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27/06/2024 | FRANCE | N°22/03087

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre sociale, 27 juin 2024, 22/03087


AFFAIRE : N° RG 22/03087

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDUR

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de COUTANCES en date du 16 Novembre 2022 - RG n° 20/00058









COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRET DU 27 JUIN 2024





APPELANTE :



CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE LA MANCHE

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Mme [Z], mandatée



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INTIMEE :



Madame [G] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C-1411820240000653 du 07/03/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)



Représe...

AFFAIRE : N° RG 22/03087

N° Portalis DBVC-V-B7G-HDUR

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de COUTANCES en date du 16 Novembre 2022 - RG n° 20/00058

COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRET DU 27 JUIN 2024

APPELANTE :

CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DE LA MANCHE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Mme [Z], mandatée

INTIMEE :

Madame [G] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C-1411820240000653 du 07/03/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)

Représentée par Me Jérémy BONNIEC, avocat au barreau de COUTANCES

DEBATS : A l'audience publique du 06 mai 2024, tenue par M. GANCE, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme GOULARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme CHAUX, Présidente de Chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement le 27 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse d'allocations familiales de la Manche d'un jugement rendu le 16 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Coutances dans un litige l'opposant à Mme [G] [E].

FAITS et PROCEDURE

Mme [G] [E] de nationalité russe, est entrée sur le territoire national français courant 2009 avec ses quatre enfants:

- [D] [E] né le 17 avril 2000 en Russie

- [B] [O] né le 12 octobre 2003 en Russie

- [Y] [O] né le 17 décembre 2004 en Russie

- [H] [O] née le 23 août 2007 au Danemark.

Par courrier du 22 octobre 2018, la caisse d'allocations familiales de la Manche (la caisse) a notifié à Mme [E] un indu de 32847,93 euros au titre des prestations familiales perçues du 1er octobre 2016 au 31 octobre 2018, considérant qu'elle n'avait pas droit aux prestations familiales pour ses quatre enfants.

Le 28 octobre 2019, Mme [E] a saisi la commission de recours amiable de la caisse afin de contester cette décision et de bénéficier des prestations familiales pour ses quatre enfants à compter du 1er octobre 2018.

Par décision du 6 décembre 2019, la commission a rejeté la demande de Mme [E]

Par requête du 4 février 2020, Mme [E] a saisi le tribunal judiciaire de Coutances afin de contester cette décision.

Par jugement du 16 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Coutances a :

- ordonné à la caisse de prendre en compte les quatre enfants de Mme [E] pour le calcul des prestations familiales auxquelles elle peut prétendre à compter du 28 octobre 2019

- renvoyé Mme [E] auprès de la caisse pour examen et liquidation de ses droits

- débouté les parties de toute autre demande

- débouté la caisse de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la caisse à payer à Me Bonniec la somme de 1200 euros au titre de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle

- condamné la caisse aux dépens.

Selon déclaration du 7 décembre 2022, la caisse a formé appel de ce jugement.

Par écritures déposées au greffe le 19 février 2024 et soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- confirmer la décision de la commission de recours amiable du 6 décembre 2019

- constater que les quatre enfants, nés en Russie et au Danemark, ne peuvent être pris en considération pour le calcul des prestations versées par la caisse, les conditions d'attribution légales n'étant pas remplies pour ces enfants

- constater que la caisse ne peut verser les prestations familiales pour les quatre enfants, nés en Russie et au Danemark, les conditions d'attribution légales n'étant pas remplies pour ces enfants

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Coutances le 16 novembre 2022

- condamner Mme [E] au remboursement des frais de citation devant la chambre sociale de la cour d'appel de Caen, qui s'élèvent à 30,91 euros.

Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 9 avril 2024 et soutenues oralement à l'audience, Mme [E] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 16 novembre 2022

subsidiairement,

- déclarer que Mme [E] est en droit de prétendre au versement des prestations familiales pour ses quatre enfants à compter de l'obtention de son titre de séjour pluriannuel, soit le 4 février 2018

à titre infiniment subsidiaire,

- déclarer que Mme [E] est en droit de prétendre au versement des prestations familiales pour ses quatre enfants à compter de l'obtention de son titre de séjour pluriannuel en date du 6 février 2024

en tout état de cause,

- débouter la caisse de ses demandes

- condamner la caisse à verser la somme de 2400 euros au conseil de Mme [E] sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs conclusions conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

- Sur le fond

Il résulte de l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale que les étrangers non ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, titulaires d'un titre exigé d'eux en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France, 'bénéficient des prestations familiales', 'sous réserve qu'il soit justifié, pour les enfants qui sont à leur charge et au titre desquels les prestations familiales sont demandées, de l'une des situations suivantes :

'-leur naissance en France

(..)

-leur qualité d'enfant d'étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée au 7° de l'article L. 313-11 du même code à la condition que le ou les enfants en cause soient entrés en France au plus tard en même temps que l'un de leurs parents titulaires de la carte susmentionnée.'

L'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale précise:

'La régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers que le bénéficiaire a à sa charge et au titre desquels il demande des prestations familiales est justifiée par la production de l'un des documents suivants :

1° Extrait d'acte de naissance en France ;

(..)

5° Attestation délivrée par l'autorité préfectorale, précisant que l'enfant est entré en France au plus tard en même temps que l'un de ses parents admis au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers (..)'

L'article L. 313-11 7° du Ceseda prévoit que:

'Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention 'vie privée et familiale' est délivrée de plein droit :

A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus.'

L'article L.313-14 alinéa 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) dispose :

'La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2.'

Il résulte de ces dispositions que lorsque les parents ont obtenu la carte de séjour temporaire 'vie privée et familiale' sur le fondement de l'article L. 313-11 7° et qu'ils justifient au moyen de l'attestation prévue à l'article D. 512-2 que leurs enfants sont entrés sur le territoire national au plus tard en même temps qu'eux, ils sont bien fondés à obtenir les prestations familiales pour ces enfants.

En revanche, lorsqu'ils ont obtenu la carte de séjour temporaire 'vie privée et familiale' sur le fondement de l'article L. 313-14, ils ne peuvent obtenir de prestations familiales pour leurs enfants entrés sur le territoire national en même temps qu'eux.

On relèvera que les dispositions du Ceseda ont fait l'objet d'une recodification aux termes de l'ordonnance du 16 décembre 2020 entrée en vigueur au 1er mai 2021, l'article L. 313-11 7° ayant été recodifié à l'article L. 423-23 du Ceseda. L'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale renvoie donc désormais à l'article L. 423-23 du Ceseda en lieu et place de l'article L. 313-11 7° du Ceseda.

Il en résulte qu'après l'entrée en vigueur de cette ordonnance, le bénéfice des prestations familiales pour les enfants nés à l'étranger est soumis à la condition que le parent justifie avoir obtenu son titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du Ceseda qui dispose que 'l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.'

On relèvera que les critères d'obtention de la carte de séjour sont semblables à ceux de l'article L. 311-13 7°.

Dans le cas présent, il est constant que Mme [E] est entrée sur le territoire national courant 2009 accompagnée de ses quatre enfants nés en Russie et au Danemark.

Depuis le 4 février 2018, Mme [E] bénéficie d'un titre de séjour pluriannuel vie privée et familiale.

Il résulte de la réponse de la préfecture de la Manche du 5 juin 2018 apportée à la demande de la caisse que le titre de séjour vie privée et familiale de Mme [E], a été 'délivré sur le fondement de l'article L. 313-14 du Ceseda'.

Le 20 juin 2020, la préfecture de la Manche a à nouveau indiqué à la caisse que le titre de séjour vie privée et familiale de Mme [E] lui avait été délivré sur le fondement de l'article L. 313-14 du Ceseda.

Mme [E] ne justifie pas comme l'impose l'article D. 512-2 du code de la sécurité sociale d'une attestation de la préfecture précisant notamment que son titre de séjour est fondé sur le 7° de l'article L. 313-11 du Ceseda ou sur le nouvel article L. 423-23 du Ceseda.

Toutefois, pour justifier du bien fondé de sa demande, à titre principal, Mme [E] entend faire écarter les dispositions légales applicables aux motifs qu'elles sont contraires aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) ainsi qu'à l'article 3-1 de la Convention Internationale des droits de l'enfant.

À titre subsidiaire, elle soutient que la délivrance à son profit de la carte de séjour pluriannuelle 'vie privée et familiale' depuis le 4 février 2018 implique qu'elle se trouve dans la situation prévue par l'article L. 313-11 7° du Ceseda, au regard de ses liens particuliers avec la France, pays au sein duquel elle réside depuis 2009.

- Sur la non conformité des dispositions légales applicables à la CEDH et à la Convention internationale des droits de l'enfant

L'article 8 de la CEDH affirme que 'toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.'

L'article 14 de la CEDH indique que 'la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.'.

L'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant indique que 'dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.'

Il est constant que selon le premier de ces textes qui revêt un caractère objectif justifié par la nécessité dans un Etat démocratique d'exercer un contrôle des conditions d'accueil des enfants, et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale garanti par les articles 8 et 14 de la CEDH, ni ne méconnaît les dispositions de la convention internationale des droits de l'enfant, le bénéfice des prestations familiales pour les enfants étrangers nés hors du territoire national, est soumis à la production de l'un des documents énumérés par le second, attestant de leur entrée et séjour réguliers en France.

En conséquence, c'est à tort que la requérante invoque la non conformité à la CEDH et à la Convention internationale des droits de l'enfant, des articles L. 512-2 et D 512-2 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au litige.

Son premier moyen sera donc écarté.

- Sur les titres de séjour pluriannuel délivrés

Mme [E] soutient que le titre de séjour 'vie privée et familiale' pluriannuel de deux ans qui lui a été accordé depuis le 4 février 2018, puis notamment le 6 février 2024 signifie qu'elle se trouve dans la situation prévue par le 7° de l'article L. 313-11 du Ceseda.

Toutefois, elle ne justifie pas que ces titres de séjour lui ont été accordés sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du Ceseda (désormais L. 423-33 du Ceseda).

La condition prévue à l'article D. 512-2 5° du code de la sécurité sociale n'est donc pas remplie.

Ce second moyen sera donc lui aussi écarté.

Compte tenu de ces observations dont il résulte que Mme [E] ne justifie pas du respect des conditions prévues aux articles L. 512-2 et D 512-2 du code de la sécurité sociale, il convient d'infirmer le jugement déféré.

Statuant à nouveau, il convient de confirmer la décision de la commission de recours amiable du 6 décembre 2019, de dire que Mme [E] ne peut prétendre au bénéfice des prestations familiales pour ses quatre enfants [D] [E], [B] [O], [Y] [R] et [H] [O] et de débouter Mme [E] de l'ensemble de ses demandes.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles

Infirmé sur le principal, le jugement sera aussi infirmé sur les dépens et frais irrépétibles.

Succombant, Mme [E] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel dont les frais de citation devant la chambre sociale de la cour d'appel, qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

Son conseil sera débouté de sa demande au titre de l'article 37 de la loi sur l'aide juridictionnelle.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Confirme la décision du 6 décembre 2019 de la commission de recours amiable de la caisse d'allocations familiales de la Manche ;

Dit que Mme [E] ne peut prétendre au bénéfice des prestations familiales pour ses quatre enfants [D] [E], [B] [O], [Y] [R] et [H] [O] ;

Déboute Mme [E] de l'ensemble de ses demandes

Condamne Mme [E] aux dépens de première instance et d'appel dont les frais de citation devant la chambre sociale de la cour d'appel, qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle ;

Déboute Me Jérémy Bonniec de sa demande au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/03087
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;22.03087 ?
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