La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/06/2024 | FRANCE | N°19/02741

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre sociale, 13 juin 2024, 19/02741


AFFAIRE : N° RG 19/02741

N° Portalis DBVC-V-B7D-GNC7

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de COUTANCES en date du 28 Août 2019 - RG n° 19/00002











COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRÊT DU 13 JUIN 2024





APPELANT :



Monsieur [M] [V]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par Me QUINQUIS, substitué par Me FINOT, de la SCP MICHEL LEDOUX ET AS

SOCIES, avocats au barreau de PARIS





INTIMEE :



SAS [4] venant aux droits de la SARL [8]

[Adresse 9]



Représentée par Me Robert APÉRY, avocat au barreau de CAEN



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA ...

AFFAIRE : N° RG 19/02741

N° Portalis DBVC-V-B7D-GNC7

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance de COUTANCES en date du 28 Août 2019 - RG n° 19/00002

COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRÊT DU 13 JUIN 2024

APPELANT :

Monsieur [M] [V]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me QUINQUIS, substitué par Me FINOT, de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS

INTIMEE :

SAS [4] venant aux droits de la SARL [8]

[Adresse 9]

Représentée par Me Robert APÉRY, avocat au barreau de CAEN

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA MANCHE

[Adresse 3]

Dispensée de comparaître en vertu des articles 946 et 446-1 du code de procédure civile

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Présidente de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 18 avril 2024

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 13 juin 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

Par arrêt en date du 28 septembre 2023, auquel il est expressément renvoyé pour un exposé complet des faits et motifs, la cour d'appel de Caen a :

- infirmé le jugement déféré,

- dit que l'accident du travail dont a été victime M. [V] le 2 juillet 2014 est dû à la faute inexcusable de la société [4] venant aux droits de la société [8],

- ordonné la majoration maximale de la rente servie par l'organisme de sécurité sociale de M. [V],

- dit que la majoration de la rente suivra l'augmentation du taux d'incapacité permanente partielle résultant de l'aggravation de l'état de santé de la victime,

- accordé à M. [V] 10 000 euros à titre de provision à valoir sur son préjudice, somme qui sera avancée par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche,

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche fera l'avance des sommes allouées à la victime et bénéficiera de l'action récursoire à l'encontre de la société [4] venant aux droits de la société [8] pour les sommes dont elle est tenue de faire l'avance, en ce compris les frais d'expertise,

- rappelé que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche ne pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la société, s'agissant de la majoration de la rente, que dans la limite du taux d'incapacité de 25 %,

- avant-dire-droit sur l'indemnisation des préjudices de M. [V], ordonné une expertise médicale, et désigné pour y procéder M. [H] [D],

- sursis à statuer sur les autres demandes.

Le docteur [D] a déposé son rapport le 29 février 2024.

Par conclusions déposées le 3 avril 2024, soutenues oralement par son conseil, M. [V] demande à la cour de :

- rejeter toutes fins et exceptions de non-recevoir,

- fixer la réparation des préjudices subis par M. [V] comme suit :

* ante consolidation

- préjudice de souffrances physiques 40 000 euros

- préjudice de souffrances morales 30 000 euros

- préjudice de mort imminente 20 000 euros

- préjudice esthétique 3 000 euros

- préjudice de frais d'assistance par tierce personne 5 660 euros

- DFT 17 258 euros

* post consolidation

- préjudice d'agrément 15 000 euros

- préjudice sexuel 5 000 euros

- DFP 59 940 euros

- préjudice matériel de frais de dentier et lunettes 2 810,55 euros

Soit un total de 198 668,55 euros

En tout état de cause,

- condamner la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche à faire l'avance des sommes fixées au titre des préjudices subis par M. [V], déduction faite de la provision de 10 000 euros accordée par la cour d'appel dans son arrêt du 28 septembre 2023,

- condamner la société [8] au versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire qu'en vertu des dispositions de l'article 1153-1 du code civil, l'ensemble des sommes dues portera intérêts à taux légal à compter du 'jugement' à intervenir.

Par écritures déposées le 11 avril 2024, soutenues oralement par son conseil, la société [4], venant aux droits de la société [8], demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur la demande au titre du préjudice lié aux souffrances physiques, morales et de mort imminente, débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 100 000 euros de ces chefs et limiter son indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à 10 000 euros,

- statuer ce que de droit sur la demande au titre du préjudice esthétique temporaire, débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 3 000 euros de ce chef et limiter son indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à 1 000 euros,

- statuer ce que de droit sur la demande au titre de l'assistance tierce personne, et limiter son indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à 5 660 euros,

- statuer ce que de droit sur la demande au titre du déficit fonctionnel temporaire, débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 17 258 euros de ce chef et limiter son indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à 10 700 euros,

- statuer ce que de droit sur la demande au titre du préjudice lié aux frais de dentier et de lunettes et limiter son indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à 2 810,55 euros,

- statuer ce que de droit sur la demande au titre du préjudice d'agrément, débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 15 000 euros de ce chef et limiter son indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à 1 500 euros,

- statuer ce que de droit sur la demande au titre du préjudice sexuel, débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 5 000 euros de ce chef et limiter son indemnisation à une somme qui ne saurait être supérieure à quelques centaines d'euros,

- statuer ce que de droit sur la demande au titre du déficit fonctionnel permanent, débouter M. [V] de sa demande d'indemnisation à hauteur de 59 940 euros de ce chef et limiter son indemnisation à un juste montant,

- statuer ce que de droit sur la demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et réduire dans de justes proportions l'indemnisation sollicitée.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Manche a sollicité une dispense de comparution à laquelle la cour a fait droit.

Par écritures du 10 avril 2024, elle a indiqué s'en rapporter à la sagesse de la cour tant en quantum qu'en opportunité, étant rappelé qu'elle dispose de son action récursoire pour toutes les sommes dont elle sera tenue de faire l'avance auprès de l'employeur.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

SUR CE, LA COUR

L'article L 452-3 du code de la sécurité sociale dispose que : 'indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

(...)

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.'

En outre, par décision du 18 juin 2010 n° 2010-8 QPC, le Conseil constitutionnel a décidé que : 'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de l'article L 452-3 ne sauraient sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que les victimes ou leurs ayants droit puissent devant les mêmes juridictions demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV.'

Par ailleurs, il est désormais acquis que la rente accident du travail n'indemnise plus le déficit fonctionnel permanent.

Il en résulte qu'en plus des postes de préjudices limitativement énumérés par l'article L 452-3, la victime est bien fondée en cas de faute inexcusable de son employeur à demander devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du déficit fonctionnel permanent.

- Souffrances endurées

Ce poste indemnise les souffrances physiques et morales subies par la victime jusqu'à la date de consolidation, étant rappelé que les souffrances physiques et morales postérieures à la consolidation sont indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

L'expert a évalué ce poste de préjudice à 4 sur une échelle de 7 tenant compte des éléments suivants :

'M. [V] a présenté des souffrances physiques, psychologiques et morales en relation avec le mécanisme de la chute, le polytraumatisme intéressant la face, le parenchyme cérébral, les deux poignets, les nombreuses fractures de côtes, les deux ostéosynthèses de poignets et l'ablation du matériel d'ostéosynthèse, les immobilisations par fixateurs externes et par contention externe, l'hospitalisation au CHU de [Localité 6] sur une période du 2 juillet au 8 juillet 2014 et le jour de l'ablation du matériel d'ostéosynthèse, ainsi qu'un équivalent de l'hospitalisation à domicile dans le premier mois qui a suivi le retour au domicile. On tiendra compte également des troubles neuropsychiques et psychologiques en rapport avec la sensation de mort imminente liée à la chute, du mauvais vécu d'un commentaire entendu 'dans les couloirs de l'hôpital', des troubles psychologiques inhérents au traumatisme (une consultation chez un psychiatre sans suivi au décours et sans prescription de prise en charge psychologique ou psychotrope), des soins engagés et de leur durée.'

L'expert note que M. [V] présentait les lésions suivantes dans les suites de son accident :

'Une fracture des deux poignets, un hématome extra-dural gauche de faible abondance et sans indication chirurgicale, des fractures du massif facial, une fracture extra-labyrinthique du rocher droit (pas de plainte fonctionnelle otologique pendant l'hospitalisation), une fracture du toit des deux orbites, une fracture des deux lames papyracées, une fracture de la paroi latérale de l'orbite gauche s'étendant sur l'écaille temporale gauche, l'absence de fracture du plancher des orbites, une fracture des deux extrémités inférieures des radius gauche et droit, des fractures multiples de côtes'.

M. [V] sollicite une somme de 40 000 euros au titre des souffrances physiques, 30 000 euros au titre des souffrances morales et 20 000 euros au titre du préjudice de mort imminente.

La société rétorque que l'évaluation de l'expert judiciaire, à savoir un préjudice de 4/7 au titre des souffrances endurées, tient compte de ces trois aspects du préjudice. Elle propose une somme de 10 000 euros au maximum.

Les éléments dont fait état M. [V] quant à ses souffrances physiques et ses souffrances morales ont été repris dans le rapport de l'expert judiciaire. Il indique avoir vécu une angoisse très forte à la suite de l'accident et une mélancolie, caractérisée par une très forte fatigue et une somnolence diurne très importante.

S'agissant du préjudice de mort imminente, il a été jugé que le préjudice d'angoisse de mort imminente ne peut être constitué que pour la période postérieure à l'accident jusqu'au décès.

Il en résulte que M. [V] ne peut obtenir aucune indemnisation de ce chef. Il sera débouté de cette demande.

Compte tenu de ces observations, les souffrances physiques et morales endurées seront évaluées à 30 000 euros.

- Préjudice esthétique temporaire

Ce poste indemnise l'altération physique de la victime consécutive aux lésions subies jusqu'à la date de consolidation.

L'expert judiciaire note qu'avant consolidation, M. [V] s'est présenté avec un oedème et des hématomes de face très importants, allant jusqu'à la quasi-occlusion palpébrale, des immobilisations des membres supérieurs avec fixateurs externes, des quelques cicatrices des avant-bras et des difficultés pour se présenter à autrui (toilette et habillage réalisés par son épouse).

Il estime le préjudice esthétique temporaire à 3 sur une échelle de 7.

Il convient au vu de ces éléments d'accorder à M. [V] une somme de 3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire.

- Déficit fonctionnel temporaire

Le déficit fonctionnel temporaire n'est pas couvert par les indemnités journalières et inclut pour la période antérieure à la consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle, le temps d'hospitalisation , les pertes de qualité de vie ainsi que des joies usuelles de la vie courante durant la maladie.

L'expert a retenu, avant consolidation, une période de déficit fonctionnel total du jour de l'accident jusqu'à un mois après le retour à domicile, c'est-à-dire du 2 juillet 2014 au 8 août 2014, puis une période de gêne temporaire partielle à 75 % dans le mois qui a suivi jusqu'à l'ablation du matériel d'ostéosynthèse, du 9 août 2014 au 8 septembre 2014. Dans les suites, on retient une période de gêne temporaire partielle à 50 % du 10 septembre 2014 à la fin de la prise en charge au centre de rééducation à [Localité 5], le 19 décembre 2016, puis une période de gêne temporaire partielle à 25 % du 20 décembre 2016 au jour de la consolidation, le 11 août 2017.

M. [V] sollicite une évaluation de son préjudice sur une base de 1 000 euros par mois (soit 33,50 euros par jour), 'au regard de sa pathologie mortelle'.

La société propose une évaluation sur une base de 20 euros par jour, rappelant que le pronostic vital de M. [V] n'a jamais été engagé.

Au vu de ces éléments, et de ce qu'en effet, le pronostic vital de M. [V] n'a pas été engagé, il convient d'indemniser M. [V] sur la base de 25 euros par jour, soit 13 375 euros selon le calcul suivant :

- 2 juillet au 8 août 2014 38 jours 100 % 950 euros

- 9 août 2014 au 8 septembre 2014 31 jours 75 % 581,25 euros

- 10 septembre 2014 au 19 décembre 2016 830 jours 50 % 10 375 euros

- 20 décembre 2016 au 11 août 2017 235 jours 25 % 1 468,75 euros

Total 13 375 euros

- Frais d'assistance tierce personne

Ce poste de préjudice lié à l'assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d'autonomie la mettant dans l'obligation de recourir à un tiers pour l'assister dans l'ensemble des actes de la vie quotidienne.

Il est évalué en considération des besoins et non au regard de la justification de la dépense.

L'expert mentionne qu'avant consolidation, M. [V] a reçu l'aide de son épouse à raison de 4 heures par jour pendant la période de gêne temporaire totale à domicile, et à raison de 3 heures par jour pendant la période de gêne temporaire partielle à 75 %. Il a ensuite recouvré une autonomie pour l'ensemble des actes de la vie quotidienne.

M. [V] produit le témoignage détaillé de son épouse, décrivant l'importance de son assistance durant les deux périodes retenues par l'expert judiciaire.

Il réclame au titre de ce préjudice une somme de 5 660 euros, au sujet de laquelle la société déclare s'en rapporter à la juste appréciation de la cour, précisant que le montant de ces frais ne saurait excéder 5 660 euros.

Il convient dans ces conditions de faire droit à la demande dans les termes sollicités par l'appelant, soit 5 660 euros.

- Préjudice matériel de frais de dentier et de lunettes

M. [V] explique que lors de sa chute, ses lunettes et son dentier se sont cassés et qu'il a dû les remplacer pour un montant de 458,80 euros s'agissant des lunettes et 2 900 euros pour le dentier.

Il ajoute avoir été remboursé de ses frais à hauteur de 548,25 euros par la caisse, de sorte qu'il sollicite une somme 2 810,55 euros (2 900 + 458,80 - 548,25) en réparation de ce préjudice.

La société s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur ce point.

Il convient de rappeler que ces frais constituent des dépenses de santé et d'appareillage au sens de l'article L.431-1 du code de la sécurité sociale, couverts par le livre IV et ne peuvent, dès lors, donner lieu à indemnisation sur le fondement de l'article L.452-3 dudit code.

En conséquence, il y a lieu de rejeter cette demande.

- Préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité physique ou de loisirs. Ce poste de préjudice inclut la limitation de la pratique antérieure.

Il appartient à la victime de démontrer qu'elle pratiquait antérieurement et régulièrement une activité spécifique de loisirs et qu'elle ne peut plus le faire ou qu'elle est limitée dans cette activité.

Aux termes du rapport d'expertise, M. [V] présente des difficultés attentionnelles et de concentration, mais sans troubles des conduites. Il lui est possible de reprendre l'équitation mais à un degré moindre, notamment l'utilisation d'un double poney serait possible avec de nombreuses précautions pour éviter une éventuelle chute.

M. [V] explique avoir été le gérant et le propriétaire d'une ferme équestre de 1991 à 1998, avant d'être chauffeur. Il ajoute avoir bénéficié d'un apprentissage à l'écurie de trot à [Localité 7] (Eure) de 1973 à 1979, et avoir obtenu son diplôme d'accompagnateur de tourisme équestre en 1992.

Selon les déclarations de M. [V] devant l'expert judiciaire, il montait régulièrement le double poney avant l'accident, double poney qui est décédé en 2016.

Il convient de retenir que la preuve est suffisamment rapportée que M. [V] pratiquait régulièrement l'équitation et que cette pratique est limitée mais non impossible depuis l'accident.

Il lui sera en conséquence accordé une somme de 5 000 euros en réparation de ce préjudice.

- Préjudice sexuel

Ce poste concerne la réparation des préjudices touchant à la sphère sexuelle. Il convient de distinguer trois types de préjudice de nature sexuelle :

le préjudice morphologique qui est lié à l'atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;

le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;

le préjudice lié à l'impossibilité ou une difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc.).

Le rapport d'expertise mentionne : sur notre interrogatoire, Mme [V] nous signale qu'au retour de l'hôpital, le couple a pu avoir quelques relations intimes qui se sont progressivement dégradées au fil du temps. Rien au plan fonctionnel ne permet médicalement d'expliquer les difficultés en la matière. Néanmoins, une certaine perte de confiance de la part de la victime, associée à un 'mauvais vécu des événements' de la part de son épouse, ont probablement provoqué une accélération de la diminution du rythme des rapports intimes, que l'on peut attendre à partir d'un certain âge.

L'expert conclut : amenuisement par diminution de la libido concomitante d'un émoussement du désir lié à l'âge.

L'épouse de M. [V] témoigne de l'impossibilité d'avoir des rapports sexuels avec son époux à son retour de l'hôpital, en raison des douleurs ressenties par celui-ci. Cependant, le préjudice sexuel n'est pris en compte qu'à compter de la consolidation.

Elle précise ensuite qu'un an et demi après l'accident, 'notre vie intime est encore perturbée psychologiquement'.

Sur la base des conclusions de l'expert judiciaire, il convient d'accorder à M. [V] une somme de 1 500 euros en réparation de ce préjudice.

- Déficit fonctionnel permanent

Le déficit fonctionnel permanent indemnise la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

Aux termes du rapport d'expertise, 'au jour de la consolidation, en tenant compte de l'examen clinique de ce jour et de l'examen clinique retranscrit par le docteur [L], médecin-conseil de la caisse, on retient un taux de déficit fonctionnel permanent de 27 %, incluant les atteintes fonctionnelles, les troubles physiologiques et psychologiques, les troubles neurocognitifs, les déficits fonctionnels des 2 poignets, les douleurs physiques et morales persistantes, mais également une brisure dans la trajectoire de vie, avec des difficultés dans les conditions d'existence (diminution des relations sociales, familiales ou amicales)'.

M. [V] se fonde sur le référentiel 'Mornet' pour solliciter une somme de 59 940 euros, sur la base d'un point à 2 220 euros.

La société s'oppose à cette méthode de calcul, estimant qu'elle revient à forfaitiser un préjudice, qui doit au contraire être estimé selon la situation personnelle de la victime. Elle en conclut à une réduction de la somme qui sera accordée à ce titre.

Il convient de noter que le prix du point d'incapacité permanente partielle est fixé selon les séquelles conservées, le taux d'incapacité et l'âge de la victime. Il en résulte que le référentiel précité tient compte de l'indispensable individualisation de la réparation du préjudice à la situation personnelle de la victime.

En outre, les constatations précises et circonstanciées de l'expert témoignent de l'importance de ce poste de préjudice s'agissant de M. [V], dont le taux non contesté de 27 % doit être justement réparé par l'attribution de la somme sollicitée, soit 59 940 euros.

Au total, les préjudices subis par M. [V] s'établissent à 118 475 euros euros selon le détail suivant dont il convient de déduire la provision de 10 000 euros, accordée par arrêt du 28 septembre 2023, à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices.

Souffrances endurées 30 000 euros

Préjudice esthétique temporaire 3 000 euros

Déficit fonctionnel temporaire 13 375 euros

Assistance tierce personne 5 660 euros

Préjudice d'agrément 5 000 euros

Préjudice sexuel 1 500 euros

Déficit fonctionnel permanent 59 940 euros

Total 118 475 euros

Provision à déduire 10 000 euros

- Sur les intérêts

L'article 1231-7 du code civil dispose :

En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement.

En cas de confirmation pure et simple par le juge d'appel d'une décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l'indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d'appel. Le juge d'appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa.

En l'espèce, M. [V] demande que l'ensemble des sommes dues portent intérêts à compter du jugement à intervenir.

Il convient en conséquence de dire que les sommes allouées produiront intérêts à compter du présent arrêt.

- Sur l'action récursoire de la caisse

Il convient de rappeler que la caisse bénéficie d'une action récursoire à l'encontre de la société pour les sommes dont elle est tenue de faire l'avance et , s'agissant de la majoration de la rente, dans la limite du taux d'incapacité de 25 %.

- Sur les demandes accessoires

Succombant, la société sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, et à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Vu l'arrêt de la cour d'appel de Caen en date du 28 septembre 2023,

Déboute M. [V] de sa demande au titre du préjudice de mort imminente et de sa demande au titre des de frais de dentier et de lunettes ;

Alloue à M. [V] les sommes suivantes :

Souffrances physiques et morales endurées 30 000 euros

Préjudice esthétique temporaire 3 000 euros

Déficit fonctionnel temporaire 13 375 euros

Assistance tierce personne 5 660 euros

Préjudice d'agrément 5 000 euros

Préjudice sexuel 1 500 euros

Déficit fonctionnel permanent 59 940 euros

Soit la somme totale de 118 475 euros

dont sera déduite la somme de 10 000 euros accordée à M. [V] par l'arrêt du 28 septembre 2023 à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices ;

Dit que ces indemnités produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que les sommes ainsi allouées seront avancées directement par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche ;

Rappelle que la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche bénéficie d'une action récursoire à l'égard de l'employeur de M. [V], la société [4] venant aux droits de la société [8], pour les sommes dont elle est tenue de faire l'avance, et, s'agissant de la majoration de la rente, dans la limite du taux d'incapacité de 25 % ;

Condamne la société [4] venant aux droits de la société [8] à payer à M. [V] la somme de 3 000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [4] venant aux droits de la société [8] aux dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02741
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;19.02741 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award