée et s'il a été total ou partiel en précisant les périodes et le taux,

6. Besoin d'assistance tierce personne avant consolidation : Indiquer, le cas échéant, si l'assistance d'une tierce personne auprès de la victime était nécessaire pendant la période d'incapacité de travail temporaire ayant précédé la consolidation et, dans l'affirmative, préciser le nombre d'heures utiles et la durée de l'aide, et les périodes,

7. Frais d'aménagement de véhicule ou de logement : Donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap et en déterminer le coût,

8. Perte ou diminution des possibilités de promotion professionnelle : Donner son avis sur l'incidence de l'accident sur la carrière professionnelle de la victime si celle-ci avait des chances sérieuses de promotion,

9. chiffrer, par référence au 'Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun' le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (état antérieur inclus) imputable à l'accident du travail dont a été victime Mme [U] le 27 novembre 2019, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation; dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation;

- de manière générale, fournir tout renseignement technique utile à la résolution du litige,

Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout sapiteur de son choix ;

Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance rendue sur requête ;

Dit que l'expert devra établir un pré-rapport qu'il adressera aux parties ;

Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe de la cour et l'adresser aux parties dans un délai de cinq mois à compter de l'acceptation de sa mission ;

Ordonne la consignation au greffe de la cour par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche d'une provision de 1 500 euros à valoir sur les honoraires de l'expert, somme qui devra être versée dans le mois de la notification du présent arrêt ;

Dit que faute de consignation avant cette date, il sera fait application des dispositions de l'article 271 du code de procédure civile ;

Condamne la société [9] à garantir intégralement la société [10] des condamnations prononcées à son encontre au titre de la faute inexcusable y compris celles afférentes aux dépens et frais irrépétibles;

Dit que l'affaire est renvoyée à l'audience du jeudi 6 février 2025 à 9 heures, Cour d'appel de Caen, Place Gambetta, 3ème étage - Salle Malesherbes, afin qu'il soit statué sur liquidation des préjudices ;

Dit que la notification du présent arrêt vaut convocation des parties à l'audience de renvoi ;

Réserve les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/03210
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.03210 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award