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22/06/2023 | FRANCE | N°22/01206

France | France, Cour d'appel de Caen, 2ème chambre civile, 22 juin 2023, 22/01206


AFFAIRE :N° RG 22/01206 -

N° Portalis DBVC-V-B7G-G7OI





ARRET N°



JB.





ORIGINE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de ROUEN en date du 14 Mars 2017 -

RG n° 14/03929

Arrêt de la Cour d'Appel de ROUEN en date du 31 Janvier 2019 - RG n° 17/03559

Arrêt de la Cour de Cassation en date du 9 Mars 2022 - Pourvoi F 19-24.990









COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

RENVOI DE CASSATION

ARRET DU 22 JUIN 2023





APPELANTE :



Madame [H] [N]

née le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 13]

[Adresse 1]

[Localité 9]



représentée et assistée de Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN ...

AFFAIRE :N° RG 22/01206 -

N° Portalis DBVC-V-B7G-G7OI

ARRET N°

JB.

ORIGINE : Jugement du Tribunal de Grande Instance de ROUEN en date du 14 Mars 2017 -

RG n° 14/03929

Arrêt de la Cour d'Appel de ROUEN en date du 31 Janvier 2019 - RG n° 17/03559

Arrêt de la Cour de Cassation en date du 9 Mars 2022 - Pourvoi F 19-24.990

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

RENVOI DE CASSATION

ARRET DU 22 JUIN 2023

APPELANTE :

Madame [H] [N]

née le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 13]

[Adresse 1]

[Localité 9]

représentée et assistée de Me Gaël BALAVOINE, avocat au barreau de CAEN substitué par Me DAVID, avocats au barreau de PARIS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 141180022022004710 du 01/09/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CAEN)

INTIMES :

Monsieur [Y] [C]

né le [Date naissance 3] 1976 à [Localité 11]

Chez Mme [X]

[Adresse 6]

[Localité 8]

non représenté, bien que régulièrement assigné

S.A. SONEN

POINT P - DISPANO

[Adresse 4]

[Localité 7]

prise en la personne de son représentant légal

représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN,

assistée de Me Béatrice MORIVAL, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Mme EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

DEBATS : A l'audience publique du 13 Avril 2023

GREFFIER : Mme LE GALL, Greffier

ARRET prononcé publiquement le 22 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

* * *

Par acte du 28 janvier 2008, la SARL Ria Normandie, société spécialisée dans les travaux de maçonnerie et dont M. [Y] [C] était le gérant, a ouvert un compte auprès de la Société de négoce de Normandie (la société Sonen) pour la fourniture des matériaux.

Par acte sous seing privé en date du 18 octobre 2010, intitulé 'garantie à première demande', M. [C] et son épouse, Mme [H] [N], se sont engagés, pour le compte de la société Ria, à régler à la société Sonen tout montant jusqu'à concurrence maximale de 60.000 euros.

Par acte du même jour, M. [C] et Mme [N] ont été délégués par la société Ria Normandie à concurrence de la somme de 60.000 euros TTC pour le paiement des sommes dues au titre de la fourniture des matériaux de construction.

Par acte sous seing privé en date du 1er février 2011, également intitulé 'garantie à première demande', M. [C] et Mme [N] ont pris un engagement similaire dans la limite de 20.000 euros.

Par jugement du 30 avril 2013, la société Ria a été mise en redressement judiciaire, converti le 28 janvier 2014 en liquidation judiciaire.

Le 20 juin 2013, la société Sonen a déclaré sa créance à la procédure collective de la société Ria Normandie.

Puis, par lettre recommandée avec avis de réception en date du 27 février 2014, la société Sonen a mis en demeure M. [C] et Mme [N] de lui payer la somme de 69.342,72 euros au titre des deux garanties.

Par exploits d'huissiers de justice en date du 24 juillet 2014, la société Sonen a assigné M. [C] et Mme [N] devant le tribunal de grande instance de Rouen aux fins d'obtenir le paiement des sommes réclamées.

Par jugement en date du 14 mars 2017, le tribunal de grande instance de Rouen a :

- dit que les actes signés par M. et Mme [C] les 18 octobre 2010 et 1er février 2011 et qui leur sont opposés par la S.A. Sonen étaient des garanties à première demande ;

- condamné solidairement M. et Mme [C] à payer à la S.A. Sonen les sommes de :

* 69.342,79 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 septembre 2013,

* 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire sauf pour les sommes dues au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté toute autre demande ;

- condamné solidairement M. et Mme [C] aux dépens.

Par jugement en date du 25 avril 2017, le tribunal de grande instance de Rouen a rectifié le dispositif du jugement rendu le 14 mars 2017, en précisant 'Monsieur [Y] [C] et Madame [H] [C]' aux lieu et place de 'M. et Mme [C]'.

Mme [N] et M. [C] ont fait appel du jugement.

Par arrêt du 31 janvier 2019, la cour d'appel de Rouen a :

- débouté Mme [N] et M. [C] des fins de leur appel ;

- confirmé le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

- condamné Mme [N] et M. [C] à payer à la société Sonen la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [N] s'est pourvue en cassation contre cette décision. M. [C] a formé un pourvoi incident.

Par arrêt du 9 mars 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Rouen le 31 janvier 2019 et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Caen.

Par déclaration du 12 mai 2022, Mme [N] a saisi la cour d'appel de Caen.

Par dernières conclusions en date du 4 avril 2023, Mme [N] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de :

Sur les prétendues 'garantie à première demande' des 18 octobre 2010 et 1er février 2011 :

- requalifier les engagements intitulés 'garantie à première demande' des 18 octobre 2010 et 1er février 2011 en cautionnement ;

- déclarer nuls et de nul effet les cautionnements des 18 octobre 2010 et 1er février 2011 ;

- en conséquence, débouter la société Sonen de toutes ses demandes ;

Sur la délégation de paiement du 18 octobre 2010 :

A titre liminaire,

- rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée soulevée par la société Sonen ;

- débouter la société Sonen de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'article 123 du code de procédure civile ;

A titre principal,

- déclarer la société Sonen irrecevable en sa demande en paiement au titre des factures antérieures au 24 juillet 2012 inclus en exécution de la délégation de paiement du 18 octobre 2010 ;

- débouter la société Sonen de sa demande en paiement des factures postérieures au 24 juillet 2012 en exécution de la délégation de paiement du 18 octobre 2010 ;

A titre subsidiaire,

- débouter la société Sonen de toutes ses demandes au titre de la délégation de paiement du 18 octobre 2010 ;

A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où par impossible la cour estimerait que la demande de la société Sonen est recevable et que celle-ci apporte la preuve de sa créance,

- limiter le montant de la condamnation à 18.000 euros déduction faite de l'acompte déjà versé par Mme [N] et Monsieur [C] le 3 octobre 2011 et débouter la société Sonen du surplus de ses demandes ;

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

- condamner la société Sonen à payer à Mme [H] [N] la somme de 7.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, ainsi qu'en appel, dans le cadre de la procédure afférente à la décision cassée ;

- condamner la société Sonen à payer à la SELARL Kæm's avocats, représentée par Me Gaël Balavoine la somme de 4.200 euros en application de l'article 700 2° du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- condamner la société Sonen aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à la décision cassée et ceux afférents à la radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire ;

- débouter la société Sonen de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

En toute hypothèse,

- débouter la société Sonen de toutes ses demandes ;

- condamner la société Sonen à rembourser à Mme [H] [N] la somme de 82.344,89 euros, et subsidiairement la somme de 64.344,89 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du paiement en date du 20 août 2020 ;

- ordonner la radiation de l'inscription d'hypothèque prise par la société Sonen auprès du Service de la publicité foncière de [Localité 13] 2 (devenu [Localité 13] 1) le 29 avril 2019, volume 2019, numéro 980, sur le bien situé à [Adresse 10] cadastré section AD numéro [Cadastre 5].

Par dernières conclusions en date du 4 avril 2023, la société Sonen demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris rectifié le 25 avril 2017 ;

En conséquence,

- dire que les actes signés par M. et Mme [C] les 18 octobre 2010 et le 1er février 2011 et qui leur sont opposés par la société Sonen sont des garanties à première demande ;

- débouter Mme [N] de sa demande de requalification des actes signés les 18 octobre 2010 et le 1er février 2011 en cautionnement ;

- débouter Mme [N] de sa demande de nullité des actes de garanties à première demande ;

- débouter Mme [N] de sa demande d'irrecevabilité tirée de la prescription au titre de l'inopposabilité des exceptions ;

- débouter Mme [N] de sa demande d'irrecevabilité tirée de la prescription au titre de l'inapplication des dispositions du code de la consommation à la société Sonen ;

- condamner Mme [N] à régler à la société Sonen la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 123 du code de procédure civile,

- déclarer irrecevable la demande de Mme [N] fondée sur la portée de la délégation de paiement, en raison de l'autorité de la chose jugée découlant du principe de concentration des moyens,

- condamner solidairement Mme [N] et M. [C] au paiement :

* à titre principal, de la somme de 69.342,79 euros avec intérêts au taux légal à compter du 09 septembre 2013 sur le fondement des garanties à première demande et de la délégation de paiement ;

* à titre subsidiaire, de la somme de 60.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 09 septembre 2013 sur le fondement de la délégation de paiement ;

* à titre infiniment subsidiaire, de la somme de 54.762,78 euros avec intérêts au taux légal à compter du 09 septembre 2013 sur le fondement de la délégation de paiement, après imputation des factures contestées ;

- débouter Mme [N] de ses demandes, fins et conclusions ;

- débouter Mme [N] de sa demande de remboursement de la somme de 82.344,89 euros ;

- condamner solidairement Mme [N] et M. [C] à régler la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement Mme [N] et M. [C] aux entiers dépens.

M. [C] n'a pas constitué avocat bien que la déclaration de saisine de la cour d'appel de Caen et les conclusions de Mme [N] lui ont été signifiées par acte d'huissier de justice en date du 2 août 2022, remis à domicile. Les dernières conclusions de Mme [N] lui ont été signifiées par acte d'huissier de justice du 6 avril 2023, remis à domicile. La société Sonen a signifié ses conclusions a M. [C] par acte d'huissier de justice du 22 mars 2023 remis à domicile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2023.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE, LA COUR

Sur la qualification des contrats en dates des 18 octobre 2010 et 1er février 2011 intitulés 'garantie à première demande'

Mme [N] fait valoir que la garantie sollicitée en application des actes litigieux est directement liée à la dette de la société Ria Normandie envers la société Sonen, ce qui exclut donc la qualification de garantie autonome, ces deux contrats devant être requalifiés en cautionnements, que ce lien résulte de la formulation même des clauses des contrats litigieux mais aussi des termes de la mise en demeure puis de l'assignation délivrée à Mme [N] puisque, après la liquidation judiciaire de la société débitrice principale, la société Sonen a exigé le paiement du solde des factures impayées par la société Ria correspondant très exactement au montant de la déclaration de créances.

Elle précise que la commune intention des parties n'était pas de conclure une garantie autonome alors que la société Sonen n'a réclamé que le paiement des factures dues par la société Ria Normandie et seulement à compter de la défaillance de celle-ci caractérisée par l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, elle-même ayant toujours contesté devoir une quelconque somme.

La société Sonen soutient que les actes en date des 18 octobre 2010 et 1er février 2011 sont des garanties autonomes et non des cautionnements puisque les deux conditions de qualification de la garantie à première demande posées par l'article 2321 du code civil sont respectées en l'espèce à savoir la présence de clauses caractérisant l'autonomie de l'acte et l'autonomie par rapport à l'obligation garantie.

Elle argue de ce que la Cour de cassation s'est prononcée en réponse à un pourvoi limité dans sa définition, qui portait sur la qualification de la garantie à première demande résultant de la clause litigieuse relative à la dénonciation du contrat par les garants et uniquement sur ce point et qu'elle a estimé qu'isolément, la clause litigieuse ne reflétait pas l'autonomie du contrat mais que la Cour de cassation n'a pas interprété le contrat dans sa globalité, que l'interprétation d'un contrat résultant de l'appréciation souveraine des juges du fond, il appartient à la cour d'appel de renvoi d'apprécier quelle a été la volonté de parties au jour de la signature des actes litigieux alors que la majorité des clauses tendent à démontrer l'autonomie et tendent à dire que ces actes sont des garanties à première demande.

Elle indique que la clause litigieuse visant l'hypothèse précise de la dénonciation de garantie ne peut être disqualifiante qu'à condition qu'elle modifie l'obligation du garant, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Aux termes de l'article 2321 du code civil, la garantie autonome est l'engagement par lequel le garant s'oblige, en considération d'une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues.

Le garant n'est pas tenu en cas d'abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d'ordre.

Le garant ne peut opposer aucune exception tenant à l'obligation garantie.

Sauf convention contraire, cette sûreté ne suit pas l'obligation garantie.

L'autonomie de la garantie signifie que le garant prend un engagement nouveau et différent de celui du débiteur qu'il garantit.

Le garant s'oblige ainsi à payer non pas ce que doit le débiteur mais une somme déterminée censée constituer la couverture du risque d'inexécution.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé dans son arrêt du 9 mars 2022 que les actes litigieux stipulaient qu'en cas de dénonciation, le garant resterait tenu des sommes dues par le débiteur garanti au bénéficiaire, résultant de factures échues ou à échoir, à la date de prise d'effet de la dénonciation, ce dont il résultait que les engagements de M. [C] et Mme [R] avaient pour objet de garantir à la société Sonen le paiement, non pas d'une somme déterminée, mais de celles que pourrait lui devoir la société Ria au moment de l'appel de la garantie et que les actes litigieux constituaient, dès lors, des cautionnements.

C'est donc de manière erronée que la société Sonen soutient que la Cour de cassation n'a pas interprété les actes litigieux dans leur globalité.

Ces actes ne fixent pas 'une somme' déterminée due par les garants à première demande mais se contentent de fixer un montant maximum pouvant être réclamé.

Les garants s'engagent ainsi à payer 'tout montant jusqu'à concurrence maximale' de 60 000 euros dans un cas et de 20000 euros dans l'autre cas.

La somme due n'est pas autonome puisqu'elle a pour objet la propre dette du débiteur.

Il est ainsi stipulé : ' Cet engagement prend effet à compter de ce jour. Il est conclu pour une durée d'une année et se poursuivra par tacite reconduction d'année en année sauf faculté pour le garant de la dénoncer par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à la société Sonen, moyennant un préavis de deux mois avant la date anniversaire.

En cas de dénonciation, le garant restera tenu des sommes dues par le débiteur garanti au bénéficiaire, résultant de factures échues ou à échoir, à la date de prise d'effet de la dénonciation.'

A ce titre, c'est justement que Mme [N] relève que les garants ont été actionnés en paiement après la défaillance de la société Rea Normandie et pour un montant correspondant aux factures impayées. L'assignation en paiement délivrée par la société Sonen précise qu'il est réclamé le paiement d'une somme de 69 342,79 euros correspondant aux solde restant dû au titre des factures établies par la société Sonen.

Les montants garantis sont donc bien appréciés par rapport au contrat de base, ce qui caractérise l'absence d'autonomie de la garantie.

Il en résulte que le paiement par les garants était subordonné à l'existence d'une obligation principale impayée par le débiteur, et les garants étaient donc des cautions en dépit des termes employés par ailleurs puisque c'est par leur objet que les obligations de la caution et du garant autonome diffèrent. Seule est déterminante la nature véritable de l'engagement et non la dénomination utilisée par les parties. L'engagement des parties ne cesse pas d'être un cautionnement au seul motif que celles-ci l'ont intitulé 'garantie à première demande', l'ont déclaré inconditionnel ou irrévocable ou ont prévu une clause d'inopposabilité des exceptions.

Le jugement déféré sera ainsi infirmé et les actes en date du 18 octobre 2010 et du 1er février 2011 seront requalifiés en acte de cautionnement.

Sur la nullité des actes des 18 octobre 2010 et 1er février 2011

Mme [N] fait valoir la nullité des actes des 18 octobre 2010 et 1er février 2011 qui ne respectent pas le formalisme requis sous peine de nullité par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation.

La société Sonen indique que ces dispositions du code de la consommation ne sont pas applicables ne s'agissant pas d'actes de cautionnement.

Selon l'article L341-2 du code de la consommation, dans sa version applicable à la cause, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même.'

Selon l'article L341-3, dans sa version applicable à la cause, lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : "En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X..., je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X...".

Les actes litigieux ne contiennent pas ces mentions imposées à peine de nullité.

Les engagements de caution sont donc nuls.

Sur la délégation de paiement du 18 octobre 2010

Mme [N] fait valoir que l'action de la société Sonen sur le fondement de la délégation de paiement du 18 octobre 2010 est en partie prescrite, le délai de 2 ans édicté par l'article L. 218-2 du code de la consommation étant applicable en l'espèce, Mme [N] étant une personne physique consommateur, la société Sonen un professionnel et tout type de contrat étant concerné.

Elle explique que ce délai de 2 ans s'est écoulé pour une partie des factures dont le règlement est réclamé par la société intimée, de sorte que l'action n'est recevable que pour les factures postérieures au 24 juillet 2012 pour un montant de 1.864,20 euros.

Sur le fond, elle soutient que la société Sonen n'apporte pas la preuve que les factures correspondant aux sommes dont elle entend obtenir le paiement se rapportent aux deux chantiers précis concernés par la délégation de paiement et qu'une somme de 42 000 euros a déjà été versée le 3 octobre 2011 à la suite de la vente de l'immeuble sis à [Localité 12] qui devait donc être imputée sur les sommes dues dans le cadre de la délégation de paiement.

La société Sonen fait valoir que l'article L. 218-2 du code de la consommation n'est pas appplicable au contrat de délégation de paiement, aucune exception ne pouvant lui être opposée par les délégués et que ce moyen est en outre dilatoire.

Elle indique que les moyens soulevés par Mme [N] pour la première fois devant la cour d'appel de Caen sont irrecevables en application du principe de la concentration des moyens et de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de grande instance de Rouen.

La société Sonen précise qu'elle justifie de sa créance et de l'imputation déjà faite concernant la somme de 42 000 deuros.

Selon l'article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.

Aux termes de l'ancien article 1275 du code civil applicable à la cause, la délégation par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur qui s'oblige envers le créancier, n'opère point de novation, si le créancier n'a expressément déclaré qu'il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation.

L'engagement du tiers délégué est un engagement nouveau caractérisé par l'inopposabilité des exceptions. Le délégué ne peut ainsi opposer au délégataire les exceptions nées de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre le délégant et le délégataire.

Le contrat de délégation de paiement est autonome et indépendant du contrat liant la société Sonen à la société Ria Normandie et de celui liant la société Ria Normandie à M. [C] et Mme [N].

Il ne s'agit pas d'un contrat de vente ou de fourniture soumis aux dispositions de l'article L218-2 du code de la consommation (ancien article L137-2 du code de la consommation) qui prévoit que l'action des professionnels pour les biens et services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

La prescription quinquennale de droit commun est applicable.

L'assignation en paiement date du 24 juillet 2014.

Il résulte du décompte de la société Sonen (pièce 7) que les factures les plus anciennes prises en compte datent du 31 octobre 2010.

La demande en paiement est donc recevable.

Si le moyen tiré de la prescription de l'action en paiement est soulevé pour la première fois devant la cour d'appel de Caen, il n'est pas caractérisé par la société Sonen l'intention dilatoire de Mme [N] qui est appelante et aucun préjudice particulier n'est invoqué par l'intimée.

Dès lors, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

Sur le fond, il convient de relever que l'arrêt de la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Rouen et a remis les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt.

Il sera relevé qu'il s'agit toujours de la même instance qui se poursuit devant la cour d'appel de Caen.

L'appel portant en l'espèce sur l'infirmation totale du jugement, le jugement ne peut avoir autorité de la chose jugée.

Par ailleurs, le principe de concentration des moyens dès les premières conclusions n'est pas imposé par les dispositions du code de procédure civile et des moyens nouveaux peuvent être invoqués en cause d'appel.

Les moyens soulevés par Mme [N] ne sont donc pas irrecevables.

La délégation de paiement précise que M. [C] et Mme [N] ont confié à la société Ria Normandie la réalisation des chantiers de [Localité 9] et de [Localité 12], que la société Ria Normandie pour la réalisation de ces chantiers a demandé à la société Sonen de lui fournir des matériaux de construction pour une valeur de 60 000 euros TTC et qu'afin d'assurer à la société Sonen le paiement des sommes en principal, intérêts, frais et accessoires qui lui seront dues, la société Ria Normandie délègue à la société Sonen le maître d'ouvrage à concurrence de la somme de 60000 euros TTC, les délégués devant régler directement à la société Sonen le montant des sommes correspondant aux factures dressées par la société Sonen et correspondant aux matériaux livrés sur le chantier.

Aux termes de l'article 1353 du code civil, ancien article 1315, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Aux termes de l' article 1256 ancien du code civil, lorsque la quittance ne porte aucune imputation, le paiement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d'intérêt d'acquitter entre celles qui sont pareillement échues ; sinon, sur la dette échue, quoique moins onéreuse que celles qui ne le sont point.

Si les dettes sont d'égale nature, l'imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement.

Mme [N] justifie de ce que la société Sonen a reçu une somme de 42 000 euros à la suite de la vente par elle-même et M. [C] de leur maison d'habitation sise à [Localité 12]. La société Sonen a bien reçu cette somme le 6 octobre 2011. Contraitrement à ce que soutient celle-ci, la somme de 42 000 euros ne lui a pas été versée par la société Ria Normandie mais bien par Mme [N] et M. [C] qui ont signé un ordre irrevocable de versement au notaire chargé de la vente de leur immeuble. (pièce n° 4 de l'appelante)

Mme [N] et M. [C] avaient intérêt à ce que cette somme soit imputée sur les sommes dont ils étaient redevables au titre de la délégation de paiement, étant précisé qu'il n'est pas soutenu par la société Sonen que ceux-ci lui étaient redevables de sommes à un autre titre.

Il ne peut être demandé aux délégués le paiement de factures qui n'ont pas trait aux chantiers visés dans la délégation de paiement.

Au vu des factures versées aux débats, plusieurs factures apparaissent dans le décompte de la société Sonen qui sont relatives à d'autres chantiers pour un montant de 30 364,26 euros.

Par ailleurs, plusieurs factures communiquées ne comportent aucune mention et il ne peut donc être déterminé si elles concernent les chantiers de [Localité 9] ou de [Localité 12].

Le montant total des factures communiquées se référant aux chantiers visés dans la délégation de paiement est inférieur à la somme de 42 000 euros.( 34690,72 euros)

Dès lors, la demande en paiement formée par la société Sonen sur le fondement de la délégation de paiement n'est pas fondée et sera rejetée.

Mme [N] a réglé une somme de 82 344,89 euros en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Rouen assorti de l'exécution provisoire et de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen.

Le remboursement des sommes ainsi versées est dû en exécution du présent arrêt qui dès lors vaut titre exécutoire sans qu'il y ait lieu à condamnation à paiement.

Aux termes de l'article 2438 du code civil, la radiation (des hypothèques) doit être ordonnée par les tribunaux, lorsque l'inscription a été faite sans être fondée ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsqu'elle l'a été en vertu d'un titre soit irrégulier, soit éteint ou soldé, ou lorsque les droits d'hypothèque sont effacés par les voies légales.

Mme [N] demande la radiation de l'hypothèque judiciaire prise par la société Sonen le 29 avril 2019 sur l'immeuble sis à [Localité 9] à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Rouen du 31 janvier 2019.

La société Sonen ne s'explique pas sur ce point.

L'arrêt de la cour d'appel de Rouen servant de titre à l'inscription d'hypothèque ayant été cassé et annulé en toutes ses dispositions par la Cour de cassation et le présent arrêt infirmant le jugement du tribunal de grande instance de Rouen et déboutant la société Sonen de sa demande en paiement, l'inscription d'hypothèque n'est plus fondée sur un titre. Sa radiation sera ordonnée.

Les dispositions du jugement relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens seront infirmées.

Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1° A l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2° Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 .

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

La somme allouée au titre du 2° ne peut être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %.

Seul l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut obtenir que l'autre partie soit condamnée à lui payer une somme au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que son client aurait exposé s'il n'avait pas eu l'aide juridictionnelle.

Mme [N] n'explique d'ailleurs par à quoi correspond la somme de 7500 euros dont elle demande le paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile alors qu'elle est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale.

Elle sera déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Sonen succombant, l'équité commande de la condamner à payer au conseil de Mme [N] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la débouter de sa demande formée à ce titre.

La société Sonen supportera la charge des dépens de première instance et d'appel comprenant les frais relatifs à la radiation de l'inscription d'hypothèque judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut, mis à disposition au greffe ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Rejette les demandes de fin de non recevoir ;

Déboute la société Sonen de sa demande en paiement et de sa demande de dommages et intérêts ;

Ordonne la radiation de l'inscription d'hypothèque prise par la société Sonen auprès du Service de la publicité foncière de [Localité 13] 2 (devenu [Localité 13] 1) le 29 avril 2019, volume 2019, numéro 980, sur le bien situé à [Adresse 10] cadastré section AD numéro [Cadastre 5] ;

Condamne la société Sonen à payer à maître Balavoine, membre de la SELARL Kaem's Avocats, avocat de Mme [N] qui est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, somme qui sera recouvrée dans les conditions de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

Condamne la société Sonen aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront le coût de radiation de l'inscription d'hypothèque ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/01206
Date de la décision : 22/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-22;22.01206 ?
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