AFFAIRE :N° RG 21/01818 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GY4Z
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : DECISION en date du 02 Juin 2021 du Tribunal de Commerce de CAEN
RG n° 2021001312
COUR D'APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 23 MARS 2023
APPELANTE :
S.A. GAN ASSURANCES
N° SIRET : 542 063 797
[Adresse 3]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Noël LEJARD, avocat au barreau de CAEN
assistée de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS,
INTIMEE :
S.A.R.L. LE SAVOY
N° SIRET : 380 088 518
[Adresse 1]
[Localité 4]
prise en la personne de son représentant légal
représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me MOSQUET, avocat au barreau de ROUEN,
assistée de Me Géraldine LABORIE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
DÉBATS : A l'audience publique du 19 janvier 2023
GREFFIER : Mme SALLES, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 23 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
La SARL Le Savoy, société exploitant un hôtel situé [Adresse 1] à [Localité 4], a souscrit auprès de la société SA Gan assurances un contrat d'assurance multirisque professionnelle garantissant notamment les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative de l'établissement pour cause de maladie contagieuse ou infectieuse.
Suite aux arrêtés ministériels en date des 14 mars et 15 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, la société Le Savoy a procédé à une déclaration de sinistre le 27 juillet 2020 et sollicité la mise en oeuvre de la garantie 'Pertes d'exploitation' afin d'obtenir l'indemnisation de la perte d'exploitation de son établissement .
La société Gan assurances s'est opposée à la prise en charge du sinistre déclaré, estimant que les conditions de mise en oeuvre de la garantie contractuelle n'étaient pas réunies.
Les parties n'étant pas parvenues à trouver un accord, la société Le Savoy a, par acte en date du 18 février 2021, assigné la société Gan assurances devant le tribunal de commerce de Caen, aux fins d'obtenir l'indemnisation de sa perte d'exploitation conformément aux clauses prévues par le contrat d'assurance liant les parties.
Par jugement du 2 juin 2021, le tribunal de commerce de Caen a :
- débouté la société Gan assurances de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamné la société Gan assurances de la perte d'exploitation à payer à la SARL Le Savoy la somme de 35.402 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2020 ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- condamné la société Gan assurances à payer à la SARL Le Savoy la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Gan assurances aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s'élevant à la somme de 62,76 euros, dont TVA 10,46 euros.
Par déclaration en date du 22 juin 2021, la société Gan assurance a fait appel de ce jugement.
Par dernières conclusions déposées le 17 novembre 2022, la société Gan assurances demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter la société Le Savoy de l'intégralité de ses demandes, de la débouter de son appel incident et de la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que la garantie est acquise, la société Gan assurances demande la réformation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 35.702 euros, la déduction des aides perçues par la société Le Savoy et l'application d'une décote de 40% pour tenir compte des effets de la crise sanitaire.
Par dernières conclusions déposées le 10 novembre 2022, la société Le Savoy demande à la cour de confirmer partiellement la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que la garantie d'assurance du Gan assurances devait être mobilisée et a condamné la compagnie à garantir le sinistre mais l'infirmer en ce qu'elle a évalué les pertes subies à la somme de 35.402 euros et, statuant à nouveau de ce chef, de condamner la compagnie Gan assurances à lui verser la somme de 64.654 euros au titre des pertes subies suite à la fermeture de son établissement en application du contrat d'assurance.
A titre subsidiaire, si la cour devait retenir que la fermeture administrative totale n'est pas caractérisée en l'espèce, juger que l'établissement a fait l'objet d'une fermeture administrative partielle et condamner la société Gan assurances à prendre en charge les conséquences de cette fermeture partielle de l'établissement assuré.
A titre subsidiaire, la société le Savoy demande à la cour de désigner un expert afin de chiffrer les pertes subies et de condamner la compagnie Gan assurances à lui verser la somme de 64.654 euros à titre de provision au titre des pertes subies suite à la fermeture de son établissement.
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la société Gan assurances au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 décembre 2022.
Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
SUR CE, LA COUR
Il résulte des dispositions de l'article L. 112-3 du code des assurances qu'il incombe à l'assuré, qui réclame à l'assureur l'exécution de son obligation de garantie en raison d'un sinistre, de prouver que celui-ci est survenu dans des circonstances de fait conformes aux prévisions de la police.
L'article L. 113-5 prévoit que lors de la réalisation du risque ou à l'échéance du contrat, l'assureur doit exécuter dans le délai convenu la prestation déterminée par le contrat et ne peut être tenu au-delà.
Selon l'article 1188 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
Aux termes de l'article 1189 du code civil, toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.
Suivant l'article 1192 du code civil, on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.
La convention spéciale Stella annexe R prévoit en son article 24 d) relatif aux extensions 'perte d'exploitation', la fermeture temporaire par décision administrative.
Il est précisé : ' Au sens de la garantie Pertes d'Exploitation, il faut également entendre par 'sinistre' la fermeture temporaire de l'hôtel imposée par décision des autorités administratives ( municipales ou préfectorales) mais exclusivement lorsqu'elle est motivée par la seule survenance effective dans l'hôtel des événements suivants : meurtre, suicide, maladie contagieuse, épidémie, intoxication alimentaire ou empoisonnement.'
La société Gan assurances fait valoir que la première condition de garantie requise, à savoir la fermeture administrative, n'est pas remplie puisque les hôtels n'ont pas été fermés suite aux arrêtés des 14 et 15 mars 2020 et au décret du 29 octobre 2020 pris dans le cadre de la gestion de la crise liée au covid, que le contrat exige une fermeture de l'hôtel et non pas d'une activité, que l'hôtel assuré n'a fait l'objet d'aucune mesure spécifique et qu'il ne dispose en outre pas de restaurant ou tout au moins n'a pas souscrit de couverture pour une activité de restauration, l'arrêt d'une activité ne s'analysant de surcroît pas comme une fermeture administrative partielle.
La société le Savoy soutient que la fermeture des hôtels et restaurants au public à la suite des arrêtés des 14 et 15 mars 2020 n'est pas contestable, un hôtel étant par définition un hébergement touristique et le gouvernement ayant ordonné la fermeture des hébergements touristiques et que faute de moyens de protection elle a dû fermer son établissement.
A titre subsidiaire, elle indique que l'établissement a fait l'objet a minima d'une fermeture partielle dès lors que les restaurants des hôtels étaient fermés et que les activités de séminaires n'étaient pas possibles, que l'hébergement touristique était interdit.
Le contrat prévoit une garantie en cas de fermeture temporaire de l'hôtel imposée par décision des autorités administratives (municipales ou préfectorales).
Cette clause n'est pas sujette à interprétation ; elle ne fait pas référence à une 'fermeture administrative' de manière générale et non précise comme le soutient l'intimée mais vise clairement une fermeture de l'hôtel concerné par le contrat, décidée par le maire ou le préfet.
L'arrêté ministériel du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid 19 qui vise les établissements ne pouvant plus accueillir du public, n'inclut pas les hôtels puisque la catégorie O au sens de l'article GN 1 de l'arrêté du 25 juin 1980 n'est pas mentionnée dans la liste établie par ledit arrêté.
Il résulte en outre de cet arrêté que le room service restait autorisé.
Le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ne visait pas non plus les hôtels parmi les établissements ne pouvant recevoir du public.
Ce décret précisait également le maintien du room service des restaurants et bars d'hôtel.
Aucune autorité administrative n'a ordonné la fermeture générale des hôtels qui sont restés ouverts malgré la restriction des déplacements pendant le confinement. Il sera relevé que les déplacements restaient autorisés pour motif impérieux d'ordre personnel ou familial, pour motif de santé relevant de l'urgence, pour motif professionnel ne pouvant être différé. Les discours du président de la République ou des ministres sont sans effet en l'absence d'une mesure effective de fermeture des hôtels prise par une autorité administrative.
Par ailleurs, il n'y a pas eu de décision de fermeture spécifique de l'hôtel de la SARL le Savoy.
La clause de garantie vise la fermeture temporaire de l'hôtel et non la suspension d'une activité.
Il résulte de l'avenant signé par les parties et prenant effet le 27 décembre 2018, que la société le Savoy a déclaré comme activité une activité d'hôtel sans restaurant.
Il est déclaré par le souscripteur page 4 de l'avenant qu'il n'y a pas de restauration mais uniquement des petits-déjeuners et la vente de verrines produites par un fournisseur extérieur à réchauffer par les clients.
Ce service de petits-déjeuners et de vente de verrines n'a pas été empêché par les mesures sus-visées.
Pour justifier d'une activité de restauration, l'intimée communique un extrait du site internet non daté mais indiquant une date d'arrivée pour une réservation en ligne au 9 mars 2009. Ce document n'est pas probant et n'établit pas l'existence d'une activité de restauration depuis l'avenant établi en décembre 2018. Cette activité n'était en outre pas couverte par le contrat d'assurance.
Par ailleurs, il n'est pas justifié d'une activité relative à l'organisation de séminaires.
Il ne peut donc être soutenu qu'il y a eu une fermeture partielle de l'hôtel.
Ainsi, à défaut de fermeture temporaire de l'hôtel imposée par décision des autorités administratives, la garantie prévue à l'article 24 d) du contrat Stella ne peut être mobilisée et la demande d'indemnisation formée au titre de cette garantie par la société le Savoy doit être rejetée.
Le jugement déféré est infirmé en ce sens.
Les dispositions du jugement relatives à la condamnation au titre des frais de procédure et des dépens sont infirmées.
La société le Savoy, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée à payer à la société Gan assurances la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutée de sa demande formée à ce titre et condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société le Savoy de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne la société le Savoy à payer à la société Gan assurances la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société le Savoy aux dépens de première instance et d'appel ;
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY