AFFAIRE : N° RG 21/02125 - N° Portalis DBVC-V-B7F-GZQ6
ARRÊT N°
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAEN du 08 Juin 2021
RG n° 18/01471
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 16 AVRIL 2024
APPELANTS :
Monsieur [Y] [F]
né le [Date naissance 7] 1942 à [Localité 19]
[Adresse 9]
[Localité 5]
représenté et assisté de Me Dominique LECOMTE,, substitué par Me BELLAMY, avocats au barreau de CAEN
Madame [K] [F]
née le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 19]
[Adresse 12]
[Localité 5]
représentée et assistée de Me Dominique LECOMTE,, substitué par Me BELLAMY, avocats au barreau de CAEN
INTIMÉE :
La S.A. ALLIANZ VIE
prise en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 340 234 962
[Adresse 3]
[Localité 16]
représentée par Me Stéphane SOLASSOL, avocat au barreau de CAEN, assité de Me Xavier AUTAIN, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me VERNE
INTERVENANTE:
Madame [T] [O] [D] épouse [F]
née le [Date naissance 8] 1950 à [Localité 20] (IRLANDE)
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée et assistée de Me Dominique LECOMTE,, substitué par Me BELLAMY, avocats au barreau de CAEN
Monsieur [N] [X] [J] [F]
né le [Date naissance 10] 1984 à [Localité 21]
[Adresse 13]
[Localité 19]
représenté et assisté de Me Dominique LECOMTE,, substitué par Me BELLAMY, avocats au barreau de CAEN
Madame [H] [R] [O] [F]
née le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 21]
[Adresse 14]
[Localité 4]
représentée et assistée de Me Dominique LECOMTE,, substitué par Me BELLAMY, avocats au barreau de CAEN
DÉBATS : A l'audience publique du 25 janvier 2024, sans opposition du ou des avocats, Mme DELAUBIER, Conseillère, a entendu seule les observations des parties sans opposition de la part des avocats et en a rendu compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme COLLET
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
Mme DELAUBIER, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 16 Avril 2024, par prorogation du délibéré initialement fixé au 26 mars 2024 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
[G] [F] née [B] est décédée le [Date décès 11] 2014 à [Localité 22] (Calvados) à l'âge de 100 ans laissant pour lui succéder Mme [K] [F], M. [Y] [F] et M. [I] [F].
Dans le cadre de la médiation ayant pour objet le règlement de la succession, les investigations menées pour reconstituer l'intégralité de l'actif en dépendant, et rechercher plus particulièrement le sort d'un reliquat de la vente d'un immeuble du 28 juillet 2009, ont permis de retrouver :
- un chèque d'un montant de 153. 968,50 euros émis le 30 juillet 2009 par Me [L] [A], notaire à [Localité 18] chargé de la dite vente, sur le compte dont son étude était titulaire auprès de la Caisse des dépôts et consignations, libellé à l'ordre de 'AGF Assurances-M. [X] [V]' et daté du 30 juillet 2009 ;
- une lettre d'accompagnement de ce chèque adressée par Me [A] contenant cette précision : 'Aux AGF à [Localité 19], disponible / prix Vte [F]/Homo pour placements' ;
- le relevé du compte de Me [A] ouvert en la Caisse des dépôts et consignations mentionnant que le chèque a été encaissé le 4 août 2009.
Interrogée sur le devenir de ces fonds à la suite de l'encaissement de ce chèque, la société Allianz Vie, venant aux droits de la société AGF Assurances, a répondu le 2 août 2017, que 'les recherches entreprises n'ont pas permis de retrouver l'émission d'un contrat au nom de Mme [G] [F]'.
A la suite d'une lettre recommandée de mise en demeure adressée le 7 juillet 2017 à M. [X] [V] aux fins de connaître le devenir des fonds, sommation lui a été faite le 11 décembre suivant 'd'indiquer l'identité précise du numéro de compte et du bénéficiaire dudit compte et du numéro de compte concerné, sur lequel a été déposé le chèque émis à votre profit le 30 juillet 2009 pour un montant de 153 968,50 euros libellé à l'ordre de Agf Assurances M. [X] [V]'.
M. [V] a répondu à l'huissier instrumentaire que , 'ces fonds ont été encaissés sur mon compte 'Instance AGF' où ils ont transités et ont été confiés à la société Agora Finances à [Localité 17], qui a disparu et a fait l'objet de poursuites pénales'.
Par acte du 20 avril 2018, M. [Y] [F], Mme [K] [F] et M. [I] [F], en leur qualité d'héritiers de Mme [G] [F], ont fait assigner la société Allianz Vie devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins de la voir condamner à leur payer, unis d'intérêts, sur le fondement des articles 1384 ancien du code civil et L. 511-1 du code des assurances, la somme principale de 153 968,50 euros outre celle de 34 152,68 euros à parfaire, augmentée des intérêts légaux à compter de l'assignation.
[I] [F] est décédé le [Date décès 15] 2018 de sorte que sa veuve Mme [T] [F] et ses enfants Mme [H] [F] et M. [N] [F], ès qualités d'ayants droit de [I] [F], sont intervenus volontairement à l'instance.
Par jugement du 8 juin 2021 auquel il est renvoyé pour un exposé complet des prétentions en première instance, le tribunal judiciaire de Caen a :
- dit que l'action initiée par les consorts [F] n'est pas prescrite ;
- déclaré irrecevable l'action initiée par les consorts [F] à l'encontre de la société Allianz Vie, en ce qu'il n'est pas démontré que M. [V] agissait au titre d'un mandat de la société Allianz Vie et aurait de ce fait engagé la responsabilité de celle-ci ;
- débouté les consorts [F] de toutes leurs demandes ;
- condamné les consorts [F] à verser à la société Allianz Vie la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné les consorts [F] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Solassol-Archambau, avocat au barreau de Caen, dans son affirmation de droits.
Par déclaration du 16 juillet 2021, M. [Y] [F] et Mme [K] [F] ont formé appel de ce jugement sauf en ses dispositions ayant dit que l'action des consorts [F] n'était pas prescrite.
Aux termes de leurs dernières conclusions (n°3) notifiées le 17 mai 2022, M. [Y] [F], Mme [K] [F] d'une part, et Mme [T] [F], Mme [H] [F] et M. [N] [F] intervenants volontaires d'autre part, demandent à la cour, au visa des articles L. 511-1 du code des assurances et 1384 ancien du code civil, et 2224 du même code, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que leur action n'est pas prescrite ;
- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Caen le 8 juin 2021 en ce qu'il :
*a déclaré irrecevable l'action qu'ils ont initiée à l'encontre de la société Allianz Vie en ce qu'il n'est pas démontré que M. [V] agissait au titre d'un mandat de la société Allianz Vie et aurait de ce fait engagé la responsabilité de celle-ci ;
* les a déboutés de toutes leurs demandes ;
* les a condamnés à verser à la société Allianz Vie la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Statuant à nouveau,
- condamner la société Allianz Vie à leur payer, unis d'intérêts en leur qualité commune d'héritiers de Mme [G] [F], la somme de 153 968,50 euros outre celle de 43 715,34 euros à parfaire, augmentée des intérêts légaux à compter de l'assignation ;
- débouter purement et simplement la société Allianz Vie de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société Allianz Vie à leur payer la somme de 3 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Allianz Vie aux entiers dépens et en accorder distraction au profit de la Scp Dorel-Lecomte-Marguerie, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 15 décembre 2021, la société Allianz Vie demande à la cour, au visa des articles 1314 et 1384 alinéa 5 du code civil et L. 511-1 du code des assurances, de :
A titre liminaire,
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'action initiée par les consorts [F] n'est pas prescrite ;
En conséquence,
- dire que l'action initiée par les consorts [F] est prescrite ;
- déclarer irrecevable l'action initiée par les consorts [F] ;
A titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a indiqué qu'il n'est pas démontré que M. [V] agissait au titre d'un mandat de la société Allianz Vie et aurait de ce fait engagé la responsabilité de celle-ci ;
En conséquence,
- débouter les consorts [F] de toutes leurs demandes ;
En tout état de cause,
- condamner les consorts [F] à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les consorts [F] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Solassol-Archambau, avocat au barreau de Caen, dans son affirmation de droits.
L'ordonnance de clôture de l'instruction a été prononcée le 10 janvier 2024.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
- Sur la prescription de l'action engagée par les consorts [F] :
La société Allianz Vie sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le point de départ du délai de prescription quinquennal de l'article 2224 du code civil devait être fixé à la date à laquelle elle a informé les consorts [F] qu'aucun contrat ne lui avait été remis par M. [V] au nom de leur auteur [G] [F].
L'assureur soutient au contraire que l'action des consorts [F] est nécessairement prescrite au motif que le point de départ de ce délai a commencé à courir dès 2009/2010, date à laquelle [G] [F] a fait remettre les fonds à M. [V] et au plus tard un an après la remise des fonds, lorsqu'il s'est avéré que celle-ci n'avait reçu aucune information sur leur devenir.
La société Allianz Vie affirme encore que les appelants sont défaillants à rapporter la preuve que [G] [F] cherchait à investir des fonds auprès d'elle alors qu'aucun document contractuel ne lui avait été remis pas plus qu'à son notaire attestant de l'investissement des fonds. Elle souligne que [G] [F] n'a reçu aucune information annuelle entre 2010 et 2014, signe d'anormalité de la situation, de sorte que celle-ci ne pouvait légitimement ignorer le sort de ses fonds jusqu'en 2014, et que l'action est nécessairement prescrite, aucun acte interruptif d'instance n'étant intervenu avant le 20 avril 2018, date de l'introduction d'instance par les consorts [F].
Enfin, la société Allianz Vie ajoute que les appelants ne rapportent pas plus la preuve que M. [V] a nécessairement soustrait à la connaissance de leur auteur toute information de nature à lui permettre de constater l'existence du détournement commis à son préjudice.
Les consorts [F] demandent la confirmation du jugement entrepris en ce que le premier juge a considéré que leur action avait été introduite le 20 avril 2018, soit dans le délai de prescription quinquennal prévu par les dispositions de l'article 2224 du code civil, le point de départ du délai de prescription ayant été fixé au 7 juillet 2017 date à laquelle la société Allianz Vie les avait informés qu'aucun contrat n'avait été remis par M. [V] à Mme [G] [F].
Sur ce,
Il n'est pas contesté que l'action engagée par les consorts [F] sur le fondement des articles 1384 ancien du code civil et L. 511-1 du code des assurances est soumise à la prescription de droit commun de l'article 2224 du code civil, n'étant en litige que le point de départ du délai de prescription.
Aux termes de cet article, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il en résulte que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la manifestation du dommage et non de la commission de la faute, ou de la date à laquelle celui-ci s'est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en n'avait pas eu précédemment connaissance.
En outre, en application des articles 1315, alinéa 2, devenu 1353, alinéa 2, et 2224 du code civil la charge de la preuve du point de départ d'un délai de prescription incombe à celui qui invoque cette fin de non-recevoir.
En l'espèce, le dommage allégué résulte du détournement, à tout le moins de la disparition de sommes adressées à 'AGF-M. [V]' aux fins de placement auprès de cet assureur. La société Allianz Vie ne justifie pas de la révélation du dommage à [G] [F] avant son décès, l'assureur étant du reste en peine de la dater précisément, autrement qu'en '2009-2010".
La seule absence de réception d'une éventuelle documentation contractuelle ou de tout document justifiant de l'investissement sollicité est insuffisante à caractériser la révélation de l'absence d'affectation et de la disparition des sommes remises en toute confiance à l'assureur par l'auteur des appelants alors âgée de 95 ans au jour de cette remise et de 100 ans à son décès. Au surplus, le tribunal a exactement rappelé qu'il revenait à M. [V] auquel il avait été donné instruction, en sa qualité de représentant de l'assurance AGF, de placer ces fonds auprès de cet assureur de lui en rendre compte de sorte que le point de départ de l'action en responsabilité ne saurait résulter du manquement lui-même lié à la disparition opérée ni de l'absence de suivi par la de cujus du devenir de ces sommes.
Dès lors, l'action n'était pas prescrite au décès de [G] [F] de sorte que ses ayants droit, saisis des droits de leur auteur par le seul effet de son décès, et pour lesquels il n'est pas prétendu qu'ils aient eu connaissance du dommage dont ils sollicitent l'indemnisation du vivant de celui-ci, disposaient d'un délai de cinq ans pour agir à compter de la date de sa révélation.
Il est en outre constant que suivant courriers du 20 octobre 2015, du 3 avril 2017 et du 7 juillet 2017, les consorts [F] ont interrogé la société Allianz Vie sur l'existence de placements souscrits par [G] [F] par l'intermédiaire de M. [V] auprès de la compagnie et que par courrier du 2 août 2017, l'assureur a informé leur conseil que celle-ci n'avait jamais souscrit de contrat auprès de la société AGF Vie aux fins de réaliser un placement. Il est établi que le point de départ du délai de prescription doit être fixé à cette date.
C'est donc à juste titre que le tribunal a fixé le point de départ du délai de prescription à la date à laquelle la société Allianz Vie a informé les consorts [F] de l'absence de tout contrat établi au profit de [G] [F] par M. [V] après réception et encaissement du chèque
le 2 août 2009, sauf à préciser que cette information a été délivrée par lettre recommandée du 2 août 2017 et non le 7 juillet 2017.
Il en résulte que l'action introduite par les consorts [F] par acte du 20 avril 2018, dans le délai quinquennal de l'article 2224 n'est pas prescrite.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Allianz Vie tirée de la prescription.
- Sur la responsabilité de la société Allianz Vie du fait de M. [V] :
Les consorts [F] sollicitent l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la responsabilité de la société Allianz Vie ne saurait être engagée en sa qualité de mandant, la preuve n'étant pas rapportée que M. [V] ait effectivement agi dans ses fonctions de mandataire.
Ils soutiennent au contraire qu'il ressort tant de l'intitulé du compte bancaire de M. [V] sur lequel les fonds ont été versés, que de l'ordre auquel était libellé le chèque litigieux, et de la correspondance d'accompagnement du chèque litigieux que la volonté de [G] [F] était de procéder à un placement auprès de la société AGF par l'intermédiaire de son agent d'assurance M. [V], [G] [F] ayant pu croire légitimement que M. [V] procéderait au placement des fonds auprès de la société AGF Assurances puisque remis à cette fin.
Ils précisent que ces éléments ajoutés aux dires de M. [V] ayant déclaré 'avoir encaissé ledit chèque sur son compte 'Instance AGF' démontrent que celui-ci a agi dans le cadre de son activité de mandataire de la société AGF Assurances.
Ils font grief au jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la responsabilité de la société Allianz Vie était exclue, au motif que M. [V] avait agi en qualité de courtier d'assurances en affectant les fonds auprès de la société Agora située à Antibes ce, alors qu'il n'est pas justifié du placement prétendu, lequel était impossible, la dite société ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés depuis le 15 juillet 2008, soit à une date antérieure à celle de l'émission du chèque libellé à l'ordre de M. [V] et qu'en tout état de cause, ce dernier demeure dans l'incapacité de justifier de leur emploi conforme aux instructions reçues pas plus que de leur destination réelle.
En conséquence, les consorts [F] considèrent que la faute de M. [V] est établie, que la société Allianz Vie, civilement responsable de son mandataire, engage sa responsabilité du fait de celui-ci, et dès lors, doit être tenue de réparer le dommage subi par [G] [F] et ses héritiers.
La société Allianz Vie sollicite au contraire la confirmation du jugement entrepris, soutenant, comme le tribunal l'a jugé à raison, que la preuve n'était pas rapportée que M. [V] ait agi en qualité d'agent général et donc de mandataire de la société AGF aux droits de laquelle elle intervient.
Elle fait valoir que les consorts [F] sont défaillants à rapporter la preuve que [G] [F] ait eu l'intention de souscrire un contrat auprès des AGF et qu'elle ait pu légitimement croire à l'existence d'un placement, alors que la seule référence aux AGF résulte de l'appellation du compte bancaire de M. [V] sur lequel les fonds ont été versés et qu'il était impossible pour la de cujus de souscrire un contrat en raison de son âge à l'époque, soit 95 ans, aucune offre de contrat n'étant adaptée.
Par ailleurs, elle estime que les consorts [F] ne caractérisent pas davantage l'existence d'un manquement de M. [V] à son obligation d'information sur la possibilité de souscrire ou non un contrat eu égard à l'âge de Mme [F] et qu'en tout état de cause, cet éventuel manquement lui serait inopposable en l'absence de tout lien contractuel.
De surcroît, l'intimée relève qu'aucun élément produit ne démontre que M. [V] a cherché à tromper [G] [F] sur la destination des fonds, et que celui-ci aurait entretenu l'illusion de l'existence d'un contrat souscrit auprès des AGF.
Enfin, la société Allianz Vie souligne l'imprudence de [G] [F] qui a remis une somme importante à M. [V] sans la moindre contrepartie ni remise de documents justifiant de son investissement auprès d'un tiers.
Sur ce,
Aux termes de l'article L. 511-1 du code des assurances I et III, dans sa version en vigueur du 16 décembre 2005 au 1er octobre 2016 et applicable au cas
d'espèce :
I. - L'intermédiation en assurance ou en réassurance est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d'assurance ou de réassurance ou à réaliser d'autres travaux préparatoires à leur conclusion. (..) Est un intermédiaire d'assurance ou de réassurance toute personne qui, contre rémunération, exerce une activité d'intermédiation en assurance ou en réassurance.
III. - Pour cette activité d'intermédiation, l'employeur ou mandant est civilement responsable, dans les termes de l'article 1384 du code civil, du dommage causé par la faute, l'imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés, pour l'application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire.
L'article 1384 alinéa 5 ancien auquel renvoie l'article précité dispose que les maîtres et commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Il en résulte que la faute des mandataires des entreprises d'assurance peut engager la responsabilité de ces dernières de la même manière qu'un préposé peut engager la responsabilité de son commettant.
En l'espèce, il ressort de l'extrait du registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias) communiqué par la société Allianz Vie qu'à la date des faits litigieux, M. [X] [V] exerçait à titre principal l'activité de courtier d'assurance ou de réassurance (COA) et celle d'agent général d'assurance (AGA).
L'intimée reconnaît que M. [V] a ainsi exercé jusqu'au 7 mars 2014, en sa qualité d'agent général d'assurance de la société AGF ainsi qu'elle l'a confirmé dans sa lettre du 2 août 2017.
Par ailleurs, le chèque émis le 30 juillet 2009 par Me [A], notaire, pour un montant de 153 968,50 euros -correspondant au solde du prix d'une vente immobilière revenant à [G] [F] versé préalablement sur le compte de l'étude ouvert à la Caisse des dépôts et consignations- et libellé à l'ordre de 'AGF Assurances, M. [X] [V]', et la correspondance d'accompagnement du chèque litigieux adressée par Me [A] à 'AGF Assurances, M. [X] [V]' et mentionnant en objet 'disponible/prix de vente [F]/HOMO pour placements' révèlent la volonté de [G] [F] de confier les dits fonds, par l'intermédiaire de son notaire, à la société d'assurance AGF, par l'intermédiaire de son agent général M. [V] ce, aux fins de procéder à des placements auprès d'AGF.
Il est constant que le dit-chèque a été décaissé le 4 août suivant et M. [V] confirme que celui-ci a été déposé sur un compte 'instance AGF', ce qui n'est pas remis en cause par la société Allianz Vie et, au demeurant, rendu nécessaire au regard du libellé 'AGF Assurances' à l'ordre de laquelle le chèque avait été établi.
Il en résulte que les fonds ont bien été remis à M. [V] en sa qualité d'agent général des AGF, chargé de procéder à leur placement auprès de son mandant, que celui-ci a encaissé les fonds en cette même qualité et dans le cadre de cette activité d'intermédiation pour laquelle il disposait précisément d'un compte spécialement ouvert à cet effet.
Enfin, il ne fait pas débat qu'aucun contrat d'assurance n'a été souscrit auprès de la société AGF de sorte que les fonds qui avaient été remis à son agent général n'ont pas été affectés à leur destination et n'ont jamais été restitués à [G] [F] ni à ses héritiers.
Si M. [V], répondant à la sommation interpellative qui lui a été adressée le 11 décembre 2017, a affirmé que 'Mme [G] [F] dépassait l'âge de souscription pour un contrat AGF', que 'ces fonds ont été encaissés sur mon compte 'Instance Agf' où ils ont transité', qu'ils 'ont été confiés à la société Agora Finances à [Localité 17]' et que 'cette société a disparu et a fait l'objet de poursuites pénales', aucun élément ne vient corroborer ces seuls dires quant à l'affectation prétendue des fonds litigieux. Au contraire, il ressort de l'extrait du RCS produit par les consorts [F] que la société Agora Finances située à [Localité 17] a été définitivement radiée le 15 juillet 2008, soit à une date antérieure à celle de l'émission du chèque litigieux, de telle sorte qu'il est établi que M. [V] n'a pu affecter les fonds sur le compte de cette société. Dès lors, il ne peut être considéré comme l'a fait le premier juge, sur la seule base des dires de M. [V], que celui-ci avait agi dans le cadre de ses fonctions de courtier et non de celles d'agent général d'AGF.
Il importe peu que [G] [F] n'ait pas souscrit de contrat précédemment avec la société AGF, ou que la conclusion d'un contrat d'assurance -vie était impossible en raison de son âge, dès lors que la société Allianz Vie ne rapporte pas la preuve de toute autre possibilité de placement offerte par AGF à destination de personnes âgées, que les fonds ont bien été adressés et reçus par son agent d'assurance aux fins de placement dans le cadre de son activité d'intermédiation laquelle inclut la présentation, la proposition ou l'aide et plus généralement la réalisation de tous travaux préparatoires à la conclusion de contrats d'assurance vie, et qu'en tout état de cause, il n'est pas avéré que celui-ci avait d'ores et déjà connaissance, à la date de l'encaissement du chèque litigieux, de l'âge de sa cliente et de toute impossibilité pour celle-ci de conclure un contrat d'assurance-vie.
De surcroît, il est manifeste que tout acte réalisé par un intermédiaire d'assurance au sens de l'article , à savoir l'offre, la présentation ou tout acte préparatoire à un contrat d'assurance vie ne conduit pas nécessairement à la conclusion d'un tel contrat, et que la souscription effective d'un placement n'est pas une condition légale exigée de nature à restreindre la responsabilité de plein droit de l'assureur prévue par l'article L. 551-1 précité.
Enfin, il revenait en tout état de cause à l'agent général d'assurance, lorsqu'il a eu connaissance de l'âge de [G] [F] et de l'impossibilité pour lui, à la supposer avérée, de placer les fonds reçus à cette fin, d'informer celle-ci de la situation et de procéder à la restitution des sommes encaissées sur le compte AGF.
De plus, aucun élément ne permet de conclure que [G] [F] pouvait avoir connaissance ou aurait dû avoir connaissance de ce que M. [V] aurait abusé de ses fonctions d'agent AGF, le silence gardé par ce dernier et l'absence de toute information délivrée à [G] [F], ou de suite donnée à cette remise de fonds quant à une quelconque offre de placement, à les supposer établis, étant insuffisants à cet égard sauf à révéler au contraire, la confiance absolue -compréhensible au regard de son grand âge et du détachement général qu'il procure en fin de vie- accordée par [G] [F] dans le sérieux de la compagnie d'assurance ainsi désignée comme en celui de son agent général.
Il en ressort que l'absence d'affectation conforme aux instructions de [G] [F] et le défaut de restitution des sommes remises à M. [V], dans le cadre de ses fonctions d'agent général d'assurances AGF, et encaissées en cette même qualité, à l'origine de leur perte et du dommage subi par [G] [F] aux droits desquels viennent ses héritiers, engage la responsabilité de son mandant, la société Allianz Vie venant aux droits de la société AGF Vie.
Il s'en suit que la société Allianz Vie doit être condamnée en sa qualité de civilement responsable de son mandataire à réparer le dommage subi par [G] [F] aux droits desquels viennent les consorts [F], résultant du défaut d'affectation des sommes versées pour leur placement auprès d'AGF tel que sollicité et, à considérer l'impossibilité d'y procéder au regard de l'âge avancé de la cliente, de la non-restitution de ces fonds à leur propriétaire ajoutée à l'absence de toute information donnée à celle-ci sur le sort des sommes ainsi confiées.
Le préjudice subi par [G] [F] et présentement de ses ayants droit est caractérisé par la perte définitive des fonds litigieux.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action initiée par les consorts [F] à l'encontre de la société Allianz Vie et cette dernière sera condamnée à payer au consorts [F], unis d'intérêts, la somme de 153 968,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
En revanche, les consorts [F], qui sollicitent en outre une somme de 43 715,34 euros calculée sur la base du taux de rendement des supports euros depuis août 2009, seront déboutés de cette demande dès lors qu'il n'est pas assuré que les fonds auraient pu être placés sur un produit présentant un tel rendement, ni que [G] [F] aurait procédé à un autre investissement des sommes dûment restituées, étant rappelé son âge avancé et, en dépit de celui-ci, l' accompagnement manifestement faible voire inexistant de ses proches qui auraient pu utilement la conseiller et l'aider dans de telles démarches.
- Sur les demandes accessoires :
Le jugement doit être infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est justifié de faire partiellement droit à la demande présentée par les consorts [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Allianz Vie au paiement de la somme de 3000 euros sur ce fondement.
La société Allianz Vie, partie perdante, doit être déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, la Scp Dorel-Lecomte-Marguerie, avocat, étant autorisée à les recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire et rendu par défaut, publiquement par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Caen le 8 juin 2021 sauf en ce qu'il a dit que l'action initiée par les consorts [F] n'est pas prescrite ;
Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés et y ajoutant,
Constate l'intervention volontaire de Mme [T] [F], Mme [H] [F] et M. [N] [F], venant en représentation de [I] [F] ;
Condamne la société Allianz Vie, venant aux droits de la société AGF Vie, à payer à M. [Y] [F], Mme [K] [F], Mme [T] [F], Mme [H] [F] et M. [N] [F], ès qualités d'ayants droit de [G] [F], unis d'intérêts, la somme de 153 968,50 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Rejette la demande en paiement de la somme de 43 715,34 euros à parfaire présentée par M. [Y] [F], Mme [K] [F], Mme [T] [F], Mme [H] [F] et M. [N] [F], ès qualités d'ayants droit de [G] [F] ;
Condamne la société Allianz Vie, venant aux droits de la société AGF Vie, à payer à M. [Y] [F], Mme [K] [F], Mme [T] [F], Mme [H] [F] et M. [N] [F], ès qualités d'ayants droit de [G] [F], et unis d'intérêts, la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société Allianz de sa demande formée sur le même fondement ;
Rejette toute autre demande des parties ;
Condamne la société Allianz Vie, venant aux droits de la société AGF Vie, aux entiers dépens de première instance et d'appel, et autorise la Scp Dorel-Lecomte-Marguerie, avocat, à les recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON