AFFAIRE :N° RG 22/01475 -
N° Portalis DBVC-V-B7G-HABT
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 16 Mai 2022 du Tribunal paritaire des baux ruraux de CAEN
RG n° 51-21-0008
COUR D'APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 11 MAI 2023
APPELANTE :
Madame [P] [N] [I] [V] [Y] veuve [D]
née le 21 Janvier 1932 à [Localité 12]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée et assistée de Me Catherine ROUSSELOT, avocat au barreau de CAEN
INTIME :
Monsieur [L] [B] [G] [A]
né le 12 Juin 1957 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté et assisté de Me Pierre BAUGAS, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 02 mars 2023
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 11 mai 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
Suivant acte authentique en date du 14 novembre 2001, Mme [P] [Y] veuve [D] a consenti à M. [L] [A] et Mme [C] [D] épouse [A] un bail rural d'une durée de 18 années à compter du 29 septembre 2001 pour se terminer le 28 septembre 2019, portant sur plusieurs biens immeubles sis :
commune de [Localité 11] :
* hangar à usage agricole AH 49 lieudit "[Adresse 8]", pour 94a 20ca,
* AH 50 lieudit "[Adresse 8]" pour 1ha 41a 70ca,
commune de [Localité 11] :
* AH 6 lieudit " [Adresse 9]" pour 76a 70ca
* AH 96 lieudit " [Adresse 8] " pour 86a 90ca,
* AH 98 lieudit " [Adresse 5] " pour 9ha 23a 75ca,
* AH 54 lieudit " [Adresse 5] " pour 4ha 18a 10ca
* AH 53 lieudit " [Adresse 6] " pour 3ha 30a 10ca
* AH 93 lieudit " [Adresse 9] " pour 7ca
* AH 94 lieudit " [Adresse 9] " pour 5ha 13a 73ca
commune de [Localité 13] :
* ZC 48 pour 6ha 07a 97ca
commune de [Localité 4] :
* ZA 7 " [Adresse 7] " pour 64a 70ca
* ZA 8 " [Adresse 7] " pour 4ha 80a 20ca
* ZA 40 " [Adresse 10] " pour 1ha 93a 50ca,
soit une contenance totale de 39ha 31a 81 ca.
Par exploit d'huissier de justice en date du 11 mars 2020, Mme [D] a notifié à M. [A], seul titulaire du bail rural après le divorce des époux [A]-[D], preneurs à bail, un avis de fin de bail pour le 28 septembre 2021, date de l'expiration de la période annuelle au cours de laquelle le preneur a atteint l'âge de la retraite sous le visa des dispositions de l'article L.416-1 du code rural et de la pêche maritime.
Par requête enregistrée au greffe le 30 mars 2021, M. [A] a convoqué Mme [D] devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Caen, afin d'obtenir :
- dans le cadre d'une conciliation, l'acquisition ou la location du corps de ferme composé de deux hangars avec une superficie de 2ha 35a et l'octroi d'un droit de passage pour poursuivre son activité de vente directe à la ferme,
- à défaut de conciliation, la nullité de l'avis de fin de bail signifié le 11 mars 2020.
A l'audience de conciliation en date du 21 juin 2021, les parties ne sont pas parvenues à trouver un accord.
Par jugement du 16 mai 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Caen a :
- déclaré recevable l'action de M. [L] [A] en contestation de l'avis de fin de bail ;
- annulé l'avis de fin de bail délivré le 11 mars 2020 par Mme [P] [D] à M. [L] [A] ;
- condamné Mme [P] [D] à payer à M. [L] [A] la somme de 500 euros sur le fondement des dispositions de I'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [P] [D] aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 14 juin 2022, Mme [D] a fait appel de ce jugement.
A l'audience du 2 mars 2023 de la cour, les parties ont été entendues.
Par dernières conclusions en date du 2 mars 2023, reprises oralement devant la cour, Mme [D] demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de débouter M. [L] [A] de sa contestation de l'avis de fin de bail délivré le 11 mars 2020 portant sur les biens donnés à bail, d'ordonner l'expulsion de M. [L] [A] et de tout occupant de son chef dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, passé ce délai sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de condamner ce dernier à lui payer une indemnitéd'occupation équivalente au montant du fermage indexé, majoré des taxes jusqu'à la complète libération des lieux.
Sur la demande reconventionnelle de M. [A], Mme [D] demande à la cour à titre principal de déclarer M. [A] irrecevable en sa demande d'autorisation de cession du bail et à titre subsidiaire de débouter de cette demande.
En toute hypothèse, elle demande la condamnation de M. [L] [A] au paiement d'une indemnité de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Oralement à l'audience, Mme [D] s'est opposée à toute demande de délai supplémentaire pour procéder aux récoltes arguant de ce que M. [A] avait ensemencé en toute connaissance de cause.
Par dernières conclusions du 2 mars 2023, reprises oralement devant la cour, M. [A] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de débouter Mme [D] de ses demandes et ajoutant au jugement, d'ordonner la cession du bail au profit de Mme [W] [A] et subsidiairement d'autoriser M. [A] à procéder aux récoltes pour la saison 2022-2023.
En tout état de cause, M. [A] demande la condamnation de Mme [D] à lui payer une somme complémentaire de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.
SUR CE, LA COUR
- Sur la régularité de l'avis de fin de bail
Il sera relevé que Mme [D] ne demande plus devant la cour que l'action en nullité formée par M. [A] contre l'avis de fin de bail soit jugée forclose.
Selon l'article L411-47 du code rural et de la pêche maritime, le propriétaire qui entend s'opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l'expiration du bail, par acte extrajudiciaire.
A peine de nullité, le congé doit :
- mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur ;
- indiquer, en cas de congé pour reprise, les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d'empêchement, d'un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l'habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris ;
- reproduire les termes de l'alinéa premier de l'article L. 411-54.
La nullité ne sera toutefois pas prononcée si l'omission ou l'inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur.
Le tribunal paritaire des baux ruraux de Caen a annulé l'avis de fin bail délivré par Mme [D] aux motifs que les dispositions de l'article L411-47 du code rural et de la pêche maritime, visé expressément par le 4ème alinéa de l'article L416-1, étaient applicables en l'espèce, qu'aux termes de ces dispositions, le congé doit, à peine de nullité, reproduire les termes de l'alinéa premier de l'article L411-54, que l'avis de fin de bail ne reproduisait pas l'alinéa 1er de l'article L411-54 du code rural et n'énonçait aucunement la possibilité ouverte au preneur d'exercer un recours en justice contre l'avis délivré.
L'appelante soutient que l'avis de fin de bail qu'elle a délivré à M. [A] est régulier, aucune disposition n'imposant au bailleur de reproduire, à peine de nullité, dans l'avis de fin de bail rural délivré au fermier en raison de son âge, les dispositions des articles L.411-47 et L.411-54 du code rural et de la pêche maritime et ce du fait du régime spécial applicable à l'avis de fin du bail prévu par l'article L411-16.
M. [A] fait valoir que dès lors que les règles du statut du fermage s'appliquent à la convention passée entre le bailleur et le preneur, le statut général des congés ruraux s'applique, que l'avis de fin de bail prévu par l'article L411-16 du code rural et de la pêche maritime n'est pas soumis à un régime autonome et qu'un avis de fin de bail, tout comme un congé, doit pouvoir être contesté devant le tribunal paritaire des baux ruraux, le législateur n'ayant jamais écarté ce principe fondamental conernant l'avis de fin de bail.
L'article L 416-1 du code rural, inclus dans un chapitre intitulé 'Dispositions particulières aux baux à long terme, énonce que : 'Le bail à long terme est conclu pour une durée d'au moins dix-huit ans et, sous réserve des dispositions de l'article L. 416-5, sans possibilité de reprise triennale pendant son cours.
Ce bail est renouvelable par période de neuf ans dans les conditions prévues à l'article L. 411-46 et sans préjudice, pendant lesdites périodes, de l'application des articles L. 411-6, L. 411-7 et L. 411-8 (alinéa 1er).
Le bail renouvelé reste soumis aux dispositions du présent chapitre. Sauf convention contraire, ses clauses et conditions sont celles du bail précédent. Toutefois, à défaut d'accord entre les parties, le tribunal paritaire fixe les conditions contestées du nouveau bail.
Le bailleur qui entend s'opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur dans les conditions prévues à l'article L. 411-47. Toutefois, lorsque le preneur a atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, chacune des parties peut, par avis donné au moins dix-huit mois à l'avance, refuser le renouvellement de bail ou mettre fin à celui-ci à l'expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint ledit âge, sans être tenu de remplir les conditions énoncées à la section VIII du chapitre Ier du présent titre.'
En l'espèce, le bail initial de longue durée a été renouvelé le 29 septembre 2019 pour une durée de 9 années mais ce nouveau bail reste soumis aux dispositions du chapitre VI et donc aux dispositions particulières aux baux à long terme.
Le régime du bail à long terme est partiellement dérogatoire au statut du fermage dès lors qu'il ressort de l'article L416-8 du code rural et de la pêche maritime que : 'Les dispositions des chapitres Ier (à l'exception de l'article L. 411-58, alinéas 2 à 4), II, V et VII du présent titre sont applicables aux baux à long terme conclus dans les conditions du présent chapitre ainsi qu'à leurs renouvellements successifs en tant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions de ce chapitre.'
Ainsi, les baux à long terme sont soumis aux dispositions statutaires ' de droit commun ' contenues aux articles L411-1 et suivants, L412-1 et suivants, L415-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime sous réserve qu'il n'y soit pas dérogé par une disposition spéciale aux baux à long terme contenue aux articles L416-1 et suivants du même code.
L'article L416-1 alinéa 4 du code rural et de la pêche maritime distingue la notification d'un congé par le bailleur et l'avis envoyé lorsque le preneur a atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, pour refuser le renouvellement de bail ou mettre fin à celui-ci à l'expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint ledit âge.
Dans le premier cas, le bailleur qui entend s'opposer au renouvellement du bail doit notifier congé dans les conditions prévues à l'article L411-47.
Dans le second cas, l'avis peut être envoyé par une partie sans qu'elle soit tenue de remplir les conditions énoncées à la section VIII du chapitre 1er du titre 1 relatif au statut du fermage.
Cette section VIII est relative au droit de renouvellement et droit de reprise et concerne les articles L411-46 à L411-68.
Il en résulte que l'avis de fin de bail n'a pas à être notifié dans les conditions prévues à l'article L411-47 du code rural et de la pêche maritime et il ne doit donc pas, à peine de nullité, reproduire les termes de l'alinéa premier de l'article L411-54.
Il n'en résulte pas une impossibilité de contestation devant le tribunal paritaire des baux ruraux comme le démontre l'action de M. [A].
L'absence de mention sur l'existence d'un recours ne peut donc avoir pour conséquence l'annulation de l'avis de fin de bail à défaut de disposition en ce sens.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a annulé l'avis de fin de bail.
- Sur la demande de cession du bail
M. [A] a demandé la cession du bail au profit de sa fille dans des conclusions du 28 février 2023.
Mme [D] fait valoir que cette demande est irrecevable pour être formée pour la première fois devant la cour d'appel le 28 février 2023 et donc après l'expiration du bail.
M. [A] indique que cette demande est recevable pour se rattacher aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Il n'est pas discuté du caractère nouveau de cette prétention devant la cour d'appel.
La demande de cession du bail suppose que le bail existe toujours et doit donc être formée avant l'expiration de celui-ci. (Cass.3ème civ.8 oct. 2015, n°14-20.101).
En l'espèce, par l'effet de l'avis de fin bail délivré le 11 mars 2020, le bail rural a expiré le 28 septembre 2021.
La demande de cession du bail formée le 28 février 2023 est donc irrevevable.
M. [A] devra libérer les lieux dans un délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard pendant un délai de 60 jours, et à défaut il sera procédé à son expulsion au besoin avec l'assistance de la force publique.
Il sera condamné à payer à Mme [D], de la date de résiliation du bail et jusqu'à la libération complète des lieux, une indemnité d'occupation égale au montant du fermage indexé, majoré des taxes.
M. [A] sera débouté de sa demande relative à l'autorisation de procéder aux récoltes pour la saison 2022-2023 au vu de la date de fin du bail et à défaut de surcroît de tout justificatif sur ce point.
- Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera infirmé sur les condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
M. [A], qui succombe, sera condamné à payer à Mme [D] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sera débouté de sa demande formée à ce titre et condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;
Infirme, dans les limites de l'appel, le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées ;
Déboute M. [L] [A] de sa demande en annulation de l'avis de fin bail délivré par Mme [P] [Y] veuve [D] le 11 mars 2020 ;
Juge irrecevable la demande de cession du bail ;
Dit que M. [L] [A] devra libérer les lieux dans un délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt et passé ce délai sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, pendant un délai de 60 jours, et qu'à défaut, il sera procédé à son expulsion au besoin avec l'assistance de la force publique ;
Condamne M. [L] [A] à payer à Mme [P] [Y] veuve [D], de la date de résiliation du bail et jusqu'à la libération complète des lieux, une indemnité d'occupation égale au montant du fermage indexé, majoré des taxes ;
Déboute M. [L] [A] du surplus de ses demandes ;
Condamne M. [L] [A] à payer à Mme [P] [Y] veuve [D] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [L] [A] aux dépens de première instance et d'appel ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY