AFFAIRE : N° RG 21/00399
N° Portalis DBVC-V-B7F-GV4H
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 12 Janvier 2021 - RG n° 18/00882
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRÊT DU 06 AVRIL 2023
APPELANT :
Monsieur [S] [W]
[Adresse 2]
Comparant en personne, assisté de Me Delphine TOUBIANAH, avocat au barreau de CAEN
INTIMEES :
Madame [V] [C]
[Adresse 5]
Madame [K] [C] en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de sa fille [F] [P], née le 5/06/2009 et son fils [H] [Z], né le 14/03/2017
[Adresse 5]
Madame [R] [C]
[Adresse 5]
Madame [D] [C]
[Adresse 5]
Comparantes en personne, assistées de Me Olivier LEHOUX, avocat au barreau de CAEN
Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Calvados
[Adresse 1]
Représentée par Mme [I], mandatée
Compagnie d'assurance [7]
[Adresse 3]
ReprésentéE par Me Arnaud GINOUX, avocat au barreau de PARIS
Compagnie d'assurance [8]
[Adresse 4]
Non comparante ni représentée
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
DEBATS : A l'audience publique du 02 février 2023
GREFFIER : Mme GOULARD
ARRÊT prononcé publiquement le 06 avril 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [S] [W] d'un jugement rendu le 12 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à Mme [V] [C], Mme [K] [C] en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs [F] [P] et [H] [Z], Mme [R] [C] et Mme [D] [C] (les consorts [C]), la société [7], la société [8], et la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados (la caisse).
FAITS et PROCEDURE
M. [U] [C], a été embauché par M. [W] à compter de mai 2014 dans le cadre d'un contrat emploi service universel en qualité de jardinier.
Le 11 août 2017, M. [W] a établi une déclaration d'accident du travail dans les termes suivants :
'Date : 24 juillet 2017;
Activité de la victime lors de l'accident : Taillage de haie d'épines, coupes d'arbres et ramassage des branchages avant destruction ou enlèvement.
Nature de l'accident : Bascule du micro-tracteur utilisé et écrasement par celui-ci.
Microtracteur Kubota B1 15 châssis n° 72152'.
La caisse a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.
Par courrier expédié le 17 décembre 2018, les consorts [C], en leur qualité d'ayants-droit de M. [U] [C], ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Calvados aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de M. [W] en application des articles L 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
Selon jugement du 12 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Caen auquel a été transféré le contentieux de la sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019 :
* s'est déclaré incompétent au profit du pôle civil du tribunal judiciaire pour statuer sur les recours en garantie formés contre les sociétés [8] et [7] et pour se prononcer sur d'éventuelles condamnations à leur encontre
* et a :
- déclaré commun et opposable le jugement à la société [8] assureur de la société civile immobilière [6] propriétaire de la résidence sur laquelle est intervenu l'accident et à la société [7] assureur de M. [W]
- constaté que M. [C] a été victime d'un accident du travail le 24 juillet 2017
- dit que l'accident dont a été victime M. [C] le 24 juillet 2017 a pour cause la faute inexcusable de M. [W]
- fixé au maximum légal la majoration de la rente allouée à Mme [V] [C] et à sa fille [D] [C], sans que le total des rentes et majorations servies puisse dépasser le montant du salaire annuel de la victime
- fixé les préjudices d'affection comme suit :
* 20 000 euros pour Mme [V] [C]
* 18 000 euros pour Mme [D] [C]
* 18 000 euros pour Mme [R] [C]
* 12 000 euros pour Mme [K] [C] à titre personnel
* 6 000 euros pour [F] [P] représentée par Mme [K] [C]
* 6 000 euros pour [H] [Z] représenté par Mme [K] [C]
- dit que la caisse primaire d'assurance maladie devra faire l'avance de ces sommes
- déclaré opposable à M. [W] la prise en charge de l'accident dont a été victime M. [U] [C] le 24 juillet 2017 ainsi que les conséquences financières de la faute inexcusable reconnue
- dit que l'action récursoire de la caisse pourra s'exercer contre M. [W]
- dit que M. [W] devra s'acquitter auprès de la caisse des conséquences financières de la faute inexcusable reconnue
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires
- condamné M. [W] à payer aux consorts [C] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné en tant que de besoin M. [W] aux dépens.
M. [W] a formé appel de ce jugement par déclaration du 12 février 2021.
Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 23 janvier 2023 soutenues oralement à l'audience, M. [W] demande à la cour de :
- confirmer le jugement du 12 janvier 2021 en ce qu'il :
* s'est déclaré incompétent au profit du pôle civil du tribunal judiciaire pour statuer sur les recours en garantie formés contre les sociétés [8] et [7] et pour se prononcer sur d'éventuelles condamnations à leur encontre
* a déclaré commun et opposable le jugement à la société [8] assureur de la société civile immobilière [6] propriétaire de la résidence sur laquelle est intervenu l'accident et à la société [7] assureur de M. [W]
- infirmer le jugement du 12 janvier 2021 en ce qu'il a :
* constaté que M. [C] a été victime d'un accident du travail le 24 juillet 2017
* dit que l'accident dont a été victime M. [C] le 24 juillet 2017 a pour cause la faute inexcusable de M. [W]
* fixé au maximum légal la majoration de la rente allouée à Mme [V] [C] et à sa fille [D] [C], sans que le total des rentes et majorations servies puisse dépasser le montant du salaire annuel de la victime
* fixé les préjudices d'affection comme suit :
. 20 000 euros pour Mme [V] [C]
. 18 000 euros pour Mme [D] [C]
. 18 000 euros pour Mme [R] [C]
. 12 000 euros pour Mme [K] [C] à titre personnel
. 6 000 euros pour [F] [P] représentée par Mme [K] [C]
. 6 000 euros pour [H] [Z] représenté par Mme [K] [C]
* dit que la caisse primaire d'assurance maladie devra faire l'avance de ces sommes
* déclaré opposable à M. [W] la prise en charge de l'accident dont a été victime M. [U] [C] le 24 juillet 2017 ainsi que les conséquences financières de la faute inexcusable reconnue
* dit que l'action récursoire de la caisse pourra s'exercer contre M. [W]
* dit que M. [W] devra s'acquitter auprès de la caisse des conséquences financières de la faute inexcusable reconnue
* débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires
* condamné M. [W] à payer aux consorts [C] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
* condamné en tant que de besoin M. [W] aux dépens
en conséquence,
à titre principal,
- dire que l'accident mortel dont a été victime M. [C] le 24 juillet 2017 n'est pas dû à la faute inexcusable de M. [W]
- dire que M. [C] s'est montré imprudent le jour de son accident, ce qui permet d'écarter la faute inexcusable de l'employeur
en conséquence,
- débouter les consorts [C] de leurs demandes
à titre subsidiaire,
- réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formulées par les consorts [C] notamment celles de Mme [V] [C] et des petits-enfants
en tout état de cause, à titre reconventionnel,
- déclarer le jugement commun et opposable aux sociétés [7] et [8]
- condamner les consorts [C] à payer à M. [W] la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner les consorts [C] aux dépens en ce compris la somme de 1208,40 euros correspondant aux frais d'expertise du microtracteur exposés par M. [W].
Suivant conclusions reçues au greffe le 2 novembre 2022 soutenues oralement à l'audience, les consorts [C] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il :
* s'est déclaré incompétent au profit du pôle civil du tribunal judiciaire pour statuer sur les recours en garantie formés contre les sociétés [8] et [7] et pour se prononcer sur d'éventuelles condamnations à leur encontre
* a :
. déclaré commun et opposable le jugement à la société [8] assureur de la société civile immobilière [6] propriétaire de la résidence sur laquelle est intervenu l'accident et à la société [7] assureur de M. [W]
. constaté que M. [C] a été victime d'un accident du travail le 24 juillet 2017
. dit que l'accident dont a été victime M. [C] le 24 juillet 2017 a pour cause la faute inexcusable de M. [W]
. fixé au maximum légal la majoration de la rente allouée à Mme [V] [C] et à sa fille [D] [C], sans que le total des rentes et majorations servies puisse dépasser le montant du salaire annuel de la victime
. dit que la caisse primaire d'assurance maladie devra faire l'avance de ces sommes
. déclaré opposable à M. [W] la prise en charge de l'accident dont a été victime M. [U] [C] le 24 juillet 2017 ainsi que les conséquences financières de la faute inexcusable reconnue
. dit que l'action récursoire de la caisse pourra s'exercer contre M. [W]
. dit que M. [W] devra s'acquitter auprès de la caisse des conséquences financières de la faute inexcusable reconnue
. débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires
. condamné M. [W] à payer aux consorts [C] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
. condamné en tant que de besoin M. [W] aux dépens
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
* fixé les préjudices moraux comme suit :
. 20 000 euros pour Mme [V] [C]
. 18 000 euros pour Mme [D] [C]
. 18 000 euros pour Mme [R] [C]
. 12 000 euros pour Mme [K] [C] à titre personnel
. 6 000 euros pour [F] [P] représentée par Mme [K] [C]
. 6 000 euros pour [H] [Z] représenté par Mme [K] [C]
statuant à nouveau,
- fixer les préjudices d'affection comme suit :
. 30 000 euros pour Mme [V] [C]
. 25 000 euros pour Mme [D] [C]
. 25 000 euros pour Mme [R] [C]
. 20 000 euros pour Mme [K] [C] à titre personnel
. 15 000 euros pour [F] [P] représentée par Mme [K] [C]
. 15 000 euros pour [H] [Z] représenté par Mme [K] [C]
- condamner M. [W] à payer aux consorts [C] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner M. [W] aux dépens d'appel.
Selon conclusions du 24 novembre 2023 soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- constater qu'elle s'en rapporte sur le principe de reconnaissance d'une faute inexcusable
si la faute inexcusable est reconnue,
- réduire à de plus justes proportions le montant des préjudices sollicités tant au titre des préjudices extra-patrimoniaux que des préjudices personnels
- dire que la caisse pourra exercer son action récursoire et recouvrer auprès de l'employeur dont la faute inexcusable aura été reconnue ou de son assureur, l'intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l'avance au titre de la faute inexcusable (doublement du capital, provision et préjudices)
- renvoyer les consorts [C] devant la caisse pour la liquidation de leurs droits.
Par conclusions reprises oralement à l'audience, la société [7] demande à la cour de :
in limine litis,
- se déclarer incompétent pour statuer sur les garanties de la compagnie [7] et prononcer d'éventuelles condamnations à son encontre
- dire que l'arrêt à intervenir sera simplement déclaré commun et opposable à la concluante
à titre subsidiaire,
- juger que les garanties de la compagnie [7] ne sont pas mobilisables en raison de l'exclusion de garantie en cas de dommages dans la réalisation duquel sont impliqués tous véhicules terrestres à moteur soumis à l'assurance obligatoire
en tout état de cause,
- dire que les requérantes ne rapportent pas la preuve d'une faute inexcusable de M. [W]
- infirmer en conséquence le jugement du 12 janvier 2021 en ce qu'il a reconnu la faute inexcusable de M. [W]
- débouter les consorts [C] de leurs demandes
à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour retenait l'existence d'une faute inexcusable
- réduire les indemnités accordées aux consorts [C] à de plus justes proportions.
Bien que régulièrement convoquée à l'audience, la société [8] n'a pas comparu.
Pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
La disposition du jugement qui a déclaré le pôle social du tribunal judiciaire incompétent au profit du pôle civil du tribunal judiciaire pour statuer sur les demandes en garantie contre les sociétés [7] et [8] n'est pas remise en cause par les parties.
Il en est de même de la disposition ayant déclaré le jugement commun et opposable à ces sociétés.
Ces dispositions sont donc définitives.
- Sur la faute inexcusable
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle le particulier employeur est tenu envers l'employé de maison a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé l'employé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il appartient à la victime de justifier que son employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel elle était exposée et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour la préserver de ce danger.
En l'espèce, M. [U] [C], a été employé par M. [W] à compter de mai 2014 dans le cadre d'un contrat emploi service universel en qualité de jardinier.
À ce titre, il assurait l'entretien des parties extérieures de la propriété de M. [W] d'une superficie de 4500 m².
M. [W] précise que son jardinier assumait la tonte, le débroussaillage, la taille des arbres, l'abattage des arbres et des arbustes, et le cas échéant l'élimination des déchets verts par le brûlage et le transport à la déchetterie en remorque attelée.
Il confirme que le jour de l'accident, il avait donné instruction à M. [C] d'abattre deux arbres du verger, 'un mirabellier qui mesurait au plus 3,5 mètres et un cèdre mort d'environ 10 mètres et d'en dégager les branches'.
Aux termes du procès-verbal des inspectrices du travail qui se sont rendues sur les lieux, M. [C] ne disposait que d'une brouette pour le transport des plus grosses branches, de telle sorte qu'il a pris la décision de les transporter en les positionnant sur l'arrière d'un microtracteur de marque Kubota B1.15 appartenant à M. [W].
Le microtracteur chargé de branches s'est renversé alors qu'il se trouvait au sommet d'une pente, de telle sorte que M. [C] a été écrasé par le poids du véhicule.
Sur les lieux, les gendarmes ont constaté des traces de passage de roues sur le talus herbeux ainsi que la présence d'une souche d'arbre avec des traces récentes de frottements. Ils en ont déduit qu'il était 'vraisemblable' que le tracteur ait été déséquilibré par la souche.
Ils précisent qu'en raison de la pente, le tracteur s'est renversé et qu'il 'semble' avoir fait un demi tour avant de s'arrêter.
Le rapport d'autopsie conclut que le décès de M. [C] est compatible avec une compression thoraco-lombaire.
Ainsi, il est établi que le 24 juillet 2017 :
- M. [W] avait confié à son employé l'abattage et le transport des branches de deux arbres d'environ 3,5 mètres et 10 mètres de hauteur
- M. [C] a utilisé le microtracteur de M. [W] pour transporter les branches
- le microtracteur chargé de branches, s'est renversé alors qu'il se trouvait en haut d'une pente probablement en heurtant une souche morte
- M. [C] s'est retrouvé écrasé sous le microtracteur, ce qui a provoqué son décès.
Les consorts [C] soutiennent que cet accident du travail est la conséquence de la faute inexcusable de M. [W].
Ils indiquent que les travaux confiés à M. [C] le 24 juillet 2017 excédaient de 'simples menus travaux de jardinage', puisqu'il lui était demandé d'abattre des arbres 'activité par nature dangereuse', que ces travaux lui avaient été confiés alors qu'il travaillait 'seul' et enfin que l'équipement de travail utilisé n'était pas conforme à la réglementation puisque le tracteur ne comportait pas de structure de protection en cas de renversement.
Les consorts [C] en déduisent que M. [W] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé M. [C] et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
M. [W] conteste avoir commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident mortel dont a été victime son employé.
Il prétend que le tracteur lui avait été vendu sans arceau de sécurité par un 'professionnel ayant pignon sur rue' et que ce tracteur a fait l'objet d'un entretien régulier. En outre, il indique qu'il 'n'est pas un professionnel susceptible de connaître la réglementation dont il n'a jamais été informé'.
Il en déduit qu'il n'est pas démontré qu'il avait connaissance ou qu'il aurait dû avoir conscience du danger compte tenu de son expérience et de ses connaissances techniques.
Il ajoute que la faute inexcusable peut être écartée si le juge pénal a retenu l'absence de faute par imprudence de l'employeur, se référant à la décision du ministère public de classement sans suite pour défaut d'infraction de la procédure d'accident mortel de M. [C].
M. [W] reproche enfin à M. [C] d'avoir adopté un comportement imprudent en décidant de son propre chef d'utiliser le tracteur pour transporter les branches et en empruntant un chemin dangereux passant par le sommet d'une pente alors qu'il lui en avait fait interdiction.
Tout d'abord, la décision du ministère public de classer la procédure pénale pour absence d'infraction n'a pas autorité de chose jugée.
En conséquence, la circonstance que la procédure pénale ouverte pour homicide involontaire à l'encontre de M. [W] a été classée par le Procureur de la République pour 'absence d'infraction' est sans emport sur la solution du litige.
Ensuite, il est exact, comme l'affirment les consorts [C], que les travaux confiés à M. [C] le 24 juillet 2017 et en particulier l'abattage d'un arbre d'une dizaine de mètres de hauteur ne relèvent pas des menus travaux de jardinage.
Les inspecteurs du travail relèvent sur ce point dans leur procès-verbal de constat que les travaux d'abattage confiés à M. [C] le 24 juillet 2017 'ne sont pas des petits travaux de jardinage relevant du champ d'application du dispositif des activités de service à la personne'.
Ces travaux constituent des travaux dangereux présentant un risque pour la sécurité de l'employé puisqu'il s'agissait non seulement d'abattre deux arbres dont un arbre d'une dizaine de mètres, mais aussi de découper les troncs et les branches au moyen d'un matériel adéquat (c'est à dire une tronçonneuse), et enfin de transporter ces différents éléments au moyen d'équipements adaptés.
Contrairement à ce qu'affirme M. [W], la circonstance que de tels travaux avaient déjà été réalisés par M. [C], ne constitue pas un élément permettant d'écarter la nature dangereuse de ces travaux.
Il est donc établi que M. [W] a confié à M. [C] la réalisation de travaux de bucheronnage par nature dangereux ne relevant pas du champ d'application du dispositif des activités de service à la personne.
En outre, M. [W] a confié la réalisation de ces travaux à son employé alors qu'il savait que celui-ci se trouvait seul sur la propriété.
Cette situation constitue une majoration du risque d'accident puisque M. [C] ne pouvait être aidé ou assisté lors des tâches à accomplir.
Par ailleurs, l'article R 4324-31 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 1er mai 2008 dispose que : 'Lorsque le risque de retournement ou de renversement d'un équipement de travail mobile ne peut pas être complètement évité, cet équipement est muni soit d'une structure l'empêchant de se renverser de plus d'un quart de tour, soit d'une structure ou de tout autre dispositif d'effet équivalent garantissant un espace suffisant autour des travailleurs portés si le mouvement peut continuer au-delà de cette limite.'
Ainsi, le matériel mis à la disposition de M. [C] pour réaliser les travaux de bucheronnage n'était pas conforme à la réglementation puisque le tracteur ne comportait aucun arceau de sécurité comme le reconnaît M. [W].
Ce dernier prétend que le vendeur du tracteur est un professionnel 'ayant pignon sur rue' et que le tracteur lui a été vendu en l'état. Il en déduit qu'il ne pouvait donc avoir conscience du danger que représentait le tracteur.
Toutefois, dès lors que M. [W] mettait à la disposition de son employé du matériel pour réaliser les tâches qu'il lui confiait, il lui appartenait de vérifier que ce matériel était conforme à la réglementation applicable et qu'il ne présentait pas de danger.
Enfin, la situation familiale tendue de M. [C] ou les relations de proximité qu'il entretenait avec M. [W] sont sans incidence sur la solution du litige.
Il résulte de ces observations que M. [W] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son employé en lui confiant des travaux de bucheronnage par nature dangereux, ne relevant pas du champ d'application du dispositif des activités de service à la personne, et en mettant à sa disposition un équipement non conforme aux règles de sécurité (microtracteur dépourvu d'arceau de sécurité), et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Pour s'exonérer de sa responsabilité, M. [W] invoque le défaut d'information ou de conseil du vendeur du microtracteur et reproche à M. [C] différents manquements dont il soutient qu'ils devraient l'exonérer de sa responsabilité.
Tout d'abord, la circonstance qu'un tiers ait contribué par sa faute à l'accident (dans le cas présent, le vendeur professionnel du microtracteur auquel est reproché un défaut d'information et de conseil), ne constitue pas un élément susceptible d'exonérer l'employeur de son obligation légale de sécurité et de protection de la santé de son employé.
Ensuite, M. [W] affirme que M. [C] n'a pas respecté ses instructions, puisqu'il lui avait demandé de débiter en petits morceaux les branches et les troncs des deux arbres avant de les transporter en utilisant la brouette.
Toutefois, il n'en justifie pas, étant précisé que ces instructions auraient été données par téléphone le jour même, c'est à dire en l'absence de tout témoin.
Enfin, M. [W] affirme que son employé a pris un risque délibéré puisqu'il lui avait fait interdiction de passer par la pente avec le microtracteur, se référant pour en justifier aux témoignages de deux autres employés, M. [A] et de M. [B].
L'attestation de M. [B] est pratiquement illisible. Il semble faire état d'une interdiction de passer par la pente avec le microtracteur. Cependant, il ne prétend pas que M. [C] en aurait été informé, le nom de ce dernier n'apparaissant pas dans son témoignage.
M. [A] indique qu'il a travaillé avec M. [C] de 2014 à 2017, et que M. [W] 'leur donnait des consignes précises et qu'il les a mis en garde de ne surtout pas prendre la pente en direction de l'allée'.
M. [A] fait donc état d'une mise en garde de M. [W] dont il avait connaissance ainsi que M. [C]. Il ne précise pas les motifs qui auraient conduit M. [W] à les mettre ainsi en garde. En particulier, il n'indique pas que M. [W] les avaient informés du risque de retournement du microtracteur.
Or, seule la faute inexcusable de l'employé qui s'entend de la faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, est susceptible d'exonérer l'employeur.
Dans le cas présent, il n'est pas démontré que M. [C] a commis une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité l'exposant sans raison valable à un risque dont il aurait dû avoir conscience.
M. [W] ne justifie donc d'aucune cause d'exonération de sa responsabilité.
Compte tenu de ces observations, le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté que l'accident du 24 juillet 2017 dont a été victime M. [C] est un accident du travail et que cet accident était dû à la faute inexcusable de M. [W].
- Sur la majoration de la rente
L'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale dispose que :
'Dans le cas mentionné à l'article précédent [c'est à dire en cas de faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre.
Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.
Lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale.
En cas d'accident suivi de mort, le montant de la majoration est fixé sans que le total des rentes et des majorations servies à l'ensemble des ayants droit puisse dépasser le montant du salaire annuel ; lorsque la rente d'un ayant droit cesse d'être due, le montant de la majoration correspondant à la ou aux dernières rentes servies est ajusté de façon à maintenir le montant global des rentes majorées tel qu'il avait été fixé initialement ; dans le cas où le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou le concubin survivant recouvre son droit à la rente en application du troisième alinéa de l'article L. 434-9, la majoration dont il bénéficiait est rétablie à son profit.
Le salaire annuel et la majoration visée au troisième et au quatrième alinéa du présent article sont soumis à la revalorisation prévue pour les rentes par l'article L. 434-17.
La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret.'
En l'espèce, par décisions du 4 décembre 2017, la caisse a attribué une rente à Mme [V] [C] (épouse de M. [C]) ainsi qu'à [D] [C] (âgée de 19 ans au moment de l'accident).
En application des dispositions susvisées, c'est à juste titre que le jugement déféré a ordonné la majoration de ces rentes au maximum légal sans que le total de ces rentes et majorations ne puisse dépasser le montant du salaire annuel de la victime.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
- Sur le préjudice moral des ayants-droit
Il est de droit constant que les descendants et le conjoint de l'employé victime d'un accident mortel du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur peuvent être indemnisés de leur préjudice moral.
En premier lieu, Mme [V] [C] (veuve de M. [U] [C]) sollicite la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral.
Pour fixer le préjudice de Mme [C] à 20 000 euros, le jugement retient que le couple qui s'était marié en 1997, a eu trois enfants et que les époux vivaient ensemble au moment de l'accident.
Toutefois, comme le tribunal l'a aussi relevé, le couple était en instance de divorce puisqu'une procédure venait d'être engagée.
Sur ce point, Mme [D] [C] (fille de M. [C]) a déclaré aux services de gendarmerie le 25 juillet 2017 que ses parents étaient 'en instance de divorce' précisant que son 'père avait été informé qu'une procédure de divorce avait été engagée il y a une semaine environ', que 'cela faisait longtemps que cela n'allait pas bien entre ses parents' ajoutant que 'depuis le mois de janvier, il [son père] dormait sur le canapé' et enfin que son père avait une nouvelle compagne vivant au Cameroun.
Compte tenu de ces observations, par voie d'infirmation, le préjudice moral de Mme [V] [C] sera fixé à 15 000 euros.
En deuxième lieu, les trois filles de M. [C] sollicitent l'indemnisation de leur préjudice moral à hauteur de 25 000 euros pour Mmes [D] et [R] [C] et à hauteur de 20 000 euros pour Mme [K] [C].
Au moment de l'accident, Mmes [D] et [R] [C], respectivement âgées de 19 et 20 ans, vivaient au domicile de leur père.
Au contraire, [K] [C] âgée de 28 ans et mère de deux enfants, ne vivait plus au domicile de son père.
Comme le demandent les consorts [C], leurs préjudices seront donc évalués différemment.
En conséquence, par voie d'infirmation, il convient d'évaluer le préjudice moral de Mmes [D] et [R] [C] à 20 000 euros chacune et le préjudice moral de Mme [K] [C] à 16 000 euros.
Enfin, en dernier lieu, Mme [K] [C] sollicite ès qualités de représentante légale l'indemnisation du préjudice moral de ses enfants mineurs, [F] [P] et [H] [Z].
Les liens entretenus par M. [C] et ses deux petits-enfants, âgés respectivement de 8 ans et 4 mois au moment de son décès, ne sont pas précisés.
En l'absence d'éléments complémentaires, par voie d'infirmation, il convient de fixer le préjudice moral des petits-enfants [F] [P] et [H] [Z] à hauteur de 4 000 euros chacun.
- Sur l'action récursoire de la caisse
Il résulte du dernier alinéa de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale que la réparation des préjudices alloués à la victime ou aux ayants-droit d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de l'employeur indépendamment de la majoration de rente, est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la caisse fera l'avance des indemnités allouées au titre du préjudice moral des ayants-droit, que l'action récursoire de la caisse pourra s'exercer contre M. [W] et que ce dernier devra s'acquitter auprès de la caisse des conséquences financières de la faute inexcusable.
- Sur les dépens et frais irrépétibles
Le jugement étant confirmé sur le fond, il sera aussi confirmé sur les dépens et frais irrépétibles
Succombant, M. [W] sera condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles (dont celle relative aux frais d'expertise amiable du microtracteur).
Il sera en outre condamné sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer la somme totale de 1 500 euros aux consorts [C].
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a fixé les préjudices d'affection comme suit :
. 20 000 euros pour Mme [V] [C]
. 18 000 euros pour Mme [D] [C]
. 18 000 euros pour Mme [R] [C]
. 12 000 euros pour Mme [K] [C] à titre personnel
. 6 000 euros pour [F] [P] représentée par Mme [K] [C]
. 6 000 euros pour [H] [Z] représenté par Mme [K] [C];
L'infirme de ce chefs;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Fixe le préjudice moral des ayants-droit comme suit :
. 15 000 euros pour Mme [V] [C]
. 20 000 euros pour Mme [D] [C]
. 20 000 euros pour Mme [R] [C]
. 16 000 euros pour Mme [K] [C] à titre personnel
. 4 000 euros pour [F] [P] représentée par Mme [K] [C]
. 4 000 euros pour [H] [Z] représenté par Mme [K] [C]
Rappelle que la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados est tenue de faire l'avance de ces sommes et qu'elle pourra exercer son action récursoire à l'encontre de M. [W];
Condamne M. [W] aux dépens d'appel;
Condamne M. [W] à payer à Mme [V] [C], Mme [K] [C] en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs [F] [P] et [H] [Z], Mme [R] [C] et Mme [D] [C], la somme totale de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Déboute M. [W] de sa demande au titre des frais irrépétibles, y compris de celle au titre des frais d'expertise amiable de 1208,40 euros afférents au micro-tracteur;
Déclare le présent arrêt commun et opposable à la société [7] et à la société [8].
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX