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25/04/2024 | FRANCE | N°23/01734

France | France, Cour d'appel de Caen, 3ème chambre civile, 25 avril 2024, 23/01734


AFFAIRE : N° RG 23/01734 - N° Portalis DBVC-V-B7H-HH3S



ARRET N°



CP





ORIGINE : Décision du Juge aux affaires familiales de CAEN du 23 juin 2023

RG n° 21/03139







COUR D'APPEL DE CAEN

TROISIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 25 AVRIL 2024



APPELANTE :



Madame [F] [E]

née le [Date naissance 6] 1979 à [Localité 10] (MAROC)

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN,

assistée de

Me Pascale LAGOUTTE, avocat au barreau de CAEN



INTIME :



Monsieur [V] [D]

né le [Date naissance 5] 1974 à [Localité 8]

[Adresse 7]

[Localité 2]



représenté et assisté de Me Sandrine MONTI, avoc...

AFFAIRE : N° RG 23/01734 - N° Portalis DBVC-V-B7H-HH3S

ARRET N°

CP

ORIGINE : Décision du Juge aux affaires familiales de CAEN du 23 juin 2023

RG n° 21/03139

COUR D'APPEL DE CAEN

TROISIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 25 AVRIL 2024

APPELANTE :

Madame [F] [E]

née le [Date naissance 6] 1979 à [Localité 10] (MAROC)

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Pascale LAGOUTTE, avocat au barreau de CAEN

INTIME :

Monsieur [V] [D]

né le [Date naissance 5] 1974 à [Localité 8]

[Adresse 7]

[Localité 2]

représenté et assisté de Me Sandrine MONTI, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience du 27 février 2024, sans opposition du ou des avocats, Madame LOUGUET, Conseiller, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIERE : Mme FLEURY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. GARET, Président de chambre,

Mme DE CROUZET, Conseiller,

Madame LOUGUET, Conseiller,

ARRET prononcé publiquement le 25 avril 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour et signé par M. GARET, président, et Mme GUIBERT, greffier

FAITS ET PROCEDURE

M. [V] [D] et Mme [F] [E] se sont mariés le [Date mariage 1] 2009 à [Localité 10] (Maroc) sans établir préalablement de contrat de mariage.

Par ordonnance de non-conciliation du 07 novembre 2016, le juge aux affaires familiales de Caen a notamment attribué la jouissance du véhicule Citroën C3, immatriculé [Immatriculation 9], à Mme [E].

Par jugement du 06 février 2020, le juge aux affaires familiales de Caen a prononcé le divorce des époux et renvoyé ceux-ci à procéder amiablement aux opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux et, en cas de litige, à assigner devant le juge de la liquidation.

Faisant suite à l'assignation délivrée le 17 septembre 2021 à la requête de M. [D], le juge aux affaires familiales de Caen a, par jugement du 23 juin 2023 :

- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision existant entre Mme [E] et M. [D],

- condamné Mme [E] à verser à M. [D] la somme de 8.592,25 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation sur la somme de 5.400 euros,

- condamné Mme [E] à payer à M. [D] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [E] aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 14 juillet 2023, Mme [E] a interjeté appel de cette décision sur l'ensemble de ses dispositions à l'exception de celle ordonnant l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision.

M. [D] a constitué avocat devant la cour le 22 septembre 2023.

Par ses dernières conclusions signifiées le 16 octobre 2023, Mme [E] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 23 juin 2023 par le juge aux affaires familiales de Caen en ce qu'il a :

* condamné Mme [E] à verser à M. [D] la somme de 8.592,25 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation sur la somme de 5.400 euros,

* condamné Mme [E] à payer à M. [D] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné Mme [E] aux entiers dépens,

Statuant à nouveau,

Vu l'article 123 du code de procédure civile,

- constater la prescription de la demande de créance de 5.400 euros revendiquée par M. [D] et en toute hypothèse débouter Monsieur de cette demande,

- constater que le montant de l'actif net s'élève à une somme de 7.519,38 euros, soit 3.759,69 euros au bénéfice de chacun des époux,

- faire application des dispositions relatives au recel sur la somme de 4.192,44 euros au bénéfice de Mme [E],

- attribuer à Mme [E] :

* prix de vente de la voiture : 6.300 euros

* primes de participation : 1.219,38 euros,

- en conséquence, toute compensation opérée, condamner M. [D] au paiement de la somme de 4.192,44 - 3.759,69 euros, soit 432,75 euros,

- débouter M. [D] de toute autre demande,

A titre infiniment subsidiaire,

- débouter M. [D] de sa demande de créance à l'encontre de Madame pour un montant de 5.400 euros,

- en toute hypothèse, dire n'y avoir lieu à recel à l'encontre de Mme [E] sur le prélèvement de 5.400 euros,

- condamner M. [D] au paiement de Mme [E] de la somme de 1.800 euros devant la cour en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par ses dernières écritures déposées le 16 janvier 2024, M. [D] conclut en ces termes :

- confirmer le jugement rendu le 23 juin 2023 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Caen en ce qu'il a condamné Mme [E] à payer à M. [D] la somme de 8.592,25 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation sur la somme de 5.400 euros, et en ce qu'il a condamné Mme [E] à verser la somme de 1.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à M. [D] et condamné Mme [E] aux entiers dépens,

- rejeter l'ensemble des demandes de Mme [E] au titre de la présente instance,

Y additant,

- condamner Mme [E] à verser la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 février 2024, avant l'ouverture des débats à l'audience du 27 février 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, aux dernières conclusions précitées ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour :

Aux termes de l'appel et des dernières conclusions, étant rappelé que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif de celles-ci en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, il apparaît que les débats portent sur :

- le montant de l'actif brut de la communauté, Mme [E] l'évaluant à la somme de 7.519,38 euros, et M. [D] à la somme retenue par le premier juge de 8.654,25 euros ;

- l'attribution d'une somme de 4.192,44 euros à Mme [E] par application des règles sur le recel de communauté ;

- l'attribution d'une somme de 5.400 euros à M. [D] par application des règles sur le recel de communauté ;

- l'application de l'article 700 du code de la procédure civile, Mme [E] sollicitant à ce titre une somme de 1.800 euros, et M. [D] une somme de 3.000 euros ;

- les dépens d'appel, chacune des parties sollicitant la condamnation de l'autre à leur paiement.

Sur le montant de l'actif brut de communauté :

Pour fixer le montant de l'actif brut de communauté à la somme de 8.654,25 euros, le premier juge a retenu deux sommes non contestées, à savoir 6.300 euros au titre de la valeur du véhicule vendu par Mme [E] et 1.219,38 euros au titre des primes d'intéressement perçues par Mme [E], et il a limité le montant des primes de participation de M. [D] à rapporter à la communauté à la somme de 1.134,87 euros, considérant que Mme [E] ne justifiait pas que M. [D] avait profité personnellement des sommes perçues au titre des participations de 2010 et 2011 et débloquées antérieurement au 07 novembre 2016, date des effets du divorce.

Mme [E] conteste cette appréciation, faisant valoir en effet :

- que M. [D] n'a rien débloqué de ses primes de participation de 2010 à 2015 avant la date des effets du divorce fixée au 07 novembre 2016, dès lors que le couple a clôturé le compte commun le 02 mai 2016 après l'avoir soldé et qu'une attestation de l'employeur de M.[D] indique que les participations les plus anciennes, à savoir celles de 2010, ne pouvaient être débloquées au plus tôt que le 1er mai 2016 ;

- qu'en tout état de cause, M. [D] n'aurait pu débloquer au bénéfice de la communauté que la participation de 2010, soit 355,30 euros, puisque le reste ne pouvait pas l'être avant 2017 ;

- que même si M. [D] avait débloqué les participations litigieuses de 2010 et 2011 pendant le mariage, le juge a inversé la charge de la preuve dès lors qu'il appartenait à M. [D] de démontrer qu'elles avaient été versées sur un compte commun, ou qu'elles avaient bénéficié à la communauté s'il les avait perçues sur un compte personnel, à défaut de quoi il doit récompense à la communauté à hauteur de 4.192,44 euros ;

- que M. [D] a ainsi tenté sciemment de dissimuler des fonds communs, ce qui constitue un recel de communauté par application de l'article 1477 du code civil dont la sanction prévue doit être appliquée.

Elle demande en conséquence, et dans le dispositif de ses conclusions qui seul lie la cour, de réformer la décision et de constater que le montant de l'actif de communauté s'élève à une somme de 7.519,58 euros (soit l'addition des deux sommes non contestées de 6.300 euros et 1.219,38 euros), et de faire application des dispositions relatives au recel sur la somme de 4.192,44 euros perçue par M. [D].

A l'inverse, M. [D] demande de confirmer l'analyse du premier juge, exposant à cette fin que si les participations de 2012, 2014 et 2015 qu'il a perçues postérieurement à la date des effets du divorce doivent être réintégrées à l'actif de communauté, comme l'a fait le premier juge, les participations de 2010 et 2011 ont été débloquées avant la date des effets du divorce et encaissées par la communauté ou affectées à des travaux effectués dans l'ancien domicile conjugal, de sorte qu'il n'y a pas lieu de les faire figurer à l'actif de la communauté.

Aux termes de l'article 1401 du code civil, la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres.

En application de l'article 1437 du même code, l'époux doit récompense à la communauté à chaque fois qu'il a tiré un profit personnel de biens communs.

Il incombe à l'époux qui réclame une récompense au nom de la communauté de prouver que les deniers communs ont profité personnellement à son conjoint.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le régime matrimonial des ex-époux est celui de la communauté des biens réduite aux acquêts et qu'il est régi par la loi française, étant relevé que les deux parties se déclarent de nationalité française.

Aucune contestation n'est émise quant à la qualité de biens communs des primes de participation perçues par chacun des époux.

Il convient de relever que si Mme [E] demande, dans le corps de ses conclusions, de dire que le montant de l'actif brut de la communauté s'élève à la somme de 11.711,82 euros se décomposant en 6.300 euros au titre du véhicule, 1.219,38 euros au titre des primes d'intéressement de Mme [E], et 4.030,56 euros au titre des primes d'intéressement de M. [D], force est de constater qu'elle ne reprend pas cette somme dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, mais qu'elle demande de constater que le montant de l'actif net s'élève à une somme de 7.519,58 euros, sans réintégration donc des primes de participation perçues par M. [D], sollicitant par ailleurs l'attribution totale et personnelle de ces primes en application des dispositions relatives au recel de communauté.

M. [D] reconnaissant qu'une partie de ces primes litigieuses doivent être réintégrées à l'actif de communauté pour en avoir profité personnellement, il convient d'examiner en premier lieu la question du recel de communauté invoquée par Mme [E] concernant ces sommes afin de déterminer si elle est en droit d'en revendiquer l'attribution intégrale à hauteur de 4.192,44 euros, ou si une partie de ces mêmes primes doit être réintégrée à la communauté comme sollicité par M. [D].

Mme [E] soutient que M. [D] tente sciemment de dissimuler des fonds communs constitués des primes de participation qu'il a perçues au titre des années de 2010 et 2015 dès lors qu'il affirme que les fonds litigieux ont bénéficié à la communauté, ce qui ne serait pas possible au regard soit de leur date d'échéance qui est postérieure à la date des effets du divorce fixée le 07 novembre 2016, soit de la clôture du compte commun intervenue le 02 mai 2016.

Aux termes de l'article 1477 du code civil, celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets.

En l'espèce, il n'est pas démontré ni même allégué que M. [D] aurait omis de mentionner ou tenté de dissimuler des primes de participation perçues, lesquelles, si elles font l'objet d'une discussion sur la date de leur perception pour déterminer si elles ont profité personnellement à M. [D] et doivent ou non être intégrées à l'actif de la communauté, ne sont pas contestées dans leur existence ou leur montant.

Ainsi, le seul fait que M. [D] exerce son droit de défendre ses intérêts dans une instance judiciaire, en contestant que ces primes puissent être réintégrées à l'actif de communauté pour certaines d'entre elles en ce qu'elles ont été perçues avant la date des effets du divorce et ont ainsi bénéficié à la communauté, ne saurait suffire à caractériser sa volonté de dissimuler des biens communs et de porter atteinte à l'égalité du partage, quand bien même les justificatifs qu'il apporte ne seraient finalement pas considérés comme suffisamment probants, étant relevé au demeurant qu'il produit une attestation de son employeur du 02 juin 2021 mentionnant qu'il a perçu du 07 novembre 2016 (date des effets du divorce) jusqu'à ce jour la somme de 1.123,66 euros au titre des participations aux bénéfices, ce qui correspond à quelques euros près à la somme qu'il a effectivement accepté de voir réintégrer à l'actif de communauté pour en avoir bénéficié personnellement.

Par suite, les éléments tant matériel qu'intentionnel du recel de communauté ne sont pas réunis à l'encontre de M. [D], et la demande de Mme [E] à ce titre sera rejetée.

Les primes de participation de M. [D] ne devant pas être attribuées intégralement à Mme [E] en vertu des règles du recel de communauté, elles peuvent être intégrées à l'actif de communauté comme sollicité par M. [D] pour certaines d'entre elles, même s'il convient de constater que Mme [E] elle-même ne sollicite la réintégration d'aucune de ces primes à l'actif de communauté.

M. [D] reconnaissant avoir perçu des primes de participation, qui sont des biens communs, postérieurement à la date des effets du divorce, à hauteur de 1.134,87 euros au titre des années 2012, 2014 et 2015, il y a lieu, à l'instar du premier juge, d'en tenir compte au titre de l'actif de communauté.

Concernant les primes de 2010 et 2011, Mme [E] ne les prenant pas en considération dans sa demande d'évaluation de l'actif de communauté à hauteur de 7.519,58 euros, il n'y a pas lieu d'examiner si elles doivent être intégrées à la masse active de la communauté.

La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a évalué l'actif brut de communauté à la somme de 8.654,25 euros.

Sur la créance de M. [D] au titre du recel de communauté reproché à Mme [E] :

Pour retenir une créance de 5.400 euros en faveur de M. [D] au titre du prélèvement en espèces de cette somme par Mme [E] le 30 mars 2016 par application des règles du recel de communauté, le premier juge a :

- écarté la fin de non recevoir tirée de la prescription de la créance invoquée qui était soulevée par Mme [E], au motif qu'elle relevait de la compétence du juge de la mise en état s'agissant d'une instance introduite postérieurement au 1er janvier 2020;

- considéré que les éléments tant matériel qu'intentionnel du recel de communauté étaient caractérisés, dès lors que Mme [E] n'invoque pas l'emploi de la somme prélevée dans l'intérêt de la communauté mais déclare qu'elle aurait été partagée entre les époux et utilisée pour sa part dans l'achat de meubles, alors que M. [D] conteste avoir bénéficié d'une partie de cet argent, et que les conditions dans lesquelles cette somme a été retranchée de la masse à partager doivent être soulignées, soit un retrait en espèces, effectué quelques jours seulement avant le dépôt de la requête en divorce, de liquidités qui constituaient l'essentiel voire l'intégralité des économies du ménage.

Mme [E] réitère sa demande de voir déclarer la créance invoquée prescrite, faisant valoir que la prescription ne constitue pas une exception de procédure mais une fin de non-recevoir qui peut être présentée en tout état de cause par application de l'article 123 du code de procédure civile, et qu'en l'espèce, le délai de prescription de 5 ans à compter du transfert de valeur dans le patrimoine de l'un ou l'autre des époux est expiré depuis le 30 mars 2021 alors que la demande a été effectuée par assignation du 17 septembre 2021.

Elle soutient, en toute hypothèse, que le couple avait procédé au partage de ses économies et notamment des 5.400 euros prélevés, et qu'elle ne sait pas comment M. [D] a utilisé sa part mais qu'elle a été contrainte, en ce qui la concerne, de racheter des meubles après son départ du domicile conjugal. Elle considère que l'accord des époux ressort clairement des opérations effectuées sur le compte bancaire commun dès lors que le 17 mars 2016, M. [D] a opéré un virement du compte de placement des époux sur le compte courant à hauteur de 1.500 euros pour pouvoir immédiatement en disposer et réserver son camping de vacances, ce à quoi elle ne s'est pas opposée en raison de la décision du couple de se partager les fonds amiablement. Elle ajoute que les fonds ayant été prélevés pendant le mariage, ils sont présumés avoir été utilisés dans l'intérêt commun, sauf à inverser la charge de la preuve, et qu'il appartient donc à celui qui conteste cet emploi d'en rapporter la preuve. Elle considère enfin que l'élément intentionnel du recel de communauté n'est pas caractérisé, dès lors qu'à aucun moment, elle n'a eu la volonté de détourner quoi que ce soit.

Au contraire, M. [D] demande de confirmer le jugement tant en ce qui concerne l'irrecevabilité du moyen de prescription de sa demande invoqué par Mme [E], que sur le bien-fondé du recel de communauté retenu. Il explique avoir découvert, après le dépôt de la requête en divorce, le retrait qui avait été opéré par Mme [E], et qu'il n'a eu de cesse, depuis la séparation, de solliciter la réintégration de cette somme que Mme [E] a pris soin de retirer du compte commun le 30 mars 2016 avant de régulariser une requête en divorce le 14 avril 2016. Il observe qu'il s'agit d'une somme représentant la quasi-totalité des économies du couple, et que Mme [E] n'a jamais justifié de l'emploi de cette somme dans l'intérêt de la communauté. Il rappelle par ailleurs que le délai de droit commun par lequel les créances entre époux en matière personnelle ou mobilière se prescrivent commence à courir lorsque le divorce a acquis force de chose jugée, alors que le fait générateur de cette créance survenu durant le mariage ne peut de toute évidence être retenu comme point de départ de la prescription. Il expose enfin que l'élément matériel est constitué par le retrait inhabituel de l'intégralité des économies du couple quelques jours avant le dépôt de la requête en divorce, et que l'élément intentionnel est caractérisé du fait que ce retrait avait pour finalité de porter atteinte à l'égalité du partage en permettant à Mme [E] de bénéficier seule de l'ensemble de ces économies.

* Sur la recevabilité du moyen tiré de la prescription de la créance invoquée :

Aux termes de l'article 789 6° du code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal pour notamment statuer sur les fins de non-recevoir.

L'article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'article 123 du même code, dans sa version applicable à l'espèce en ce qu'elle est entrée en vigueur le 1er janvier 2020 alors que la présente instance a été introduite par assignation du 17 septembre 2021, précise que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, 'à moins qu'il en soit disposé autrement' et sauf possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Il résulte de la combinaison de ces articles que s'agissant d'une procédure engagée après le 1er janvier 2020, le moyen tiré de la prescription de la demande constitue une fin de non-recevoir qui, si elle peut en principe être proposée en tout état de cause, relève, par application de l'article 789 du code de procédure civile qui en dispose autrement, de la seule compétence du juge de la mise en état, dès lors qu'elle est soulevée en première instance pendant la durée de l'instruction de la procédure.

En l'espèce, Mme [E] a soulevé en première instance le moyen tiré de la prescription de la demande de M. [D] au titre du recel de communauté reproché à Mme [E] sans en saisir le juge de la mise en état désigné, pourtant seul compétent pour en connaître.

Dès lors, elle ne pouvait demander à la juridiction de jugement de statuer sur ce point, et c'est à juste titre que le premier juge a écarté le moyen de prescription soulevé par Mme [E].

* Sur le bienfondé de la demande au titre du recel de communauté reproché à Mme [E] :

Selon l'article 1421 du code civil, chacun des époux a le pouvoir d'administrer seul les biens communs et d'en disposer, sauf à répondre des fautes qu'il aurait commises dans sa gestion, les actes accomplis sans fraude par un conjoint étant opposables à l'autre.

Ainsi, les deniers communs retirés au cours du mariage par l'un des époux sont présumés avoir été employés dans l'intérêt de la communauté, et il appartient à celui qui conteste cette utilisation de rapporter la preuve qu'ils ont profité personnellement à l'époux qui les a prélevés.

Toutefois, lors de la liquidation, l'époux qui a disposé seul de deniers communs doit, s'il en est requis, informer son conjoint de l'affectation des sommes importantes prélevées sur la communauté qu'il soutient avoir employées dans l'intérêt commun.

Il sera rappelé en outre qu'aux termes de l'article 1477 du code civil, celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans ledits effets.

En l'espèce, il ressort du justificatif de retrait produit, et il n'est pas contesté, que Mme [E] a retiré le 30 mars 2016 à 14h05, sur un compte joint du couple, la somme de 5.400 euros en espèces au moyen de 108 billets de 50 euros, ce qui représentait la quasi-totalité des économies du couple à cette date.

Il convient de souligner le caractère particulièrement inhabituel de cette opération de prélèvement en espèces d'une somme importante, dont l'utilisation est ensuite difficilement traçable.

En outre, ce retrait interroge fortement quant aux intentions de son auteur et quant au sort de cette somme, tout particulièrement au regard de sa proximité avec la date à laquelle Mme [E] a déposé sa requête en divorce, 15 jours plus tard (le 14 avril 2016).

Or, Mme [E] ne prétend pas avoir utilisé l'argent prélevé dans l'intérêt de la communauté, mais seulement que M. [D] était en accord avec ce retrait et qu'il en a obtenu la moitié, ce dont elle doit justifier alors qu'elle ne le fait nullement, tandis que M. [D] le conteste quant à lui.

Il sera relevé à cet égard que le fait que M. [D] ait pu lui-même effectuer quelques jours auparavant un virement de 1.500 euros du compte de placement des époux vers le compte courant pour payer des vacances ne saurait suffire à démontrer l'accord qui lierait les époux de partager leurs économies ainsi que l'effectivité de ce partage, dès lors qu'il s'agit d'opérations menées de manière totalement transparente quant au mouvement des fonds et leur utilisation, contrairement au prélèvement en espèces réalisé par Mme [E], alors par ailleurs que le montant transféré par M. [D] est bien inférieur à la somme litigieuse que son épouse a elle-même prélevée.

Partant, ce retrait important de deniers communs à hauteur de 5.400 euros réalisé dans de telles circonstances et en espèces manifeste incontestablement l'intention de son auteur de porter atteinte à l'égalité du partage, de sorte que c'est à juste titre, et sans inverser la charge de la preuve, que le premier juge a considéré que tant l'élément matériel que l'élément intentionnel du recel de communauté étaient réunis.

La décision déférée sera donc confirmée sur ce point.

Par suite, l'ensemble des éléments retenus par le premier juge pour établir les comptes entre les parties ayant été validés, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [E] à verser à M. [D] la somme de 8.592,25 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation sur la somme de 5.400 euros.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Partie perdante, Mme [E] sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

Pour la même raison, elle sera condamnée à verser à M. [D] la somme de 1.000 euros en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de sa condamnation au même titre à hauteur de 1.500 euros en première instance qui sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et dans les limites de sa saisine:

- confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- déboute Mme [E] de sa demande visant à faire application des dispositions relatives au recel sur la somme de 4.192,44 euros à son bénéfice,

- déboute les parties de toutes demandes autres, plus amples ou contraires,

- condamne Mme [E] à verser à M. [D] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamne Mme [E] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LE PRÉSIDENT

G. GUIBERT Dominique GARET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 3ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 23/01734
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;23.01734 ?
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