AFFAIRE : N° RG 21/00566
N° Portalis DBVC-V-B7F-GWG4
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Pôle social du Tribunal Judiciaire de CAEN en date du 15 Février 2021 - RG n° 19/00673
COUR D'APPEL DE CAEN
2ème chambre sociale
ARRET DU 23 MARS 2023
APPELANTE :
S.A.S. [5]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Sébastien SEROT, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
Urssaf de Normandie venant aux droits de l'Urssaf de Basse-Normandie
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Mme [S], mandatée
DEBATS : A l'audience publique du 19 janvier 2023, tenue par M. LE BOURVELLEC, Conseiller, Magistrat chargé d'instruire l'affaire lequel a, les parties ne s'y étant opposées, siégé en présence de M.GANCE, Conseiller, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme GUIBERT
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme CHAUX, Présidente de chambre,
M. LE BOURVELLEC, Conseiller,
M. GANCE, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 23 mars 2023 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme CHAUX, présidente, et Mme GOULARD, greffier
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le 15 février 2021 par le tribunal judiciaire de Caen dans un litige l'opposant à l'Urssaf Normandie, venant aux droits de l'Urssaf de Basse-Normandie.
FAITS et PROCEDURE
La société [5] ('la société') a fait l'objet d'un contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, de l'assurance chômage et de la garantie des salaires pour la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.
A l'issue de ce contrôle, les inspecteurs du recouvrement de l'Urssaf de Basse-Normandie ('l'Urssaf') ont adressé à la société une lettre d'observations en date du 28 novembre 2018 portant sur les chefs de redressement suivants :
- chef de redressement n° 1: réduction générale de cotisations : rémunération brute - heures d'équivalence transports (rappel de cotisations : 6 239 euros),
- chef de redressement n° 2 : réduction générale de cotisations : règles générales (rappel de cotisations : 421 euros),
- chef de redressement n° 3 : frais professionnels - déduction forfaitaire spécifique condition d'accès aux entreprises de transport routier (rappel de cotisations : 1 009 euros),
- chef de redressement n° 4 : réduction générale de cotisations : rémunérations brute - heures d'équivalence transports (rappel de cotisations : 191 euros)
Soit un total de 7 860 euros.
Par courrier du 20 décembre 2018, la société a fait valoir ses observations.
Par courrier du 7 février 2019, l'inspecteur du recouvrement a maintenu le redressement notifié.
Des observations n'ayant pas donné lieu à redressement ont été formulées pour l'avenir par courrier du 14 mars 2019.
Le 10 avril 2019, l'Urssaf a adressé à la société une mise en demeure de payer 7 860 euros de cotisations et 897 euros de majorations de retard soit la somme totale de 8 757 euros.
Le 3 juin 2019, la société a saisi la commission de recours amiable aux fins de contester les chefs de redressement.
Le même jour, une contrainte a été émise et signifiée à la société le 6 juin 2019 pour un montant de 8 943,54 euros.
Par courrier recommandé du 18 juin 2019, la société a formé opposition à cette contrainte, tout en réglant le principal de la dette.
Par décision du 10 décembre 2019, la commission de recours amiable a rejeté le recours de la société.
Le 2 mars 2020, la société a saisi le tribunal de grande instance de Caen pour contester le contrôle opéré par l'Urssaf tant sur la forme que sur le fond.
Par jugement du 15 février 2021, le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Caen, a :
- ordonné la jonction des instances enregistrées sous les numéros 19/00673 et 20/00119 sous le seul numéro 19/00673,
- débouté la société de l'ensemble de ses demandes,
- confirmé, en conséquence, la décision de la commission de recours amiable du 10 décembre 2019 notifiée le 7 janvier 2020,
- validé la mise en demeure du 10 avril 2019 notifiée à la société,
- validé la contrainte décernée le 3 juin 2019 signifiée le 6 juin 2019 ramenée à la somme de 897 euros au titre des majorations de retard,
- rappelé que les frais de recouvrement afférents à la délivrance de la contrainte (soit le coût de la signification à hauteur de 72,41 euros) et aux actes qui pourront lui faire suite (en cas de nécessité de recourir à des mesures d'exécution forcée) seront à la charge de la société par application de l'article R.133-6 du code de sécurité sociale et l'a condamnée au paiement de ceux-ci,
- rappelé qu'il appartient à la société de se rapprocher de l'Urssaf pour solliciter des délais de paiement que seul cet organisme pourrait éventuellement lui accorder,
- condamné la société aux dépens.
Par déclaration du 25 février 2021, la société a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions déposées le 3 juin 2021, soutenues oralement par son conseil, la société demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
In limine litis,
- annuler la mise en demeure du 10 avril 2019 et par voie de conséquence la contrainte du 3 juin 2019 notifiée le 6 juin 2019,
A titre principal,
- annuler la décision rendue par la commission de recours amiable le 10 décembre 2019 et notifiée le 7 janvier 2020 à la société,
- annuler les redressements notifiés par l'Urssaf le 28 novembre 2018,
- constater que la créance de l'Urssaf n'est pas justifiée,
En conséquence,
- constater que la société n'est débitrice d'aucune somme au profit de l'Urssaf,
- annuler la contrainte du 3 juin 2019 notifiée le 6 juin 2019,
- condamner l'Urssaf à payer à la société la somme de 7 860 euros en exécution de la contrainte contestée et annulée,
A titre subsidiaire,
- décerner acte à la société de ce qu'elle a réglé les cotisations rappelées et qu'elle se réserve de solliciter ultérieurement une remise des majorations de retard,
En tout état de cause,
- condamner l'Urssaf à payer à la société une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner l'Urssaf aux dépens, comprenant les frais de signification de la contrainte conformément aux dispositions de l'article R.133-6 du code de sécurité sociale.
Par conclusions déposées le 18 octobre 2022, soutenues oralement par son conseil, l'Urssaf Normandie, venant aux droits de l'Urssaf de Basse-Normandie, demande à la cour de :
- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société aux dépens.
Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.
SUR CE, LA COUR
- Sur la régularité de la contrainte
Aux termes de l'article L.244-2 du code de sécurité sociale,
Toute action ou poursuite effectuée en application de l'article précédent ou des articles L. 244-6 et L. 244-8-1 est obligatoirement précédée, si elle a lieu à la requête du ministère public, d'un avertissement par lettre recommandée de l'autorité compétente de l'Etat invitant l'employeur ou le travailleur indépendant à régulariser sa situation dans le mois. Si la poursuite n'a pas lieu à la requête du ministère public, ledit avertissement est remplacé par une mise en demeure adressée par lettre recommandée ou par tout moyen donnant date certaine à sa réception par l'employeur ou le travailleur indépendant.
La société reproche à l'Urssaf de n'avoir pas indiqué, dans sa mise en demeure, le délai dont elle disposait pour se libérer de son obligation.
Il est cependant acquis que la mise en demeure comportait, à son verso, la mention intitulée 'quelles sont les voies de recours', précisant 'à défaut de règlement dans le délai d'un mois suivant la date de réception de la présente, l'Urssaf est fondée à engager les poursuites sans nouvel avis.'
C'est ainsi à tort que la société soutient que la mise en demeure ne lui permettait pas de connaître le délai dans lequel elle devait régler la somme réclamée.
Ce moyen doit donc être écarté.
Ainsi la procédure de contrôle est régulière et la demande de la société tendant à voir déclarer nulle la mise en demeure et la contrainte sera rejetée.
Le jugement déféré sera confirmé.
- Sur le bien-fondé des chefs de redressement n° 1 et 2 (règles générales et heures d'équivalence - transport routier)
Aux termes de l'article L.241-13 III du code de sécurité sociale :
Le montant de la réduction est calculé chaque année civile, pour chaque salarié. Il est égal au produit de la rémunération annuelle, telle que définie à l'article L. 242-1 par un coefficient, selon des modalités fixées par décret. Ce coefficient est déterminé par application d'une formule fixée par décret. Il est fonction du rapport entre la rémunération annuelle du salarié telle que définie à l'article L. 242-1 hors rémunération des temps de pause, d'habillage et de déshabillage versée en application d'une convention ou d'un accord collectif étendu en vigueur au 11 octobre 2007 et le salaire minimum de croissance calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail augmentée, le cas échéant, du nombre d'heures complémentaires ou supplémentaires, sans prise en compte des majorations auxquelles elles donnent lieu. Lorsque le salarié est soumis à un régime d'heures d'équivalences payées à un taux majoré en application d'une convention ou d'un accord collectif étendu en vigueur au 1er janvier 2010, la majoration salariale correspondante est également déduite de la rémunération annuelle du salarié dans la limite d'un taux de 25 %. Pour les salariés qui ne sont pas employés à temps plein ou qui ne sont pas employés sur toute l'année, le salaire minimum de croissance pris en compte est celui qui correspond à la durée de travail prévue au contrat.
La société explique que le débat porte sur la notion d'heures supplémentaires susceptibles d'être prises en compte pour majorer le salaire minimum de croissance (SMIC). Elle précise avoir intégré à la formule de calcul de la réduction des cotisations, pour détermination du SMIC, des heures rémunérées au-delà de la durée légale ou équivalente de travail au cours du mois comportant des absences rémunérées (jours fériés ou congés) mais non-majorées.
Elle indique avoir majoré le montant du SMIC des heures supplémentaires rémunérées à ses salariés au-delà de la durée légale ou équivalente de travail, que les heures supplémentaires aient ou non été majorées ou qu'elles aient donné lieu ou non à un repos compensateur.
L'Urssaf estime que les heures supplémentaires qui peuvent majorer le SMIC sont les heures rémunérées au-delà de la durée légale du travail ou de la durée d'équivalence.
Il résulte des articles L.241-13 III précité et D.241-7 I 1 du code de sécurité sociale que le salaire minimum de croissance pris en compte pour le calcul du coefficient de réduction des cotisations sur les bas salaires est calculé pour un an sur la base de la durée légale du travail augmentée, le cas échéant, du nombre d'heures complémentaires ou supplémentaires effectivement réalisées par le salarié, sans prise en compte des majorations auxquelles elles donnent lieu.
Il est constant que les redressements contestés ont été opérés sur les heures supplémentaires rémunérées mais non majorées, lorsqu'il s'agissait de traiter les semaines au cours desquelles il y avait un jour férié ou un jour de congé.
La circulaire n° DSS/SD5B/2015/99 du 1er janvier 2015 relative à la mise en oeuvre de la réduction générale des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs et de la baisse du taux de cotisations d'allocations familiales dont se prévaut la société, prévoit en son article 5.5 :
Sont considérées comme heures supplémentaires pour majorer le SMIC, les heures rémunérées au-delà de la durée légale du travail soit 35 heures par semaine : en effet, si la durée conventionnelle du travail est inférieure à 35 heures par semaine, seules les heures effectuées au-delà de 35 heures sont décomptées comme des heures supplémentaires.
La circulaire prévoit ensuite que la majoration du SMIC s'applique aux heures supplémentaires telles que définies par le code du travail, et que les heures supplémentaires qui résultent d'une durée collective de travail supérieure à la durée légale ou d'une convention de forfait intégrant déjà un certain nombre d'heures supplémentaires, sont considérées comme des heures supplémentaires 'structurelles'.
Or les heures litigieuses ne sont pas des heures supplémentaires structurelles, elles ne sont pas incluses dans l'horaire habituel de travail et n'ont pas été majorées.
Il ressort en définitive des dispositions précitées que seules doivent être prises en compte pour déterminer le coefficient de réduction des cotisations, les heures de travail effectivement exécutées, peu important l'équivalence en « temps plein » dont bénéficient, en application de leur contrat de travail, les salariés concernés.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont relevé que la société ne pouvait prendre en compte les jours fériés et chômés et les repos compensateurs pour la détermination du SMIC dans la formule de calcul de la réduction générale de cotisations, puisque ceux-ci ne sont pas assimilés à un temps de travail effectif et ne sont pas pris en compte pour la détermination des heures supplémentaires.
Ils ont également relevé à juste titre que les jours de congés payés annuels ne constituent ni des heures supplémentaires dépassant la durée d'équivalence applicable aux conducteurs (39 heures pour les courtes distances, 43 heures pour les longues distances), ni des heures supplémentaires structurelles, et ne font l'objet d'aucune contrepartie. Elles ne peuvent donc entrer dans le paramètre SMIC de la formule de calcul du coefficient de la réduction générale de cotisations.
Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé de ce chef.
- Sur la remise des cotisations rappelées au titre des frais professionnels (chef de redressement n° 3)
La société indique ne pas contester ce chef de redressement, mais affirme avoir ignoré de bonne foi les restrictions jurisprudentielles apportée à la règle permettant d'opérer une déduction forfaitaire spécifique. Elle demande en conséquence que le redressement soit annulé et réduit à une simple lettre d'observations pour l'avenir.
L'article 1123-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que une personne ayant méconnu pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle lors du renseignement de sa situation ne peut faire l'objet, de la part de l'administration, d'une sanction, pécuniaire ou consistant en la privation de tout ou partie d'une prestation due, si elle a régularisé sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invitée à le faire par l'administration dans le délai que celle-ci lui a indiqué.
Les premiers juges ont relevé à bon droit que la société ne remplit aucune des conditions posées par ce texte pour prétendre à l'annulation du redressement, de sorte que le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société de cette demande.
- Sur la remise des majorations
La société sollicite la remise des majorations, arguant de sa bonne foi lorsqu'elle a ajouté au montant du SMIC les heures supplémentaires litigieuses.
Il résulte cependant des dispositions de l'article R.243-20 du code de sécurité sociale que le directeur de l'organisme de recouvrement est seul compétent pour statuer sur les demandes gracieuses en remise totale ou partielle des majorations de retard critiquées.
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce que, retenant qu'il n'appartenait pas au tribunal d'accorder une remise des majorations de retard, il a débouté la société de cette demande.
Succombant en ses prétentions, la société sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement entrepris ;
Condamne la société [5] aux dépens d'appel,
Déboute la société [5] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
E. GOULARD C. CHAUX