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26/06/2024 | FRANCE | N°22/03035

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre civile-expro, 26 juin 2024, 22/03035


COUR D'APPEL DE CAEN



CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS





MINUTE N°







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26 Juin 2024

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DOSSIER N° RG 22/03035 - N° Portalis DBVC-V-B7G-HDQ7

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S.A. ENEDIS



C/

[Z] [W]

E.A.R.L. EARL LE PETIT QUINCE agissant par son représentant monsieur [Z] [W] en qualité de gérant

M. LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

représenté par M [P]





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ARRET DU



vingt six Juin deux mille vingt quatr

e





APPELANTE



S.A. ENEDIS

[Adresse 2]

[Localité 6]



représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN

assistée de Me SCANVIC, avocat au barreau de PARIS







INTIMÉS



Monsieur [Z] [W]

[Adres...

COUR D'APPEL DE CAEN

CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS

MINUTE N°

----------

26 Juin 2024

----------

DOSSIER N° RG 22/03035 - N° Portalis DBVC-V-B7G-HDQ7

----------

S.A. ENEDIS

C/

[Z] [W]

E.A.R.L. EARL LE PETIT QUINCE agissant par son représentant monsieur [Z] [W] en qualité de gérant

M. LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

représenté par M [P]

----------

ARRET DU

vingt six Juin deux mille vingt quatre

APPELANTE

S.A. ENEDIS

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN

assistée de Me SCANVIC, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS

Monsieur [Z] [W]

[Adresse 8]

[Localité 4]

E.A.R.L. EARL LE PETIT QUINCE agissant par son représentant monsieur [Z] [W] en qualité de gérant

[Adresse 7]

[Localité 3]

représentés par Me Blandine ROGUE, avocat au barreau d'ALENCON

assistée de Me LAFFORGUE, avocat au barreau de PARIS

EN PRESENCE DE

MONSIEUR LE COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

représenté par M [P]

[Adresse 5]

[Localité 1]

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur G. GUIGUESSON, Président de Chambre

Mme G. VELMANS, Conseillère,

Mme M-C. DELAUBIER, Conseillère,

GREFFIER lors des débats :

Madame M. COLLET

DÉBATS :

A l'audience publique du 10 Avril 2024, au cours de laquelle l'affaire a été débattue

ARRET :

rendu publiquement le vingt six Juin deux mille vingt quatre par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées préalablement dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, et signé par Monsieur GUIGUESSON, Président, et Madame COLLET, Greffière à laquelle la minute a été remise.

* *

*

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [Z] [W] pratique l'élevage laitier depuis 1996.

En 2011, la société ENEDIS a installé une ligne souterraine de 20.000 V et un transformateur à quelques mètres de son exploitation.

A compter de 2012, Monsieur [W] indique avoir constaté de graves problèmes dans l'exploitation de son troupeau ( comportements inhabituels des vaches, mammites, baisse de la qualité du lait, problèmes de croissance des veaux...) qui n'ont pu être expliqués par une origine infectieuse.

Compte tenu de la gravité de ces troubles, un protocole GPSE a été signé le 20 décembre 2017.

A la demande de Monsieur [W], des travaux de déplacement de la ligne électrique et du transformateur pour lesquels il a versé un acompte, ont été réalisés du 3 avril au 4 juin 2019, à la suite desquels il a constaté une amélioration très nette de la situation et a refusé de régler le solde du coût des travaux.

Aucun accord n'ayant pu intervenir quant à la réparation de ses préjudices, Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé ont assigné la société ENEDIS devant le tribunal judiciaire d'Argentan par acte d'huissier du 4 septembre 2020.

Par arrêt du 29 mars 2022, cette cour, statuant sur appel d'une ordonnance du juge de la mise en état d'Argentan ayant retenu la compétence du juge administratif l'a infirmée et a renvoyé l'affaire devant le juge de l'expropriation d'Alençon.

Par jugement du 7 novembre 2022, le juge de l'expropriation d'Alençon a :

- déclaré recevables Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé en leur action,

- condamné Enedis à payer à Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé, la somme de 64.442,79 € au titre des frais supplémentaires,

- condamné Enedis à payer à Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé, la somme de 79.909,00 € au titre du préjudice d'exploitation,

- débouté Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé au titre du refus de subvention,

- débouté Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé au titre du préjudice moral,

- condamné Enedis à payer à Monsieur [W], la somme de 2.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Enedis à payer à l'EARL Le Petit Quincé, la somme de 2.500,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Enedis aux dépens.

Par acte du 5 décembre 2022, Enedis a formé appel de la décision sauf en ce qu'elle a débouté Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé de leurs demandes au titre du refus de subvention et du préjudice moral.

Aux termes de ses dernières écritures en date du 18 Mars 2024, elle conclut à l'annulation ou à tout le moins la réformation du jugement des chefs dont appel et demande à la cour de :

- déclarer les demandes de Monsieur [W] et de l'EARL du Petit Quincé, irrecevables et de les rejeter,

- à défaut de débouter Monsieur [W] et de l'EARL du Petit Quincé de toutes leurs demandes en l'absence de lien de causalité entre les préjudices subis par eux et le fonctionnement de la ligne et du transformateur qu'elle exploite,

- à défaut, limiter à la somme de 10.324,79 € le montant des sommes dues à Monsieur [W] et de l'EARL du Petit Quincé et les débouter du surplus de leurs demandes,

En tout état de cause,

- constater qu'aucun appel incident valable n'a été interjeté, dire n'y avoir lieu de statuer sur les demandes de l'EARL du Petit Quincé tendant à la voir condamner au paiement des sommes suivantes :

* frais supplémentaires : 259.034,79 €

* préjudice d'exploitation : 610.104,00 €

* refus de subvention : 34.981,25 €

- condamner Monsieur [W] et de l'EARL du Petit Quincé solidairement au paiement de la somme de 59.901,11 € restant due, au titre du déplacement de l'ouvrage, majorée des intérêts à compter du 21 mai 2019 lesquels seront capitalisés,

- débouter Monsieur [W] et de l'EARL du Petit Quincé de leurs demandes présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [W] et de l'EARL du Petit Quincé au paiement d'une somme de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de leurs écritures en date du 5 juin 2023, Monsieur [W] et l'EARL du Petit Quincé, concluent au visa des articles L.323-4 et L.323-7 du code de l'énergie à la confirmation du jugement en ce qu'il les a déclarés recevables en leur action, les a déboutés de leur demande au titre du préjudice moral et a condamné Enedis aux dépens et à leur payer à chacun une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils demandent à la cour, statuant à nouveau, de :

- condamner Enedis à leur payer :

* frais supplémentaires : 259.034,79 €

* préjudice d'exploitation : 610.104,00 €

* refus de subvention : 34.981,25 €

- débouter Enedis de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Enedis à leur payer à chacun une somme de 3.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses écritures en date du 5 juin 2023, le Commissaire du Gouvernement conclut à l'absence de prescription de l'action des demandeurs et à la nomination d'un expert pour statuer sur le bien-fondé de leur demande en réparation et le montant éventuel des indemnités.

L'affaire a été retenue à l'audience du 10 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription des demandes de Monsieur [W] et de L'EARL Le Petit Quincé

La société Enedis qui estime que la prescription applicable est la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, soutient que l'action de Monsieur [W] et de l'Earl Le Petit Quincé qui avaient connaissance de l'origine du dommage dès 2015, voire 2012, est prescrite.

Ces derniers répliquent qu'en 2015, ils n'avaient qu'une simple suspicion à l'égard de la ligne électrique, basée sur bien peu de faits, et n'étaient donc pas en mesure à cette époque de connaître les faits qui auraient permis d'exercer une action qui n'est donc pas prescrite.

Le Commissaire du Gouvernement conclut que c'est n'est qu'à compter de la période où les intimés ont pu avoir confirmation que les troubles des animaux provenaient effectivement de la présence de la ligne d'électricité à proximité du troupeau, ces troubles ayant cessé après le déplacement de la ligne, qu'ils pouvaient engager leur action, soit en 2019, ce telle sorte que celle-ci n'est pas prescrite.

L'article 2224 du code civil fixe le point de départ des actions personnelles et mobilières au jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Si Monsieur [W] s'est plaint à compter de 2012 de graves problèmes dans l'exploitation de son troupeau, ce n'est cependant qu'après le déplacement de la ligne électrique et du transformateur en 2019 et la nette amélioration de la situation de ses vaches, qu'il a pu établir un lien de causalité entre les problèmes rencontrés par ses animaux et la présence de la ligne électrique et du transformateur.

L'assignation au fond ayant été délivrée le 4 septembre 2020, l'action de Monsieur [W] et de l'EARL du petit Quincé n'est pas prescrite.

Le jugement sera confirmé sur ce point .

Sur l'indemnisation des préjudices

L'article L.323-7 du code de l'énergie dispose :

' Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L.323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants-droit.

L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire.'

Il est constant qu'en vertu de ce texte, le versement d'une indemnité au profit d'un propriétaire, suppose que soit rapportée la preuve d'un préjudice direct, matériel et certain résultant de l'institution d'une servitude.

Il appartient donc au propriétaire d'établir que la servitude et donc la présence de la ligne électrique, constitue le fait générateur du préjudice qu'il invoque.

Si une preuve scientifique ne peut être exigée, il doit néanmoins justifier de présomptions graves, précises, fiables et concordantes.

La société ENEDIS soutient que c'est à tort que le premier juge a retenu l'existence de telles présomptions alors que :

- la Cour de cassation exclut toute présomption de responsabilité des équipements électriques dans un élevage vivant à proximité au regard de l'état des connaissances scientifiques,

- aucun courant électrique significatif n'a jamais été mesuré sur l'exploitation des intimés,

- la preuve d'un fait générateur et d'un lien de causalité direct et certain avec les désordres invoqués, n'est pas rapportée,

- il n'existe pas d'indices concordants quant à un éventuel lien de causalité entre l'existence et le fonctionnement de la ligne et du transformateur et les désordres affectant l'exploitation,

- il existe d'autres causes possibles aux problèmes de l'exploitation autres que l'existence et le fonctionnement de la ligne électrique.

Monsieur [W] et l'EARL Le Petit Quincé se prévalent quant à eux de :

- la concomitance entre l'implantation de la ligne électrique et les désordres constatés (comportement inhabituel des vaches, baisse de la fréquence de traite et de la production et de la qualité du lait, mammites, augmentation du nombre de cellules, baisse de la fécondité, problèmes de croissance des veaux, anémie des animaux, euthanasie de veaux),

- la brochure du ministère de l'agriculture et de la pêche de juillet 2000 intitulée ' mieux connaître les risques de courants électriques parasites dans les exploitations d'élevage' qui décrit les symptômes observés chez les vaches en présence de phénomènes électriques parasites, qui sont identiques à ceux qui ont été constatés dans leur exploitation,

- la brochure du CNIEL de juillet 2016 qui aborde également la question des courants parasites,

- une étude de 2023 portant sur les effets sanitaires de l'exposition de porcs et porcelets à des courants parasites de moins de 0,5 volt dans leurs abreuvoirs et nourrisseurs,

- l'absence d'autres causes possibles.

Il est constant que la simple présence d'une ligne électrique à proximité d'une exploitation ne permet pas d'en déduire que les désordres affectant les animaux qui y sont élevés, proviennent nécessairement de celle-ci.

Si les études dont font état les intimés, ont pu révéler l'impact de courants parasites ou vagabonds sur des animaux d'élevage et notamment des vaches, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'études à portée générale, qui ne sont pas de nature à démontrer que tel est le cas dans la présente espèce.

Il n'est par ailleurs pas établi que les désordres dont se plaignent les intimés, sont de façon directe et certaine, la conséquence de l'installation en 2011 de la ligne électrique et du transformateur.

Tout au contraire, le rapport final établi suite au protocole suivi par le GPSE rappelle qu'à la suite de l'expertise réalisée à la demande d'ENEDIS en mai 2017, l'expert, Monsieur [G] a conclu comme suit :*

' - mesure du coefficient de couplage de la pris e de terre du neutre et de celles de masse d'origine et nouvelle de l'exploitation : ces coefficients sont tous supérieurs au seuil préconisé (k inférieur à 0,15), en particulier celui des masses d'origine, mais un coefficient excessif ne peut en aucun cas être à l'origine d'une perturbation de longue durée... la mise hors tension par le fonctionnement des dispositifs de protection est très rapide;

- la protection contre les effets de courants parasites éventuels n'est pas correctement assurée :

* les liaisons équipotentielles des éléments métalliques accessibles aux animaux sont incomplètes pour le robot et inexistantes pour l'ensemble des autres éléments (abreuvoirs, cornadis, logettes...),

* les sols sont soit non équipés de treillis métalliques, soit équipés de treillis non reliés à la liaison équipotentielle.

- cependant aucune tension parasite significative n'a été retrouvée : les tensions mesurées (35 mV) sont très inférieures au seuil de perception des animaux.

- les tensions impulsionnelles générées par l'électrificateur des clôtures sont très faibles.

- les valeurs du champ magnétique sont très faibles : 0,08 devant le transformateur Enedis et 0,07 devant le robot de traite : elles sont très inférieures au seuil de 100, limite maximale selon la Recommandation Européenne 1995/519/CE.

Il est indiqué que Monsieur [W] a fait le nécessaire pour améliorer la protection contre les courants parasites, pour le robot, les installations diverses et les clôtures.

Des mesures ont été faites par l'APAVE en décembre 2017 et janvier 2018, si celles-ci ont révélé des tensions en courant alternatif en particulier sur le robot, elles sont très inférieures au seuil de 500 mV considéré comme le seuil de perception par les animaux ( 63 mV sur le robot, 150 mV sur un abreuvoir du bâtiment des vaches laitières et sur un abreuvoir des veaux).

Cet organisme a constaté des valeurs plus élevées en courant continu, et indique que cela est classique en élevage.

Une autre expertise a été diligentée par Monsieur [V] (CCM) à la demande de Monsieur [W] qui a permis d'établir notamment l'insuffisance de l'isolement du robot et de sa prise de terre. L'expert s'il a constaté un taux de couplage relatif au transformateur supérieur au seuil préconisé, indique qu'il ne peut être à l'origine d'une perturbation de longue durée.

L'APAVE qui est de nouveau intervenu à la suite de ce rapport, a constaté plusieurs anomalies sur le réseau électrique de l'exploitation.

Monsieur [W] a, à la suite de ces observations, fait réviser l'installation électrique de son exploitation et l'a faite mettre aux normes.

Le rapport GPSE rappelle ensuite qu'à la demande de Monsieur [W], le transformateur a été neutralisé du 11 au 22 juin 2018, sans que n'ait été observée une modification du comportement des vaches lié à sa coupure et sa remise en service.

Un relevé de mesures sous tension du transformateur du 6 au 13 septembre 2018 a confirmé la conformité des installations.

L'APAVE qui est de nouveau intervenu du 24 septembre au 1er octobre 2018, estime que les paramètres relatifs aux normes NF EN 50169 et NF EN 61000-4-30 sont respectés, mis à par le flicker dont il ne peut dire s'il provient de l'installation électrique ou du réseau Enedis, tout en précisant que les valeurs du flicker étaient conformes à la norme au mois de mars précédent.

Il a également relevé de nombreux phénomènes transitoires au niveau de l'installation électrique qui correspondent à un court-circuit fugitif entre la phase L1 et le neutre et dont il estime qu'ils proviennent d'un élément interne à l'exploitation, et que rien n'établit que ces tensions de pas ou de contact, sont susceptibles d'être ressenties par les animaux dans la stabulation.

Au regard de ces diverses investigations électriques, le GPSE conclut qu'aucune des anomalies relevées ne peut expliquer les anomalies de comportement des animaux.

L'exploitation des caméras mises en place par des experts indépendants, puis par Monsieur [W] ont certes permis de constater un comportement anormal des vaches dans le robot, sans toutefois que la neutralisation du transformateur n'ait permis de mettre en évidence de différences majeures du fonctionnement du troupeau sur la période observée.

Des investigations ont également été faites pour vérifier le confort et l'homogénéité du bâtiment, ce dont il est ressorti que le bâtiment des vaches laitières comportant 76 logettes, présentait des lacunes relatives à la présence d'un sol très souillé, une luminosité et une ventilation insuffisantes et la nécessité de mettre de la paille dans les logettes pour les assécher.

Il a été également relevé une largeur totale des logettes face à face insuffisante, tout comme le nombre de places au cornadis, et une insuffisance de ventilation et de luminosité dans la nurserie, expliquant les troubles respiratoires constatés sur certains veaux.

Des conseils ont été donnés à Monsieur [W] en vue d'améliorer l'alimentation de ses veaux et des vaches.

Il a été noté s'agissant des performances de traite et le nombre de mammites, que la situation était très variable, demeurant satisfaisantes pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois, avant de se dégrader sans raison apparente.

Les investigations vétérinaires ont essentiellement fait apparaître l'existence de lésions podales, tant à l'occasion d'autopsies que par l'observation des vaches dont plusieurs boitaient sérieusement.

Le parage des animaux financé par le GPSE a confirmé une prévalence élevée de maladie de Mortellaro ( dermatite digitée) associée à des surcharges de corne qui ont été parées et des ulcères.

Il est précisé que ce problème impacte le déplacement des vaches et la consommation alimentaire avec un impact important sur la production.

Les autres analyses n'ont pas révélé de problèmes importants, le rapport précisant toutefois s'agissant des infections mammaires, que la présence d'un staphylocoque potentiellement contagieux, doit inciter à la prudence quant au bon fonctionnement du système de désinfection du robot.

Le rapport final du GPSE conclut comme suit :

'- toutes les investigations électriques possibles ont été réalisées, les mises en conformité effectuées et aucune anomalie susceptible d'avoir des conséquences sur le troupeau n'a été mise en évidence,

- il est cependant indiscutable que les difficultés de l'élevage persistent à certaines périodes à la fois sur le comportement et les résultats, sans que l'origine électrique ne puisse être démontrée,

- par contre, les observations vétérinaires ont montré que de nombreux points restent à optimiser : logement, propreté, alimentation, pathologie du pied... C'est sur ces points qu'il convient d'investir avec le plus de chance de réussite. L'élevage nécessiterait un suivi et un accompagnement technique renforcé.'

Si le vétérinaire de Monsieur [W], le Docteur [O] a émis l'hypothèse que les anomalies qu'il a constatées, pouvaient résulter de la présence de la ligne électrique et du transformateur à proximité de l'exploitation, il ne s'agit toutefois que de suspicions qui ne sont pas confirmées par le GPSE, qui a pourtant mener de multiples investigations à tous les niveaux.

De même, l'amélioration du comportement du troupeau dont font état les Docteurs [O] et [C] (celui-ci ayant été mandaté dans le cadre du protocole GPSE), en 2020, à la suite du déplacement de la ligne électrique et du transformateur, n'est pas de nature à lui seul à établir l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre leur présence et les désordres constatés dans l'exploitation des intimés, pas plus que d'un faisceau d'indices concordants.

En effet, et comme le soutient à juste titre la société Enedis, la présence de courants électriques parasites ou vagabonds significatifs, n'a pas été établie ainsi que cela résulte du rapport GPSE, ce qui constitue pourtant un préalable pour démontrer l'existence du fait générateur dont la preuve doit en premier lieu être rapportée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Comme il vient d'être dit, d'autres causes aux problèmes rencontrés dans l'exploitation ont été relevées dans le cadre du suivi par le GPSE et aucune pièce n'est produite permettant de connaître l'évolution du troupeau postérieurement au début de l'année 2020, et notamment de vérifier la persistance de l'amélioration constatée.

La réalité d'un préjudice direct et certain n'est donc pas caractérisé.

Il ne peut davantage être retenu l'existence de présomptions graves, précises et fiables au regard des développements qui précédent.

Dans ces conditions, c'est à tort que le premier juge a retenu que la concomitance des difficultés rencontrées sur le comportement des vaches et veaux et leur état de santé à partir de 2012 après l'installation de la ligne électrique et du transformateur en 2011, couplée avec l'amélioration après le déplacement de la ligne et du transformateur en 2019, permettait de déclarer qu'il existait des présomptions graves, précises et fiables démontrant que le comportement anormal des animaux, leur état de santé et la production laitière diminuée était la conséquence de l'installation de la ligne souterraine de 20.000 V et du transformateur à quelques mètres de l'exploitation de Monsieur [W] et de l'EARL Le Petit Quincé.

Le jugement sera donc infirmé de ce chef.

Sur l'indemnisation

Compte tenu des développements ci-dessus, Monsieur [W] et L'EARL Le Petit Quincé seront déboutés de leurs demandes au titre de la réparation de leurs préjudices.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit partiellement à leurs demandes à ce titre.

Sur la demande en paiement de la société ENEDIS

En juin 2019, la société Enedis a procédé aux frais de Monsieur [W], au déplacement de la ligne et du transformateur.

Toutefois, celui-ci n'a réglé qu'un acompte de 10.324,79 € sur un total de 63.225,90 € TTC.

Il reste donc devoir un solde de 52.901,11 €, ce qu'il ne conteste pas, indiquant ne pas l'avoir payé puisqu'ayant constaté une amélioration de son troupeau après ce déplacement.

Dès lors que la cour estime que l'existence d'un lien de causalité entre les désordres dont il se plaignait et la présence de la ligne électrique et du transformateur n'est pas établie, Monsieur [W] et L'EARL Le Petit Quincé seront condamnés solidairement à payer le solde restant dû, avec intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2023, date à laquelle il est justifié devant la cour de cette demande en paiement, et capitalisation des intérêts pourvu qu'ils soient dûs pour une année entière.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L'équité commande d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Enedis à payer à Monsieur [W] et à L'EARL Le Petit Quincé, la somme de 2.500,00 € à chacun et de débouter les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Succombant, Monsieur [W] et L'EARL Le Petit Quincé seront condamnés aux dépens d'appel, le jugement étant infirmé en ce qu'il a condamné la société Enedis aux dépens de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement du juge de l'expropriation de l'Orne du 7 novembre 2022 sauf en ce qu'il a déclaré recevables Monsieur [W] et L'EARL Le Petit Quincé en leur action,

LE CONFIRME de ce chef,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE Monsieur [Z] [W] et L'EARL Le Petit Quincé de l'ensemble de leurs demandes tendant à l'indemnisation de leurs préjudices,

CONDAMNE solidairement Monsieur [Z] [W] et L'EARL Le Petit Quincé à payer à la société Enedis, la somme de 52.901,11 € avec intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2023, au titre du solde du coût du déplacement de la ligne électrique et du transformateur, avec capitalisation des intérêts pourvu qu'ils soient dus pour une année entière, conformément à l'article 1343-2 du code civil,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes, en ce compris celles formées en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Monsieur [Z] [W] et L'EARL Le Petit Quincé aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

M. COLLET G. GUIGUESSON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre civile-expro
Numéro d'arrêt : 22/03035
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;22.03035 ?
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