AFFAIRE :N° RG 21/03224 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-G4D3
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 24 Septembre 2021 du Tribunal de Commerce de LISIEUX
RG n° 2020.1501
COUR D'APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 19 MAI 2023
APPELANTE :
SAS DISTRIBUTION SANITAIRE CHAUFFAGE
N° SIRET : 572 141 885
[Adresse 2]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Christelle MAZIER, avocat au barreau de LISIEUX,
assistée de Me Olivia LAHAYE-MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE
INTIME :
Monsieur [W] [U]
né le 11 Août 1960 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représenté par Me Amélie POISSON, avocat au barreau de LISIEUX,
assisté de Me Laurent GOMIS, avocat au barreau D'EURE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 09 mars 2023
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 19 mai 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
* * *
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS
La SAS Distribution sanitaire chauffage (la société DSC) a pour activité la fourniture de matériels et matériaux sous l'enseigne Cedeo.
La SAS TLG, dirigée par la société holding TLG Finances dont M. [W] [U] est le gérant, est spécialisée dans les travaux d'installation d'eau et de gaz.
Entre le 30 avril 2019 et le 29 février 2020, la société DCS a établi diverses factures au nom de la société TLG.
Le 11 septembre 2019, une lettre de change a été émise avec échéance « à vue » par la société TLG à hauteur de la somme de 140.000 euros, laquelle a fait l'objet d'une acceptation ou aval par M. [U] avec pour mention manuscrite au verso « Bon pour aval en garantie des engagements de la société TLG au profit de DSC le 11 septembre 2019 » suivie de la signature de M. [U].
Deux autres lettres de change avaient été émises le 17 juin 2019 à échéances aux 5 juillet et 5 septembre 2019 pour des montants respectifs de 30.000 euros et 25.000 euros.
Par jugement du 7 février 2020, le tribunal de commerce de Lisieux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société TLG.
Le 21 février 2020, le paiement de la lettre de change du 11 septembre 2019 a été rejeté avec pour motif « décision judiciaire ».
Suivant jugement du 18 mars 2020, cette même juridiction a ordonné la liquidation judiciaire de la société TLG et arrêté un plan de cession de celle-ci au profit de la société Entreprise Larcher.
Le 19 mars 2020, la société DSC a déclaré sa créance auprès des organes de la procédure collective de la société TLG pour un montant de 155.890,02 euros.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 15 mai 2020, la société DSC a mis en demeure M. [U] de lui payer la somme de 140.000 euros en exécution de son aval.
Suivant acte d'huissier du 17 août 2020, la société DSC a fait assigner M. [U] devant le tribunal de commerce de Lisieux aux fins, notamment, de voir condamner ce dernier au paiement de la somme de 140.000 euros.
Par jugement du 24 septembre 2021, le tribunal de commerce de Lisieux a :
- débouté la société DSC de l'ensemble de ses demandes,
- condamné celle-ci à payer à M. [U] la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens comprenant les frais de greffe liquidés à la somme de 73,22 euros.
Selon déclaration du 30 novembre 2021, la société DSC a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 6 février 2023, l'appelante demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, de condamner M. [U] en sa qualité de donneur d'aval à lui payer la somme de 140.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2020, celle de 3.000 euros à titre d'indemnité de procédure, d'ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1343-2 du code civil, de condamner M. [U] aux entiers dépens de première instance et d'appel et de débouter celui-ci de toutes ses demandes.
Par dernières conclusions du 2 février 2023, M. [U] poursuit la confirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions.
Subsidiairement, il demande à la cour de prononcer la nullité de la lettre de change du 11 septembre 2019 pour vice du consentement et de débouter en conséquence la société DSC de toutes ses prétentions.
À titre infiniment subsidiaire, l'intimé demande à la cour de réduire le montant de la créance invoquée par la société DSC en la limitant aux seules créances postérieures au 11 septembre 2019 d'une part et en déduisant les sommes de 15.890,02 euros correspondant à la facture n°889C2001854678 du 29 février 2020 ainsi que de 8.339,46 euros correspondant à la créance privilégiée déclarée dans le cadre de la procédure collective de la société TLG et de lui accorder les plus larges échéances de paiement.
En toute hypothèse, il sollicite la condamnation de l'appelante au paiement de la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité de procédure ainsi qu'aux entiers dépens.
La mise en état a été clôturée le 8 février 2023.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la validité de la lettre de change
L'article L. 511-1 du code de commerce dispose :
« I. ' La lettre de change contient:
1o La dénomination de lettre de change insérée dans le texte même du titre et exprimée dans la langue employée pour la rédaction de ce titre;
2o Le mandat pur et simple de payer une somme déterminée;
3o Le nom de celui qui doit payer, dénommé tiré;
4o L'indication de l'échéance;
5o Celle du lieu où le paiement doit s'effectuer;
6o Le nom de celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait;
7o L'indication de la date et du lieu où la lettre est créée;
8o La signature de celui qui émet la lettre dénommé tireur. Cette signature est apposée, soit à la main, soit par tout procédé non manuscrit.
II. ' Le titre dans lequel une des énonciations indiquées au I fait défaut ne vaut pas comme lettre de change, sauf dans les cas déterminés aux III à V du présent article.
III. ' La lettre de change dont l'échéance n'est pas indiquée est considérée comme payable à vue.
IV. ' A défaut d'indication spéciale, le lieu désigné à côté du nom du tiré est réputé être le lieu du paiement et, en même temps, le lieu du domicile du tiré.
V. ' La lettre de change n'indiquant pas le lieu de sa création est considérée comme souscrite dans le lieu désigné à côté du nom du tireur. »
La société DSC fait grief au tribunal d'avoir rejeté ses demandes en paiement, aux motifs qu'il existait des différences entre les lettres de change produites par les deux parties dont il devait être déduit que le cachet de la société DSC, la signature du tireur ainsi que la mention [Localité 5] avaient été ajoutés sur l'acte original communiqué par M. [U] et en l'absence de celui-ci, que l'absence d'indication du lieu constituait à elle seule une cause de nullité de la lettre de change, qu'aucune donnée n'était en outre apportée concernant le tiré et qu'aucune signature du tireur ne figurait sur la lettre de change, aucun bénéficiaire n'étant désigné, de sorte que la lettre de change du 11 septembre 2019 était nulle pour vice de forme, alors qu'elle produit l'original de la lettre de change en cause non utilement contredit par la copie non authentifiée communiquée par M. [U], que cet original comporte toutes les mentions légalement exigées, qu'au surplus l'omission d'indications obligatoires comme celle de la signature du tireur peuvent être régularisées avant la date de présentation de la lettre de change, qu'il n'y a pas de doute sur l'identité du tireur, M. [U] ayant donné son aval au verso de la lettre de change en précisant le faire au profit de DSC, initiales de la société Distribution sanitaire chauffage avec laquelle la société TLG était en relation d'affaires ancienne, qu'il n'y a pas de doute sur l'identité du tiré dès lors qu'il est désigné comme étant la société TLG et non TLG Finances.
Conformément aux dispositions de l'article 1353 du code civil, la société DSC, qui réclame l'exécution de l'obligation souscrite par M. [U], rapporte à suffisance la preuve qui lui incombe en produisant l'original de la lettre de change en cause, sans que la preuve contraire soit établie par la simple photocopie non authentifiée communiquée par l'intimé.
La lettre de change produite en original comporte les mentions exigées pour sa validité par l'article L. 511-1 du code de commerce.
En effet, la lettre de change en cause comporte notamment la signature du tireur ainsi que le cachet de la société DSC, également bénéficiaire, et indique la date et le lieu de sa création sans que cette dernière mention soit arguée de faux.
La lettre de change litigieuse porte la signature de M. [U] pour « acceptation ou aval » ainsi que le cachet de la société TLG comprenant l'adresse de son siège social dans l'emplacement réservé au tiré et mentionne les coordonnées bancaires de celui-ci sans qu'il soit allégué que ces dernières ne correspondent pas au compte bancaire de la société TLG, ce dont il doit être déduit que M. [U] a valablement signé et accepté cette lettre de change en qualité de représentant légal de la société TLG comme étant le dirigeant de la société holding TLG Finances, elle-même présidente de la société TLG, et que le lieu de paiement de cet effet de commerce se situe à [Localité 5], lieu du siège social du tiré.
Dans ces conditions, il importe peu que la signature et le nom de M. [U] ne soient pas suivis de sa qualité de gérant de la société TLG Finances, représentant légal de la société TLG.
Au surplus, les omissions alléguées par M. [U], pouvaient être réparées avant la présentation de la lettre de change, ce qui est le cas en l'espèce.
La lettre de change du 11 septembre 2019 doit donc être considérée comme valable au regard des dispositions précitées.
Par ailleurs, M. [U] ne rapporte pas la preuve de la réalité des man'uvres dolosives au sens de l'article 1130 du code civil qu'aurait employées le directeur de la société DSC en vue d'obtenir sa signature de la lettre de change litigieuse et son aval, dès lors que les seuls éléments de preuve produits à l'appui de cette prétention consistent en des attestations dont la valeur probante est insuffisante en ce qu'elles émanent de son épouse et son beau-fils.
L'aval ou la lettre de change acceptée constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, de sorte que l'avaliste n'est pas fondé à rechercher la responsabilité du bénéficiaire de la lettre de change garantie pour manquement à un devoir d'information ou de mise en garde, de sorte que le moyen tiré du manquement de la société DSC à un devoir de conseil envers M. [U] sera écarté.
Au surplus, M. [U] est une personne avertie en ce que, à la date d'émission de la lettre de change et de l'aval en cause, il était le gérant de quatre sociétés dans le domaine du bâtiment dont une holding financière et avait d'ores et déjà souscrit d'autres lettres de change au nom de la société TLG et donné son aval à ces lettres de change, si bien qu'il était capable de comprendre l'étendue de son engagement par la signature de la lettre de change litigieuse et de l'aval au verso de celle-ci, sans qu'il soit établi le « manque de loyauté » ou le manquement à un « devoir de conseil » imputé à la société DSC.
La demande d'annulation de la lettre de change pour vice du consentement formée par l'intimé sera donc rejetée, étant relevé que celui-ci ne forme aucune demande indemnitaire.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.
2. Sur la validité et l'étendue de l'aval
Selon l'article L. 511-21, le paiement d'une lettre de change peut être garanti pour tout ou partie de son montant par un aval.
Cette garantie est fournie par un tiers ou même par un signataire de la lettre.
L'aval est donné soit sur la lettre de change ou sur une allonge, soit par un acte séparé indiquant le lieu où il est intervenu.
Il est exprimé par les mots « bon pour aval » ou par toute autre formule équivalente ; il est signé par le donneur d'aval.
Il est considéré comme résultant de la seule signature du donneur d'aval apposée au recto de la lettre de change, sauf quand il s'agit de la signature du tiré ou de celle du tireur.
L'aval doit indiquer pour le compte de qui il est donné. À défaut de cette indication, il est réputé donné pour le tireur.
Le donneur d'aval est tenu de la même manière que celui dont il s'est porté garant.
Son engagement est valable, alors même que l'obligation qu'il a garantie serait nulle pour toute autre cause qu'un vice de forme.
Quand il paie la lettre de change, le donneur d'aval acquiert les droits résultant de la lettre de change contre le garanti et contre ceux qui sont tenus envers ce dernier en vertu de la lettre de change.
En l'espèce, figure au recto de la lettre de change du 11 septembre 2019 la mention manuscrite suivante signée de M. [U] : « Bon pour aval en garantie des engagements de la société TLG au profit de DSC le 11 septembre 2019».
M. [U] ne saurait soutenir qu'il existe un doute sur l'identité de la société garantie par son aval, dès lors que celui-ci est associé de la société TLG et gérant de la société holding TLG Finances, elle-même présidente de la société TLG, et qu'il ne pouvait ainsi se méprendre sur l'identité de la société garantie, la société TLG, dont la raison sociale est exactement mentionnée de manière manuscrite par M. [U].
Il importe peu à cet égard que ne soit pas mentionné dans l'aval la forme sociale ou encore le numéro d'immatriculation au RCS de la société garantie.
Il n'existe pas davantage d'incertitude sur le bénéficiaire de l'aval, dès lors que la mention manuscrite apposée par M. [U] fait référence à DSC, acronyme de la société Distribution sanitaire chauffage, avec laquelle la société TLG était en relation d'affaires depuis plusieurs années.
Par la mention manuscrite apposée au recto de la lettre de change en cause suivie de sa signature, sans autre précision, M. [U] s'est engagé à titre personnel.
Concernant l'étendue de l'aval, M. [U] a, le 11 septembre 2019, garanti les engagements souscrits par la société TLG envers la société DSC par lettre de change du même jour à hauteur de la somme de 140.000 euros, sans autre précision.
Il s'ensuit que M. [U] ne saurait limiter son engagement de donneur d'aval aux sommes dues postérieurement à la date de cet aval.
La société justifie avoir déclaré une créance d'un montant de 155.890,02 euros à la procédure collective de la société TLG, laquelle n'a pas été contestée, la réalité de cette créance étant démontrée par la production des factures et du grand livre de la société DSC, document comptable dont la régularité n'est pas mise en cause.
La somme de 15.890,02 euros ne peut être soustraite de l'engagement de donneur d'aval de M. [U], dès lors que celui-ci ne démontre pas que cette créance, qui a fait l'objet d'une délégation de paiement précisant qu'elle n'entraînait pas l'extinction des obligations de la société TLG envers la société DSC, a été effectivement réglée.
La somme de 8.339,46 euros ne saurait davantage être déduite de l'engagement de donneur d'aval de M. [U] au seul motif que cette créance est privilégiée et a pu donner lieu à règlement au cours des opérations de liquidation judiciaire, alors que le règlement de cette créance n'est pas démontré et qu'en toute hypothèse son éventuelle déduction ne modifierait pas l'étendue de l'engagement de l'intimé, souscrit à hauteur de la somme de 140.000 euros.
En conséquence, M. [U] sera condamné à verser à la société DSC la somme de 140.000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2020, date de la mise en demeure, lesquels seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil à partir du 25 février 2022, date de la demande.
La demande de délais de paiement formée par M. [U] sera rejetée, ce dernier ayant d'ores et déjà bénéficié de fait d'importants délais et ne justifie aucunement de sa situation personnelle et financière.
3. Sur les demandes accessoires
Au regard de la solution donnée au litige, les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance seront infirmées.
M. [U], qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, débouté de sa demande d'indemnité de procédure et condamné à payer à la société DSC la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [W] [U] à verser à la société Distribution sanitaire chauffage la somme de 140.000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 15 mai 2020 ;
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil à partir du 25 février 2022 ;
Rejette la demande de délais de paiement formée par M. [W] [U] ;
Rejette la demande d'annulation de la lettre de change du 11 septembre 2019 formée par M. [W] [U] ;
Condamne M. [W] [U] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Distribution sanitaire chauffage la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [W] [U] de sa demande d'indemnité de procédure.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY