AFFAIRE : N° RG 21/02069
N° Portalis DBVC-V-B7F-GZNF
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 15 Juin 2021 - RG n° 18/00594
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRET DU 08 JUIN 2023
APPELANTE :
CARSAT NORMANDIE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par M. [L], mandaté
INTIMEE :
Madame [I] [R] [J]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Laurent LEPILLIER, substitué par Me BOISSEAU, avocats au barreau du HAVRE
DEBATS : A l'audience publique du 27 mars 2023, tenue par Mme CHAUX, Président de chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GOULARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 08 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie ( la Carsat) d'un jugement rendu le 15 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à Mme [I] [R] - [J].
FAITS et PROCEDURE
M. [J], époux de Mme [I] [R] [J], est décédé le 25 mai 1998.
Le 21 octobre 2008, Mme [R] [J] a déposé, en sa qualité de veuve, une demande de retraite de réversion à laquelle elle a joint une déclaration faisant état de ses ressources perçues au cours des mois de mai, juin et juillet 2008.
Le 17 décembre 2008, la Carsat lui a notifié l'attribution de sa retraite de réversion à compter du 1er novembre 2008.
Le 29 juillet 2012, elle a présenté une demande de retraite personnelle.
Le 21 octobre 2012, la Carsat lui a adressé un premier questionnaire de contrôle dans le cadre du service de sa pension de réversion, sur lequel Mme [R] [J] a fait état des ressources par elle perçues en juillet, août et septembre 2012 .
Le 15 novembre 2012, la Carsat l'a informée de l'attribution de sa retraite personnelle à compter du 1er octobre 2012 et de la modification du montant de sa retraite de réversion à compter du 1er septembre 2012, en raison de ses ressources.
Le 9 juillet 2017, la Carsat lui a adressé un second questionnaire de contrôle à 65 ans, qu'elle a complété et signé le 1er octobre 2017, sur lequel elle a mentionné les ressources de son conjoint actuel, M. [M].
La Carsat a dès lors diligenté une enquête administrative au cours de laquelle Mme [R] [J] et M. [M], entendus par procès verbal le 10 octobre 2017, ont indiqué avoir une vie maritale depuis 2000, posséder une SCI depuis 2002, partager les impôts fonciers et les impôts locaux, l'alimentation et l'électricité. Ils exposent ne pas avoir déclaré leur concubinage depuis 2008 car ' on avait une autonomie financière et une gestion indépendante liée à nos problèmes financiers et familiaux-trop de charges de chaque côté - on pensait que c'était plus simple. En commun nous n'avons que la résidence principale.'
Estimant que Mme [R] [J] avait volontairement et sciemment dissimulé sa vie maritale avec M. [M] dans le but de percevoir une prestation à laquelle elle n'avait pas droit en raison des ressources de son ménage, la Carsat lui a notifié le 16 octobre 2017 la suspension de sa retraite de réversion à compter du 1er octobre 2017.
Le 11 décembre 2017, la Carsat lui a notifié un indu d'un montant de 39 914,01 euros au titre des arrérages de la retraite de réversion portant sur la période du 1er novembre 2008 au 30 septembre 2017.
Le 2 janvier 2018, la Carsat lui a adressé une notification préalable à l'application de la procédure de pénalité financière pour fraude prévue à l'article L 114-17 du code de la sécurité sociale en raison de l'absence de déclaration de sa situation de concubinage et de ses ressources.
Par courrier du 5 février 2018, la Carsat a confirmé le prononcé de la pénalité financière définitive de 915 euros en raison de ses agissements frauduleux.
Le 3 mars 2018, la Carsat l'a mise en demeure de payer la somme de 39 914,01 euros.
Le 27 mars 2018, Mme [R] [J] a saisi la commission de recours amiable, contestant vivre en concubinage avec M. [M] depuis 2008 et sollicitant l'application de la prescription biennale.
Le 27 juillet 2018, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Calvados d'un recours contre la décision implicite de rejet.
Par décision du 31 août 2018, la commission a rejeté son recours.
Elle a dès lors saisi le 21 septembre 2018, le tribunal d'un recours contre la décision explicite de rejet.
Par jugement du 15 juin 2021, le tribunal judiciaire de Caen, auquel le contentieux de la sécurité sociale a été transféré à compter du 1er janvier 2019, a :
- ordonné la jonction des dossiers n° 18/00594 et 18/00718,
- dit que la Carsat est fondée à réclamer à Mme [R] [J] les arrérages de pension de réversion versés à tort du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017,
- renvoyé la Carsat Normandie à procéder au calcul de ces arrérages sur cette période,
- condamné à titre reconventionnel Mme [I] [R] [J] à payer les arrérages de pension de réversion versés à tort par la Carsat Normandie du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017, outre la pénalité financière de 915 euros,
- condamné Mme [R] [J] aux dépens.
Par déclaration du 9 juillet 2021, la Carsat a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions n° 2 déposées et soutenues oralement à l'audience par son représentant, la Carsat Normandie demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a limité le recouvrement de la créance notifiée à Mme [R] [J] à 5 années,
- confirmer que la Carsat Normandie est bien fondée à lui réclamer la somme de 39 914,01 euros correspondant aux arrérages de pension de réversion versés à tort du 1er novembre 2008 au 30 septembre 2017 et dont le solde à ce jour est de 39 881,22 euros,
- confirmer que la Carsat Normandie est bien fondée à réclamer à Mme [R] [J] la somme de 915 euros au titre de la pénalité financière,
A titre reconventionnel,
- condamner Mme [R] [J] au paiement de sa dette de 39 881,22 euros et au paiement de la pénalité financière de 915 euros,
- rejeter toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions reçues au greffe le 22 mars 2023, soutenues oralement à l'audience par son conseil, Mme [I] [R] [J] demande à la cour:
A titre principal :
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* dit que la Carsat est fondée à réclamer à Mme [R] [J] les arrérages de pension de réversion versés à tort du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017,
* renvoyé la Carsat Normandie à procéder au calcul de ces arrérages sur cette période,
* condamné à titre reconventionnel Mme [I] [R] [J] à payer les arrérages de pension de réversion versés à tort par la Carsat Normandie du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017, outre la pénalité financière de 915 euros,
* condamné Mme [R] [J] aux dépens,
Statuant à nouveau,
- dire que la décision prise par la Carsat le 6 décembre 2017 et celle de la commission de recours amiable du 31 août 2018 ne sont pas justifiées,
- dire qu'elle n'a commis aucune fraude ou omission et que le délai de prescription biennal est applicable au cas d'espèce,
En conséquence,
- dire que la Carsat n'est pas bien fondée à lui réclamer la somme de 39 914,01euros au titre des arrérages de pension de réversion versés du 1er novembre 2008 au 30 septembre 2017,
En conséquence,
- débouter la Carsat de sa demande,
- dire que la Carsat est bien fondée à lui réclamer le remboursement des pensions de réversion uniquement entre le 1er octobre 2015 et le 1er octobre 2017,
- débouter la Carsat de sa demande reconventionnelle relative aux frais de pénalités,
- condamner la Carsat aux entiers dépens,
A titre subsidiaire, si la cour estimait que Mme [R] [J] a commis un acte d'omission,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* dit que la Carsat est fondée à réclamer à Mme [R] [J] les arrérages de pension de réversion versés à tort du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017,
* renvoyé la Carsat Normandie à procéder au calcul de ces arrérages sur cette période,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
* condamné à titre reconventionnel Mme [I] [R] [J] à payer les arrérages de pension de réversion versés à tort par la Carsat Normandie du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017, outre la pénalité financière de 915 euros,
* condamné Mme [R] [J] aux dépens,
Statuant à nouveau,
- débouter la Carsat de sa demande reconventionnelle relative aux frais de pénalités,
- condamner la Carsat aux entiers dépens
En tout état de cause,
- débouter la Carsat de ses demandes,
- condamner la Carsat aux entiers dépens.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR
Vu les articles L 353-1, R 353-1, R 815-22 et R 815-27 du code de la sécurité sociale.
Il ressort des pièces versées aux débats que c'est uniquement le 1er octobre 2017, dans le cadre d'un second questionnaire de contrôle que la Carsat a adressé à Mme [R] [J], que celle -ci a déclaré les revenus de son concubin, M. [M], et que c'est lors de son audition le 10 octobre 2017 devant les services enquêteurs de la Carsat qu'elle a indiqué ne pas avoir déclaré depuis 2008 son concubinage parce qu' 'on avait une autonomie financière et une gestion indépendante liées à nos problèmes financiers et familiaux.(..)'.
Les éléments du dossier établissent une communauté d'intérêts et de vie entre les deux partenaires, dont la création d'une SCI en 2002 pour acquérir la résidence principale dans laquelle ils demeurent ensemble depuis cette date, le partage des charges d'alimentation, d'électricité et d'impôts.
C'est donc à juste titre que la Carsat, puis les premiers juges, ont considéré que Mme [R] [J] avait, jusqu'au 1er octobre 2017, volontairement et sciemment dissimulé sa vie maritale avec M. [M] en effectuant de fausses déclarations le 20 octobre 2008 se déclarant veuve et célibataire, de même le 29 juillet 2012 lors de sa demande de retraite personnelle et le 21 octobre 2012 dans le cadre d'un premier questionnaire de contrôle et que c'est délibérément qu'elle n'avait pas rempli la rubrique du formulaire relative à ' votre conjoint ou partenaire PACS ou concubin 'ni déclaré les revenus de ce dernier.
L'article L 355-3 alinéa 1 du code de la sécurité sociale dispose que ' toute demande de remboursement de trop perçu en matière de prestations de vieillesse et d'invalidité est prescrite par un délai de deux ans à compter du paiement desdites prestations dans les mains du bénéficiaire sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration. ( ...)'
C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'au regard des fausses déclarations faites par Mme [R] [J], celle - ci ne pouvait prétendre au bénéfice de la prescription biennale.
Il est de jurisprudence constante qu'en cas de fraude, c'est le délai de prescription de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil qui trouve à s'appliquer, soit en l'espèce, la prescription quinquennale puisque la pension de réversion a été versée pour la première fois le 1er novembre 2008, postérieurement à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription.
C'est donc ce délai de cinq ans qui sera appliqué pour le calcul des sommes indument perçues par Mme [R] [J] pour la période allant du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017 , date à laquelle la Carsat a cessé le versement de la pension de réversion.
La Carsat fait valoir que l'exigibilité des sommes ne peut être cantonnée à cinq années mais qu'elle doit porter sur l'intégralité des sommes indues dans la limite du délai butoir de vingt ans à compter du premier paiement indu, lequel fait naître son droit à répétition au sens de l'article 2232 du code civil.
L'article 2232 du code civil précise que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au- delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
L'article 2234 du même code prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
Force est de constater que la Carsat n'a pas été dans l'impossibilité d'agir, de sorte que les dispositions invoquées n'ont pas vocation à s'appliquer.
Le délai de prescription en matière de fraude aux prestations sociales ne commençant à courir que lorsque les faits ont pu être découverts par l'organisme social, c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que la Carsat était fondée à réclamer à Mme [R] [J] les arrérages de pension de réversion versés à tort du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
Cependant, il convient d'ordonner la réouverture des débats et de renvoyer l'examen de l'affaire à l'audience du 20 novembre 2023 à 14 heures, la Carsat devant chiffrer le montant des arrérages dus pour cette période.
En conséquence, la demande relative à la pénalité financière sera réservée jusqu'à ce qu'il soit statué sur le montant des arrérages dus pour cette période.
Les dépens seront également réservés.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie est fondée à réclamer à Mme [R] [J] les arrérages de pension de réversion versés à tort du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017,
Sursoit à statuer sur les autres demandes,
Ordonne la réouverture des débats à l'audience du lundi 20 novembre 2023 à 14 heures, [Adresse 5],
- à charge pour la Carsat de chiffrer le montant des arrérages de pension de réversion versés à tort à Mme [R] [J] du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017,
Réserve la demande présentée au titre de la pénalité financière jusqu'à ce qu'il soit statué sur le montant des arrérages de pension de réversion versés à tort à Mme [R] [J] du 1er octobre 2012 au 1er octobre 2017,
Réserve les dépens,
Dit que la notification de la présente décision vaut convocation régulière à l'audience de renvoi.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX
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