AFFAIRE : N° RG 20/01635
N° Portalis DBVC-V-B7E-GSPB
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 06 Juillet 2020 - RG n° 16/00976
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
APPELANTES :
La société [9], immatriculée au RCS LAVAL sous le n° [N° SIREN/SIRET 7], dont le siège social se situe [Adresse 2]
Venant aux droits de la société [12], société de droit allemand, dont le siège est [Adresse 15]
[Localité 3] (ALLEMAGNE,immatriculée au RCS de CHEMNITZ sous le N°HRB 31368, représentée par son représentant légal,
Venant aux droits de la SASU [14], précédemment immatriculée au RCS [Localité 13] sous le n° [N° SIREN/SIRET 6],
Venant aux droits de la société [11],
Venant elle-même aux droits de L'EURL [10]
Représentées par Me Annaïc LAVOLE, avocat au barreau de RENNES
INTIMES :
Monsieur [F] [M]
[Adresse 4]
Représenté par Me FAUTRAT, substitué par Me LAMBINET, avocats au barreau de CAEN
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS
[Adresse 1]
Représentée par Mme DESLANDES, mandatée
Société [16]
[Adresse 5]
Représentée par Me BODERGAT, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Président de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 06 avril 2023
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 15 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [12] (la société [12]) à l'encontre d'un jugement rendu le 6 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à la société [16], à M. [F] [M] en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados (la caisse).
FAITS et PROCEDURE
M. [M] a été embauché par la société [11] et mis à disposition de la société [16] à compter du 31 janvier 2011 en qualité de 'manutentionnaire'.
Le 2 février 2011, la société [10] a établi une déclaration d'accident du travail dans les termes suivants : 'Date 01 02 11 heure 9 15, M. [M] aurait reçu un coil en déséquilibre sur sa jambe gauche'.
Le certificat médical initial du 1er février 2011 a relevé les lésions suivantes : 'fracture ouverte tibia gauche'.
Par décision du 21 février 2011, l'accident a été pris en charge par la caisse au titre de la législation sur les risques professionnels.
L'état de santé de M. [M] a été déclaré consolidé par le médecin conseil à la date du 30 juillet 2016.
Par courrier du 24 octobre 2016, M. [M] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Selon jugement du 6 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Caen, auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019, a notamment :
- constaté l'intervention de la société [12] venant aux droits de la SASU [14] venant aux droits de la société [11], elle même venant aux droits de l'EURL [10]
- dit que l'accident du travail dont a été victime M. [M] le 1er février 2011 est dû à la faute inexcusable de la société [8]
- déclaré la société [8] bien fondée à être garantie à hauteur des deux tiers de toute condamnation découlant de cette faute par la société [16], entreprise utilisatrice et en particulier, majoration de rente et préjudices de M. [F] [M]
- ordonné la majoration de la rente à son montant maximum
- ordonné avant-dire droit une expertise médicale afin d'évaluer les préjudices de M. [M]
- accordé à M. [M] une provision de 5 000 euros à valoir sur ses préjudices
- dit que cette provision sera versée directement par la caisse à M. [M]
- dit que la caisse bénéficie de l'action récursoire à l'égard de l'employeur conformément aux articles L. 452-2 et suivants du code de la sécurité sociale même pour le remboursement de cette provision
- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 15 mars 2021.
La société [12] a formé appel de ce jugement par déclaration du 26 août 2020.
Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l'audience, la société [9], venant aux droits de la société [12], demande à la cour de :
- recevoir la société [9] venant aux droits de la société [12] venant aux droits de la société [14], venant aux droits de la société [11], venant elle-même aux droits de la société [10], en son appel, la déclarer recevable et bien fondée
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Caen du 6 juillet 2020 en ce qu'il a déclaré la société [8] bien fondée à être garantie à hauteur des deux tiers seulement de toute condamnation découlant de la faute inexcusable, par la société [16] et en particulier majoration de rente et préjudices de M. [M]
- condamner la société [16] à garantir la société [9] de toutes les conséquences pécuniaires de la faute inexcusable reconnue au bénéfice de M. [M] tant en ce qui concerne la réparation complémentaire (majoration de rente le cas échéant et indemnités) que le surcoût de l'accident lui-même outre les frais irrépétibles
- débouter la société [16] de ses demandes plus amples ou contraires
- condamner la société [16] à payer à la société [9] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens
- déclarer la décision opposable à la caisse.
Par conclusions reçues au greffe le 19 janvier 2023 et soutenues oralement à l'audience, la société [16] demande à la cour de :
- réformer le jugement du 6 juillet 2020 en ce qu'il a déclaré la société [8] fondée à être garantie à hauteur des deux tiers de toute condamnation découlant de la faute inexcusable
- prononcer le partage de responsabilité entre la société intérimaire et la société utilisatrice à hauteur de 50 % pour l'intégralité des sommes qui seraient à verser à M. [M] du fait de la reconnaissance de la faute inexcusable
- déclarer la société [9] fondée à être garantie à hauteur de la moitié de toute condamnation découlant de la faute inexcusable de l'employeur et en particulier, majoration de rente subie et préjudices subis par M. [M]
- condamner la société [9] à payer à la société [16] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouter la société [9] de ses demandes
- déclarer la décision à intervenir opposable à la caisse.
À l'audience, le conseil de M. [M] a demandé sa mise hors de cause, indiquant que l'appel ne concernait que les rapports entre la société [9] et la société [16].
Selon conclusions du 31 mars 2023 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- constater qu'elle s'en rapporte sur le partage de responsabilités
- dire qu'elle pourra dans l'exercice de son action récursoire recouvrer auprès de la société intérimaire et de l'entreprise utilisatrice, dont la faute inexcusable a été reconnue ou de son assureur, l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable selon les proportions définies par la cour (doublement du capital, provision et préjudices).
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
- Sur la demande de mise hors de cause de M. [M]
Il sera fait droit à cette demande, l'appel ne concernant que les rapports entre la société [9], la société [16] et la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.
- Sur la demande de garantie de la société [9]
L'article L. 412-6 du code de la sécurité sociale dispose que : 'Pour l'application des articles L. 452-1 à L. 452-4, l'utilisateur, le chef de l'entreprise utilisatrice ou ceux qu'ils se sont substitués dans la direction sont regardés comme substitués dans la direction, au sens desdits articles, à l'employeur. Ce dernier demeure tenu des obligations prévues audit article sans préjudice de l'action en remboursement qu'il peut exercer contre l'auteur de la faute inexcusable.'
Il résulte de la combinaison des articles L. 412-6 et L. 452-3 qu'en cas d'accident survenu à un travailleur intérimaire et imputable à une faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, c'est l'entreprise de travail temporaire employeur de la victime qui est seule tenue envers la caisse du remboursement des indemnisations complémentaires prévues par la loi.
Toutefois, l'entreprise de travail temporaire dispose d'une action récursoire à l'encontre de l'entreprise utilisatrice auteur de la faute inexcusable.
En l'absence de faute de l'employeur, c'est à dire de l'entreprise de travail temporaire, l'entreprise utilisatrice est tenue de garantir cette dernière de la totalité des conséquences financières résultant de la faute inexcusable.
En l'espèce, M. [M] a été victime d'un accident du travail le 1er février 2011 alors qu'il était employé par la société [11] (entreprise de travail temporaire) et mis à la disposition de la société [16] (entreprise utilisatrice).
La faute inexcusable a été retenue au motif que le poste de travail de M. [M] était un poste présentant un risque particulier pour sa santé et sa sécurité et que l'entreprise utilisatrice ne lui avait pas dispensé de formation renforcée à la sécurité de telle sorte qu'il convenait de faire application de la présomption de faute inexcusable prévue à l'article L. 4154-3 du code du travail.
La société [9] soutient que la faute inexcusable est entièrement imputable à la société [16] aux motifs qu'elle est seule responsable des conditions d'exécution du travail, notamment celles se rapportant à la santé et la sécurité conformément à l'article L. 1251-21 du code du travail, et que les formations spécifiques au poste de travail incombent à l'entreprise utilisatrice.
En outre, elle indique qu'au moment de l'accident du 1er février 2011, la société [16] avait affecté M. [M] à un poste différent de celui mentionné sur le contrat de mise à disposition.
La société [9] en déduit que son recours en garantie à l'encontre de la société [16] doit être total et non limité aux deux tiers comme l'a décidé le tribunal judiciaire.
Au contraire, la société [16] invoque un partage de responsabilités avec la société [9] aux motifs qu'il appartenait à cette dernière de satisfaire à son obligation d'analyser les conditions d'emploi de M. [M] et d'organiser les formations nécessaires et adéquates de sécurité sans se reposer uniquement sur la société utilisatrice en la matière.
En premier lieu, il est exact que la fiche 'enquête accident' indique que M. [M] avait été détaché par 'M. [W], responsable d'atelier' sur un poste de pontier au moment de l'accident.
Toutefois, ce document a été établi par la société [10] et n'a donc pas valeur de preuve.
La société [16] qui conteste avoir affecté M. [M] à un poste différent de celui stipulé au contrat de mise à disposition, produit en outre une attestation de M. [W] qui affirme 'ne pas avoir donné à aucun moment l'autorisation ou ordre de manipuler le pont de charge. En ce sens où seules les personnes formées et habilitées peuvent manipuler cet outil'.
Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le jugement, la preuve que M. [M] avait été affecté par la société utilisatrice à un poste de 'pontier' au moment de l'accident n'est donc pas rapportée.
En second lieu, le contrat de mise à disposition du 31 janvier 2011 stipule que le poste de M. [M] présente des 'risques professionnels (coupures, atteinte auditive, chocs avec engins, chutes)' mais qu'il ne s'agit pas d'un poste figurant 'sur la liste des postes à risques particuliers (Art L. 4154-2 du code du travail)'.
Il précise aussi expressément que la formation à la sécurité au poste de travail incombe à l'entreprise utilisatrice ('formation sécurité au poste de travail délivrée par EU').
En outre, l'article L. 4154-2 du code du travail dispose que 'les salariés temporaires affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés'.
En conséquence, la formation à la sécurité devait être dispensée par la société utilisatrice.
Les consignes générales présentées dans le guide d'accueil, le règlement intérieur et l'aide mémoire sont insuffisants pour établir que la société [16] a dispensé à M. [M] une formation à la sécurité renforcée.
C'est donc à juste titre que le jugement a retenu que cette formation n'avait pas été dispensée par la société utilisatrice.
Compte tenu de ces observations, il est établi que la société [16] a manqué à ses obligations puisqu'elle n'a pas dispensé à M. [M] la formation renforcée à la sécurité prévue à l'article L. 4154-2 du code du travail comme le contrat de mise à disposition le lui imposait alors qu'il s'agissait d'un poste présentant un risque particulier pour sa santé et sa sécurité.
Au vu de l'ensemble de ces éléments aucun manquement ne peut être retenu à l'égard de la société [11].
En conséquence, par voie d'infirmation, il convient de condamner la société [16] à garantir la société [9] venant aux droits de la société [12], des conséquences financières de la faute inexcusable en totalité tant en ce qui concerne la réparation complémentaire (majoration de rente et indemnités), le surcoût de l'accident (dans les limites du capital représentatif de la rente) outre les frais irrépétibles.
- Sur l'action récursoire de la caisse
La caisse demande qu'il soit dit que son action récursoire pourra s'exercer contre la société intérimaire et la société utilisatrice, c'est à dire la société [16], selon les proportions définies par la cour.
Il a été fait droit à la demande de la caisse relative à son action récursoire à l'encontre de la société intérimaire, c'est à dire la société [9].
Les parties ne formulent aucune contestation sur ce chef du jugement qui sera donc confirmé.
La demande formée contre la société [16] est une demande nouvelle en cause d'appel.
Cette prétention est contraire aux dispositions précitées dont il résulte que l'entreprise de travail temporaire employeur de la victime est seule tenue envers la caisse du remboursement des indemnisations complémentaires prévues par la loi en cas de faute inexcusable.
La caisse sera donc déboutée de sa demande de dire que son action récursoire pourra s'exercer contre l'entreprise utilisatrice, la société [16].
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Succombant, la société [16] sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est en outre équitable de condamner la société [16] à payer à la société [9] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Ordonne la mise hors de cause de M. [M],
Statuant dans les limites de l'appel,
Constate que la société [9] vient aux droits de la société [12], venant aux droits de la SASU [14], elle-même venant aux droits de la société [11];
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados bénéficie de l'action récursoire à l'égard de l'employeur [la société [9]] conformément aux articles L. 452-2 et suivants du code de la sécurité sociale même pour le remboursement de la provision;
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- déclaré la société [8] fondée à être garantie à hauteur des deux tiers de toute condamnation découlant de la faute inexcusable, par la société [16], entreprise utilisatrice et en particulier, majoration de rente et préjudices de M. [F] [M];
Statuant à nouveau,
Condamne la société [16] à garantir en totalité la société [9] de toutes les conséquences financières de la faute inexcusable reconnue au profit de M. [M] tant en ce qui concerne la réparation complémentaire (majoration de rente et indemnités), le surcoût de l'accident (dans les limites du capital représentatif de la rente) outre les frais irrépétibles;
Déboute la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados de sa demande de dire que son action récursoire pourra s'exercer contre l'entreprise utilisatrice, la société [16];
Condamne la société [16] à payer les dépens d'appel;
Condamne la société [16] à payer à la société [9] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles;
Déboute la société [16] de sa demande au titre des frais irrépétibles.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX