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18/04/2024 | FRANCE | N°21/03269

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre sociale, 18 avril 2024, 21/03269


AFFAIRE : N° RG 21/03269

N° Portalis DBVC-V-B7F-G4G2

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire d'ALENCON en date du 19 Novembre 2021 - RG n° 20/00086











COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRÊT DU 18 AVRIL 2024



APPELANTE :



S.A.S.U. [5]

[Adresse 2]



Représentée par Me Grégory KUZMA, avocat au barreau de LYON





INTIMES :


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Chez [N] [H] [Adresse 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022022001350 du 03/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)



Représenté par Me Jean-Michel ARIN, avoca...

AFFAIRE : N° RG 21/03269

N° Portalis DBVC-V-B7F-G4G2

 Code Aff. :

ARRET N°

C.P

ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire d'ALENCON en date du 19 Novembre 2021 - RG n° 20/00086

COUR D'APPEL DE CAEN

2ème chambre sociale

ARRÊT DU 18 AVRIL 2024

APPELANTE :

S.A.S.U. [5]

[Adresse 2]

Représentée par Me Grégory KUZMA, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

Monsieur [R] [H]

Chez [N] [H] [Adresse 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022022001350 du 03/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)

Représenté par Me Jean-Michel ARIN, avocat au barreau d'ARGENTAN, substitué par Me Dominique LECOMTE, avocat au barreau de CAEN

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'ORNE

[Adresse 1]

[Adresse 7]

Représentée par M. [K], mandaté

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme CHAUX, Président de chambre,

M. LE BOURVELLEC, Conseiller,

M. GANCE, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 07 mars 2024

GREFFIER : Mme GOULARD

ARRÊT prononcé publiquement le 18 avril 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier

La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le 19 novembre 2021 par le tribunal judiciaire d'Alençon dans un litige l'opposant à M. [H], en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne.

FAITS et PROCEDURE

La société [5] exploite une entreprise spécialisée dans le domaine du nettoyage industriel.

M. [H] a été engagé par la société [5] par contrat à durée déterminée à compter du 22 juin 2017 en qualité d'agent de service.

Il a été affecté au sein de l'entreprise [6], spécialisée dans l'abattage et la découpe de la viande.

M. [H] a été victime d'un accident le 18 avril 2018, dans les circonstances suivantes, aux termes de la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur le 20 avril 2018 :

'Activité de la victime : prestation de nettoyage d'une pareuse.

Nature de l'accident : lors de la prestation de nettoyage d'une pareuse, en manipulant le matériel, [H] [R] se serait blessé le pouce droit. La société [6] n'a pas effectué la mise sécurité de la pareuse notamment en ne démontant pas la lame comme il lui incombe.'

Le certificat médical initial du 19 avril 2018 mentionne : 'section complète long fléchisseur pouce droit'.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Orne (la caisse) a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle par décision du 30 avril 2018.

L'état de santé de M. [H] a été déclaré consolidé le 31 décembre 2019. Son taux d'incapacité permanente partielle (IPP) a été fixé à 14 % à compter du 1er janvier 2020.

Sur recours de la société [5], la commission médicale de recours amiable a ramené le taux à 10 % à l'égard de l'employeur, décision confirmée par la cour d'appel de Rouen selon arrêt du 26 janvier 2024.

Après avoir saisi la caisse d'une tentative de conciliation, M. [H] a saisi le tribunal judiciaire d'Alençon le 13 mai 2020 aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 19 novembre 2021, le tribunal a :

- dit que l'accident du travail de M. [H], survenu le 18 avril 2018, est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [5],

- ordonné la fixation au maximum légal de la majoration de rente, sur la base d'un taux d'incapacité permanente de 14 % accordé à M. [H],

- dit que cette majoration suivra automatiquement l'augmentation du taux d'incapacité permanente partielle en cas d'aggravation de l'état de santé de la victime,

- dit que cette majoration sera versée directement par la caisse à la victime et sera récupérée auprès de l'employeur en application des dispositions de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale,

- avant-dire-droit sur la réparation des préjudices personnels, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [Z],

- dit que les frais d'expertise seront provisoirement avancés par la caisse, qui devra consigner la somme de 1 200 euros à valoir sur la rémunération de l'expert,

- sursis à statuer sur les dépens et sur les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [5] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 3 décembre 2021.

Par conclusions déposées le 13 mars 2023, soutenues oralement par son conseil, la société [5] demande à la cour de :

- juger qu'il ressort des éléments du dossier l'absence de manquement de la société [5],

- juger que M. [H] est dans l'impossibilité de démontrer l'existence d'une faute, de la conscience du danger de la société et d'un lien de causalité entre sa pathologie et la prétendue faute,

- juger que la société [5] ne pouvait pas avoir conscience du danger,

- juger de l'absence de faute inexcusable de la part de la société,

- infirmer le jugement entrepris,

- par conséquent, débouter M. [H] de demande de reconnaissance de faute inexcusable,

- condamner M. [H] aux dépens de l'instance.

Par écritures déposées le 31 mai 2023, soutenues oralement par son conseil, M. [H] demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré,

- condamner la société [5] aux dépens.

Par conclusions déposées le 16 juin 2023, soutenues oralement par son représentant, la caisse demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

-lui donner acte qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur,

- condamner l'employeur à rembourser à la caisse le montant des réparations complémentaires allouées par le tribunal en application des dispositions des articles L.452-2 et suivants du code de la sécurité sociale (provision, majoration de rente, préjudices, frais d'expertise).

Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

- Sur la faute inexcusable

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur  avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

  

Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de ce danger.

La conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d'activité.

M. [H] explique qu'il était chargé de nettoyer, avec un nettoyeur haute pression, des machines normalement équipées de lames, mais dont celles-ci devaient avoir été enlevées. Il précise qu'alors qu'il portait ses gants de protection, il a soulevé le couvercle d'une machine avec la main droite et une lame, qu'il n'avait pu voir à cause de la vapeur, lui a coupé le doigt.

Il précise que le personnel de nettoyage n'a pas à retirer les lames, celles-ci devant avoir été retirées antérieurement, le chef d'équipe devant avoir effectué le contrôle avant que ne commence le nettoyage.

Il souligne n'avoir reçu aucune formation à la sécurité concernant le risque que présentent les machines qu'il devait nettoyer.

Il se prévaut du rapport d'enquête qui mentionne, dans les causes de l'accident, l'absence de vérification du chef d'équipe de la société [5].

La société relève que M. [H] ne produit pas d'éléments au soutien de ses prétentions.

Elle fait valoir que la présence de la lame sur la machine ne lui est pas imputable, puisqu'elle n'avait pas la responsabilité de procéder au démontage desdites lames, ni à leur manipulation.

Elle estime que dès lors que la cause de l'accident est la non-réalisation par un tiers d'une obligation lui incombant, aucune faute inexcusable ne peut lui être imputée. Elle ajoute que M. [H] avait bénéficié d'une formation adaptée.

M. [H] ne produit aucune pièce au soutien de ses prétentions.

Il se réfère au rapport d'enquête du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du 24 avril 2018 produit par l'appelante, qui indique, au titre de l'analyse des causes de l'accident :

- présence de la lame,

- retrait de la lame non effectué par le client,

- pas de vérification de notre chef d'équipe.

Il se fonde également sur la 'causerie qualité sécurité santé environnement énergie', également datée du 24 avril 2018, produite par l'employeur, qui mentionne que [5] doit s'assurer que la mise en sécurité (démontage des lames) est effective par ses propres collaborateurs.

Il en conclut que son employeur a commis une faute qui a été une cause nécessaire de l'accident.

Il ressort du dossier qu'un plan de prévention avait été signé entre la société [5] et la société [6] le 12 novembre 2017. Il y était indiqué que la société [6] s'engageait à informer tous les travailleurs (salariés, intérimaires, sous-traitants) amenés à travailler sur le site de [6] de [Localité 4], des dispositions relatives à la sécurité contenues dans ce 'dossier sécurité entreprises extérieures'.

Le plan de prévention applicable pour le site, et valable du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2018 prévoit le port des équipements de protection individuels (EPI) et identifie plusieurs risques au titre de la rubrique 'risques machines, à savoir 'énergie électrique, énergie pneumatique, énergie hydraulique, risques mécaniques'. Le risque 'amputation' n'a pas été coché, pas plus que ceux intitulés 'coupure, plaie'.

Le dossier technique, signé le 18 novembre 2015 entre la société [6] et la société [5], prévoit notamment dans son point 3/8 'Fiabilisation des prestations - critères requis pour la bonne réalisation des prestations' : 'démontage des éléments tranchants'.

Cette précision figure dans une liste de critères incombant à la société [6], pour permettre à la société [5] de réaliser correctement ses prestations.

Il convient à cet égard de noter que M. [H], dans le cadre de son courrier de saisine initiale en tentative de conciliation, écrivait : 'la [6] qui enlève les lames des machines avant de partir afin qu'on procède au nettoyage avec des kärcher'.

C'est donc à juste titre que l'appelante soutient que dans le cadre de sa relation contractuelle avec la société [6], il appartenait à cette dernière d'enlever les lames des machines, avant que les salariés de [5] ne procèdent à leur nettoyage.

Certes, dans ce même courrier, M. [H] évoque l'absence de contrôle de son chef d'équipe, comme cela a été repris dans l'analyse des causes de l'accident par le CHSCT.

Mais les documents produits et dont il vient d'être fait état ne prévoyaient à aucun moment, à la charge de la société [5], que son chef d'équipe se fût assuré, avant le nettoyage des machines, que les lames en eurent été ôtées par le personnel de la société [6].

En effet, il s'agit de préconisations rédigées à la suite de l'accident, et non de prévisions contractuelles préexistantes à celui-ci.

Par ailleurs, comme cela a été souligné, le risque de coupure qui aurait été encouru par les salariés de la société [5] ne ressort d'aucun des documents produits.

C'est par conséquent à tort que les premiers juges ont retenu que la société [5] ne pouvait ignorer le risque encouru par M. [H] au motif qu'elle avait envisagé le risque de coupure encouru par ses salariés. Comme cela vient d'être vu, ce risque n'avait pas été envisagé par l'employeur dans le cadre strict de la mission qui incombait à M. [H] et il ne figure sur aucun des documents produits.

Il en résulte que M. [H] n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé.

Dans ces conditions, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris, et débouter M. [H] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5], et des demandes qui en sont la conséquence.

- Sur les demandes accessoires

Succombant en ses demandes, M. [H] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau,

Déboute M. [H] de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5], et des demandes qui en sont la conséquence ;

Condamne M. [H] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

E. GOULARD C. CHAUX


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/03269
Date de la décision : 18/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-18;21.03269 ?
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