AFFAIRE : N° RG 21/02070
N° Portalis DBVC-V-B7F-GZNH
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 15 Juin 2021 - RG n° 19/00830
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRET DU 08 JUIN 2023
APPELANTE :
CARSAT NORMANDIE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par M. [E], mandaté
INTIME :
Monsieur [X] [L]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Bernard HOYE, avocat au barreau de LISIEUX, substitué par Me Coralie LOYGUE, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l'audience publique du 27 mars 2023, tenue par Mme CHAUX, Président de chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GOULARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 08 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse d'assurance retraite et de santé au travail de Normandie d'un jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à M. [X] [L].
FAITS et PROCEDURE
L'article 41 modifié de la loi n° 98 - 1194 du 23 décembre 1998 prévoit que pour bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ( ACAATA), il faut avoir exercé une activité professionnelle dans un établissement classé par un arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget.
Le 16 mars 2018, M. [L], qui a travaillé pour le compte de la société [10] de [Localité 5] du 7 décembre 1978 au 7 octobre 1984, a déposé une demande d'allocation des travailleurs de l'amiante,au titre des salariés et anciens salariés des établissements de fabrication ou de traitement de l'amiante.
Le 11 mai 2018, la caisse d'assurance retraite et de santé au travail de Normandie (Carsat) a rejeté sa demande au motif que l'arrêté de classement du 7 mars 2007 de l'établissement de [Localité 5] a été annulé par décision de la cour administrative d'appel de Nantes, confirmée par le Conseil d'Etat.
Le 18 mai 2018, M. [L] a contesté ce refus devant la commission de recours amiable de la Carsat, laquelle en sa séance du 4 juillet 2018, a admis partiellement son recours et ordonné aux services administratifs de procéder à une nouvelle étude de son droit en prenant en compte les périodes d'activité effectuées au sein de l'établissement de [10] de [Localité 5] du 7 décembre 1978 au 31 mars 1980 et du 27 novembre 1980 au 7 octobre 1984.
La commission a pris en compte une tolérance administrative née de la lettre ministérielle du 8 octobre 2012 qui décide d'ouvrir droit, à titre exceptionnel et compte tenu du caractère très particulier de ce dossier, au bénéfice de l'ACAATA aux anciens salariés de cet établissement de [10] à [Localité 5] qui n'auraient pas déjà pu en bénéficier.
Le 5 mars 2019, la Carsat a notifié à M. [L] la date de premier paiement de l'ACAATA au 1er février 2019 pour un montant mensuel brut de 600,65 euros, calculé à partir d'un salaire mensuel de référence de 706,65 euros.
Le 13 mars 2019, M. [L] a contesté devant la commission de recours amiable de la Carsat le montant du salaire de référence servant de base au calcul de son allocation.
Par décision du 16 mai 2019, son recours a été rejeté au motif que les salaires pris en compte ( 2108 euros) correspondent à la dernière année d'activité salariée, la carrière de l'assuré ne faisant état d'aucun report de salaires entre 2015 et 2017.
Le 17 juillet 2019, M. [L] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Caen.
Par jugement du 15 juin 2021, ce tribunal, devenu tribunal judiciaire de Caen a :
- déclaré le recours de M. [L] recevable et bien fondé,
En conséquence,
- annulé la décision de rejet rendue par la commission de recours amiable de la Carsat , lors de sa séance du 16 mai 2019, confirmant la notification de 1er paiement de l'allocation des travailleurs de l'amiante du 5 mars 2019, d'un montant mensuel brut de 600,65 euros à compter du 1er février 2019,
- dit que la période salariée de M. [L] du 1er mars au 31 mai 2018 est une période de travail à temps partiel totalisant un total de 78 heures travaillées, effectuée dans le cadre de contrats à durée déterminée au profit de deux particuliers employeurs que la Carsat ne pouvait retenir comme base de calcul de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante ( ACAATA)
- enjoint à la Carsat Normandie de procéder au recalcul des droits à l'ACAATA de M. [L] à partir des rémunérations perçues par ce dernier au cours des douze derniers mois lorsqu'il était salarié de la société [7] de 1989 à 2009 selon notamment les dispositions du décret du 29 mars 1999 relatif à l'ACAATA prévue à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 et ce, à effet du 1er février 2019,
- renvoyé M. [X] [L] devant la Carsat Normandie pour être rempli de ses droits,
- condamné la Carsat Normandie à lui payer la somme de 1000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Carsat Normandie aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 9 juillet 2021, la Carsat Normandie a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions n° 2 reçues au greffe le 27 mars 2023,soutenues oralement à l'audience par son représentant, la Carsat demande à la cour :
A titre principal :
- d'infirmer le jugement déféré et de confirmer la prise en compte de l'année 2018 dans le calcul de l'ACAATA,
A titre subsidiaire :
- si la cour confirmait la neutralisation de l'année 2018, juger qu'il conviendrait de retenir au titre des 12 derniers mois d'activité, les années 2010 à 2012 au cours desquelles M. [L] exerçait une activité CDD à temps plein, conformément à l'article 2-2 du décret de 1999,
- dire que, en tout état de cause, cette révision ne pourrait intervenir que sur la période limitée du 1er février 2019 au 30 juin 2020,
- débouter M. [L] de l'ensemble de ses autres demandes.
Aux termes de ses conclusions n°1, déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M. [L] demande à la cour de :
- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a annulé la décision de la commission de recours amiable rendue le 16 mai 2019, constatant que la décision de la Carsat en date du 5 mars 2019 est injustifiée et erronée,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la période salariée de M. [L] du 1er mars au 31 mai 2018 est une période de travail à temps partiel totalisant 78 heures travaillées effectuées dans le cadre de contrats à durée déterminée au profit de deux particuliers employeurs, que la Carsat ne pouvait dès lors retenir comme base de calcul de l'ACAATA,
- retenant que M. [L] a travaillé en qualité de salarié de la SCI [6] pour les périodes du 1er novembre 2010 au 31 décembre 2010, du 1er janvier 2011 au 28 février 2011 puis du 20 au 24 février 2012 en exécution de trois contrats de travail à durée déterminée à temps plein,
- enjoindre à la Carsat Normandie de procéder au recalcul des droits à l'ACAATA de M. [L], après neutralisation pour la période de référence des deux périodes de contrats Cesu , soit du 1er mars 2018 au 30 avril 2018 et du 1er au 31 mai 2018, en considération des rémunérations perçues par ce dernier au cours des 365 jours de période travaillée précédant le 25 février 2012, et ce selon les dispositions du décret du 29 mars 1999 relatif à l'ACAATA et telles que prévues à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 du financement de la sécurité sociale pour l'année 1999,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Carsat Normandie à lui payer la somme de 1000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Carsat Normandie à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la Carsat Normandie aux entiers dépens.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR
- Sur la recevabilité de l'appel
Le jugement déféré a été notifié à la Carsat par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 21 juin 2021.
L'appel interjeté par la Carsat le 9 juillet 2021, dans le mois de la notification, est donc recevable.
- Sur le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l'ACAATA
Il n'est pas contesté que M. [L] est en droit de percevoir l'ACAATA, à compter de sa cessation d'activité. Le litige porte uniquement sur le salaire de référence à prendre en compte pour le calcul de cette allocation.
Les travailleurs qui ont été exposés à l'amiante sont autorisés à bénéficier de l'allocation prévue à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 sous réserve de la réunion de conditions relatives à leur âge et à la durée d'activité dans les métiers et établissements reconnus comme conduisant à l'exposition à l'amiante et à ses dérivés.
L'article 41 II de la loi du 23 décembre 1998 dispose que le montant de l'allocation est calculé en fonction de la moyenne actualisée des salaires mensuels bruts des douze derniers mois d'activité salariée du bénéficiaire, pour lesquels ne sont pas prises en compte dans des conditions prévues par décret, certaines périodes d'activité donnant lieu à rémunération réduite. Il est revalorisé comme les avantages alloués en application du deuxième alinéa de l'article L 322-4 du code du travail.
L'article 2 du décret n° 99- 247 du 29 mars 1999 relatif à l'ACAATA prévue à l'article 41 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, modifié par décret du n° 2009- 1735 du 30 septembre 2009, prévoit que le salaire de référence servant de base à la détermination de l'allocation est fixé d'après les rémunérations visées à l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale perçues par l'intéressé au cours de ses 12 derniers mois d'activité salariée, sous réserve qu'elles présentent un caractère régulier et habituel. Ces rémunérations revalorisées, le cas échéant , selon les règles définies à l'article L 161-23-1 du code de la sécurité sociale , sont prises en compte dans la limite du double plafond prévu à l'article L 241-3 du même code en vigueur à la date d'ouverture du droit à l'allocation. Le salaire de référence est égal à la moyenne des rémunérations ainsi déterminées.
L'article 2-1 du décret susvisé précise qu'en cas d'activité salariée discontinue, les périodes travaillées sont prises en compte jusqu'à totaliser 365 jours de paie.
Les articles 2-2 et 2-3 du même décret précisent les périodes qui ne rentrent pas en ligne de compte en application de l'article 41 II de la loi précitée.
L' article 2-2 du décret susvisé indique qu'il n'y a pas lieu pour le calcul du salaire de référence de tenir compte des périodes suivantes:
1- Périodes consécutives à des plans sociaux durant lesquelles le salarié a fait l'objet d'une mesure de reclassement interne destinée à éviter les licenciements, y compris lorsqu'une convention entre l'entreprise et l'Etat a été conclue pour une compensation partielle de la perte de salaire subie par le salarié ;
2 - Périodes durant lesquelles les entreprises ont conclu avec les représentants du personnel des accords d'entreprise ayant soit diminué la rémunération, soit abaissé la durée du travail et la rémunération sans qu'une mesure particulière nécessitant un conventionnement avec l'Etat soit mise en oeuvre; toutefois, seule une période de douze mois peut être prise en compte pour rechercher le salaire de référence ;
3- Périodes d'activité pendant lesquelles des allocations de chômage partiel ont été versées ;
4- Périodes d'arrêt de travail donnant lieu à versement d'indemnités journalières lorsque le salaire net n'a pas été intégralement maintenu par l'employeur ou par l'intermédiaire d'un organisme de prévoyance ;
5- Périodes de perception conjointe d'une pension d'invalidité et d'un salaire ;
6- Périodes d'activité à mi- temps thérapeutique ;
7- Périodes de travail à temps partiel effectuées dans le cadre d'un contrat à durée déterminée ;
8- Périodes donnant lieu à indemnité de congé payé d'un montant inférieur au salaire habituel.
L'article 2-3 précise que lorsque le salarié a connu une période de chômage à la suite de la fermeture ou de la reconversion de l'un des établissements figurant sur l'une des listes d'établissements mentionnées au 1° du 1er alinéa du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 susvisée et qu'il a repris ensuite une activité salariée, il est tenu compte du salaire perçu dans cette nouvelle activité, si celui - ci est plus favorable à l'allocataire.
Il ressort de l'examen des déclarations annuelles de données sociales produites par la Carsat que M. [L] a travaillé:
- de décembre 1978 à octobre 1984 pour le compte de la société [10] à [Localité 5],
- de 1984 à 1989 pour [8],
- de 1989 à 2009 à [7] ( jusqu'à sa fermeture),
- de 2010 à 2012 au sein de la SCI [6],
- de mars à mai 2018 chez deux particuliers dans le cadre du CESU.
Il ressort des pièces du dossier que cette dernière activité de jardinier rémunérée dans le cadre du chèque emploi service représente au total 78 heures de travail, soit en moyenne 26 heures par mois.
C'est à juste titre que les premiers juges, retenant qu'il s'agissait d'une activité à temps partiel sur une durée déterminée, n'ont pas pris en compte ces périodes de travail pour le calcul du salaire de référence servant de base à la détermination de l'ACAATA et ce en application de l'article 2-2 du décret susvisé. Cette période a été à bon droit neutralisée.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a annulé la décision de la commission de recours amiable de la Carsat Normandie du 16 mai 2019 et dit que la période salariée de M. [L] du 1er mars au 31 mai 2018, de temps partiel dans le cadre de contrats à durée déterminée, ne pouvait être retenue comme base de calcul de l'ACAATA.
En revanche, en cause d'appel M. [L] justifie avoir travaillé pour le compte de la SCI [6] du 1er novembre 2010 au 31 décembre 2010 puis du 1er janvier 2011 au 28 février 2011 et du 20 au 24 février 2012, dans le cadre de contrats à durée déterminée mais à temps plein.
Celui - ci ayant eu une activité salariée discontinue, il convient de dire que l'allocation sera calculée en considération des rémunérations perçues par M. [L] au cours des 365 jours de période travaillée précédant le 25 février 2012 et ce, selon les dispositions du décret du 29 mars 1999 relatif à l'ACAATA et telles que prévues à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 du financement de la sécurité sociale pour l'année 1999.
Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.
En conséquence, il convient d'ordonner la réouverture des débats à l'audience du 20 novembre 2023 à 14 heures , à charge pour la Carsat de calculer le montant de l'ACAATA et de déterminer le montant du rappel dû à M. [L] à compter du 1er février 2019.
Celui - ci ayant repris une activité le 1er juillet 2020, ainsi qu'il ressort des déclarations annuelles de données sociales produites par la Carsat, le versement de cette allocation sera suspendu à compter de cette date, l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 interdisant le cumul entre l'ACAATA et une activité professionnelle.
- Sur les autres demandes
Les demandes présentées au titre des dépens et des frais irrépétibles exposés en cause d'appel seront réservées.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la Carsat Normandie aux dépens de première instance et à verser la somme de 1000 euros à M. [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Déclare recevable l'appel interjeté par la Carsat Normandie,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- annulé la décision de rejet rendue par la commission de recours amiable de la Carsat du 16 mai 2019, confirmant la notification de 1er paiement de l'allocation des travailleurs de l'amiante du 5 mars 2019, d'un montant mensuel brut de 600,65 euros à compter du 1er février 2019,
- dit que la période salariée de M. [L] du 1er mars au 31 mai 2018 est une période de travail à temps partiel, totalisant un total de 78 heures travaillées, effectuée dans le cadre de contrats à durée déterminée à temps partiel au profit de deux particuliers employeurs que la Carsat ne pouvait retenir comme base de calcul de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA),
- condamné la Carsat Normandie à verser la somme de 1000 euros à M. [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Carsat Normandie aux dépens,
Infirme le jugement déféré pour le surplus,
Statuant à nouveau:
- Dit que l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante due à M. [L] à compter du 1er février 2019, sera calculée sur la base des rémunérations qu'il a perçues au cours des 365 jours de période travaillée précédant le 25 février 2012 et ce, selon les dispositions du décret du 29 mars 1999 relatif à l'ACAATA et telles que prévues à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 du financement de la sécurité sociale pour l'année 1999,
Ordonne la réouverture des débats à l'audience du lundi 20 novembre 2023 à 14 heures, Cour d'appel,
[Adresse 9],
à charge pour la Carsat de calculer le montant de l'ACAATA dû à M. [L] et de déterminer le montant du rappel dû à M. [L] à compter du 1er février 2019 et ce jusqu'au 30 juin 2020,
Réserve les dépens et la demande présentée au titre des frais irrépétibles,
Dit que la notification de la présente décision vaut convocation régulière des parties à l'audience de renvoi.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX