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01/06/2023 | FRANCE | N°22/03061

France | France, Cour d'appel de Caen, 3ème chambre civile, 01 juin 2023, 22/03061


AFFAIRE : N° RG 22/03061 - N° Portalis DBVC-V-B7G-HDSS



ARRET N°



AB





ORIGINE : Décision du Juge aux affaires familiales de CAEN du 05 décembre 2022

RG n° 20/01403









COUR D'APPEL DE CAEN

TROISIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 01 JUIN 2023





APPELANTE :



Madame [Y], [E] [M] épouse [R]

née le 04 Décembre 1970 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représentée et assistée de Me Marie-Sophie LAMY, avocat au b

arreau de CAEN





INTIME :



Monsieur [A], [Z], [F], [W] [R]

né le 25 Septembre 1969 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représenté et assisté de Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN, substitué ...

AFFAIRE : N° RG 22/03061 - N° Portalis DBVC-V-B7G-HDSS

ARRET N°

AB

ORIGINE : Décision du Juge aux affaires familiales de CAEN du 05 décembre 2022

RG n° 20/01403

COUR D'APPEL DE CAEN

TROISIEME CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 01 JUIN 2023

APPELANTE :

Madame [Y], [E] [M] épouse [R]

née le 04 Décembre 1970 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée et assistée de Me Marie-Sophie LAMY, avocat au barreau de CAEN

INTIME :

Monsieur [A], [Z], [F], [W] [R]

né le 25 Septembre 1969 à [Localité 5]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté et assisté de Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Charlène RICCOBONO, avocat au barreau de CAEN

DEBATS : A l'audience du 06 avril 2023 prise en chambre du conseil, sans opposition du ou des avocats, Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré

GREFFIERE : Mme FLEURY, en présence de Mégane PORQUET, greffière stagiaire

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme LEON, Présidente de chambre,

Mme DE CROUZET, Conseillère,

Mme GAUCI SCOTTE, Conseillère,

ARRET prononcé publiquement le 01 juin 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour et signé pour la présidente empêchée, par Mme DE CROUZET, Conseillère, et Mme FLEURY, greffière

PROCEDURE

M. [A] [R] et Mme [Y] [M] se sont mariés le 5 avril 1997 à [Localité 6] sous le régime de la participation réduite aux acquêts, suivant contrat de mariage préalable reçu le 18 mars 1997 par Maître [X].

Par acte notarié du 30 janvier 2018, les époux ont changé de régime matrimonial et ont adopté le régime de la séparation de biens pure et simple, acte homologué par le Tribunal de Grande Instance de Caen le 25 octobre 2018.

Ils ont établi le même jour un protocole d'accord contenant un projet de partage.

Par acte d'huissier du 4 mai 2020, M. [R] a fait assigner Mme [M] devant le Juge aux Affaires Familiales de Caen aux fins d'obtenir la condamnation de cette dernière, sous astreinte, à signer l'acte de partage, et à défaut l'homologation de l'acte de partage annexé au procès-verbal de carence dressé par Maître [S] le 6 février 2020.

Par acte d'huissier du 3 août 2020, Mme [M] a quant à elle fait assigner M. [R] devant le Juge aux Affaires Familiales de Caen afin de voir prononcer la nullité de la convention de changement de régime matrimonial établie le 30 janvier 2018 et du protocole d'accord du même jour.

La jonction des instances a été prononcée.

Par jugement du 5 décembre 2022, le Juge aux Affaires Familiales du Tribunal Judiciaire de Caen a :

Débouté Mme [M] de l'intégralité de ses demandes,

Condamné Mme [M] à signer en l'étude de Maître [S] l'acte de partage annexé au procès-verbal de carence dressé le 6 février 2020, sous astreinte journalière provisoire de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement, et pour une durée de six mois,

Débouté M. [R] de ses demandes d'homologation et de publication subséquente du jugement auprès des services de la publicité foncière,

Condamné Mme [M] à payer à M. [R] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamné Mme [M] aux dépens de l'instance.

Par acte du 6 décembre 2022, Mme [Y] [M] a interjeté appel de cette décision, en ce qu'elle l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 2 000 euros à M. [R] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 13 décembre 2022, Mme [Y] [M] a interjeté appel complémentaire de la décision, critiquant au surplus sa condamnation à signer sous astreinte l'acte de partage annexé au procès-verbal de carence dressé le 6 février 2020 par Maître [S].

La jonction des instances a été prononcée par ordonnance du juge de la mise en état du 4 janvier 2023.

M. [A] [R] a constitué avocat devant la Cour le 6 janvier 2023.

Par ses dernières conclusions en date du 14 mars 2023, l'appelante conclut en ces termes :

Réformer le jugement rendu par le Juge aux Affaires Familiales de Caen le 5 décembre 2022,

Statuant à nouveau,

Prononcer la nullité du protocole d'accord régularisé le 30 janvier 2018 entre M. [R] et Mme [M] épouse [R],

Rejeter la demande de M. [R] tendant à voir condamner Mme [M] à signer en l'étude de Maître [S] l'acte de partage annexé au procès-verbal de carence dressé en date du 6 février 2020 sous astreinte,

Ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des intérêts pécuniaires des époux [R]/[M] en suite de la liquidation du régime matrimonial de participation aux acquêts et désigner Maître [V] [D] pour y procéder,

Autoriser Maître [V] [D] à se faire assister par tout sapiteur de son choix en vue de l'assister dans le cadre de sa mission,

Fixer la date des effets du changement de régime matrimonial au 26 novembre 2018,

Condamner M. [R] à régler à Mme [M] épouse [R] une créance de participation à parfaire sur la base des acquêts nets réalisés entre le 30 janvier 2018 et le jour du partage et dont le montant ne saurait être inférieur à 3 246 698.50 €,

Condamner M. [R] à régler à Mme [M] épouse [R] la somme de 20 000 € en réparation de son préjudice moral,

Débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

Condamner M. [R] à régler à Mme [M] épouse [R] la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais irrépétibles de première instance et 6 000 € pour les frais irrépétibles en cause d'appel,

Condamner M. [R] aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SELARL CARATINI LE MASLE LAMY MOUCHENOTTE LEMAIRE en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Par ses dernières écritures en date du 27 janvier 2023, l'intimé conclut en ces termes :

Voir déclarer recevable mais non fondé l'appel inscrit par Mme [M] à l'endroit du jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Caen,

Voir confirmer, en conséquence, le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,

Débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

Voir, subsidiairement, désigner tel notaire pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage des intérêts pécuniaires des époux [R]/[M],

Dire et juger que seront reprises les dispositions dudit protocole à l'exception de celles relatives à la valorisation des actifs,

Voir, quoiqu'il en soit, débouter Mme [M] de sa demande de condamnation de M. [R] au paiement de la somme de 3 246 698.50 € au titre de sa créance de participation ainsi que celle de 20 000.00 € en réparation de son préjudice moral,

Débouter Mme [M] du surplus de ses demandes, fins et prétentions,

Voir condamner Mme [M] au paiement d'une somme de 4 500.00 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 avril 2023 avant l'ouverture des débats à l'audience du 6 avril 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'étendue de la saisine de la cour :

Aux termes de leurs dernières conclusions, les parties limitent l'appel du premier jugement aux point suivants :

la régularité du protocole d'accord établi le 30 janvier 2018,

la signature de l'acte de partage annexé au procès-verbal de carence établi par Maître [S] le 6 février 2020,

le renvoi des époux à liquider le régime de la participation aux acquêts,

la demande de reconnaissance d'une créance de participation formulée par Mme [M],

la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [M].

En conséquence, les autres dispositions non critiquées de la décision, ont d'ores et déjà acquis force de chose jugée.

Sur la nullité du protocole d'accord :

Mme [M] sollicite l'infirmation du premier jugement qui a validé le protocole d'accord signé entre les parties le 30 janvier 2018, soutenant que ce protocole serait en réalité nul comme contraire aux règles régissant les régimes matrimoniaux.

Mme [M] rappelle que le 30 janvier 2018, Maître [S], notaire de M. [R], a établi dans le même temps l'acte de changement de régime matrimonial et un protocole fixant le montant de la créance de participation due par M. [R] à Mme [M] ainsi que ses modalités de règlement.

Cependant, elle relève que ce protocole de partage fixe la consistance du patrimoine à partager à la date du 30 janvier 2018, et procède à une évaluation des éléments d'actifs et de passifs, visant à calculer la créance de participation, à la date du 31 décembre 2016, alors même que les dispositions de l'article 1574 du Code civil rappellent que la consistance dudit patrimoine et l'évaluation de sa valeur doivent nécessairement être appréciées au plus proche de la date du partage et de la date de dissolution du régime matrimonial, soit en l'espèce au 25 octobre 2018, date du jugement d'homologation du changement de régime matrimonial.

En outre, Mme [M] fait valoir que le protocole établi le 30 janvier 2018 prévoit la possibilité pour M. [R] de régler la créance de participation dont il est redevable au-delà du délai de cinq ans prévu par l'article 1576 du Code civil.

Pour l'ensemble de ces motifs, Mme [M] soutient que le protocole de partage rédigé le 30 janvier 2018 est illicite et encourt la nullité.

En réplique, M [R] sollicite la confirmation du premier jugement et la reconnaissance de la régularité du protocole de partage.

Il conteste que l'acte litigieux puisse être considéré comme un acte liquidatif ou un partage anticipé de sorte que les prescriptions relatives à l'incessibilité du droit de participation aux acquêts ne seraient pas opposables.

Il soutient par ailleurs que la valorisation des actifs au 30 décembre 2016 stipulée dans l'acte résulte d'un accord entre les époux, et que le règlement de la créance de participation ne serait encadré par aucun délai dans le partage amiable.

Aux termes de l'article 1396 alinéa 4 du Code civil, le mariage célébré, il ne peut être apporté de changement au régime matrimonial que par l'effet d'un jugement à la demande de l'un des époux dans le cas de la séparation de biens ou des autres mesures judiciaires de protection ou par l'effet d'un acte notarié, le cas échéant homologué, dans le cas de l'article suivant.

En application de l'article 1397, les époux peuvent convenir, dans l'intérêt de la famille, de modifier leur régime matrimonial, ou même d'en changer entièrement, par un acte notarié. A peine de nullité, l'acte notarié contient la liquidation du régime matrimonial modifié si elle est nécessaire.

Par ailleurs, il résulte de l'article 1569 que, quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d'eux conserve l'administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu'il a acquis pendant le mariage à titre onéreux. Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. A la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final.

Le droit de participer aux acquêts est incessible tant que le régime matrimonial n'est pas dissout. Si la dissolution survient par la mort d'un époux, ses héritiers ont, sur les acquêts nets faits par l'autre, les mêmes droits que leur auteur.

Pour l'application de ces différents principes, combinés avec le principe d'immutabilité des régimes matrimoniaux, la Cour de Cassation a été amenée à préciser que, avant la dissolution du régime matrimonial, une convention ne peut pas modifier les règles de la créance de participation existant dans le régime de la participation aux acquêts.

Ainsi, dans le cadre du régime de la participation aux acquêts, le partage de l'indivision peut être exécuté pendant l'instance en divorce ou avant la dissolution de la communauté, mais non la liquidation de la créance de participation qui ne peut intervenir qu'après que le régime matrimonial ait été définitivement dissout.

En l'espèce, il est constant que les époux [R], qui s'étaient mariés sous le régime de la participation aux acquêts, ont choisi de modifier leur régime matrimonial pour adopter le régime de la séparation de biens pure et simple.

A cette fin, ils ont fait établir par Maître [S], notaire, le 30 janvier 2018, un acte de changement de régime matrimonial, lequel contenait également liquidation de la créance de participation due entre époux, fixée à 3 246 698,50 euros au profit de Mme [M].

Par jugement du 25 octobre 2018, le Tribunal de Grande Instance de Caen a prononcé l'homologation de l'acte reçu le 30 janvier 2018 par Maître [S] portant adoption par les époux [R] du régime de la séparation de biens pure et simple.

Par un second acte du même jour, les époux [R] ont signé devant Maître [S] un protocole d'accord dont l'objet était de « faire cesser en totalité ou en partie l'indivision concernant les biens appartenant conjointement aux époux et permettre, dans la mesure du possible, le paiement comptant d'une partie de la créance de participation ».

Un projet de partage était ainsi établi prévoyant les conditions de paiement de la créance de participation due à Mme [M], fixée dans le cadre de l'acte de changement de régime matrimonial.

Il convient de préciser que, contrairement à ce qui est mentionné dans le projet d'acte de partage annexé au procès-verbal de carence établi par Maître [S] le 6 février 2020, le protocole d'accord en date du 30 janvier 2018 n'a pas été soumis à l'homologation du Tribunal.

Au regard des principes précédemment rappelés, la nullité du protocole d'accord signé le 30 janvier 2018 par les époux [R] ne pourrait être retenue que dans l'hypothèse où cet acte conduirait à une liquidation de la créance de participation de manière anticipée et aurait pour effet d'altérer l'économie du régime matrimonial non encore dissout.

Or, le protocole d'accord en date du 30 janvier 2018 porte dans ses dispositions pour acquis le montant de la créance de participation attribuée à Mme [M] au moyen des opérations de liquidation contenues dans l'acte de changement de régime matrimonial.

Ce faisant, il procède nécessairement à la liquidation par anticipation de la créance de participation, puisque le régime de participation aux acquêts n'a été définitivement dissout qu'à la date du jugement d'homologation, soit le 25 octobre 2018.

Il ne peut ainsi qu'être constaté que le principe posé par les articles 1570 à 1574, selon lequel l'évaluation du patrimoine final de chacun des époux permettant de déterminer la créance de participation est opérée au jour de la dissolution du régime matrimonial, n'est pas respecté par le protocole d'accord critiqué.

Au contraire même, il est procédé à un calcul sur la base de la valeur des éléments d'actif et de passif existants à une date fixée au 31 décembre 2016.

De la sorte, le protocole d'accord signé le 30 janvier 2018 par les époux [R], qui organise le paiement de la créance de participation, conduit à opérer une liquidation de cette créance en appliquant des modes de calcul violant les principes en vigueur et contraires à l'économie générale du régime matrimonial alors applicable entre les époux.

De ce fait, une telle convention ne peut qu'être considérée comme illicite et déclarée nulle.

Par conséquent, le premier jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] de sa demande visant à voir prononcer la nullité du protocole d'accord en date du 30 janvier 2018.

De même, la condamnation de Mme [M] à signer en l'étude de Maître [S] l'acte de partage annexé au procès-verbal de carence dressé le 6 février 2020, doit être infirmée puisque cet acte de partage reprend à l'identique le protocole d'accord déclaré nul.

Sur l'ouverture des opérations de compte, liquidation, partage des intérêts patrimoniaux des époux :

Mme [M] sollicite l'ouverture judiciaire des opérations de partage, dès lors qu'elle estime qu'il ne peut être retenu l'existence d'aucun accord entre les époux.

Elle fait valoir que postérieurement à l'homologation du changement de régime matrimonial, M. [R] s'est opposé à toute discussion pour parvenir au partage des intérêts patrimoniaux des époux, refusant même de se rendre à une réunion visant à échanger sur les points de questionnement de Mme [M].

C'est pourquoi Mme [M] sollicite que soit désigné un notaire chargé d'établir un projet d'acte de liquidation et de partage en suite du jugement d'homologation du changement de régime matrimonial.

Elle propose en outre que le notaire désigné puisse se faire assister d'un sapiteur compte tenu de la complexité du patrimoine de M. [R], lequel est dirigeant d'une holding et de plusieurs sociétés.

Par ailleurs, Mme [M] sollicite que le montant de la créance de participation qui lui est due soit fixé à 3 246 698,50 euros, selon ce que M. [R] était prêt à régler.

M. [R] s'oppose à toute condamnation au titre de la créance de participation, alors même que son calcul devrait être revu dans l'hypothèse où le protocole d'accord ne serait pas appliqué.

Aux termes de l'article 1578 du Code civil, à la dissolution du régime matrimonial, si les parties ne s'accordent pas pour procéder à la liquidation par convention, l'une d'elles peut demander au tribunal qu'il y soit procédé en justice.

Sont applicables à cette demande, en tant que de raison, les règles prescrites pour arriver au partage judiciaire des successions et communautés.

En l'espèce, force est de constater que Mme [M] entend aujourd'hui contester les termes du protocole d'accord qui avait été rédigé lors du changement de régime matrimonial.

Les pièces versées aux débats par Mme [M], et notamment les correspondances échangées entre son avocat et son notaire avec le notaire de M. [R], tendent quant à elles à démontrer que M. [R] a refusé toute discussion relative à la révision du protocole d'accord initial.

De ce fait, il apparaît que les époux ne parviennent pas à procéder à la liquidation de manière amiable.

En conséquence, la demande de Mme [M] visant à voir ordonner le partage judiciaire apparaît recevable.

Il conviendra donc de procéder à la désignation d'un notaire, chargé d'établir un projet d'acte de liquidation et de partage des intérêts pécuniaires des époux, dont la mission sera détaillée au dispositif du présent arrêt.

Il y a lieu de préciser que la date des effets du changement de régime matrimonial qui devra être retenue par le notaire dans l'élaboration de son projet devra être arrêtée au 25 octobre 2018, date du jugement d'homologation.

Par ailleurs, au regard de la complexité du patrimoine de M. [R], le notaire pourra s'adjoindre tout sapiteur qu'il estimera nécessaire.

S'agissant de la demande de Mme [M] visant à obtenir paiement d'une somme de 3 246 698,50 euros au titre de la créance de participation, cette demande ne saurait en l'état prospérer alors même qu'il a été constaté que le calcul de cette créance de participation a été opéré de manière inappropriée, en retenant une date de valorisation des avoirs antérieure de près de deux ans à la date de dissolution effective du régime matrimonial, de sorte que la somme calculée ne peut en aucun cas être considérée comme acquise.

La demande de condamnation de ce chef de Mme [M] sera en conséquence rejetée.

Sur les dommages et intérêts sollicités par Mme [M] :

Sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, Mme [M] forme une demande de dommages et intérêts au motif que M. [R] aurait exercé des pressions à son égard pour la contraindre à régulariser l'acte de partage litigieux, et qu'il aurait par la suite refusé toute discussion pour la révision de cet accord.

Mme [M] souligne également que M. [R] n'a pas hésité à lui faire délivrer une sommation par voie d'huissier pour l'obliger à signer l'acte de partage, comportement qu'elle considère comme injurieux.

Elle évoque en outre les conditions de la séparation après vingt années de mariage, et le fait qu'elle ait eu du mal à accepter cette séparation.

M. [R] s'oppose quant à lui à cette demande de dommages et intérêts, contestant que son comportement puisse être constitutif d'une faute dans la procédure visant à aboutir au partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Aux termes de l'article 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l'espèce, Mme [M] ne verse aucune pièce aux débats qui permettrait d'appuyer les allégations selon lesquelles la signature du protocole d'accord critiqué aurait été obtenue au moyen de pressions exercées à son encontre par M. [R].

Par ailleurs, le refus de M. [R] de modifier par la suite le projet de partage signé par les époux ne peut être regardé comme constitutif d'une faute à l'égard de Mme [M], l'époux pouvant légitimement penser que l'accord devait s'appliquer.

En conséquence, le premier jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les frais et dépens :

L'équité ne justifie pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou de l'autre des parties.

La nature familiale du litige justifie que chacune des parties conserve ses dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant dans les limites de sa saisine, par décision contradictoire,

Infirme le jugement prononcé le 5 décembre 2022 par le juge aux affaires familiales du Tribunal Judiciaire de Caen, sauf en ce qu'il a débouté Mme [Y] [M] de ses demandes en condamnation à l'encontre de M. [A] [R] au titre de la créance de participation et des dommages et intérêts pour préjudice moral,

Statuant à nouveau,

Prononce la nullité du protocole d'accord régularisé le 30 janvier 2018 par M. [A] [R] et Mme [Y] [M] devant Maître [S], notaire,

Fixe la date des effets du changement de régime matrimonial entre les époux [R] au 25 octobre 2018,

Ordonne l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision existant entre M. [A] [R] et Mme [Y] [M], suite au changement de régime matrimonial opéré le 30 janvier 2018,

Commet Maître [V] [D], notaire à [Localité 5], pour procéder aux opérations de liquidation partage,

Dit que Maître [D] fera connaître sans délai au juge son acceptation, et qu'en cas de refus ou empêchement, il sera procédé à son remplacement par ordonnance rendue sur simple requête,

Désigne le juge commis du tribunal judiciaire de Caen pour surveiller le déroulement des opérations, avec lequel les échanges se feront par lettre simple adressée par courriel et par lettre recommandée avec demande d'avis de réception aux avocats des parties,

Fixe à la somme de 2.000 euros le montant de la provision à valoir sur les émoluments du notaire, à verser par chacune des parties à parts égales, ou à défaut, par la partie la plus diligente, dans un délai de deux mois à compter de la présente décision, si besoin en plusieurs versements,

Dit qu'après acceptation de sa mission et dès réception de la provision, le notaire commis devra convoquer dans le délai de 15 jours les parties et leurs avocats leurs conseils, par tout moyen conférant date certaine, pour une première réunion contradictoire qui devra se tenir avant expiration d'un délai de deux mois, lors de laquelle seront notamment évoqués la méthodologie, les diligences attendues de chacune d'elles ainsi que le calendrier des opérations,

Enjoint aux parties d'apporter, dès le premier rendez-vous auprès du notaire, les pièces suivantes :

-le livret de famille,

-le contrat de mariage (le cas échéant),

-les actes notariés de propriété pour les immeubles,

-les actes et tout document relatif aux donations et successions,

-la liste des adresses des établissements bancaires où les parties disposent d'un compte,

-les contrats d'assurance-vie (le cas échéant),

-les certificats d'immatriculation des véhicules,

-les tableaux d'amortissement des prêts immobiliers et mobiliers,

-une liste des crédits en cours,

-les statuts de sociétés (le cas échéant) avec nom et adresse de l'expert-comptable,

-toutes pièces justificatives des créances invoquées ;

Rappelle que le notaire commis pourra s'adjoindre, si la valeur ou la consistance des biens le justifie, un expert choisi d'un commun accord entre les parties ou, à défaut, désigné par le juge commis ;

Etend la mission de Maître [D] à la consultation des fichiers FICOBA et FICOVIE pour le recueil des données concernant l'identification de tout compte bancaire ou postal, ou contrat d'assurance vie ouverts au nom de M. [A] [R] et Mme [Y] [M] aux dates qu'il indiquera à l'administration fiscale chargée de la gestion de ces fichiers ;

Ordonne à cet effet et, au besoin, requiert les responsables des fichiers FICOBA et FICOVIE, de répondre à toute demande du notaire (article L. 143 du LPF) ;

Rappelle que le notaire désigné dispose d'un délai d'un an à compter de la présente décision pour dresser un état liquidatif qui établit les comptes entre copartageants, la masse partageable, les droits des parties, la composition des lots à répartir ; 

Rappelle que ce délai sera suspendu en cas de désignation d'un expert et jusqu'à la remise du rapport ;

Rappelle que le notaire commis devra convoquer d'office les parties et leurs avocats et pourra solliciter de celles-ci, dans le délai qu'il leur impartit, tout document utile à l'accomplissement de sa mission ;

Dit que le notaire commis rendra compte au juge commis des difficultés rencontrées et pourra solliciter de celui-ci toute mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission (injonctions, astreintes, désignation d'un expert en cas de désaccords, désignation d'un représentant à la partie défaillante, conciliation en sa présence devant le juge, vente forcée d'un bien...) ;

Qu'en tout état de cause il adressera un courrier ou courriel au juge à mi-parcours de sa mission afin de le tenir informé du bon déroulement de celle-ci ou le cas échéant des difficultés rencontrées ;

Rappelle que le notaire commis conserve la faculté de donner un avis juridique, de concilier les parties ou de les orienter vers une démarche de médiation ;

Rappelle que les parties pourront à tout moment abandonner la voie du partage judiciaire et réaliser entre elles un partage amiable, le juge commis étant alors informé sans délai par le notaire commis afin de constater la clôture de la procédure judiciaire ; 

Rappelle qu'en cas de désaccords des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmettra sans délai au juge un procès-verbal reprenant les dires des parties, un exposé précis et exhaustif de leurs points d'accord et de désaccord ainsi que le projet d'état liquidatif ;

Rappelle que la date de jouissance divise devra être déterminée dans le projet d'acte ;

Rappelle au notaire commis qu'il perçoit directement ses émoluments prévus à l'article A. 444-83 du code de commerce auprès des parties ; qu'il lui appartient préalablement à l'accomplissement de sa mission et tout au long de celle-ci si besoin, de se faire régler une avance sur la provision lui permettant de faire procéder aux sommations ou mises en demeure qui s'imposeraient ou aux frais de recherches et d'obtention de pièces administrative et de se faire verser préalablement à la réception de chaque acte, l'intégralité de la provision relative au dit acte ;

Rappelle au notaire commis qu'en cas d'inertie d'un indivisaire, il lui appartient de solliciter la désignation d'un représentant à celui-ci conformément aux dispositions de l'article 841-1 du code civil ; 

Rappelle que le principe du contradictoire s'impose au notaire et aux parties à toutes les étapes des opérations de liquidation partage ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse à chaque partie la charge de ses frais et dépens de l'appel.

LA GREFFIERE P/ LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE

Estelle FLEURY V. DE CROUZET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Caen
Formation : 3ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/03061
Date de la décision : 01/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-01;22.03061 ?
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