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28/05/2024 | FRANCE | N°21/01498

France | France, Cour d'appel de Caen, 1ère chambre civile, 28 mai 2024, 21/01498


AFFAIRE : N° RG 21/01498 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-GYKK

 



ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LISIEUX du 08 Mars 2021

RG n° 19/00961







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 28 MAI 2024





APPELANT :



Monsieur [N] [K]

né le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 7]



représenté et assisté de Me Aurélie FOUCAULT

, avocat au barreau de CAEN



INTIMÉS :



Monsieur [O]-[F] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 6]



La S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES venant aux droits de la SA COVEA RISKS

N° SIRET : 775.652.126

[Adresse 2]

[Localité ...

AFFAIRE : N° RG 21/01498 -

N° Portalis DBVC-V-B7F-GYKK

 

ARRÊT N°

JB.

ORIGINE : DÉCISION du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LISIEUX du 08 Mars 2021

RG n° 19/00961

COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 28 MAI 2024

APPELANT :

Monsieur [N] [K]

né le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 7]

représenté et assisté de Me Aurélie FOUCAULT, avocat au barreau de CAEN

INTIMÉS :

Monsieur [O]-[F] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 6]

La S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES venant aux droits de la SA COVEA RISKS

N° SIRET : 775.652.126

[Adresse 2]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

La S.A. MMA IARD venant aux droits de la SA COBVEA RISKS

N° SIRET : 440.048.882

[Adresse 2]

[Localité 5]

prise en la personne de son représentant légal

Tous représentés par Me Lionel SAPIR, avocat au barreau de LISIEUX

Tous assistés de Me DESERT substituant Me PORCHER, avocats au Barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme DELAUBIER, Conseillère,

Mme VELMANS, Conseillère,

DÉBATS : A l'audience publique du 05 mars 2024

GREFFIER : Mme COLLET

ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 28 Mai 2024 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat à durée indéterminée du 20 octobre 2007, M. [N] [K] a été engagé par la société Transports [H] [C] en qualité de chauffeur poids-lourds. Son contrat a été transféré à deux reprises la dernière fois en octobre 2012 à la société Bomex.

Le 22 octobre 2014, M. [K] qui faisait l'objet d'un arrêt de travail renouvelé jusqu'au 31 octobre 2014 a adressé à son employeur une lettre de démission.

En mars 2015, M. [K] a sollicité l'assistance et le conseil de Me [O]-[F] [Z], avocat au barreau du Havre, dans le cadre du litige l'opposant à son ancien employeur la société Bomex, laquelle a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par le tribunal de commerce de Nantes le 29 décembre 2014, convertie en liquidation judiciaire le 6 juillet 2016.

Reprochant à l'avocat de ne pas avoir saisi le conseil des prud'hommes pour faire valoir ses droits, M. [K] a, après une réclamation amiable du 23 avril 2019 demeurée sans effet, fait assigner Me [Z] devant le tribunal de grande instance de Lisieux par acte du 13 novembre 2019, aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme principale de 56 946,41 euros au titre de la perte de chance inhérente à la faute commise par l'avocat outre la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral.

Les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles assureurs en responsabilité civile professionnelle de l'avocat sont intervenues volontairement à l'instance.

Par jugement du 8 mars 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Lisieux a :

- rejeté la demande en paiement formée par M. [K] au titre de la perte de chance ;

- condamné in solidum Me [Z], la société Mma Iard Assurances Mutuelles et la société Mma Iard à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral ;

- condamné in solidum Me [Z], la société Mma Iard Assurances Mutuelles et la société Mma Iard à payer à M. [K] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- rejeté la demande formée par Me [Z], la société Mma Iard Assurances et la société Mma Iard au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté toute demande plus ample ou contraire ;

- condamné in solidum Me [Z], la société Mma Iard Assurances Mutuelles et la société Mma Iard aux dépens ;

- autorisé la Selarl Mialon Legruel Foucault Cousin à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 1er juin 2021, M. [K] a formé appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 janvier 2022, M. [K] demande à la cour, au visa principal des articles 1147 ancien et 1231-1et suivants du code civil, de :

- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lisieux du 8 mars 2021 en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à voir condamner solidairement Me [Z], la société Mma Iard Assurances et la société Mma Iard à lui payer la somme de 56 946,41 euros au titre de la perte de chance subie par lui à raison de la faute commise par son conseil, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, les intérêts échus produisant eux-mêmes intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

statuant à nouveau,

- condamner solidairement Me [Z], la société Mma Iard et la société Mma Iard Assurances Mutuelles à lui payer la somme de 56 946,41 euros au titre de la perte de chance subie par lui à raison de la faute commise par son conseil, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

- ordonner que les intérêts échus produiront eux-mêmes intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lisieux du 8 mars 2021 en ce qu'il a condamné Me [Z], la société Mma Iard et la société Mma Iard Assurances Mutuelles à lui payer une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral, une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;

- débouter Me [Z], la société Mma Iard et la société Mma Iard Assurances Mutuelles de l'ensemble de leurs demandes fins et conclusions ;

- condamner solidairement Me [Z], la société Mma Iard et la société Mma Iard Assurances à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- condamner solidairement Me [Z], la société Mma Iard et la société Mma Iard Assurances aux entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés par la société Avocathim par application de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 17 janvier 2024, Me [Z], la société Mma Iard et la société Mma Iard Assurances Mutuelles demandent à la cour de :

- déclarer M. [K] mal fondé en son appel ;

- l'en débouter ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement rendu le 8 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Lisieux en ce qu'il a rejeté la demande en paiement formée par M. [K] au titre de la perte de chance et débouter M. [K] de son appel ;

- infirmer le jugement en ce qu'il les a condamnés in solidum à indemniser M. [K] au titre de son préjudice moral à hauteur de 3 000 euros au titre de ses demandes ainsi qu'à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence, et en statuant à nouveau,

- les recevoir en leurs conclusions d'intimés contenant appel incident et y faire droit ;

- juger que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile professionnelle de Me [Z] ne sont pas réunies ;

- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de Me [Z], sous la garantie des sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles et Mma Iard, assureurs ;

A titre très infiniment subsidiaire,

- réduire les préjudices allégués à leur plus simple expression ;

En tout état de cause,

- condamner M. [K] à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Sapir qui affirme en avoir fait la plus juste avance conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 7 février 2024.

Pour l'exposé complet des prétentions et des moyens des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

- Sur la responsabilité de Me [Z] :

- Sur la faute :

M. [K] fait valoir sur le fondement des articles 411 et 418 du code de procédure civile, 1231-1 du code civil, et du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles déontologiques de la profession d'avocat et du règlement intérieur national de la profession d'avocat, que Me [Z], à qui il avait donné mandat pour agir en justice à l'encontre de son ancien employeur la société Bomex représentée par son liquidateur, a commis une faute dans sa mission d'assistance pour ne pas avoir saisi le conseil de prud'hommes en temps utile pour connaître de ses demandes.

Il ajoute que l'avocat, en sa qualité de professionnel du droit, tenu d'une obligation de résultat s'agissant de la saisine de la juridiction compétente dans le respect des règles relatives à la prescription de l'action l'a privé, par son inaction, de la possibilité de faire valoir ses droits devant le juge du travail de sorte que le lien de causalité entre la faute commise par Me [Z] et le préjudice qu'il a subi est établi.

Les intimés admettent que Me [Z] a commis 'une erreur' ayant privé l'appelant d'une chance de voir examiner son action soumise au conseil de prud'hommes du Havre mais que sa responsabilité ne doit pas être retenue faute pour M. [K] d'établir l'existence d'un préjudice en lien causal certain et direct avec la faute alléguée.

Sur ce,

En application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l'espèce, la responsabilité de l'avocat obéit aux règles de droit commun de la responsabilité contractuelle et suppose donc, pour être engagée, la démonstration d'un fait fautif générateur de responsabilité, et d'un préjudice réparable imputable à ce fait.

Sur le fondement de ces dispositions, la responsabilité de l'avocat peut être engagée s'il n'a pas accompli, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client et notamment respecté les délais de procédure.

En application des articles 411 à 413 du code de procédure civile, se forme entre l'avocat et son client un contrat de mandat obligeant l'avocat dans le cadre de son activité judiciaire à accomplir tous les actes processuels et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, à veiller à la défense des intérêts de son client en mettant en oeuvre les moyens adéquats et en prenant toutes les initiatives qu'il juge conformes à l'intérêt de son client.

En l'espèce, il est constant que Me [Z], chargé par M. [K] d'intenter une action à l'encontre de son ancien employeur la société Bomex, pour solliciter la requalification de sa démission en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la fixation au passif de la dite société des indemnités sollicitées à ce titre (indemnités de préavis et de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), des rappels de salaire à titre d'heures supplémentaires, ainsi qu'une indemnité forfaitaire de 6 mois au titre du travail dissimulé, a omis de saisir le conseil des prud'hommes du Havre, juridiction prud'homale compétente à cette fin, avant le délai d'écoulement des délais de prescription applicables à chaque demande.

Me [Z] ne conteste pas son inaction alors qu'il ne remet pas en cause la réalité d'un premier rendez-vous avec M. [K] en mars 2015, du paiement par celui-ci d'une provision sur honoraires de 1350 euros le 28 novembre 2015, de sa transmission des pièces sollicitées et de son envoi d'emails et de courriers de relance adressés par son client les 26 octobre 2017 et 11 novembre 2018 versés aux débats.

Au vu de ces éléments, il est manifeste que Me [Z] a failli à ses obligations contractuelles de diligence et de conseil, en ne procédant pas dans les délais impartis à la saisine du conseil de Prud'homme du Havre au nom de son client.

Il en résulte que la faute commise par Me [Z] est caractérisée et le jugement doit être approuvé sur ce point.

- Sur le préjudice et le lien de causalité :

Le préjudice causé par la faute d'un avocat dans le cadre d'une mission d'assistance et de représentation est caractérisé par la perte d'une chance de gagner son procès ou d'obtenir une issue plus favorable. La perte de chance est donc la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et se mesure à la seule probabilité de succès de la diligence omise.

Il appartient à M. [K] de démontrer qu'une action devant le conseil de prud'hommes du Havre avait des chances certaines, même faibles, de prospérer.

Pour ce faire, il est nécessaire, pour chaque demande prise isolément, de reconstituer fictivement la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la juridiction prud'homale entre l'employeur, alors représenté par son liquidateur, et M. [K], laquelle n'a pu avoir lieu en raison de la faute de l'avocat.

* Sur l'exécution du contrat de travail :

- Sur la demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires :

M. [K] assure que, contrairement à ce que le tribunal a jugé, les documents qu'il communique, à savoir les bulletins de salaire justifiant le nombre d'heures de travail payées, les relevés d'heures annexés par son employeur établissant le nombre d'heures réellement travaillées, ainsi que le tableau comparatif de ces données qu'il a réalisé pour démontrer l'existence et le nombre d'heures supplémentaires non payées auraient été pris en compte par le conseil de prud'hommes.

Il fait valoir que les intimés ne démontrent pas le caractère erroné de son calcul opéré sur ces bases objectives alors qu'il a pris en compte l'ensemble des éléments figurant sur ces bulletins de salaires (heures supplémentaires avec majoration, heures d'équivalence, compteur de repos compensateurs) de sorte qu'il était fondé à solliciter les sommes de 16 723,74 euros au titre des heures supplémentaires non payées sur la période de mars 2010 et juin 2014 et de 1672,37 euros au titre des congés payés y afférents. Il estime sa chance de succès d'obtenir ces rappels de salaire à 90% de sorte que son préjudice doit être évalué à la somme totale de 16 556,5 euros (15 051,37 euros + 1505,13 euros).

Me [Z] et les sociétés Mma Iard et Mma Assurances Mutuelles soutiennent que les tableaux produits par M. [K] ne sont toujours pas probants dès lors que les bulletins de paie mentionnent bien des rémunérations correspondant aux heures de travail retenues par ses employeurs, que l'appelant ne fournit aucune explication quant à la comparaison des temps et des bulletins de salaire permettant de valider les sommes réclamées, que les heures non payées n'apparaissent pas de façon compréhensible dans les tableaux communiqués, et que les relevés de temps qui résulteraient de la carte conducteur de M. [K] ne font référence à rien et ne constituent pas plus une preuve.

Sur ce,

Le tribunal a rejeté la demande formulée au titre de la perte de chance fondée sur les rappels de salaires et congés payés y afférents, en considérant qu'en application des articles 9 et 1315 du code civil, M. [K], qui ne pouvait se constituer de preuve à lui-même, ne démontrait pas autrement que par ses seules allégations, que son ancien employeur se serait abstenu de lui verser des salaires pour des heures d'activité effectuées soit à titre habituel, soit à titre supplémentaire.

Toutefois, le droit du travail, en ses dispositions résultant de l'article L. 3171-4 du code du travail tel qu'interprété par la Cour de cassation, aménage de manière particulière les règles applicables en matière d'heures supplémentaire en opérant un partage de la charge de la preuve entre salarié et employeur. Cet article était rappelé dans le projet de conclusions de Me [Z] (pièce 15 de M. [K]).

Ainsi, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, 'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

En application de ces dispositions, il était considéré que 'la preuve des horaires de travail n'incombe ainsi pas spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande'.

A compter du 28 mars 2020 il a été précisé qu'il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences ainsi rappelées aux dispositions légales et réglementaires applicables ; qu'après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant'.

Enfin, il sera rappelé que si les heures supplémentaires doivent être accomplies sur demande de l'employeur, il suffit, en l'absence de demande expresse, que l'employeur ait donné à tout le moins son accord tacite, lequel résulte de la connaissance qu'il avait du nombre d'heures effectuées, ou encore que le nombre d'heures de travail ait été rendu nécessaire par le travail confié au salarié, la qualité ou la nature des tâches à accomplir.

En l'espèce, M. [K], chauffeur routier, à l'appui de sa demande en paiement d'heures supplémentaires non payées depuis 2010, comptait communiquer les éléments suivants à la juridiction prud'homale :

- son contrat de travail ;

- les bulletins de salaires des années 2010 à 2014 dont il résulte que M. [K] était rémunéré sur la base d'un salaire mensuel de base de 152 heures payées au taux horaire de 10,18 euros, outre 34 heures d'équivalence payées au taux horaire de 10,18 euros majoré de 25%, et enfin 9 heures supplémentaires majorées à 50%, sommes auxquelles s'ajoutaient les indemnités heures de nuit lesquelles variaient chaque mois ;

- les relevés d'heures mensuels annexés obligatoirement par l'employeur et issus de sa carte conducteur, sauf en ce qui concerne la période juillet à septembre 2014 ; pour l'année 2013, seuls les relevés des mois de mars (non complet) et décembre 2013 sont communiqués ;

- pour chaque année, des tableaux récapitulatifs reprenant pour chaque mois, le nombre d'heures hebdomadaires accomplies en appliquant une majoration du taux horaire de 50%.

Il en déduisait le nombre d'heures supplémentaires non payées et leur montant, pour solliciter les sommes suivantes :

- 4023,94 euros correspondant à 279,52 heures supplémentaires non réglées pour la période de mars à décembre 2010,

- 1270,41 euros correspondant à 86,96 heures supplémentaires non payées pour l'année 2011,

- 1902,90 euros correspondant à 192,82 heures supplémentaires non payées pour l'année 2012 ;

- 6126,32 euros correspondant à 401,2 heures supplémentaires non payées pour l'année 2013 ;

- 3400,17 euros correspondant à 222,67 heures supplémentaires non payées pour la période de janvier à juin 2014.

Soit un total de 16 723,74 euros outre la somme de 1672,37 euros au titre des congés payés y afférents.

Ces éléments auraient été considérés suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

En l'absence des moyens et éléments que le liquidateur aurait pu invoquer et produire, il doit être relevé que les bulletins de salaires avec les relevés de la carte conducteur de M. [K], lorsqu'ils sont produits, constituaient a priori des éléments objectifs que le juge pouvait prendre en compte pour apprécier, souverainement l'importance de celles-ci et fixer les créances salariales s'y rapportant.

Cependant, le juge pouvait relever, comme les intimés, que les relevés d'heures tels que présentés pour les années 2011 et 2012 étaient difficilement exploitables, sans autre explication, dans la mesure où les valeurs énoncées dans les tableaux comparatifs ne reprennent aucune des données y figurant, que ceux établis à compter de 2013 sous une autre présentation incontestablement plus lisible ne sont pas communiqués pour la période de juillet à octobre 2014 et que s'agissant de l'année 2013, seuls sont produits ceux des mois de mars et décembre 2013.

En outre, l'examen comparé des relevés des heures effectuées avec les tableaux récapitulatifs établis par le salarié et censés reprendre les valeurs des dits relevés aurait conduit le juge à constater des erreurs : ainsi pour exemple le document de relevé des heures de travail annexé au bulletin de paie pour le mois de janvier fait état stricto sensu de 221,47 heures travaillées et non 248,47 heures tel qu'indiqué dans le tableau récapitulatif, cette valeur incluant 9 heures d'absence au titre d'un jour férié, de même pour le mois d'avril 2014, le nombre total d'heures travaillées est de 224,57 et non de 233,57 tel que repris par le salarié.

Même si M. [K] affirme avoir pris en compte les heures d'équivalence majorées de 25% et les heures supplémentaires déjà payées, comme l'existence d'un compte de repos compensateur, ces éléments ne résultent pas à l'évidence de la lecture de ses tableaux comparatifs.

Par ailleurs, même si l'absence de réclamation ne vaut pas renonciation à se prévaloir d'un droit, le juge aurait pu s'étonner, comme les intimés, que M. [K] ne se soit pas manifesté plus tôt auprès de son employeur pour indiquer qu'il accomplissait des heures supplémentaires en nombre aussi élevé que celui qu'il revendique.

Du tout, et compte tenu de ces seuls éléments, la juridiction aurait pu retenir que M. [K] avait bien accompli des heures supplémentaires non rémunérées, mais dans une moindre mesure que celles alléguées, en évaluant souverainement leur montant à la somme de 10 000 euros outre 1000 euros de congés payés y afférents.

Enfin, il ne peut être fait abstraction des autres moyens et pièces que le liquidateur aurait pu soulever ou produire alors que celui-ci, notamment, eut été fondé à invoquer les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail limitant la demande en paiement des salaires, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois dernières années précédant la rupture, soit sur la seule période du 31 octobre 2011 au 31 octobre 2014.

Dès lors, au regard des aléas résultant d'une part, de la production d'éléments pertinents que le liquidateur aurait pu communiquer et les juges analyser au même titre que ceux produits par le salarié et d'autre part, de l'appréciation souveraine apportée par les juges quant à l'évaluation du nombre d'heures et de la fixation de la créance, la cour considère que la perte de chance pour M. [K] de voir fixer sa créance d'heures supplémentaires impayées et des congés payés y afférents est de 50%, de sorte que, et après avoir rappelé que la mise en cause des AGS aurait permis à M. [K] de percevoir effectivement les sommes inscrites au passif de la liquidation de son employeur, son préjudice en résultant sera évalué à la somme totale de 5 500 euros à ce titre.

- Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé :

M. [K] soutient que l'examen comparé des bulletins de salaire avec les relevés de temps révèle que l'employeur a sciemment déclaré un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli de sorte qu'il aurait été fondé à obtenir l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé prévue à l'article L. 8221-5 du code du travail. Il estime en conséquence qu'il disposait d'une chance certaine estimée à 90% de voir fixer sa créance de 15 514,80 euros au passif de la liquidation de sorte qu'il subit un préjudice pour perte de chance de 13 963,32 euros.

Les intimés font valoir qu'en l'état des pièces communiquées, et dès lors que le bien fondé de la réclamation de l'appelant au titre des heures supplémentaires n'est pas démontré, la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ne pouvait prospérer.

Sur ce,

L'article L.8221-5 du code du travail dispose que : ''Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur', notamment de :

2° se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie'.

Selon l'article L.8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel l'employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code a droit à une indemnité égale à 6 mois de salaire.'

La dissimulation d'emploi salarié prévue par ces dispositions n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Il ne peut être retenu de façon certaine que l'employeur ait agi de manière intentionnelle en ne payant pas des heures supplémentaires au regard des éléments précités de sorte que la chance certaine même faible pour l'appelant d'obtenir l'indemnité pour travail dissimulé n'est pas établie.

En conséquence, la demande d'indemnisation présentée à ce titre sera rejetée.

* Sur la rupture de la relation de travail et la requalification de la démission :

M. [K] fait valoir qu'en raison de la faute de son avocat, il a perdu une chance sérieuse évaluée à 90% d'obtenir la requalification de sa démission en prise d'acte, ce, alors que la mise en cause des AGS lui aurait permis de recevoir une indemnisation effective nonobstant la liquidation judiciaire de son ancien employeur.

Il assure que sa démission était équivoque et trouvait sa cause dans les manquements de son employeur antérieurs et contemporains à la rupture de la relation de travail et à l'origine de son burn out. Il précise que les mois précédant la délivrance de son arrêt de travail, il avait accompli un nombre d'heures supplémentaires dépassant la durée maximale hebdomadaire de travail (56 heures), ce qui caractérise une violation de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, justifiant la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur devant produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lui ouvrant droit à une indemnité de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il estime en conséquence qu'au vu des certificats médicaux établissant un burn out professionnel, les attestations de ses proches versées en appel et l'ensemble des éléments communiqués par ailleurs tels que ses relevés de carte conducteur, ses chances de succès n'étaient pas nulles contrairement à ce qu'a jugé à tort le tribunal.

Me [Z] et ses assureurs font valoir que la lettre de démission du salarié n'est pas équivoque en ce qu'elle ne contient aucun reproche envers l'employeur, que M. [K] n'établit pas la réalité du burn out professionnel alors qu'il n'est produit aucun témoignage d'anciens collègues, que M. [K] ne s'était pas rapproché de la médecine du travail ou des instances représentatives du personnel, que les attestations de ses proches sont rédigées sept ans après les faits allégués et enfin que la reconnaissance du burn out comme maladie professionnell e oblige à démontrer qu'il a occasionné une incapacité permanente de 25%.

Ils font valoir que l'appelant ne caractérise pas davantage les manquements reprochés envers son employeur, ni leur lien avec sa démission.

Sur ce,

Le tribunal a jugé qu'il n'était pas établi que si M. [K] avait été en mesure de faire valoir ses droits devant une juridiction prud'homale, sa démission aurait été requalifiée en prise d'acte avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est constant que la démission ne se présume pas et ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié de mettre un terme à la relation contractuelle.

Il est de principe que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

En l'espèce, le courrier manuscrit daté du 22 octobre 2014 adressé par M. [K] à son employeur, ayant pour objet 'lettre de démission', est ainsi libellée :

' Monsieur, Madame,

Veuillez par cette présente recevoir ma lettre de démission au sein de votre société à compter du vendredi 31 octobre 2014 à 24H en temps que chauffeur routier.

Merci d'avance de faire votre nécessaire de votre côté pour tout ce qui est papier et de me les transmettre par courrier.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur mes salutations distinguées'.

Il en résulte incontestablement que M. [K] a ainsi présenté sa démission sans l'assortir de réserves, ou griefs formulés à l'encontre de son employeur de sorte qu'aucun caractère équivoque ne résulte des termes mêmes de cette lettre.

M. [K] soutient qu'il aurait souhaité toutefois remettre en cause sa démission en raison de manquements imputés à l'employeur, en se prévalant de circonstances antérieures ou contemporaines révélant l'existence d'un différend entre le salarié et l'employeur, étant précisé d'ores et déjà que M. [K] ne prétend pas que son état de santé ait pu altérer son discernement au point de le vicier lors de la rédaction de sa lettre de démission.

La juridiction prud'homale aurait donc dû, dans un premier temps, rechercher le caractère équivoque ou non de la démission en considération des circonstances antérieures ou contemporaines de cette manifestation de volonté susceptibles de la rendre équivoque.

Puis, dans un second temps, s'il retenait le caractère équivoque de la démission, il lui revenait de rechercher si celle-ci devait s'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui nécessitait de déterminer préalablement, si les faits invoqués étaient suffisamment graves pour la justifier.

Pour déterminer le caractère équivoque de la démission, le conseil de prud'hommes se serait prononcé au vu des circonstances de fait alléguées telles que résultant des pièces qu'il envisageait de produire.

Il est constant que M. [K] était en arrêt de travail lorsqu'il a rédigé sa lettre de démission. Il s'était vu prescrire un arrêt de travail de droit commun le 1er octobre 2014 jusqu'au 15 octobre 2014 pour 15 jours mentionnant un 'syndrome anxieux sévère ; surconsommation Xanax $gt;3/5 ; profession chauffeur routier', prolongé le 14 octobre suivant jusqu'au 31 octobre 2014, l'avis d'arrêt de travail faisant état d'un 'burn out professionnel'.

Il est incontestable que l'emploi de l'adjectif 'professionnel' par le médecin traitant ne pouvait résulter que des seuls dires de son patient, alors que M. [K] ne produit aucun autre élément médical concernant sa pathologie. En tout état de cause, la survenance d'un burn out professionnel ne résulte pas nécessairement d'un différend avec son employeur.

Par ailleurs, M. [K] ne produit aucun courrier adressé à son employeur, aux instances représentatives professionnelles, à la médecine du travail ou à l'inspection du travail, et ne communique pas d'attestations d'anciens collègues faisant état d'un différend avec son employeur antérieur ou contemporain à sa lettre de démission, s'agissant en particulier des manquements reprochés à celui-ci.

Il apparaît ainsi que M. [K] ne s'est jamais plaint des manquements allégués auprès de son employeur et s'est adressé à un avocat en vue de saisir le conseil de prud'hommes en mars 2015, soit cinq mois après la rupture de la relation de travail. Il sera en outre observé qu'en tout état de cause, le salarié, qui invoque présentement la réalisation d'un nombre important d'heures supplémentaires induisant des dépassements des durées maximales hebdomadaires de travail et le non-respect des temps de repos lesquels seraient à l'origine du burn out subi, n'entendait pas présenter de demandes indemnitaires au titre du non-respect des règles en matière de durée du temps de travail.

Les attestations produites devant la cour émanant de proches de M. [K] (épouse, enfants, voisins, amis, nouvel employeur), toutes datées de 2021, sont postérieures au jugement entrepris et a fortiori à la période de la saisine de la juridiction prud'homale envisagée, de sorte qu'il n'est pas certain que M. [K] aurait produit de telles pièces devant le conseil de prud'hommes.

Au demeurant, ses proches (épouse, fils, ami et voisin), attestent certes de la fatigue et de l'épuisement de M. [K] en cette période de 'fin de carrière chez Bomex' en raison 'du nombre d'heures supplémentaires', de la pression subie 'au quotidien par son responsable', et du manque de moyens avec un entretien défaillant des camions' , comme de son changement de comportement 'morose' et 'éteint', ne dormant plus, partant au travail 'la boule au ventre', appelant son fils plusieurs fois dans la semaine pour recevoir du réconfort.

Toutefois, l'épouse de M. [K] évoque aussi 'des propos injurieux d'une telle violence verbale lors d'une panne sur sa remorque' à la suite desquels 'mon mari a consulté son médecin qui l'a mis en arrêt pour burn out'.

Dès lors, cette attestation pouvait remettre en cause le lien entre le burn out subi par M. [K] et les manquements reprochés à l'employeur alors que le salarié ne reprend nullement l'incident rapporté par son épouse à ce titre susceptible de constituer un grief à l'encontre de l'employeur.

Même à prendre en compte la faible chance de voir le conseil de prud'hommes retenir le caractère équivoque de la démission de M. [K], celui-ci pouvant considérer malgré tout que ses arrêts de travail tel que rédigés et l'existence par ailleurs d'un nombre d'heures supplémentaires accomplies non réglées constituaient des circonstances de fait antérieures ou contemporaines à la démission révélant l'existence d'un différend, le juge devait encore déterminer si la prise d'acte de la rupture était susceptible de produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ce qui imposait de juger que les manquements imputables à l'employeur étaient suffisamment graves pour la justifier.

Il a été remarqué précédemment que M. [K] ne produisait pas les relevés d'heures de travail pour les mois de juillet à octobre 2014, de sorte que les non-respects de la législation sur la durée du temps de travail ne sont pas caractérisés sur cette période.

Sur la période de janvier à juin 2014, les relevés 'temps disque' révèlent l'absence de tout dépassement de la durée journalière de conduite de 12heures en mai et juin, et des dépassements toujours inférieurs à une heure ce, deux à quatre fois dans le mois pour la période de janvier à avril 2014, étant relevé que la durée quotidienne du temps de service peut être à titre temporaire prolongée pour l'accomplissement de travaux urgents.

Les dépassements de la durée hebdomadaire de travail (56h) se sont produits une fois par mois pour un dépassement atteignant 3 h pour le seul mois de mai 2014.

Enfin, il a été considéré par la cour que M. [K] avait justifié de chances de se voir reconnaître par le conseil de prud'hommes une créance d'heures supplémentaires effectuées et non payées.

Dès lors, le manquement tiré du non-paiement de ses heures supplémentaires commis par l'employeur sur plusieurs mois, ajouté au non-respect de la législation en matière de durée du temps de travail ponctuel mais régulier aurait pu être jugé suffisamment grave pour justifier que la démission de M. [K], si elle avait été jugée équivoque, s'analyse en une prise d'acte devant produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Cependant, au regard de l'ensemble des éléments ci-dessus pris en considération, la chance pour M. [K] d'obtenir gain de cause de manière certaine, ne saurait être évaluée à plus de 15%.

L'indemnité compensatrice de préavis(4654,44 euros outre 465,44 euros de congés pays y afférent) et l'indemnité de licenciement (3620,12 euros) ne sont pas critiquées en leur montant.

S'agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l'article L. 1235-5 du code du travail dans sa version applicable au cas d'espèce, M. [K], qui avait une ancienneté de 7 ans, pouvait prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne pouvait être inférieure à six mois de salaires, soit la somme de 18 813,72 euros.

Par suite, le préjudice subi par M. [K], après affectation du coefficient de 15% aux indemnités auxquelles celui-ci aurait pu prétendre, lesquelles auraient été prises en charge par l'AGS, s'établit à la somme de 4133,06 euros.

En définitive, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes présentées par M. [K] au titre de la perte de chance d'avoir eu gain de cause, et de condamner solidairement Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à M. [K] la somme de 9 633,06 euros de ce chef ce, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, capitalisés dans les conditions de l'article 1154 ancien (devenu 1343-2) du code civil.

- Sur le préjudice moral :

Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles critiquent le jugement en ce qu'il a alloué la somme de 3000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. [K] alors qu'aucune de ses demandes n'auraient pu aboutir.

M. [K] reprend à son compte la motivation du premier juge et souligne que les manquements de Me [Z] ont généré de nouveaux tracas, l'obligeant à se rapprocher d'un nouveau conseil et à saisir la juridiction de céans.

Sur ce,

Après avoir rappelé que M. [K], qui avait déjà réglé la provision à Me [Z], a dû relancer ce dernier en raison de son inertie, puis réaliser des démarches auprès du conseil de prud'hommes pour se rendre compte in fine que celui-ci n'avait accompli aucune diligence, le tribunal a considéré au regard de la longueur de la procédure depuis sa démission intervenue en 2014, que celui-ci avait subi des répercussions sur le plan psychologique liées à la défaillance de Me [Z] et à l'espoir que ce dernier a faussement entretenu quant à la tenue d'un procès.

De fait, il convient de prendre en compte le préjudice moral subi par M. [K] qui a ressenti une légitime déception à se voir privé d'une voie de recours en raison de la faute commise par son avocat alors que la cour a estimé que celui-ci avait des chances certaines, au moins pour certaines de ses demandes, de les voir accueillir.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué une somme de 3000 euros de ce chef.

- Sur les demandes accessoires :

Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est justifié de faire partiellement droit à la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel par M. [K] et de condamner solidairement Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, au paiement de la somme de 3000 euros sur ce fondement.

Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles, parties perdantes, doivent être déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnés solidairement aux entiers dépens de la procédure d'appel, le conseil de M. [K] étant autorisé à les recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu le 8 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Lisieux en ce qu'il a condamné in solidum Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à M. [N] [K] la somme de 3000 euros au titre de son préjudice moral et en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne solidairement Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à M. [N] [K] la somme de 9 633,06 euros au titre de la perte de chance subie en raison de la faute commise par son conseil, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt capitalisés dans les conditions de l'article 1154 ancien (devenu 1343-2) du code civil ;

Condamne solidairement Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à M. [N] [K] la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Rejette la demande formée par Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles sur le même fondement ;

Condamne solidairement Me [Z], et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles aux dépens de la procédure d'appel, le conseil de M. [K] étant autorisé à les recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande, fins et conclusions des parties.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N.LE GALL G. GUIGUESSON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/01498
Date de la décision : 28/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-28;21.01498 ?
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